Messagepar Vanleers » 03 nov. 2016, 09:43
L’islamisme politique vise à exercer un pouvoir de coercition sur les hommes et à les rendre esclaves.
L’expérience montre que ce pouvoir se fonde sur la tristesse, ce que n’a cessé de dénoncer Deleuze dans ses commentaires sur Spinoza.
On redonnera ici trois extraits.
1) Dans son cours de Vincennes, il dit ceci :
« […] qu’est-ce qu’il y a de commun pour Spinoza entre un tyran qui a le pouvoir politique, un esclave, et un prêtre qui exerce un pouvoir spirituel ? Ce quelque chose de commun c’est ce qui va faire dire à Spinoza : mais ce sont des impuissants ! C’est que d’une certaine manière ils ont besoin d’attrister la vie ! Curieux cette idée. Nietzsche aussi dira des choses comme ça : ils ont besoin de faire régner la tristesse ! Il le sent, il le sent très profondément : ils ont besoin de faire régner la tristesse parce que le pouvoir qu’ils ont ne peut être fondé que sur la tristesse. »
2) Etablissant un parallèle entre Lucrèce et Spinoza, Deleuze écrit (Spinoza et le problème de l’expression pp. 249-250 – Minuit 1968) :
« Comme Lucrèce, Spinoza sait qu’il n’y a pas de mythe ou de superstition joyeuse. Comme Lucrèce, il dresse l’image d’une Nature positive contre l’incertitude des dieux : ce qui s’oppose à la Nature n’est pas la culture, ni l’état de raison, ni même l’état civil, mais seulement la superstition qui menace toutes les entreprises de l’homme. Comme Lucrèce encore, Spinoza assigne au philosophe la tâche de dénoncer tout ce qui est tristesse, tout ce qui vit de la tristesse, tous ceux qui ont besoin de la tristesse pour asseoir leur pouvoir. […] La dévalorisation des passions tristes, la dénonciation de ceux qui les cultivent et qui s’en servent, forment l’objet pratique de la philosophie. Peu de thèmes dans l’Ethique apparaissent aussi constamment que celui-ci : tout ce qui est triste est mauvais, et nous rend esclave ; tout ce qui enveloppe la tristesse exprime un tyran. »
3) Enfin, Deleuze parle de la confiance de Spinoza en la vie en ces termes (Spinoza Philosophie pratique pp. 21-22 – Minuit 1981) :
« Dans toute sa manière de vivre comme de penser, Spinoza dresse une image de la vie positive, affirmative, contre les simulacres dont les hommes se contentent. Non seulement ils s’en contentent, mais l’homme haineux de la vie, honteux de la vie, un homme de l’autodestruction qui multiplie les cultes de la mort, qui fait l’union sacrée du tyran et de l’esclave, du prêtre, du juge et du guerrier, toujours à traquer la vie, la mutiler, la faire mourir à petit ou long feu, la recouvrir ou l’étouffer avec des lois, des propriétés, des devoirs, des empires : voilà ce que Spinoza diagnostique dans le monde, cette trahison de l’univers et de l’homme. […] Le reproche que Hegel fera à Spinoza, d’avoir ignoré le négatif et sa puissance, c’est la gloire et l’innocence de Spinoza, sa découverte propre. Dans un monde rongé par le négatif, il a assez confiance dans la vie, dans la puissance de la vie, pour mettre en question la mort, l’appétit meurtrier des hommes, les règles du bien et du mal, du juste et de l’injuste. Assez de confiance dans la vie pour dénoncer tous les fantômes du négatif. L’excommunication, la guerre, la tyrannie, la réaction, les hommes qui luttent pour leur esclavage comme si c’était leur liberté, forment le monde du négatif où vit Spinoza ; l’assassinat des frères De Witt est pour lui exemplaire. Ultimi barbarorum. Toutes les manières d’humilier et de briser la vie, tout le négatif ont pour lui deux sources, l’une tournée vers le dehors et l’autre vers le dedans, ressentiment et mauvaise conscience, haine et culpabilité. “ La haine et le remords, les deux ennemis fondamentaux du genre humain’’ [Court traité, premier dialogue]. Ces sources, il ne cesse de les dénoncer comme liées à la conscience de l’homme et ne devant tarir qu’avec une nouvelle conscience, sous une nouvelle vision, dans un nouvel appétit de vivre. Spinoza sent, expérimente qu’il est éternel. »