L'anthropologie de Spinoza

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Matt
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L'anthropologie de Spinoza

Messagepar Matt » 21 sept. 2005, 17:22

Bonjour,

Je commence un travail sur l'anthropologie de Spinoza, sur l'impossibilité d'une anthropologie théorique et les fondements d'une anthropologie pratique ou politique (une théorie de l'association).

J'ai quelques difficultés à interpréter la définition de l'essence et son application au Désir comme essence de l'homme. J'espère que l'un d'entre vous pourra me donner un coup de main.

Je pars de la définition de l'essence (def. 2, partie 2) :

"Je dis appartenir à l'essence d'une chose ce dont la présence pose nécessairement la chose, et dont la suppression supprime nécessairement la chose; ou encore, ce sans quoi la chose, et inversement ce qui
sans la chose, ne peut ni être ni se concevoir" (trad. Pautrat)

Je m'intérèsse plus particulièrement à la deuxième formulation.

Spinoza explique ensuite (scolie de la prop. 10) que bien que l'homme ne puisse sans Dieu ni être niêtre conçu, cela ne signifie pas pour autant que Dieu appartienneà son essence. Spinoza insiste donc il me semble sur cette partie de la définition de l'essence selon laquelle ce qui appartient à l'essence d'une chose ne peut sans cette chose ni être, ni être conçu.Dieu pouvant "être" sans l'homme, il n'appartient pas à son essence.

On peut voir les "applications" de cette définition :
- l'existence appartient à l'essence de Dieu signifie (de façon rudimentaire) que Dieu ne peut être conçu sans l'existence et que l'existence ne peut être conçu sans Dieu (Et ainsi, à l'essence de
l'homme ne peut appartenir l'existence)
- l'essence du corps c'est un rapport de mouvement et de repos : il n'y a pas de corps sans un tel rapport et tout rapport de ce type n'"existe" qu'en tant qu'il est celui d'un corps.

Mais le problème se pose pour moi dans la 1ère définition des affects, partie 3. "Le Désir est l'essence de l'homme, en tant qu'on la conçoit comme déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle-même, à faire quelque chose" Est-ce à dire alors que le Désir ne peut être conçu sans l'homme ? C'est en tout cas ce à quoi j'aboutis si je reprends le même raisonnement qu'avant. Mais je sais que ça pose problème. Il y a notamment Matheron qui écrit (Individu et communauté chez Spinoza, p. 90) :

"En premier lieu, chez l'homme (et pas seulement chez l'homme), le conatus est conscient de soi; en tant que tel, il est désir."

Il manque ici la référence à l'appétit comme conatus envisagé à la fois sous l'attribut de l'Etendue etsous celui de la pensée. Ce n'est qu'ainsi que le conatus peut être Désir. Mais cela n'est pas important (et sûrement implicite chez Matheron), dans tous les cas le "pas seulement chez l'homme" vaut toujours. Et je sais bien que c'est l'idée d'un Désir présent "seulement chez l'homme" qui paraît au contraire étrange. J'essaie alors de trouver la "faille" dans ma façon de réfléchir :

. Une essence est toujours essence singulière, c'est-à-dire que quand on parle du Désir comme essence de l'homme, on entend un Désir déterminé d'un homme déterminé et qu'en ce sens la définition de
l'essence fonctionne car en effet, ce Désir ne pourrait exister sans l'homme qui en est la manifestation. On pourrait dire la même chose du Corps, à savoir qu'on parle toujours d'un certain
rapport de mouvement et de repos et pas d'un autre. (la question ne se pose pas pour l'existence qui, appartenant à l'essence de la Substance, est "unique"). Cette réponse est "pratique" mais je la trouve trop facile (j'ai l'impression plutôt d'esquiver la question).

. On peut aussi dire que le Désir n'est qu'une des formes possibles que prend le conatus et qu'il peut être ramené à ce dernier. Vu que le conatus est l'essence des choses singulières, plus rien ne distinguerait réellement, du point de vue l'essence, l'homme des autres choses singulières sinon une certaine "complexité" (ce qui va dans le sens du scolie de la prop. 13, partie 2). Il n'en reste pas moins (même si Spinoza dit qu'il ne faut pas porter trop d'attention aux mots) que si l'on s'en tient à la définition de l'essence, le Désir doit être propre à l'homme. Mais puisque Spinoza identifie Désir et Appétit, au degré de conscience près, et que l'appétit est simplement le conatus envisagé sous les deux attributs de la pensée et de l'étendue, je ne vois pas ce qui ferait du Désir quelque chose de
proprement "humain".

Voilà où j'en suis et je comprends plutôt maintenant la chose de façon "nominale" (ce qui ne me satisfait pas vraiment) en disant qu'il n'est pas possible d'inventer pour chaque "type" d'individus ou de choses singulières (selon sa complexité) un mot qui qualifie son conatus. (le mot même de "type" est problématique lorsqu'on refuse les notions d'"Homme" en général, ou d'Humanité comme le fait Spinoza)
Ainsi, on peut dire que l'essence de l'homme est le Désir; mais on pourra dire également que le Désir est l'essence de n'importe quel animal par exemple (en sachant bien que ce n'est pas le "même" Désir).

Matthieu.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 22 sept. 2005, 15:38

Bonjour Matthieu,

le problème que vous posez m'intéresse beaucoup, touchant à ce qui était pour moi essentiel dans les derniers échanges que nous avons eu ici avant les vacances avec Miam (discussion que j'essayerai de reprendre un des jours suivants).

La solution 'nominale' que vous proposez me semble en effet, comme vous le dites vous-même, pas très satisfaisante. Je n'en ai pas vraiment d'autre, mais je me demande si une autre piste de réflection ne pourrait pas être plus féconde. On pourrait pe essayer de penser le problème précisément dans les termes d'une 'théorie de l'association'. Voici quelques tentatives.


1e voie:

Miam pourrait peut-être en dire plus, mais à mon sens, ce que 'est' une essence n'est pas la même chose, pour Spinoza, que ce qui 'appartient à' une essence. Dire ce que 'est' une essence, c'est définir la chose, tandis que dire ce qui appartient à une essence, consiste à énumérer les propriétés de la chose. Le désir n'est pas une propriété de l'homme, c'est ce qu'est l'essence de l'homme même.

"étant donnée la définition d'une chose quelconque, l'intellect en conclut plusieurs propriétés, lesquelles, en vérité, en découlent nécessairement (c'est-à-dire de l'essence même de la chose), et d'autant plus de propriétés que la définition de la chose enveloppe plus de réalité, c'est-à-dire que l'essence de la chose enveloppe plus de réalité."

Donc plus qu'une essence enveloppe de la réalité, plus que découlent d'elles des propriétés. Des propriétés 'découlent' d'une essence, mais une définition ou une essence 'enveloppent' de la réalité. Ce qui n'est probablement pas la même chose (essence-découler-propriétés vs essence/définition-envelopper-réalité).

Comme il le dira plus loin dans l'Ethique: une bonne définition de l'essence d'une chose permet d'en déduire logiquement, ensuite, toutes les propriétés de la chose. L'un (l'essence et la définition) est donc logiquement antérieur à l'autre (les propriétés).

Dans l'E2 déf II est exigé qu'aucune propriété qui appartient à une essence X n'appartienne également à une essence Y (sinon, en supprimant X mais pas Y, des propriétés de X continuaient quand même à subsister). Mais peut-être que cela n'implique pas que la définition de l'essence d'une chose ne peut pas avoir quelque chose en commun avec celle d'une autre chose.
Déjà des essences peuvent 'convenir' entre elles (celles de deux hommes pe, voir E1P17, fin du scolie). Et cela est à mon avis une réponse assez satisfaisante au problème que vous soulevez ici:

Matthieu a écrit :Voilà où j'en suis et je comprends plutôt maintenant la chose de façon "nominale" (ce qui ne me satisfait pas vraiment) en disant qu'il n'est pas possible d'inventer pour chaque "type" d'individus ou de choses singulières (selon sa complexité) un mot qui qualifie son conatus. (le mot même de "type" est problématique lorsqu'on refuse les notions d'"Homme" en général, ou d'Humanité comme le fait Spinoza)


Je ne crois donc pas que Spinoza 'refuse' les notions d'homme ou de l'humanité en général. Il refuse juste de leur attribuer une existence indépendante, comme le font certains 'réalistes' scolastiques, mais elles peuvent quand même être des notions communes, c'est-à-dire qu'elles peuvent exprimer ce en quoi tous ces corps conviennent, d'un certain point de vue (voir E3P38 cor). En tant que telles, ces notions appartiennent même au deuxième genre de connaissance (E2P40 scolie II). Car aussi bien le premier genre de connaissance (idées confuses et inadéquates) que le 2e genre sont basés sur des notions universelles.

