Captain-Troy a écrit :1) "Chez lui la peur ou, comme il l'appelle la "Crainte", c'est une Tristesse (c'est-à-dire une diminution de notre puissance)."
Je pense que Spino se trompe. La peur n'est pas une diminution de notre puissance en valeur absolue. Elle est causée par l'irruption, dans notre périmètre d'influence, d'une puissance supérieure à la nôtre, plus ou moins clairement perçue et identifiée comme telle, jusqu'ici inconnue ou non.
Donc une puissance perçue comme supérieure à la nôtre est perçue à priori comme dangereuse et menaçante, et la valeur de notre puissance est totalement relative, et c'est important pour la suite.
Bonjour Captain-Troy,
à mon sens on peut certainement voir les choses ainsi, et je peux bien sûr me tromper, mais je me demande si la majorité des intervenants sur ce forum ces derniers temps ne seraient pas d'accord avec l'idée que la peur est causée par une puissance supérieure à la nôtre.
Prenons par exemple les échanges avec Korto. On pourra me corriger si on le veut, mais il me semble qu'en général pas mal de gens trouvaient ses messages assez désagréables, et espéraient que cela n'allait pas devenir pire encore (notamment parce qu'on n'avait pas trop envie de jouer l'agent de police). Autrement dit, ils avaient peur que cela allait devenir pire (peur fondée d'ailleurs, puisque finalement il avait entravé tellement la charte qu'on a dû lui refuser l'accès au forum, comme on le sait).
Sur base de l'idée que tu proposes ici, on pourrait effectivement essayer de comprendre leurs réactions. Il faudrait alors se dire que devant une puissance potentiellement dangereuse (ne fût-ce que virtuellement; enfin quand même "réellement" aussi, au sens où si l'on n'a pas envie de passer son temps à censurer sur des forums virtuels, devoir le faire néanmoins change la façon dont se déroule réellement sa journée), la réaction la plus logique, c'est d'essayer de diminuer la force même de cette puissance. La censure étant bien sûr la diminution la plus 'radicale', puisque là on n'est même plus confronté à cette puissance, il y a aussi un autre moyen d'essayer de diminuer la puissance de quelqu'un: c'est d'essayer de le ridiculiser.
On obtient alors une sorte d'explication pour le cercle vicieux de la haine qui s'est produit à l'époque: on perçoit la présence de Korto sur ce forum comme un danger, on essaie de diminuer le danger en essayant d'insulter Korto.
On pourrait même essayer d'expliquer une partie des messages de Korto lui-même par un mécanisme semblable, et alors il faut se dire qu'éventuellement il a été confronté à des gens qui se revendiquaient du spinozisme (en dehors du forum, puis ici) mais qui se comportaient de manière fort criticable (ou bien parce qu'ils pensaient pouvoir faire de la philosophie de manière tout à fait "abstraite" c'est-à-dire détachée du monde réel, ou bien en se revendiquant d'un militantisme de gauche peu ouvert à d'autres conceptions politiques, ou bien en adoptant une attitude assez violente et peu compatible avec ce qu'évoque l'idée d'une "béatitude" etc.), et qu'il partageait l'impression que ces gens-là sont assez "sur-représenté" dans l'enseignement par exemple, constituant par là une menace pour notre jeunesse et donc en quelque sorte un danger public. Bref, le type de spinozisme auquel il avait été confronté était peut-être perçu par lui comme étant assez dangereux. En ce sens précis, cela lui avait fait peur, et il a eu la saine réaction d'essayer de le combattre par tous les moyens, ou plutôt, en essayant de montrer les contradictions internes de l'attitude de ceux qui pensent le spinozisme ainsi, en utilisant les moyens mêmes de ces "spinozistes": Spinoza dit qu'on sait obtenir
more geometrico une tranquillité d'âme parfaite, un grand "Amour" pour le monde etc? Alors on va montrer qu'en remuant un peu, ils perdront vite leur calme et démontreront ainsi que le spinozisme n'est que du blabla, qu'en réalité les "spinozistes" sont aussi violents que les autres. Une fois cela démontré, ils ne pourront plus déclarer du haut de leur tour d'ivoire que ce sont eux qui ont raison et que les autres visiblement ne comprennent rien de la philosophie, et donc on aura diminué leur puissance. Et donc diminué le danger lié au "spinozisme".
