Le MOI

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Benoit_Careil
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Le MOI

Messagepar Benoit_Careil » 28 févr. 2007, 17:25

Existe-t-il un MOI ou un JE chez Spinoza? une personnalité, un quelques chose qui serait nous, invariable qui permettrait de distinguer ce qui nous influence de ce qui est influencé, ce qui pense de ce qui est pensé, ce qui sent du senti, etc.
Si vous pensez que oui, sur quelles propositions vous basez-vous?
Je pense que non, car je ne vois pas où Spinoza utilise de telles hypothèses.
Je pense que non, car Spinoza définit l'âme comme l'idée du corps. Que le corps est un individu composé d'individus eux-même composés. Que ces individus convergent dans une action commune grâce au CONATUS et forment ainsi un individu. Le parallélisme ÂME//CORPS faisant que l'âme est elle-même formée d'idées plus simples, et que certains s'expriment plus que d'autres, sous influence exterieur (idées inadéquates) ou ordre interne (idée adéquates). L'expression des idées vient du CONATUS, qui définit ce que nous sommes, mais nous ne sommes que phénoménal (pour reprendre les terme de Kant).
Qu'en pensez-vous?
Benoît CAREIL
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Henrique
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Re: Le MOI

Messagepar Henrique » 02 mars 2007, 01:17

Le corps est chez Spinoza le substrat de ses affections, de même que le mental qui en est l'idée. A titre de substrat, il est un mode qui peut se modifier. C'est en ce sens qu'on dit "je me promène" ou "j'ai grandi". Mais ce moi n'est ni ce qui pense (le mental n'est qu'idée du corps, pensée singulière et non substance pensante), ni ce qui s'étend (le corps n'est que mode de l'étendue).

Mais ce qui pense ce corps ou ce qui s'étend à travers lui, le soi au sens de principe des modifications du moi empirique, c'est la substance unique ou Dieu. Toute l'Ethique consiste à nous expliquer comment se libérer de l'identification du moi empirique (pris à tort pour une petite substance alors qu'il n'est qu'objet de pensée) et du soi véritable, la substance absolument simple et invariable qui est le sujet assurant la continuité et l'unité relative du moi. Ce Soi, c'est l'étendue en tant que puissance infinie de s'étendre ou la pensée en tant qu'affirmation infinie de cette puissance.

Certaines écoles orientales parlent du brahman ou de la nature de Bouddah en termes d'espace pur et/ou de conscience sans forme. Le fameux Tatvam asi "Tu es Cela" peut être exprimé en langage spinoziste "l'homme est mode de la substance universelle et infinie", ce qui signifie qu'il n'est pas différent par nature de cette substance. De même en partie que dans le mouvement du bras, comme mode de ce mode qu'est le corps, ce qui meut le bras, c'est le corps, il n'y a pas de séparation de nature entre ce qui meut et ce qui est mû ; de même (mais l'analogie a ses limites) ce qui s'étend dans le corps ou ce qui pense dans le mental, c'est la substance.
Ainsi peut s'interpréter aussi la parole bien connue de Jésus Christ, pour qui Spinoza avait une véritable estime : "Je suis la voie, je suis la vie, je suis la vérité". Non que Jésus aurait ici parlé de lui en particulier, en tant que personnage historique, mais parce que le chemin pour accéder à Dieu est le soi et la conscience de soi, chemin que chacun peut emprunter pour accéder immédiatement à la conscience de l'être de Dieu, d'être Dieu.

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Amstel
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Messagepar Amstel » 02 avr. 2007, 01:47

Existe-t-il un MOI ou un JE chez Spinoza? une personnalité, un quelques chose qui serait nous, invariable qui permettrait de distinguer ce qui nous influence de ce qui est influencé, ce qui pense de ce qui est pensé, ce qui sent du senti, etc.
Si vous pensez que oui, sur quelles propositions vous basez-vous?
Je pense que non, car je ne vois pas où Spinoza utilise de telles hypothèses.


Il doit exister un MOI ou un JE chez Spinoza, sinon c'est toute sa philosophie qui s'écroule. Il explique longuement dans E5 qu'il existe une joie, une délectation, à se connaitre adéquatement. Il est donc possible d'avoir une connaissance adéquate de soi-même, de se connaitre soi-même aussi clairement que nous connaissons la définition d'un triangle.
Je me base sur la proposition qui affirme que le désir est l'essence de l'homme. Je suis actuellement et éternellement désir de connaitre et de faire connaitre d'une manière qui m'est toute particulière. Sans ce désir je ne serais plus Amstel, donc ce désir pose mon existence et mon essence, il est constitutif de mon MOI. De même, je ne suis pas actuellement et éternellement désir de jouer du violon, ce désir ne pose ni mon existence ni mon essence, il n'est pas constitutif de mon MOI. Certains désirs constituent mon essence et mon existence propre, d'autre non. Je peux donc par là-même arriver a une définition adéquate de mon essence et établir l'existence d'un MOI ou d'un JE chez Spinoza. Du moins, c'est comme cela que je comprends et que je me comprends dans l'Ethique...