Dans ce cas: l'essence de Pierre et l'essence de Paul, tout en étant singulières, peuvent bel et bien 'convenir' entre elles, notamment dans le fait que l'essence de Pierre aussi bien que celle de Paul 'sont' Désir. C'est pour ça qu'on les appelle tous les deux 'hommes'.


2e voie:

Pour moi, le fond du problème n'est donc pas vraiment lié au fait que Spinoza parle de l'essence de l'homme en général, et qu'il semble en même temps n'admettre que des essences singulières (selon la majorité des commentateurs, si j'ai bien compris). Là où j'ai le plus de difficultés à penser l'essence comme elle est définie dans l'E2, c'est justement en tenant compte de sa 'théorie de l'association'. Et c'est là aussi que, pour l'instant, j'espère trouver une réponse (et il se peut qu'il soit nécessaire de connaître un peu de vocabulaire scolastique pour y arriver).

Car si on part de l'idée qu'il existe des essences singulières, j'ai l'impression qu'on puisse dire que ce sont donc des essences d'Individus. Or, c'est quoi un Individu? C'est ce qui peut être considéré comme un seul corps (voir la Définition qui se trouve après le Lemme III de l'E2). Cela peut être un corps simple ou un corps composé. Aussi longtemps que les parties d'un corps composé se communiquent les uns aux autres leurs mouvements selon un certain rapport précis, il y a 'union' des corps ou parties qui le composent. Il y a un Individu. Et comme nous le savons, son essence, c'est précisément ce rapport.
C'est donc un genre très spécifique d'associations entre parties qui constitue la forme de l'Individu (dans les Lemmes, il n'y a jamais question d'essence, mais il semble quand même identifier 'forme' et 'nature'. Quel est donc le lien entre nature et essence?). Comment caractériser cette 'manière' de s'associer?
Déjà, les parties ne sont pas des propriétés, je suppose. Car les parties peuvent varier et disparaître et appartenir à d'autres Individus, sans que l'Individu ne change en sa nature (j'identifie quand même un instant nature et essence). En plus, tous les corps conviennent en certaines choses (voir ce même cor E2P38). C'est pour ça qu'il soit possible d'avoir des idées adéquates de corps extérieurs au nôtre. Voici alors ce qu'il dit dans l'E2P39:

"Ce qui est commun au Corps humain et à certains corps extérieurs par lesquels le Corps humain est ordinairement affecté, et leur est propre, et est autant dans la partie de chacun d'eux que dans le tout, de cela aussi l'idée sera dans l'Esprit adéquate"

Dans la démo, il appelle ce qui répond à ces critères 'A'. Et puis ... dans la même démo, il parle de la 'propriété A'. J'en conclus donc qu'une propriété de quelque chose, c'est ce qui est propre à la chose et qui est autant dans les parties que dans le tout ('proprium, quoque in cujuscunque horum parte aequè, ac in toto est'). Pourrait-on dire que les propriétés d'un Corps/Individu lui sont plus étroitement associées que ses parties?
Cette même proposition dit que les Corps/Individus ont donc des propriétés qu'ils peuvent avoir en commun avec d'autres Corps. Mais en vertu de la déf II de l'E2, ces propriétés ne peuvent alors pas appartenir à l'essence de ces Corps. Et en effet, l'E2P37 le dit explicitement:

"Ce qui est commun à tout, et est autant dans la partie que dans le tout, ne constitue l'essence d'aucune chose singulière."

Pourrait-on en conclure que les propriétés ne constituent/appartiennent jamais (à) l'essence d'une chose? Qu'ils découlent seulement nécessairement de la définition de la chose ou de la définition de l'essence de la chose, et que cela n'exclut en rien que ce qui constitue cette essence, n'appartient qu'à cette essence?

Dans ce cas:

1) quand j'ai écrit dans la 1e voie que des propriétés appartiennent à des essences, ce n'était pas correcte. La 'séparation' entre propriétés et essence est encore plus grande, autrement dit le lien / l'association essence-propriétés est moins étroit encore que ce que j'y proposais.

2) des Individus peuvent peut-être convenir entre eux quand ils ont une propriété en commun, mais des essences ne pourraient éventuellement convenire entre elles que par le fait d'appartenir à un même attribut (peut-on voir le conatus comme attribut?). Les essences de Pierre, de Paul et de mon chien George conviennent entre elles par cette appartenance à quelque chose qui les enveloppe (ou éventuellement: ces essences enveloppent tous le concept de Conatus). Mais les Corps de ces trois Individus conviennent entre elles par ce qu'ils ont en commun, par les propriétés qu'ils possèdent tous.

Or, si tout cela serait correcte (ce qui est loin d'être sûr), ce qui reste toujours très floue pour moi, c'est précisément cette notion de propriété. Déjà, j'ai des difficultés à trouver une propriété qui correspondrait à la définition de Spinoza, c'est-à-dire qui est autant dans les parties que dans le tout. Qu'est-ce qui, dans le corps humain, est autant dans les parties que dans le tout?? Et qu'est-ce qu'exactement 'avoir une propriété en commun'?

Puis, ce qui reste toujours du problème original que vous posez, c'est le lien entre la définition d'une essence de l'homme en général, et la définition d'une essence singulière. Existe-t-il de différentes définitions par essence singulière (l'essence de Pierre est le Désir, l'essence de Pierre est un degré de Puissance, l'essence de Pierre est x et y qui ne constituent que Pierre et aucun autre Individu)? Et comment penser l'essence d'un Individu, si les frontières entre ces Individus sont en soi déjà très floues (dès que deux Individus collaborent pour exécuter ensemble une action, ils forment à nouveau un Individu; comment définir l'essence de ce nouveau Individu?).
Cordialement,
Louisa

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Miam
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Messagepar Miam » 25 sept. 2005, 19:04

Salut à tous,

En ce qui concerne le Désir, je pense que Matthieu a bien traité le problème. Il faut commencer à comprendre le Désir, comme il dit, « de façon nominale ». C’est ce que montre déjà le Scolie de III 9 :

« Cet effort, lorsqu’il se rapporte au Mental seul, est désigné (appelatur) « Volonté » ; mais quand il se rapporte à la fois au Mental et au Corps, il est appelé (vocatur) « Appétit » ; l’appétit n’est par là rien d’autre que l’essence de l’homme… »

C’est donc une seule et même chose que l’on nomme « Impetus » lorsqu’elle se rapporte au corps physique, « Impulsus » lorsqu’elle se rapporte au Corps biologique, « Volonté » lorsqu’elle se rapporte au Mental, « Appétit » lorsqu’elle se rapporte à la fois au Mental et au Corps, et enfin « Désir » lorsqu’elle se rapporte à l’homme. Ce sont là différents noms pour une même chose : le Conatus.

Il faut toutefois nuancer cet aspect purement « nominal ». Spinoza n’exclut pas le langage et les signes de l’expression adéquate, sans quoi il n’aurait rien écrit. Le langage est lui-même « impulsus » et « appetitus » (III 2s). Par ailleurs Chantal Jacquet a récemment montré que chaque affect, bien que défini dans son unité psychophysique (III D3), s’enracine plutôt dans le Corps, plutôt dans le Mental ou également dans les deux (« L’unité du corps et de l’esprit », PUF, 2004). La distinction entre « impulsus », « appetitus », « voluntas » et « cupiditas » est donc « nominale » dans la mesure où chaque vocable désigne (se réfère à) une même chose, à savoir une partie de la puissance infinie de Dieu. Mais si ces termes désignent une même chose, ils diffèrent cependant par leur « sens ».

Il en est de même pour la définition de l’essence de l’homme comme Désir. La distinction est « nominale », de sorte que l’essence de l’homme, c’est aussi l’Appétit. L’attribution d’une « conscience » à l’homme est purement nominale. .Mais elle a un sens.