Encore une fois, tout cela me semble être assez cohérent, et probablement vrai. Mais la question qu'on était en train de se poser ici, c'était de comment briser le cercle vicieux de la haine, comment "traiter" la haine. Et pour moi, lorsqu'il s'agit d'"évaluer" l'effet de ces tentatives de combattre la peur et donc la puissance supérieure à laquelle on se sentait chacun confronté, on ne peut que constater que l'effet était assez pauvre. Au contraire même, on dirait que plus on essayait de diminuer la puissance de l'autre, plus la haine circulait, plus les propos devenaient violents. Ce qui me fait penser que notre explication ici n'est pas encore suffisante, au sens où il manque quelque chose pour pouvoir réellement s'en sortir. Et c'est là que je pense que Spinoza quelque chose d'intéressant à apporter.
Captain-Troy a écrit :2) "Je dirais donc que chez Spinoza la Haine et la Crainte sont deux types de Tristesse différents, si bien que l'un ne peut pas vraiment être la cause ou l'origine de l'autre. "
Je ne vois pas trop ce que la "tristesse" vient faire dans l'affaire. Ça me semble l'effet de la volonté forcenée de systématisme de Spinoza et d'une focalisation quasi hallucinée sur le couple joie/tristesse de la part d'un homme sombre qui aurait aimé trouver la pierre philosophale de la joie, le moyen scientifique de la convoquer à volonté.
L'homme ou l'animal effrayé n'est pas triste.
L'homme ou l'animal haineux n'est pas plus triste.
L'être réellement triste n'est ni haineux ni terrorisé.
Ou alors les mots n'ont plus aucun sens...
il va de soi que lorsqu'on dit que quelqu'un a peur, on ne veut pas dire qu'il est triste. Alors qu'en effet, quand on est vraiment triste, on n'est pas en train de haïr ou on n'a pas forcément peur (qu'il s'agisse d'un homme ou d'un animal).
Or Spinoza, comme tout philosophe, est un "onomaturge", comme le disait Platon, c'est-à-dire il redéfinit certains mots et en invente d'autres. Pourquoi faire cela... ?
Pas juste pour le plaisir de se fabriquer sa propre langue bien sûr, je crois que cela n'existe que chez ceux qui viennent après ce philosophe et qui vont faire de ses écrits un moyen pour obtenir davantage de prestige social etc. Un grand philosophe (
tout grand philosophe) redéfinit certains mots parce qu'il pense que les utiliser dans le nouveau sens qu'il leur donne va nous être plus utile, nous "animaux sensibles aux idées" et donc aux mots, comme le disait aussi Platon, que de continuer de les utiliser dans leur sens habituel, du moins dans certains contextes.
Alors bon, je sais bien que cela a l'air d'être assez vague ... pourtant je crois que c'est vrai. Faudra donc que je trouve un moyen pour expliquer cela davantage. J'y réfléchis, pendant que toi tu réfléchis à comment expliquer le moyen auquel tu penses toi pour essayer de "remédier" à la haine ... .
Captain-Troy a écrit :3) Résumons-nous donc :
schéma classique naturel :
a) irruption d'une puissance estimée supérieure à la mienne > b) intuition de danger, de menace > c) intuition de ma propre infériorité, de ma faiblesse relative > d) peur > e) colère contre cette auto dévalorisation de moi-même > f) redirection ou projection de cette haine réflexive et suicidaire vers l'extérieur, vers l'autre > g) haine de l'autre puissance ou d'un support tiers la représentant, la symbolisant (magie) > h) agressions et simulacres de mise à mort (ou élimination effective) de la puissance estimée menaçante > i) en réaction : renforcement et rapprochement de l'énergie menaçante de cette puissance > etc... etc... > ma mort ou la mort de l'autre,
Voilà, ça me semble à peu près fonctionner comme ça. Pas la peine d'invoquer de la tristesse ou de la joie là-dedans.
non, c'est clair que cela fonctionne comme ça, sans parler de tristesse ou de joie, et encore une fois, je pense qu'on sera tous d'accord pour reconnaître la pertinence de ce schéma dans la vie réelle, et donc aussi (pour revenir à mon premier message dans ce fil) sur ce forum.
