marcello a écrit :Il me semble qu'il y a de par le monde des êtres humains qui recherchent le bien pour des raisons de conviction personnelle sans se référer au marché, ni à la religion, ni à Spinoza.
Le Marché dans le sens où il y est fait référence en dernière analyse dans les discours politiques ou la religion en général requièrent l'obéissance sans comprendre. Spinoza ne fait quant à lui qu'exposer géométriquement ce que bien d'autres avant lui et après lui ont compris intuitivement ou selon d'autres cheminement rationnels. Donc vous avez tout à fait raison, on peut vouloir le bien soit par religion, soit par raison, soit par intuition. Le problème avec la religion, c'est qu'on ne veut le bien que pour ce qu'il est censé nous apporter, ce qui introduit une confusion qui peut faire que la religion sous ses différentes formes dérive en sectarisme, voire en totalitarisme.
Même si la contribution de Spinoza aux Lumières et donc aux principes contenus dans les diverses déclarations des droits de l'homme est décisive.
En effet.
Il me semble qu'il y a dans la plupart des gens (et même chez les animaux supérieurs) un élan vers ce qui fait du bien et diminue la souffrance. et même une certaine capacité, plus ou moins développée à l'empathie qui ne dépendent pas de la religion.
Probablement, mais cela n'empêche pas que comme la plupart des gens ne se conduisent pas selon la raison, ils en viennent au final à produire les conditions de leur propre servitude. Il suffit de voir comment les dictatures plus ou moins violentes par les armes ou par l'argent règnent sur le monde. Aucune de ces dictatures ne pourrait subsister plus d'une heure sans le consentement général à la servitude.
Il existe aussi, bien sûr des tendances inverses qui souvent coexistent à ces tendances généreuses : égoïsme, violence, cupidité.
Le marché, lui-même, n'est pas que négatif. C'est aussi l'espace dans lequel les êtres humains échangent les fruits de leur travail et de leur ingéniosité. Il y a même un marché de la solidarité ou générosités se rencontrent et s'emploient.
Tout à fait, je parlais du Marché avec un grand M et pas du marché qui n'est que l'ensemble des échanges utiles aux hommes. Le Marché avec un grand M, c'est l'économie, la croissance du PIB, le profit qui deviennent une fin en soi, le souverain bien, et par rapport auquel les hommes deviennent de simples moyens.
Les excès du marché ne définissent pas plus le marché que les excès d'amour ne définissent l'amour.
Il n'y a pas en soi d'excès du marché à mon sens, ce n'est pas un problème de quantité mais d'ordre des valeurs. Quand les valeurs monétaires prennent le pas sur les valeurs humaines proprement dites (comme la solidarité, l'échange et donc le partage, la générosité, la justice) dans la représentation de l'ordre des valeurs, ce n'est pas un excès mais une erreur.
D'ailleurs, Spinoza ne vivait-il pas de la vente des verres qu'il polissait et pour lesquels il y avait une demande suffisante en Europe pour lui permettre de persévérer dans son être et dans son essence qui était de créer l'oeuvre qui est la cause de notre présence sur ce généreux et noble forum ?
En effet.
Ce qui m'amène à une réflexion sur la justification de Spinoza pour la recherche d'un souverain bien.
Il part d'une désillusion sur les richesses, le pouvoir et la jouissance sexuelle.
Mais pourquoi ne parle-t-il pas des biens qui sont de vrais biens : l'amour désintéressé pour ses proches ou pour l'humanité, la recherche de la vérité dont la philosophie naturelle du 17e siècle est un moment majeur, le combat pour la liberté humaine dont Spinoza est lui-même un héros comme le pécheur italien sous la forme duquel il s'est lui-même représenté ?
Il me semble que ce sont des raisons de vivre qui sont suffisantes pour entreprendre et persévérer. C'est d'ailleurs ce que nous faisons tous à notre façon, non ?
Dans le TRE, Spinoza part de la question de ce qui peut parfaitement contenter le cœur humain, le souverain bien. Il se réfère d'abord à ce que les hommes prennent le plus souvent pour tel et qui n'a pas manqué de le séduire car il se sait homme avant que d'être philosophe. Et force est de constater que quand ils cherchent le bonheur, la liberté, la justice, les hommes aujourd'hui encore ont plutôt tendance à chercher en fait les satisfactions charnelles, la richesse, le pouvoir et la gloire. Voltaire, en plein cœur des lumières identifie liberté et fortune monétaire et n'hésite pas, paraît-il à prendre des parts dans le juteux commerce des esclaves.
Mais Spinoza ne dit pas pour autant que le plaisir sensuel, la richesse et le pouvoir sont des faux biens. Ce ne sont des maux que si on en fait le souverain bien, de sorte qu'on en vient à se mettre au service de réalités extérieures, ce qui ne peut qu'engendrer de la déception. Mais si on les maintient dans le statut de moyens, ce sont des biens qui n'ont pas à être méprisés.
Quant à l'amour désintéressé pour ses proches, à la recherche de la vérité et au combat pour la liberté, ce ne sont pas les biens qui sont les plus valorisés parce qu'ils ne sont souvent pas bien compris par ceux qui les éprouvent naturellement, ce qui donne lieu à la confusion avec le népotisme ou le repli de classe dans le cas de l'amour pour ses proches. L'amour de l'humanité, c'est en son nom qu'aujourd'hui encore, on exclut ceux qui sont considérés comme sous-humains et c'est par humanisme, que les nouveaux dictateurs prétendent que les peuples, comme celui de Grèce, doivent se soumettre à la pure et simple marchandisation de leurs vies. Et ceux qui prétendent cela n'ont que les mots de vérité, de justice et de liberté à la bouche, comme aucun dictateur n'a jamais manqué de le faire. Et le consentement des peuples à cet égard ne peut s'expliquer que par le manque de compréhension de ce que ces valeurs signifient.
La question que Spinoza pose au début du TRE, c'est quel peut être ce souverain bien dont la connaissance et la possession pourrait me rendre heureux en toutes circonstances et capable d'être bon ou vertueux tant que j'y resterais attaché. Or on a beau être d'un naturel gentil, honnête et sincère, cela n'empêche pas d'être malheureux et même méchant malgré soi (car nul n'est méchant volontairement) La première question qui se pose alors à un esprit raisonnable qui entreprend cette recherche, c'est comment s'assurer de ne pas se tromper, de ne pas tomber dans des confusions qui nous éloignent du but au lieu de nous en rapprocher. Mais cette simple question, si évidente, donnant lieu à une réflexion ordonnée sur la nature du vrai, bien peu entreprennent d'y répondre, persuadés qu'ils sont de la perfection de ce point de vue de leur entendement.