L’allégation du Désir est nominale : « il n’y a nulle différence entre l’Appétit et le Désir sinon que le Désir est rapporté généralement (dans sa plus grande partie : plerumque refertur) aux hommes en tant qu’ils ont conscience de leurs appétits ». Le Désir n’est pas toujours rapporté aux hommes. Il ne l’est que « généralement ». On ne sait pas très bien dans quelle mesure les animaux sont « conscients ». Conscients, c’est à dire « avec science » (con-scius). La conscience n’est pas ici la conscience psychologique cartésienne mais la connaissance elle-même dans la mesure où elle parvient à la connaissance de soi et de Dieu dans le troisième genre de connaissance. Les bêtes sentent (IV 37s1). Elles consistent également en une unité Mental-Corps. Mais elles ne sentent pas comme nous. Rien n’indique qu’elles possèdent « ce qui donne la connaissance de l’essence infinie et éternelle de Dieu » et est « commune à tous les hommes » (IV47d). Et par suite rien ne nous contraint de nous unir à elles comme nous nous unissons aux hommes (IV 37s1).

Si donc Spinoza attribue le Désir aux seuls hommes, c’est pour deux raisons qui n’en font qu’une, dans la mesure où le théologique ne se sépare pas du politique. D’une part rien n’indique que les bêtes puissent parvenir à l’idée de Dieu. Mais en cela Spinoza reste prudent. D’autre part il y a des notions communes aux hommes (II 38c) de sorte que ceux-ci forment des communautés. Ce qui constitue une communauté humaine, ce sont les seuls conatus des hommes, leurs désirs. Du point de vue de la communauté humaine donc, il est préférable de parler de « désir » que d’ « appétit » ou de « conatus », sous peine de confondre les communautés humaines avec les notions communes que nous avons avec les autres choses. Par ailleurs la communauté humaine (ou plutôt sa socialité) est fondée sur le savoir qu’autrui se considère lui-même comme la cause de ses actions. C’est l’émergence de la structure autrui dans la rivalité – Envie et Jalousie – qui, dans la troisième partie, contraint d’attribuer une « conscience » à autrui et, simultanément, problématise le « bien commun » (IV 34s) de sorte à constituer une communauté. L’attribution d’une conscience aux hommes est donc une opération de l’imagination cristallisée dans la langue et ne se conçoit pas sans communauté.

La première explication des Définitions des affects (Partie III) nous explique plus précisément la nécessité et la difficulté d’une définition du Désir. Spinoza revient sur la définition de III 9s : « le Désir est l’Appétit avec conscience de lui-même ». Définition hésitante, puisqu’on « peut » seulement le définir ainsi (« sic definiri potest » ). Et aussi définition nominale : elle est mise entre guillemets.

Il convient de distinguer l’essence de l’énoncé de l’essence, c’est-à-dire de la définition, sachant que l’essence est un conatus et que le langage dans lequel on l’exprime est lui-aussi conatif. C’est pourquoi toute idée adéquate est issue d’une notion commune, c’est à dire d’un concours de conatus. Toutefois et de plus, il ne s’agit pas ici en III 9s du conatus de Spinoza mais de l’ « usage » commun du terme latin « cupiditas » et du conatus commun qu’exprime cet usage. La signification commune du terme est un constat, et Spinoza s’exprime dans cette même langue dont il est contraint de suivre l’usage, parce qu’il fait partie d’une communauté linguistique. Spinoza ne dépasse pas ici le stade d’une définition nominale respectant l’usage du terme.

Il n’en va pas de même en III A1Expl. :

« et ainsi, pour ne pas avoir l’air de faire une tautologie je n’ai pas voulu définir le Désir par l’appétit »

Ce qu’il a pourtant bien fait en III 9s. Mais ce n’était pas là la définition de Spinoza. On « peut » définir le Désir comme en III 9s. Mais « je » (Spinoza) n’a pas voulu le définir ainsi (III A1). La définition de III 9s n’est pas adéquate en ce qu’elle n’exprime pas ce qu’est le Désir. Elle présente le Désir comme un genre d’appétit et ne montre pas d’où naît le Désir. Cette définition n’est pas génétique. Cependant la définition génétique du Désir devrait être identique à celle de l’appétit, puisqu’il s’agit d’une même chose et qu’ « il n’y a aucune différence » entre ces deux :

« Je pouvais dire (Potueram dicere) que le Désir est l’essence même de l’homme en tant qu’elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose, mais il ne suivrait pas de cette définition (Prop. 23, p. II) que le Mental pût avoir conscience de son Désir, autrement dit (sive) de son appétit. »

Selon la proposition II 23, en effet, « Le Mental ne se connaît lui-même qu’en tant qu’il perçoit les idées des affections du Corps ». Le Mental n’a pas immédiatement connaissance de son conatus comme essence actuelle, mais seulement dans la temporalité discontinue des affections (l’ordre des affections). Il n’a pas immédiatement accès à sa propre essence mais seulement à ses affections, c’est à dire aux « états » (constitutiones) instantanés de cette essence (III A1Expl.)… sauf bien sûr dans le troisième genre de connaissance où l’homme est « conscient de soi et de Dieu ».

« Donc, pour que la cause de cette conscience fût enveloppée dans ma définition, il m’a été nécessaire (même Prop.) d’ajouter « en tant qu’elle est déterminée par une affection quelconque donnée en elle », etc… Car par une affection de l’essence de l’homme nous entendons tout état (constitutionem) de cette essence, qu’elle soit innée ou acquise, qu’elle se conçoive par le seul attribut de la Pensée ou par le seul attribut de l’Etendue, ou enfin se rapporte aux deux à la fois » (Ibidem).

La conscience n’est pas la réflexivité d’une essence pensante sur elle-même. Elle est le processus conatif lui-même, qu’il soit raisonnable ou non, dans la mesure où le conatus-désir constitue cette essence jusqu’à la connaissance adéquate d’elle-même dans le troisième genre de connaissance. Aussi bien le « Désir » signifie en une seule fois « tous les efforts (conatus) de la nature humaine que nous signifions (significamus) par le mot (nomine) d’appétit, de volonté, de désir ou d’impulsion » (Ibidem). Le Désir n’est pas un conatus différent d’un autre. Il s’agit de la même réalité. Mais il désigne ce que nous expérimentons dans l’imagination constitutive de la communauté comme étant l’essence de l’homme. La distinction du Désir est nominale, donc imaginaire. Mais c’est précisément cette imagination qui, en constituant la communauté (et donc aussi la communauté linguistique), constitue également l’essence de l’homme.

Cela paraissait simple au début. Il suffisait d’ajouter la « conscience ». Mais le terme de Désir s’avère beaucoup plus complexe après les explications de Spinoza. Nous sommes conduits à lire ce que l’auteur écrit. Et selon la méthode même de l’auteur (voir TTP VII), voire sa corrélation avec la circularité de la définition génétique, nous sommes toujours pris dans un certain cercle herméneutique, où chaque définition nominale doit exhiber sa production linguistique au sein même de la constitution conative. C’est pourquoi il serait nécessaire d’élargir le champs sémantique usuel de termes comme « exprimer » (car on exprime aussi par des mots) et « se rapporter à » (car un mot se rapporte aussi à quelque chose cf. supra). Je pense que leur rôle, primordial dès le début de l’Ethique, pourra s’éclairer dès qu’on aura saisi toute la complexité de leur champs sémantique qui inclut lui-même une théorie étonnement moderne (voire post-moderne) du langage.

Quant à la distinction entre ce qui constitue, appartient à ou est une essence, je pense que c’est un problème connexe à celui qu’on vient d’appréhender, mais ce n’est pas le même problème. Matthieu a bien compris que le Désir c’était le conatus. Et comme le conatus est individuel, le Désir est individuel. Le problème ne concerne pas encore son identification avec l’essence singulière, mais ce qui distingue le désir du conatus. Le Désir n’est pas une propriété de l’homme, ne constitue pas son essence, ni ne lui appartient. C’est son essence elle-même : c’est la constitution de son essence à travers les différents affects-états dont il est conscient. Ce qui constitue le Désir, c’est la durée comme passage (transitio) d’un affect à un autre : les variations du conatus lui-même. L’homme se définit nominalement par le Désir, mais il s’agit du Désir de chacun en tant qu’il constitue sa propre essence dans son existence par sa participation à une communauté. Aussi y a-t-il des désirs communs à une communauté : celle-ci se définit par un « affect commun » (Traité politique) parce qu’il s’agit, au sein d’une communauté, d’un objet commun (« Bien commun ») de désir. Comme il constitue son essence dans l’existence par son Désir, au moins dans le troisième genre l’homme s’aperçoit que ce Désir est constitutif de l’essence de l’homme « en général » parce que le Désir est par essence « communautaire », comme on l’a vu plus haut. La question se pose alors de savoir non seulement si le Désir est une de ces « notions communes à tous les hommes » (II 38c), mais surtout de quelle genre de notion commune il s’agit, puisque seules les notions communes « universelles » de II 38 « ne constituent l’essence d’aucune chose singulière » (II 37), alors que les notions communes à tous les hommes du Corollaire semblent constituer un individu fini. De là comme le fait Louisa, il faudra saisir la notion de « propre » ou de « propriété » commune de II 39, pour les comparer à ces notions communes spécifiquement humaines. C’est un problème connexe et beaucoup plus vaste. Il concerne non la seule définition du terme « Désir », mais le Désir lui-même en tant qu’appropriation constitutive des essences par ce qu’elles ont de communs avec la nôtre. Il n’est pas lieu d’en parler ici, mais j’entamerai un nouveau sujet pour montrer à Louisa qu’en vertu de la nécessaire assimilation des mouvements d’une part et des puissances ou aptitudes d’autre part, les propriétés d’une essence sont bien les parties du tout.