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Miam
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Messagepar Miam » 02 avr. 2007, 10:34

Oui. Mais il est construit et non préalable comme chez Descartes. C'est pourquoi plutôt que de moi (ego), il est préférable de parler d'un sujet des affects, mais non pas de tous les affects; seulement des affects actifs. Ce sujet s'éloigne d'autant plus de ce que l'on nomme couremment un "moi".

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Messagepar Faun » 02 avr. 2007, 10:54

La question admet différentes réponses selon que l'on se place du point de vue de tel ou tel genre de connaissance selon Spinoza.
Au premier genre de connaissance, le moi est une idée confuse et partielle, et le lieu de toutes les passions : l'orgueil, la crainte, l'ambition etc. C'est sans doute une illusion, un fantasme vague, car l'esprit ne se connait pas lui même ni son corps à ce niveau de connaissance, il s'imagine plus qu'il ne se comprend, et il n'a pas conscience des causes qui font qu'il éprouve tel ou tel sentiment.
Au second genre de connaissance tout ce passe en effet comme dans la philosophie orientale citée par Henrique : le moi disparait, tout ce qui est mien est à tous et tout ce qui est à tous est mien, l'homme vit dans ce genre de connaissance en tant que partie d'un tout et non plus en tant que totalité confuse comme dans le premier genre. Là les passions disparaissent elles aussi, au profit des idées adéquates qui ne nous affectent pas, et l'intellect se déploit en nous comme il se déploit dans l'univers infini, immuable.
Cependant, comme le dit Amstel, tout change avec le troisième genre de connaissance, car alors le moi est perçu comme essence singulière, différente de toutes les autres, et cette nature, en tant qu'elle est une partie de l'univers, est unique et ne se fond pas dans l'indéterminé du second genre. Mais cette idée n'est plus isolée du reste du monde comme dans le premier genre, elle n'est plus une chose obscure contenue dans un univers encore plus obscur, affectée de passions tristes et joyeuses, mais une structure claire, lumineuse. Ce moi qui se définit par le seul intellect ne se confond cependant pas, comme dans le second genre, avec la Nature entière, mais il constitue une partie vivante et singulière de l'intellect, et il est encore une modification, modifiée et modifiante.
On se trouve alors dans le triangle mystique dont parle Sinoza dans la cinquième partie, par exemple dans les scolies des proposition 39 et 42 : moi, Dieu, et les choses, traversé par l'Amour intellectuel de Dieu qui va de moi à Dieu, de Dieu aux choses, des choses à moi, de moi aux choses, des choses à Dieu, de Dieu à moi, etc.

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Messagepar Miam » 02 avr. 2007, 15:32

Tout à fait. "Sesse in Deo esse..." écrit-il plusieurs fois. Il s'agit bien plus d'un "Soi" que d'un "Moi". Le "sujet" est toujours déjà le sujet de ses affects, il est un individu et "un être" mental-corps. Mais il faut encore que ces affects soient ses affects afin qu'il puisse connaître cet être et devenir Soi.

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Messagepar hokousai » 03 avr. 2007, 00:54

à Amstel


Il doit exister un MOI ou un JE chez Spinoza, sinon c'est toute sa philosophie qui s'écroule.


Non peut être seulement la conscience éveillée qu’il a de son amour intellectuel de Dieu .
Ce n’est plus exactement la question du MOI mais celle de la conscience .

.On pourrait dire que l’idée de l’amour r intellectuel Dieu recèle en elle même une dualité( c’est une relation duelle ).C’est l’idée d’une relation
Mais pas l’idée d’une relation entre des choses particulières quelconques mais d’une relation entre un lieu très particulier , un lieu central , un centre qui accompagne l’idée toujours et le moi serait alors ce centre .(c’est une manière de nommer ce centre )

Si ce centre s’estompe , s' il disparaît, alors c’est la conscience qui disparaît . et l’idée de l’amour intellectuel de Dieu disparaît .
Ce qui demeure donc c’est un centrage .
On peut imaginer une perte du centre on serait pour le coup dans une expérience de perte de la relation .S’il n’y a plus d’idée de l’idée alors ……comment Dieu peut il s’aimer lui même sil n’en a plus l’idée ? A tout le moins si l’idée qu’il avait de cet amour a disparu .…

Si l’idée d’ amour intellectuel ne recèle plus de dualité alors c’est cette idée qui disparaît ..
Ce qui oblige Spinoza à dire (d’une certaine façon )que Dieu a conscience de lui même .(accompagné de l’idée de soi )

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Messagepar Amstel » 09 avr. 2007, 03:19

Miam a écrit :C'est pourquoi plutôt que de moi (ego), il est préférable de parler d'un sujet des affects, mais non pas de tous les affects; seulement des affects actifs.

Il s'agit bien plus d'un "Soi" que d'un "Moi". Le "sujet" est toujours déjà le sujet de ses affects, il est un individu et "un être" mental-corps. Mais il faut encore que ces affects soient ses affects afin qu'il puisse connaître cet être et devenir Soi.


Merci beaucoup pour la précision. Le sujet spinoziste se détermine avant tout par ses affects actifs.

