Bardamu a écrit :une proposition :
(corps) 5 + 7 = 3 x 4 (pensée) = 6 + 6 = etc.
avec autant d'"attributs" qu'on veut, c'est-à-dire n'importe quelle combinaison donnant 12.
L'humain est l'individu constitué de 5 + 7 et 3 x 4. Rapports de corps, rapports d'idées sous une même identité.
Et pour pousser la métaphore, si le corps a l'affection "divisé par 2", eh bien l'esprit l'a aussi : (5 + 7)/2 = (3 x 4)/2.
A partir des affections "arithmétiques", à partir du "divisé par 2", l'esprit pense le corps et se pense lui-même. Des successions d'opération donnent des effets, des résultats, qui permettent de déterminer nos conditions d'affections, les règles "arithmétiques" en oeuvre pour nous et le monde.
Bonsoir Bardamu,
en effet, c'est assez séduisant d'essayer de le voir d'une telle façon. Ce qui me semble être intéressant dans le "(corps) 5 + 7 = 3 x 4 (pensée)", c'est que si j'ai bien compris, ce qui fait la différence entre les attributs consiste en une manière d'opérer. Additionner et multiplier, ce sont des opérations différentes, donc des manières de produire un effet différentes, tandis qu'effectivement, en même temps une identité peut être tout à fait préservée. Chaque attribut a ainsi sa propre "loi de production". Puis on peut effectivement démultiplier les opérations (du moins en théorie) à l'infini: 5 + 7 = 3 x 4 = 14 - 2 (3e attribut) etc.
Un désavantage est peut-être qu'il faut travailler avec les mêmes éléments de base (les nombres), tandis que justement, les attributs n'ont vraiment rien en commun.
Puis, ce qui me pose également problème dans ce rapport idée-objet (en général), c'est que dans le cas d'un objet-corps (affection du corps), le corps sait percevoir seulement d'autres corps (ou en être affecté), tandis que l'esprit (l'idée) sait percevoir non seulement des idées (ou peut être affecté par des idées), mais en plus l'esprit sait percevoir des modes d'autres attributs, puis même des essences de choses singulières (je pars pour l'instant d'une conception du troisième genre de connaissance comme étant une connaissance adéquate immédiate de l'essence singulière des choses, en attendant d'être convaincue par Serge de sa fausseté). Cela implique non plus seulement une mise en rapport (une "opération") propre à l'esprit (opération dont les termes sont eux-mêmes des idées), mais également une mise en rapport de termes qui peuvent être de l'ordre d'une idée et d'un corps. Idée et corps n'ont rien en commun, mais une mise en rapport est possible (c'est le propre de l'esprit de pouvoir le faire). Autrement dit: il n'y a aucun type de causalité entre corps et esprit, tandis que les idées ont leur type de causalité à elles, et les corps leur type de causalité à eux; n'empêche qu'un rapport existe néanmoins, rapport qui est AUTRE que celui qui définit l'essence même de la chose.
En ce sens ta métaphore est peut-être également intéressante: il s'agit effectivement d'une mise en rapport (par l'égalité) de deux rapports totalement différents (le rapport "+" (essence objective) et le rapport "x" (essence formelle). Mais donc il faudrait que cette mise en rapport (ici l'égalité) en réalité est le propre d'un des deux types de rapports qui en sont les termes (ici l'addition). Tandis qu'ici aussi (comme pour la division), l'égalité n'est qu'une opération parmi d'autres. Ou en tout cas pas le propre de l'addition.
Récemment j'entendais un logicien dire que pour lui toute notre pensée (créative) consiste à construire des "congruences" entre des choses qui, selon un certain point de vue, sont différentes. A identifier deux hétérogènes donc. Tandis que les autres opérations (+, x etc) opèrent sur des éléments plutôt homogènes (5 et 7 sont tous les deux des nombres). En cela, l'égalité a donc effectivement un statut un peu à part, en tant qu'opération (elle sait créer des "unions").
Mais alors ... comme tu parles de Frege ... on pourrait peut-être également proposer, comme métaphore pour le rapport corps-esprit-chose un rapport expression francophone-expression anglophone-sens?
Exemple: "the king of France is bald"= "le roi de France est chauve". Le sens de cette phrase peut être exprimé différemment dans une infinité de langues. N'empêche qu'il reste toujours le même (on aurait pu prendre aussi la dénotation, mais alors on tombe dans le piège représentationnel, le sens étant en quelque sorte "l'image" de la référence), tandis qu'un changement de sens implique immédiatement un changement semblable dans toutes les expressions langagières possibles.
Mais cela ne résout pas vraiment le problème que j'avais avec ta proposition: comment exprimer métaphoriquement "l'inéquilibre" entre les deux attributs, puisque l'un sait non seulement percevoir ce qui se passe dans son propre monde (attribut), mais également ce qui se passe dans tous les autres attributs? A ce point de vue, un "native speaker" anglophone est plutôt "égal" à un native speaker francophone: aucun des deux ne peut percevoir quelque chose de l'autre langue aussi longtemps qu'il ne l'a pas appris.
Bref, s'il me semble que la métaphore que tu proposes est dans un certain sens excellente, la difficulté réside pour moi dans le signe de l'égalité. En réalité, le corps n'est pas "identique" à l'esprit, ils CONSTITUENT une seule et même chose (c'est la chose qui est identique à elle-même), et l'esprit sait percevoir le corps tandis que l'inverse n'est pas le cas (pas de relation symétrique entre les deux termes de l'égalité donc). Or c'est précisément cette capacité de perception de quelque chose de radicalement autre que lui-même qui rend possible l'union entre l'esprit et le corps ... . Perception qui ici n'est PAS une affection ... . C'est pourquoi j'ai l'impression qu'il ne suffit pas de trouver des métaphores d'une seule et même chose exprimée de façons différentes (ce qui n'est déjà pas si facile à trouver, et ce que réussit à faire la métaphore que tu proposes), il faudrait en même temps qu'un des deux termes a un rapport spécifique avec l'autre, et non seulement avec la chose qu'ils expriment tous les deux ... .
Bardamu a écrit :A noter aussi que je parle de 12 par référence au jugement synthétique a priori chez Kant qui prend cet exemple et que Frege critiquera. C'est un sujet actuel de réflexion pour moi...
je viens d'entamer la Begriffschrift il y a quelques semaines, mais je n'ai pas encore rencontré l'exemple en question. Te souviens-tu de l'endroit (dans la BS ou ailleurs) où je pourrais éventuellement le retrouver?
Merci déjà,
louisa