Miam

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Matt
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Messagepar Matt » 26 sept. 2005, 12:28

Bonjour ,

Merci beaucoup pour vos réponses. J´envoie ici un message écris hier ,avant donc que je lise celui de Miam. Il répond donc au message de Luisa.

La distinction entre ce qu' "est" l'essence et ce qui lui "appartient" (et que je n'avais pas relevé) me paraît très importante même si je suis loin de parvenir à en débrouiller les fils. Peut-être retrouve-t-on là la même logique que celle qu'avait vu Gueroult en distinguant "l'idée que nous sommes" et "les idées que nous avons" ? Ce n'est qu'une supposition pour le moment. Il y a donc bien il me semble ce qu'enveloppe l'essence et ce qu'elle implique, à condition de ne pas introduire de décalage ou de transcendance entre ces deux "moments structuraux" (un peu comme il n'y en a aucune entre Dieu et ses attributs). Ce qu'est l'essence produit nécessairement ce qui lui appartient.

En ce sens, la def. 2 EII ne s'applique pas à ce qu' "est" l'essence de l'homme. Du point de vue de la connaissance, on ne peut pas déduire ce qu'est l'homme de ce qui lui appartient (ce qui serait expliquer les effets par les causes). C'est peut-être ce qui permet à Spinoza de considérer tout d'abord l'essence de l'homme "négativement" (en disant ce qui ne lui appartient pas) tandis que la première caractérisation "positive" concerne ce qui "constitue" l'essence de l'homme (mais n'y-a-t-il pas à nouveau une différence entre ce qui constitue l'essence et ce qu'elle est ?), à savoir un mode déterminé des attributs de Dieu. Ainsi, on dira que l'homme "est" une âme et un corps et non qu'il les "a". De la même manière, de l'axiome 2, "l'homme pense", il est impossible de déduire que l'homme "a" la pensée.

Mais si on prend l'essence de l'homme comme constitué d'une âme et d'un corps, on voit bien que cela ne permet en aucun cas de l'"abstraire" de la Nature, car âme-et-corps sont des "communs" qui appartiennent à l'ensemble des choses singulières. Il en irait de même pour le Désir. Tout cela me paraît soutenable même si ce ne sont encore que des hypothèses et que beaucoup de choses m'échappent encore.

Pour ce que tu dis des relations entre essence, nature et définition, je pense que c'est la même chose considéré selon des ordres différents (si je ne me trompe pas, c'est ce que dit Macherey) : ontologique, physique et logique. On retrouverait alors la distinction que nous avons relevée dans l'essence à d'autre niveaux : celui des "causes" et de leurs "effets" (physique), celui de la "définition" et de ses "propriétés" (logique). Dans une définition telle que la "vertu est l'essence même ou nature de l'homme, en tant qu'il a le pouvoir de produire certains effets qui peuvent se comprendre par les seules lois de sa nature" (EIV, def. 8), il y aurait ainsi "rencontre" de l'ordre ontologique et de l'ordre physique.

Je continue sur les "notions communes" et là je crois que je me sépare de ce que tu disais. Car les notions communes sont simultanément communes à tous les hommes et communes aux hommes et à la nature entière. Elle sont communes aux hommes en tant qu'il sont les seuls à avoir le pouvoir de saisir ces notions mais du point de vue leur "objet", elles désignent ce qui est commun à l'homme et aux autres choses singulières. Il me semble qu'il y a ici quelque chose de très important pour le problème de l'anthropologie. En effet, c'est dans un même temps que les hommes peuvent reconnaître qu'ils sont dans l'impossibilité de s'abstraire de la Nature (de s'"universaliser") et qu'il découvre inversement ce qui les lie d'emblée les uns aux autres. Il y a là un déplacement de la problématique de l'humanisme.

Ce n'est donc pas dire que les hommes ne conviennent ou ne sont "communs" qu'aux autres hommes car ce serait rétablir l'"imperium tanquam imperio" et serait absurde du point de vue d'une théorie des Individus. C'est seulent affirmer que les hommes ont, d'un point de vue pratique, le pouvoir de s'associer et développer ce qui leur est commun. Et n'est-ce pas dans la société (la communauté) politique qu'une véritable "unification" des communs est possible ce qui pourrait rendre légitime un usage des notions d'homme ou d'humanité qui dépasserait le cadre de l'imagination (même si l'imagination fait retour dans l'idée de "nation", EIII prop. 46). Ce qui revient à se poser la question des effets théoriques de l'anthropolgie pratique. L'hypothèse serait alors que le politique est anthropologiquement constitutif.

Je me suis un peu éloigné des questions initiales et ce que je dis à la fin est plutôt un programme de travail. En tout cas merci beaucoup pour ta réponse qui m'a aidée à y voir plus clair. Je n'avais pas ton message sous les yeux au moment d'écrire le mien et j'espère avoir discuté des principaux éléments.

Matthieu.

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Messagepar Louisa » 01 oct. 2005, 23:33

Bonsoir à tous,

à Matthieu: ayant d'abord lu la réponse de Miam, je reprends ton dernier message après celle-ci.

Miam a écrit :C’est donc une seule et même chose que l’on nomme « Impetus » lorsqu’elle se rapporte au corps physique, « Impulsus » lorsqu’elle se rapporte au Corps biologique, « Volonté » lorsqu’elle se rapporte au Mental, « Appétit » lorsqu’elle se rapporte à la fois au Mental et au Corps, et enfin « Désir » lorsqu’elle se rapporte à l’homme. Ce sont là différents noms pour une même chose : le Conatus.


je n'avais pas encore rencontré (consciemment?) les notions d'impetus et impulsus telles que définies ici, mais cela rendrait le tableau des multiples aspects du Conatus assez complet. Pourrais-je donc demander où l'on peut les retrouver? Merci déjà!

Miam a écrit :Il faut toutefois nuancer cet aspect purement « nominal ». Spinoza n’exclut pas le langage et les signes de l’expression adéquate, sans quoi il n’aurait rien écrit. Le langage est lui-même « impulsus » et « appetitus » (III 2s). Par ailleurs Chantal Jacquet a récemment montré que chaque affect, bien que défini dans son unité psychophysique (III D3), s’enracine plutôt dans le Corps, plutôt dans le Mental ou également dans les deux (« L’unité du corps et de l’esprit », PUF, 2004).


je dois avouer que j'ai quelques problèmes avec l'interprétation de Chantal Jacquet sur ce point. Je ne sais pas sur quel passage vous vous basez exactement, mais s'il s'agirait du premier chapitre (La nature de l'union du corps et de l'esprit) du livre que vous citez, pour moi son interprétation du scolie de la prop. XLVII de l'E2 est assez problématique.
Elle s'y distancie clairement du parallélisme tel que défini notamment par Deleuze, via l'argument suivant : "En effet, une seule et même erreur ne s'exprime pas de la même manière dans l'esprit et le corps et témoigne d'une divergence radicale entre ce qui se passe dans le mode de la pensée et ce qui se passe dans le mode de l'étendue" (pg. 11-12).

En quoi consiste pour elle cette 'divergence radicale'? "L'erreur la plus fréquemment commise consiste dans l'écart entre ce que l'homme pense et ce qu'il dit ou écrit. Dans tous les exemples mentionnés, l'erreur manifeste une distorsion entre les idées et les mots - autrement dit, entre un mode de la pensée et un mode de l'étendue."