Avant de lire Spinoza j'ai appris a me connaitre avec une précision que je trouve satisfaisante en étudiant Lacan, et notamment son article: Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, d'où mon insistance sur le MOI comme sujet de désir. J'ai peut-être trop envie de retrouver Lacan chez Spinoza!

Lacan et Spinoza ont une définition diamétralement opposée du désir. L'un y voit un manque, l'autre une plénitude. Mais ils ont un point en commun, pour eux deux, le désir est l'essence même de l'homme, et cette essence est dans les deux cas construite et déterminée, et non préalable, comme tu le dis plus haut. Je pense qu'à ce niveau on peut arriver a déterminer une idée adéquate d'un "sujet" aussi bien par la psychanalyse lacanienne que par la philosophie spinoziste.



Faun a écrit :...tout change avec le troisième genre de connaissance, car alors le moi est perçu comme essence singulière, différente de toutes les autres, et cette nature, en tant qu'elle est une partie de l'univers, est unique et ne se fond pas dans l'indéterminé du second genre.


Je suis pleinement d'accord avec cela et particulièrement les passages soulignés. Est-ce que tu sais ou Spinoza mentionne cela explicitement?

Hokousai a écrit :Ce n’est plus exactement la question du MOI mais celle de la conscience .

Ce qui demeure donc c’est un centrage.


J'avoue que j'ai du mal avec cette idée de "conscience centrée", on reste dans une sorte de flou artistique. Ou se trouve donc la pensée claire et distincte? L'idée de soi comme s'il était question de lignes, de plans ou de corps?
Modifié en dernier par Amstel le 24 avr. 2007, 03:49, modifié 2 fois.

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Messagepar Faun » 09 avr. 2007, 11:14

Amstel a écrit :Lacan et Spinoza ont une définition diamétralement opposée du désir. L'un y voit un manque, l'autre une plénitude. Mais ils ont un point en commun, pour eux deux, le désir est l'essence même de l'homme, et cette essence est dans les deux cas construite et déterminée, et non préalable, comme tu le dis plus haut. Je pense qu'à ce niveau on peut arriver a déterminer une idée adéquate d'un "sujet" aussi bien par la psychanalyse lacanienne que par la philosophie spinoziste.


Concevoir l'essence de l'homme comme un manque, une privation, c'est évidemment absurde, car l'essence d'une chose affirme d'elle-même tout ce quelle est, et non ce qu'elle n'est pas. Le désir ne manque de rien, le désir est en effet plénitude. Le désir c'est toujours 1+1, et non 0+0, car si l'essence était manque, elle serait un vide attendant d'être rempli, mais si toutes les essences sont des manques, des choses vides, alors elles sont autant de 0, et 0+0=0. Et même pour Spinoza dire que l'essence est 1 n'est pas exact, il faudrait plutôt dire qu'elle est un infini qui tend vers un autre infini, l'infini plus l'infini, un infini plus une infinité d'autres infinis.

Faun a écrit :
Je suis pleinement d'accord avec cela et particulièrement les passages soulignés. Est-ce que tu sais ou Spinoza mentionne cela explicitement?


Cela résulte de l'ensemble de l'Ethique, mais notamment de la proposition 57 de la partie 3.

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gnayoke
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Messagepar gnayoke » 25 avr. 2012, 14:02

A Benoit Careil, et aux autres

Je ne sais si Spinoza renie le MOI, mais je le pense personnellement.

Le sens du MOI est le fait d'une sensation perçue par le corps.
Si nos sens sont très étendus, si notre perception est suffisamment grande, alors nous aurons la sensation de n'être limité que par l'étendue de ces sens, notre moi sera cette limite.

Une perception infinie donnera la sensation d'être Un avec le Tout.

Notre perception des choses nous limiterait donc à ce que nous définissons comme Soi.

Néanmoins, dans notre perception, il y a aussi notre intelligence qui peut être capable de se rendre compte que les sens rendent difficilement compte de ce qui est.
"Ce qui est" c'est que tous les éléments de la Nature sont en perpétuelle interaction. La nature de cette interaction est telle qui'il serait inapproprié de parler d'entités distinctes.
Dans une autre formulation , le MOI c'est le NOUS, c'est le VOUS, c'est le TOUS, c'est le TOUT. Difficile à comprendre, je l'admets, car au delà de nos sens. Mais nécessaire pour comprendre la Nature.

De manière personnelle, je crois également que les tentatives d'identification du MOI à quelque chose d'autonome, d'indépendant, de spatialement limité par le soi (sens courant) sont inappropriées. Car d'une part elles ne tiennent pas compte de l'interaction entre éléments, mais d'autres part elles poussent les-dites entités à se croire singulières, à rentrer dans une logique d'opposition, et bien souvent à se détruire mutuellement, car n'ayant pas vu ou compris l'appartenance à la même entité. L'histoire récente et passée nous le rappelle, les montées des nationalismes et leur logique d'exclusions et d'oppositions sont bien présentes actuellement. Cela est évidemment une conséquence de la logique MOI différent de l'AUTRE qui bien souvent( sinon toujours) se transforme en MOI contre l'AUTRE.


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