Or ce qu'on "gagne", en y ajoutant un peu de joie et de tristesse, c'est à mon avis de pouvoir penser (et donc aussi mettre en pratique) un véritable remède à la haine (à vérifier, bien sûr, et comme déjà dit, pour moi ce forum peut servir à ce type d'expériences de vérification, d'où l'idée de laboratoire).
Captain-Troy a écrit :Maintenant, on voit bien les faiblesses, les impasses et le gaspillages d'énergie d'un tel enchaînement dans beaucoup de situation.
Où agir dans le cycle ? À quelle étape faut-il modifier les paramètres ?
oui, c'est ça la question en effet.
Captain-Troy a écrit :En plusieurs points je crois. J'y reviendrai. En attendant, dis-moi déjà ce que tu penses du schéma initial avant d'envisager un schéma évolué et travaillé où peur et haine peuvent être sublimées, comme disait le vieux Freud, qui n'a pas dit que des conneries au demeurant.
un remède par la sublimation? Pourquoi pas ... mais de prime abord je ne le vois pas trop - peut-être parce que j'ai tendance à croire que c'est surtout le
vieux Freud qui n'a pas dit que des conneries, par exemple lorsqu'en 1937, peu avant de mourir, il écrivait qu'en fait sa méthode analytique ne fonctionnait pas et devrait ou bien être fort modifiée ou bien être abandonnée ...

. Mais donc il se peut que j'ai une idée trop négative de la psychanalyse, et que la notion de sublimation permet effectivement de penser un remède au cercle vicieux de la haine. Dans ce cas, à quoi penses-tu plus précisément?
Captain-Troy a écrit :4) "C'est pourquoi le remède à la Haine de l'autre chez Spinoza ne me semble pas être entièrement différente du remède chrétien (mutatis mutandis): il dit même quelque part littéralement que les âmes ne sont jamais vaincus par les armes mais seulement par l'Amour."
Je le crois aussi, mais il faut pas le dire trop fort...
Si Spinoza semble avoir eu un grand problème avec les "théologiens" chrétiens, son idée du Christ m'a l'air d'être beaucoup plus positive,
idem en ce qui concerne l'essence même de la religion, d'ailleurs. Mais c'est un autre sujet.
Captain-Troy a écrit :5) "...lorsque dans certains messages Korto écrivait combien ce qu'il associait au spinozisme faisait de celui-ci quelque chose de complètement absurde, il écrivait parfois d'une telle façon qu'il réussissait à évoquer cette absurdité d'une manière si créative/littéraire et si bien trouvée, que je ne pouvais qu'éclater de rire et le trouver un instant tout aussi absurde. A partir de ce moment-là, c'était difficile de ne pas quelque part commencer à l'"Aimer", au sens spinoziste du terme, même si au fond je n'étais pas du tout d'accord avec son idée du spinozisme. On pourrait donc dire que là Korto avait réussi à m'affecter d'une telle façon qu'il devenait difficile de le haïr, puisqu'il venait de provoquer chez moi une Joie..."
Mais pourquoi ce Korto n'arrivait-il à déclencher autant "d'amour" et de joie spinozistes chez ses autres interlocuteur tels Hokousai, DGsu, Durthal, Henrique .... ???!!!
justement, je crois qu'il faut saupoudrer le schéma que tu viens d'expliciter parfaitement des notions spinozistes de Tristesse et de Joie (et de Haine et d'Amour, et quelques autres encore) pour pouvoir donner un certain sens à cela. J'ai essayé de développer cela un peu dans mon message à DGsu ci-dessus, message qui sans doute était si long que personne ne l'a lu ...

... mais dont j'avais bien besoin moi avant de pouvoir le formuler plus clairement. Une tentative de résumé arrive sous peu.
Bien à toi,
L.