Elle cite un exemple de Spinoza en y ajoutant le commentaire suivant: "... le cas du lapsus de l'homme qui criait que 'sa maison s'était envolée dans la poule du voisin' est particulièrement révélateur, car le corps, à travers les mots, dit exactement le contraire de ce que pense l'esprit en inversant l'ordre des choses, preuve s'il en est que le parallélisme bat lui aussi de l'aile. L'écart entre le corps et l'esprit est ici maximal de sorte que leur unité n'a rien à voir avec une identité stricte et gémellaire." (pg. 13)

Comment concilier cette interprétation avec l'E2P7 (l'ordre et l'enchaînement des idées et le même que l'ordre et l'enchaînement des choses)? Comment penser une 'divergence radicale' entre idées et choses, où les ordres sont 'inversés', si on accepte cette proposition?
Pour l'instant, je ne vois pas comment y arriver.

Si Chantal Jacquet prétend pourtant pouvoir y arriver, c'est en 'distordant', à mon avis, la notion même du parallélisme. Chez Spinoza, de tout ce qui se passe dans le Corps, l'Esprit en forme une idée. Mais évidemment, cela ne garantit en rien qu'à une affection du Corps Y correspond une idée X.
Si un homme crie que sa maison s'envole dans la poule du voisin, il s'agit d'abord et avant tout d'une manifestation corporelle (les mots étant de l'ordre de l'Etendue). D'office, si on accepte l'E2P7, cela veut dire que de ce mouvement corporel Y, l'Esprit en forme une idée Y. Après, la conscience peut intervenir, en formant une idée Y' de l'idée Y. Ce sera l'idée qui donne la conscience d'avoir dit que la maison s'envole dans la poule.
Mais il y a autre chose qui se passe au niveau corporel dans cette histoire: c'est l'affection de la poule qui s'envole, c'est-à-dire, la perception par l'homme de la poule qui se déplace. Ce fait, qui est un AUTRE fait que celui d'énoncer une phrase, ce fait de la poule qui s'envole, provoque une affection du Corps de l'homme. De cette affection X, l'Esprit de l'homme forme également une idée X. Et en vertu de l'E2P16, l'idée de cette affection enveloppe aussi bien le Corps de l'homme que celui de la poule qui s'envole, de la maison du voisin, et de tout ce qui accompagne ce fait. L'idée X sera donc nécessairement inadéquate. Mais la conscience de cette perception, l'idée de l'idée X, disons donc l'idée X', n'est pas du tout la même idée que l'idée Y'.

Il me semble que la 'divergence' dont parle Chantal Jacquet, dans cet exemple-ci, se joue donc entre les séries X et Y, mais pas du tout entre l'affection X et l'idée X ou l'idée X', ni entre l'affection Y et l'idée Y ou l'idée Y', qui peuvent rester tout à fait parallèles entre elles. X et Y sont clairement divergents, mais que nous pouvons avoir des mouvements corporels qui se succèdent et qui sont différents les uns des autres, ne montre pour moi en rien qu'éventuellement Spinoza envisagerait une divergence entre une affection et l'idée de cette MÊME affection. Pourtant, il faudrait montrer une telle différence, à mon avis, avant de devoir être obligé de relativiser le parallélisme tel que le comprend Deleuze, et tel qu'il est énoncé dans l'E2P7.
Qu'en pensez-vous?

Miam a écrit :Si donc Spinoza attribue le Désir aux seuls hommes


pour l'instant, je n'ai pas encore trouvé un endroit où il dit clairement cela. Le conatus vaut en tout cas pour chaque chose (E3P7), et si la conscience est le fait d'avoir l'idée d'une idée, je ne suis pas sûre qu'il n'y a que l'homme qui a cette capacité. Or le Désir, c'est le conatus en tant que rapporté à la fois à l'Esprit et au Corps, avec la conscience de ce conatus. Donc pour avoir un Désir, il faut avoir un conatus et la capacité de former une idée d'une idée.
J'ai l'impression que si nous voulons distinguer l'homme des animaux, l'E2P3 est une des propositions les plus explicites là-dessus. Dans le scolie, il dit que

"tout ce que nous avons dit de l'idée du Corps humain, il faut le dire nécessairement de l'idée d'une Chose quelconque. Et pourtant nous ne pouvons pas nier non plus que les idées diffèrent entre elles comme leurs objets, et que l'une l'emporte sur l'autre, et contient plus de réalité, dans la mesure où l'objet de l'une l'emporte sur l'autre, et contient plus de réalité; c'est pourquoi, pour déterminer en quoi l'Esprit humain diffère des autres, et l'emporte sur les autres, il nous est nécessaire de connaître, comme nous l'avons dit, la nature de son objet, c'est-à-dire du Corps humain. (...) de manière générale (...) plus un Corps l'emporte sur les autres par son aptitude à agir et pâtir de plus de manières à la fois, plus son Esprit l'emporte sur les autres par son aptitude à percevoir plus de choses à la fois; et plus les actions d'un corps dépendent de lui seul, et moins il y a de corps qui concourent avec lui pour agir, plus son esprit est apte à comprendre de manière distincte. Et c'est par là que nous pouvons connaître la supériorité d'un estrpit sur les autre."

J'ai donc l'impression que ce qui distingue l'homme des animaux est plus une question quantitative que qualitative (avoir une conscience ou non). D'ailleurs, dans l'E3 DEF DES AFFECTS, déf I explication, il dit littéralement que "quant à moi, je ne reconnais en vérité pas de différence entre l'appétit humain et le Désir. Car, que l'homme soit ou non conscient de son appétit, l'appétit n'en demeure pas moins un et le même".

Miam a écrit : D’autre part il y a des notions communes aux hommes (II 38c) de sorte que ceux-ci forment des communautés. Ce qui constitue une communauté humaine, ce sont les seuls conatus des hommes, leurs désirs.


Cela touche au problème déjà soulevé par Matthieu, et qui reste non résolu, à mon avis. Le conatus, c'est l'essence de l'homme. Or, ce que les hommes ont en commun ne peut pas constituer leur essence. Pour moi, cela veut dire que ce qui constitue une communauté humaine, ne peut pas être de l'ordre de leur essence, et donc pas non plus de l'ordre du conatus.
D'ailleurs, si cela aurait été le cas, il ne fallait rien faire du tout, au niveau politique: l'homme qui existe, a nécessairement un conatus, et de ce fait même, une communauté humaine serait déjà constitué. Or, il me semble que toute la pensée politique de Spinoza essaie justement de penser comment constituer cette communauté humaine. Communauté qui n'est donc nullement donnée à la base.

Miam a écrit : Du point de vue de la communauté humaine donc, il est préférable de parler de « désir » que d’ « appétit » ou de « conatus »


je ne vois donc pas très bien pourquoi ce serait le cas. Faut-il de la conscience pour avoir une communauté humaine? J'aurais tendance à penser que non. Pour avoir une communauté, il faut avoir quelque chose en commun, d'une telle manière que cette chose est autant dans les parties que dans le tout. Mais à mon avis cela ne nécessite par forcément la conscience d'avoir cette chose en commun.

Miam a écrit : Par ailleurs la communauté humaine (ou plutôt sa socialité) est fondée sur le savoir qu’autrui se considère lui-même comme la cause de ses actions. C’est l’émergence de la structure autrui dans la rivalité – Envie et Jalousie – qui, dans la troisième partie, contraint d’attribuer une « conscience » à autrui et, simultanément, problématise le « bien commun » (IV 34s) de sorte à constituer une communauté. L’attribution d’une conscience aux hommes est donc une opération de l’imagination cristallisée dans la langue et ne se conçoit pas sans communauté.


je dois avouer que pour l'instant, je n'avais jamais rien vu chez Spinoza qui accorderait tellement d'importance à la conscience chez l'homme, pe au niveau politique (c'est justement un des aspects en quoi il me semblait très original). Je viens donc de reprendre l'E4P34s, mais je n'y trouve aucune référence à la conscience. Pour l'instant, la conscience chez Spinoza me semble être une affaire tout à fait solitaire: il suffit d'avoir l'idée d'une idée. Je ne vois pas le lien avec le politique ou la sociabilité, chez lui. Cela m'intéresserait donc beaucoup de comprendre comment vous arrivez à cette interprétation.


Miam a écrit : C’est pourquoi toute idée adéquate est issue d’une notion commune, c’est à dire d’un concours de conatus.


l'identification des notions communes avec des concours de conatus est pour moi entièrement nouvelle. Donc à nouveau: si vous aviez envie de développer cette idée un peu, cela m'intéresserait beaucoup.

Miam a écrit :La conscience n’est pas la réflexivité d’une essence pensante sur elle-même. Elle est le processus conatif lui-même, qu’il soit raisonnable ou non, dans la mesure où le conatus-désir constitue cette essence jusqu’à la connaissance adéquate d’elle-même dans le troisième genre de connaissance.


voici donc qui m'étonne. En attendant votre avis, je vais essayer de retrouver l'endroit où il définissait la conscience par l'idée de l'idée.

Miam a écrit :L’homme se définit nominalement par le Désir, mais il s’agit du Désir de chacun en tant qu’il constitue sa propre essence dans son existence par sa participation à une communauté.


pour l'instant, j'avais compris le conatus, l'essence de l'homme, et son Désir, comme des choses tout à fait individuelles, donc sans aucun lien avec une communauté. J'adore la conception heideggerienne de l'identité comme ce qui est constituée entièrement par la relation à un dehors, mais je ne voyais pas du tout comment interpréter Spinoza de la même manière. Or, il me semble que c'est exactement ce que vous faites, si je vous ai bien compris. Ce serait très intéressant de savoir comment vous y arrivez.
Phrase qui exprime la même idée d'une manière tout aussi nouvelle pour moi:

Miam a écrit :ce Désir est constitutif de l’essence de l’homme « en général » parce que le Désir est par essence « communautaire », comme on l’a vu plus haut.


Miam a écrit :La question se pose alors de savoir non seulement si le Désir est une de ces « notions communes à tous les hommes » (II 38c)


après ce que je viens d'écrire, cela ne vous étonnera sans doute plus si je dis que concevoir le Désir comme 'notion commune' ne me semble pas couler de source.

Miam a écrit :De là comme le fait Louisa, il faudra saisir la notion de « propre » ou de « propriété » commune de II 39, pour les comparer à ces notions communes spécifiquement humaines. C’est un problème connexe et beaucoup plus vaste. Il concerne non la seule définition du terme « Désir », mais le Désir lui-même en tant qu’appropriation constitutive des essences par ce qu’elles ont de communs avec la nôtre.
Il n’est pas lieu d’en parler ici, mais j’entamerai un nouveau sujet pour montrer à Louisa qu’en vertu de la nécessaire assimilation des mouvements d’une part et des puissances ou aptitudes d’autre part, les propriétés d’une essence sont bien les parties du tout.


Cela m'intéresse en tout cas beaucoup.
A bientôt,
Louisa

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Messagepar hokousai » 02 oct. 2005, 23:27

Scholie :prop 57 part 3

"""" Il suit de là que les passions des ANIMAUX que nous appelons privés de raison (car nous ne pouvons, connaissant l'origine de l'âme, refuser aux bêtes le sentiment) doivent différer des passions des hommes autant que leur nature diffère de la nature humaine. Le cheval et l'homme obéissent tous deux à l'appétit de la génération, mais chez celui-là, l'appétit est tout animal ; chez celui-ci, il a le caractère d'un penchant humain. De même, il doit y avoir de la différence entre les penchants et les appétits des insectes, et ceux des poissons, des oiseaux. Ainsi donc, quoique chaque individu vive content de sa nature et y trouve son bonheur, cette vie, ce bonheur ne sont autre chose que l'idée ou l'âme de ce même individu, et c'est pourquoi il y a entre le bonheur de l'un et celui de l'autre autant de diversité qu'entre leurs essences. Enfin, il résulte aussi de la Proposition précédente que la différence n'est pas médiocre entre le bonheur que peut ressentir un ivrogne et celui qui est goûté par un philosophe, et c'est une remarque que j'ai tenu à faire ici en passant. Voilà ce que j'avais à dire des affections qui se rapportent à l'homme en tant qu'il pâtit. Il me reste à ajouter quelques mots sur celles qui se rapportent à l'homme en tant qu'il agit.""""""

hokousai

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Messagepar Miam » 04 oct. 2005, 19:57

Salut Louisa,

1° Impetus : III 2s, III A1 Expl., IV 37s1.
Impulsio (et non impulsus) est plutôt un terme scolastico-cartésien puisque, pour Spinoza tout corps physique est animé. Mais cela ne l’empêche pas de l’utiliser dans sa correspondance.

2° Un énoncé n’est pas seulement une chose corporelle mais un affect. Les mots relèvent du corporel parce qu’ils apparaissent comme des choses corporelles signifiantes (le son ou le graphe) et suivent l’ordre des images ou affections corporelles (II 49s). Mais un mot n’est pas qu’une image (II 49s). Un mot ne se confine pas à son signifiant. Il est un signe (signifiant + signifié) qui allie la simultanéité et la ressemblance entre images et, par conséquent, entre des idées selon l’ordre des images (II 18s et 40s2 qui parle d’une ressemblance entre idées dans la constitution du signe). Le mot est un affect. Donc aussi une idée. Même si son fondement, sa production, bref son essence, relève en effet des seules affections ou images corporelles, le mot ou l’énoncé est toujours déjà un affect, c’est à dire une idée. Du reste si vous critiquez Jacquet parce que, selon vous, elle sépare l’idée et son affection, vous ne pouvez affirmer sans contradiction que le mot n’a rien à voir avec la pensée.

3° L’idée de l’idée ne vient pas « après » l’idée. Il n’y a aucun espace entre l’idée et l’idée de l’idée pour la réflexivité d’une conscience au sens moderne du terme. La confusion entre les deux énoncés, celui du « vouloir dire » (la poule s’est envolée sur la maison du voisin) et celui du « dit » (la maison s’est envolée sur la poule du voisin) est une confusion entre deux affects. Toutefois contrairement à Jacquet, je pense qu’il ne faut pas les distinguer comme un affect mental et un affect corporel mais comme des affects qui nous apparaissent plutôt comme mental ou corporel, parce qu’il sont DIT mental ou corporel et nous INDIQUENT dès lors plutôt la « constitutio » du Corps ou du Mental. Voir infra.

4° Contrairement à ce que vous dites, Jacquet n’envisage pas une divergence entre l’affection et l’idée de cette affection mais entre divers affects, qui sont des affections et leurs idées – selon leur essence, comme le dit II 49s, c’est à dire selon qu’ils sont produits par les affections du Corps ou les affections (idées de l’imagination) du Mental. Nonobstant, ils demeurent des affects car ce qui arrive dans le Corps aura toujours une contrepartie simultanée dans le Mental et vice-versa. Ce qui arrive dans le Corps arrive dans le Mental et vice versa. Mais ce qui arrive dans le corps n’arrive pas nécessairement COMME il arrive dans le Mental. Si bien qu’un affect peut être produit par les seules affections du Corps, de sorte qu’on le connaisse par cette production (puisque toute définition est génétique), bien qu’il ait simultanément sa contrepartie dans le Mental. Et vice versa : un affect peut être produit par les seules affections du Mental, de sorte qu’on le connaisse par cette production, et avoir simultanément sa contrepartie dans le corps.

Non seulement l’analyse de Jacquet se tient, mais elle a le grand mérite d’exclure la notion de « parallélisme » qui est une dénomination extrinsèque de l’épistémologie spinoziste par Leibniz. Et, comme l’observe Jacquet, la seule relation que Spinoza allègue entre le Corps et le Mental n’est pas le parallélisme des idées et des corps mais leur « simultanéité ».

Toutefois je ne suis pas sûr de la « teneur ontologique » des catégories d’affects que dévoile Chantal Jacquet. N’oublions pas que la déduction des affects dans la troisième partie utilise les termes en usage pour signifier ces affects. De nombreuses fois dans cette partie, Spinoza doit justifier cet usage (III A5, III A32 Expl., III A 44 Expl., III A20 Expl., III A31 Expl., III 15s, III 52s, III A48 Expl. Et, d’une manière générale, partout où il use des termes « nomen » et « vocabulum »). L’affect est une « indication » (III A20 Expl., A48 Expl., IV 56d, 58s, 71s, …) puisque l’idée de l’imagination indique la « constitutio seu affectus » (III 18d). La définition des affects est essentielle parce qu’il faut avoir une idée claire et distincte des affects pour transformer ceux-ci en affects actifs, c’est-à-dire en idées adéquates. Puisque l’idée claire et distincte discursive d’un affect est derechef l’idée d’une idée (l’affect étant une idée), elle sera une idée adéquate productive, et initiera la transformation de cet affect en affect actif. Le passage à la Raison passe par l’usage des termes signifiants les affects. Et elle passe par un certain usage de l’imagination, car celle-ci est également constitutive de la réalité.

Bref, même dans l’idée claire et distincte, on ne sort jamais de l’imagination commune des affects cristallisée dans le langage. L’idée claire des affects passe par le langage. On peut alors estimer que les catégories qu’avance Jacquet sont purement linguistiques ou imaginaires. Elles seraient constituées par la manière dont la production de l’affect apparaît le plus souvent, puisque c’est ainsi que l’imagination produit des termes généraux (II 40s1). L’affect est produit simultanément dans le Corps et dans le Mental. Mais l’idée de sa production, demeurant redevable de la langue, peut nous le faire apparaître comme un affect corporel ou mental ou tantôt l’un tantôt l’autre, selon notre propre affectivité inscrite dans le langage. Et cela importe peu, car pourvu que nous définissions l’affect par sa production, peu importe que celle-ci soit celle des idées ou celles des affections.

5° Spinoza attribue le Désir aux seuls hommes dès l’instant où il constate que le terme « Désir » « se rapporte généralement aux hommes » III 9s. Il constate un usage et le reprend de façon herméneutique comme je l’ai montré dans mon précédent message. Je pense que vous avez mal compris que je parlais ici de l’usage du terme « désir » dans sa relation à la « conscience », chez des hommes qui s’attribuent eux-même cette conscience. Et ce qui s’ensuit dans la mesure où le langage est lui-même constitutif de la communauté humaine. Je parlais de mots et de communauté. Je n’ai jamais dit que selon Spinoza l’homme se distinguait de l’animal sinon quantitativement. Il est totalement inadéquat de définir l’homme par sa conscience. Mais cela n’empêche en rien que l’auto-attribution totalement imaginaire d’une conscience à l’homme par l’homme est constitutif de la communauté langagière humaine et, partant, de la communauté humaine tout court. Dans mon précédent message, j’ai toujours parlé de l’idée imaginaire de conscience. Je ne comprends pas quelle alchimie vous pousse à me faire dire ce que je n’ai pas dit.

6° Ce qui est commun à tous les hommes peut constituer leur essence. Car c’est seulement ce qui est commun à toutes les choses qui ne peut constituer l’essence d’aucune chose singulière (II 37 et 38). Non pas ce qui est commun à tous les hommes (II 38c). Ni non plus, évidemment, ce qui est commun à mon Corps simplement et à un corps extérieur pareillement dans le tout et dans la partie (II 39). Et toute communauté est bien un individu.

7° Vous pensez que la communauté n’est pas de l’ordre du conatus, mais le Traité politique dit exactement le contraire, puisqu’il présente la constitution de la communauté comme un concours de conatus en un « affect commun ».

8° Vous écrivez ensuite : « D'ailleurs, si cela aurait été le cas, il ne fallait rien faire du tout, au niveau politique: l'homme qui existe, a nécessairement un conatus, et de ce fait même, une communauté humaine serait déjà constitué. Or, il me semble que toute la pensée politique de Spinoza essaie justement de penser comment constituer cette communauté humaine. Communauté qui n'est donc nullement donnée à la base. »

C’est pourquoi il écrit seulement qu’ « il y a » des notions communes à tous les hommes. On ne sait lesquelles sont spécifiques aux hommes sinon par leurs affects commun, c’est à dire en tant qu’ils constituent des communautés. La mondialisation du XVIIè siècle ne conduit-elle pas immédiatement à la considération d’une communauté universelle ? (N’est-ce pas la naissance du Droit naturel ?) On peut alors concevoir que chaque communauté politique est une partie d’une communauté universelle, le commerce, les guerres et aux relations culturelles faisant office de « communications de mouvement ». Car je vous rappelle que, contrairement à ce que vous dites par ailleurs, une communauté, pour Spinoza, c’est un individu, une « chose singulière ». Il n’y a donc aucune raison que l’individu-homme possède un conatus et non l’individu-communauté humaine. Enfin, la notion de contrat et d’état de nature est si « théorique » chez Spinoza (à ses dires-mêmes) que l’homme ne saurait se concevoir sans communauté, sinon de façon relative et abstraite. Même le peuple hébreux « retourné à l’état de nature » à sa sortie d’Egypte demeure une communauté, et particulièrement une communauté linguistique, selon le TTP.

Bien à vous
Miam

PS. Une poule serait bien incapable de voler sur une maison.

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Messagepar hokousai » 05 oct. 2005, 19:57

à miam

""""""mais comme des affects qui nous apparaissent plutôt comme mental ou corporel, parce qu’il sont DIT mental ou corporel et nous INDIQUENT dès lors plutôt la « constitutio » du Corps ou du Mental. Voir infra.""""""""""""

Plutôt idéaliste comme position .
Il suffirait de dire les choses pour qu’elles nous apparaissent de telle ou telle manière .
Or La perception des choses ( visuelle par exemple) nous apparaît comme distincte de la pensée des choses perçues nonobstant ce que nous pouvons EN DIRE .
.................................................................

Le début de votre réponse à Louisa pivote autour du MOT ,il me semble assez confus au sens ou tout y est confondu
Le mot est un affect est une idée , à terme les attributs ne sont pas distinguables
Or il le sont .
Un affect n'est pas une idée ( une perception visuelle non plus d' ailleurs ).

Sous le prétexte que la substance est une vous cherchez à tout y égaliser .
................................................................

Distinguer les corps extérieurs des pensées cela est assez évident et les deux attributs sont alors explicites .
Mais
Vous ( comme tout un chacun )avez des difficultés dans une zone intermédiaire majeure chez Spinoza celle des affects psychiques ou ceux (dit plus physiques )du corps propre .
Les passions /les douleurs ou souffrances .

Considérons la zone des douleurs où le problème apparaît et cela parce que dans la zone des passions il devient invisible .

La question est comment distinguer la souffrance comme affect du corps ( et d'une étendue assez difficile à cerner ) de l'idée de cette souffrance .
Or il le faut sous peine de tomber dans l’idéalisme ( ma souffrance est l’idée que je m’en fais ou elle n'est que pensée )
On est donc amené à distinguer (plus ou moins théoriquement ) une perception non idéelle de la souffrance ( qui répondrait à la perception visuelle des corps extérieures ,elle très distinguable des pensées )

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Messagepar Matt » 11 oct. 2005, 09:17

Bonjour,

Je voudrais commencer avec les "notions communes". Faute d'en être arrivé assez loin sur ce point, je m'appuie ici presque exclusivement sur des commentaires de Spinoza :

E. Balibar (Spinoza et la politique) : "Lorsqu'un individu est actif, c'est au contraire que les rencontres de son corps avec d'autres corps s'organisent de façon cohérente, et que les idées dans son âme s'enchaînent conformément à des "notions communes" au double sens de communes à tous les hommes et communes aux hommes et à la nature entière (c'est-à-dire objectives)."

A. Matheron (Individu et communaué chez Spinoza) : "Les notions communes sont le contraire des universaux abstraits témoignant de l'impuissance de l'imagination. Elles sont ce qui appartient à l'homme et aux autres individus (repos, mouvement...) mais en même temps seuls les hommes peuvent les posséder. Elles sont communes à tous les hommes."

En ce sens, lorsque Spinoza écrit "qu'il y a certaines idées, ou notions, communes à tous les hommes" (II, 33, c) , il faut peut-être penser qu'il s'agit ici d'une capacité (commune) à former ces notions, sans pour autant que celles-ci se réfère de manière exclusive à l'homme.

Pour Deleuze (Spinoza, philosophie pratique), il en va autrement : "Les notions communes [...] représentent quelque chose de commun aux corps : soit à tous les corps (l'étendue, le mouvement et le repos), soit à certains corps (deux au minimum, le mien et un autre)". Cette définition a le mérite de synthétiser plusieurs aspects mais je ne suis pas certain qu'elle convienne vraiment. Cela mérite en tout cas d'être examiné. Il semblerait qu'il y ait des choses sur le développement conjoint des notions communes et des communautés dans "Spinoza et le problème de l'expression" mais je n'ai pas eu l'occasion de regarder. De mon côté, je partirai plutôt de ce simple point que les notions communes permettent une association réelle des hommes d'un point de vue pratique et cela sans qu'aucune "communauté" soit donné d'avance.

Pour ce qui est maintenant des notions communes et des essences singulières, je cite à nouveau Deleuze : "Les notions communes sont des généralités, en ce sens qu'elles ne concernent que les modes existants sans rien constituer de leur essence singulière". S'il y quelque chose de commun à tous les hommes , ceci resterait étranger à leur essence singulière (Que le désir soit une notion commune semble difficile à concevoir). De plus, cette idée de quelque chose en commun à tous hommes est elle-mçeme problématique dans la mesure où Spinoza semble mesure de manière similaire la différence qui existe entre la nature humaine et la "nature des bêtes" et la différence qui peut exister entre deux hommes (ex : le philosophe et l'ivrogne) (III, 57, sc.) ce qui n'est pas sans poser de problèmes sur le sens que peut alors ici avoir l'expression de nature humaine. (ce qui montre encore l'impossibilité d'effectuer des différences autres que quantitativrd comme dans le cas de la complexité du corps)

J'essaie à présent d'aborder la question de la "communauté", sans la lier directement à celle des notions communes et encore moins en la considérant comme un "donné".

La partie III et notamment tout ce qui touche à l'imitation des affects nous montre bien que l'homme n'est jamais seul, que le processus de socialisation est engagé dès les premiers moments de la vie affective. Mais, soumis à la force des affects qui s'imposent comme de l'extérieur, les hommes se déchirent autant qu'ils se lient. Sur quelle base imaginative se réalise cette (dés)union ? Sur l'imagination du "semblable" (simile), i.e sur un transfert. Or, lors même qu'ils s'imaginent semblables, les affects des hommes peuvent discorder (discrepare), autant que l'essence de l'un diffère (differe) de l'essence de l'autre (III, 57). Ce n'est pas dire que le fait que l'essence de l'un diffère de l'essence de l'autre les conduit à discorder mais seulement qu'en tant qu'ils sont soumis aux affects, cette différence devient discorde. Il est donc impossible de parler ici de communauté même si toute communauté doit faire avec.

Dans les propositions 29 à 31 partie IV, on voit toute la complexité des "lois" de la communauté. Sur cette partie, j'avance quelques hypothèses :
Quel rapport y-a-t'il entre le fait d'"avoir quelque chose en commun" et le fait de "convenir en nature" ? Spinoza écrit que pour qu'une chose puisse aider ou contrarier notre puissance d'agir, il est nécessaire qu'elle ait quelque chose en commun avec nous. Cela signifie qu'une telle chose peut finalement s'avérer être bonne ou mauvaise. Cependant, ce ne peut être par ce qu'elle a de commun avec nous qu'elle est mauvaise. Le "commun" entre deux choses ouvre d'une certaine manière un espace de potentialités (Spinoza utilise bien le verbe "pouvoir") dans lequel ce qui est "contraire" peut prendre le dessus. Mais si c'est ce même "commun" qui l'emporte (à condition qu'il dépasse un certain degré) alors les choses conviennent ou s'accordent (convenire). Je le dis de manière un peu trop schématique mais c'est que je pense qu'entre ce qui a quelque chose en commun et ce qui convient le décalage est infime, le fait de convenir supposant simplement en plus une "rencontre", un "rapport", c'est-à-dire une dynamique. Cela signifie que seul des choses qui se "ressemblent" (d'un point de vue qui n'est pas celui de l'imagination) peuvent s'associer (au sens fort) et non simplement se lier. C'est même inévitable puisqu'en dehors du "commun", il n'y a rien d'autre que le "différent" qui n'est ni bon ni mauvais et le "contraire" (même si l'appartenance d'une chose à ces "catégories" n'est pas figé, comme en témoigne l'utilisation de quatenus...eatenus). Mais il ne faudrait pas confondre pour autant "commun" et "identité". Les hommes ne s'associent pas parce qu'ils sont identiques mais bien plutôt parce qu'il y a entre eux une certaine forme de complémentarité qui rend possible leur composition (pour reprendre les termes de Deleuze). Avoir quelque chose en commun, c'est être en mesure de s'accorder, de s'associer.
La communauté n'est pas pensable sous le trop célèbre schéma de l'identité et de l'altérité.

Si l'un d'entre vous a des remarques sur les différentes traductions de discrepare, convenire... cela m'intéresserait beaucoup.
Enfin, je pense que la notion d'"affect commun" qu'a évoquée Miam est fondamentale. J'ai sur ce point deux questions :
Spinoza utilise-t-il "affectio" ou "affectus" ? (si j'ai bien compris ce doit être "affectus" mais n'ayant que la traduction de Appuhn, je ne suis pas sûr)
Le "Traité politique" est-il bien le seul texte où l'on retrouve cette idée d'"affects communs" ou est-elle également présente dans le TTP ?

Merci.
Matthieu.

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Messagepar Miam » 11 oct. 2005, 16:37

Très cher Matthieu,

Il semble que tu t’appuies sur la lecture de Matheron (et de Macherey et d’autres encore) qui fait surgir la notion d’homme du mimétisme (III 27) de sorte que le « semblable à nous » soit identique à « homme » et partant à « commun ». Je suis en total désaccord avec cette interprétation qui est aussi celle de Bardamu et occulte selon moi l’importance du terme « commun » dans toute l’œuvre spinoziste et en particulier l’Ethique (occurrences dans l’Ethique : commun = 89, semblable = 51, exprimer = 46). DE là ce contresens pour moi incompréhensible selon lequel aucune notion commune ne constituerait l’essence d’aucune chose, alors que Spinoza avance seulement que ce qui est commun pareillement dans le tout et la partie de toutes choses ne constitue l’essence d’aucune chose singulière.

Si cette lecture saisit bien dans l’imagination un aspect constitutif de la réalité (qu’Hokusaï ne perçoit pas), elle ne distingue cependant pas ce qu’il y a de constitutif dans l’imagination, à savoir la notion commune productive sur laquelle elle se fonde pour qu’il y ait seulement une affection. Si tu relis les apparitions de « quelque chose » « quelqu’un », « homme » et « semblable » dans la troisième partie, tu observeras que la notion d’ « homme » et de « quelqu’un » ne suivent pas du mimétisme et de la similitude, mais du passage d’une relation duelle et réciproque à l’objet (corrélatif d’une communication de mouvement avec un corps extérieur) à une relation triangulaire de rivalité au sein de laquelle seulement peut se poser la question du « bien commun », dans la mesure où cette rivalité conduit à projeter ma « conscience » imaginée sur le modèle finaliste, sur autrui. La structure-autrui n’apparaît que dans cette rivalité, et partant la notion d’homme et de conscience humaine, parce que surgit seulement là la question du « bien commun » (et partant de l’affect commun : pas « semblable » mais bien « commun »). L’homme vit donc toujours déjà en communauté, puisqu’il s’agit, dans cette rivalité, d’une relation à l’autre en fonction d’un bien commun qui suppose un conatus commun réel (et non imaginé comme dans le mimétisme). C’est bien ce que nous apprend Spinoza dans ses écrits politiques où il s’oppose au contractualisme tant hobbesien que rousseauiste, particulièrement dans le TP. On y reviendra si tu veux.

Quant aux notions communes, je pense qu’on se confine trop aux idées de notion commune universelle ou particulières. Les notions communes à tous les hommes prennent bien place dans un corollaire à la démonstration des notions communes universelles (II 38 et 38c). Toutefois elles doivent dire quelque chose de plus que ce dont elle est le corollaire, contrairement à ce qu’écrivent nombres de commentateurs, sans quoi elle serait une pure tautologie. Les notions communes à tous les hommes sont donc selon moi non pas universelles, mais particulières aux hommes, bien qu’elles soient pareillement dans le tout et la partie comme les notions communes universelles. C’est pourquoi je les identifie comme tu le fais à un conatus humain. Toutefois ce conatus commun n’est pas fondé sur une ressemblance entre les rapports selon lesquels les parties du corps se communiquent leur mouvement, mais bien, comme le dénote l’énoncé de II 38, sur une identité de la structure (fabrica) du corps, entendue comme le nombre de parties à chaque niveau infinitaire de l’individu (pareillement dans le tout et la partie). Ce qui permet une certaine variabilité au sein d’un même conatus commun.

Que je sache « affect commun » (communis affectus) n’apparaît que dans le TP. Mais il y a certes une grande évolution du TTP au TP.

« Discrepare », c’est littéralement « dissoner » et j’aimerais bien le traduire ainsi.

Je fais court. On en rediscutera sûrement.

A bientôt. Miam.


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