Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Vanleers
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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar Vanleers » 30 déc. 2014, 14:18

A NaOh

Commençons par E IV 25.

« Personne ne s’efforce de conserver son être en raison d’une autre chose. » (traduction Misrahi)

Vous commentez comme suit :

« Cette proposition ajoute quelque chose de nouveau à la simple répétition de la loi du conatus, mais il faut prêter attention à son énoncé, qui exclut bien qu'une autre chose me détermine à persévérer dans l'être, étant donné justement la loi du conatus. »

Je m’inscris en faux contre cette interprétation en citant d’abord le scolie d’E II 45 :

« Car, quoique chacune d’elles [chacune des choses singulières] soit déterminée par une autre chose singulière à exister d’une manière précise, il reste que la force [vis] par laquelle chacune persévère dans l’acte d’exister suit de l’éternelle nécessité de Dieu. »

Pascal Sévérac commente :

« Une chose existant en acte dans la durée est donc déterminée à la fois de façon spatio-temporelle, en extériorité, par d’autres choses finies, et de façon éternelle, en intériorité, par une force de persévérance. La conjugaison, dans la durée, de l’actualité spatio-temporelle de la détermination externe, et de l’actualité éternelle de la détermination interne, explique la modification de cette force [vis] en effort de persévérance [conatus]. » (p. 175)

Vous confondez tout simplement « vis » et « conatus ». Je vous avais pourtant envoyé un extrait de Sévérac expliquant les distinctions entre vis, conatus et cupiditas (fil sur l’hypnose). Apparemment sans résultat.
J’ajoute encore cette citation de Sévérac :

« Cet effort de conservation de soi est donc une puissance d’action qui, en relation avec d’autres puissances d’action, se trouve modifiée. L’effort, c’est donc l’essence de chaque chose en tant qu’elle se trouve modifiée par d’autres choses : l’effort [conatus], c’est la force [vis] modifiée. » (p. 176)

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar hokousai » 30 déc. 2014, 14:57

Sévérac a écrit :La conjugaison, dans la durée, de l’actualité spatio-temporelle de la détermination externe, et de l’actualité éternelle de la détermination interne, explique la modification de cette force [vis] en effort de persévérance


Sévérac présume que l' effort est une modification de la force.
Une force de persévérance.
Une force de persévérance soumise donc à variation d' intensité ( on ne peut avoir d'autre concept que l'intensité de force )

Spinoza ne parle pas de force (ni d' intensité ) mais de composition de mouvement et de lenteur et de vitesse.

Spinoza a écrit :Nous voyons par ce qui précède comment un individu composé peut être affecté d'une foule de manières, en conservant toujours sa nature. Or jusqu'à ce moment nous n'avons conçu l'individu que comme formé des corps les plus simples, de ceux qui ne se distinguent les uns des autres que par le mouvement et le repos, par la lenteur et la vitesse. Que si nous venons maintenant à le concevoir comme composé de plusieurs individus de nature diverse, nous trouverons qu'il peut être affecté de plusieurs autres façons en conservant toujours sa nature ; car puisque chacune de ses parties est composée de plusieurs corps, elle pourra (par le lemme précédent), sans que sa nature en soit altérée, se mouvoir tantôt avec plus de vitesse, tantôt avec plus de lenteur, et par suite communiquer plus lentement ou plus rapidement ses mouvements aux autres parties.


Sans que la nature en soit altérée .( ce que je reproche à Spinoza d 'ailleurs )
Mais les forces extérieures n'interviennent pas .
C'est la composition qui change.
L'individu est considère comme unité ( pour soi ) et puis comme partie d'une autre composition ( qui, elle, est alors pour soi )
Ce qui est statique ( non dynamique )
Il n'y a pas d' évolution interne de la nature de l'individu.

De mon point de vue Non qu'on puisse jamais nier les forces extérieures, on peut envisager l' effort à la fois comme opposition à une variation intérieure susceptible de faire changer de nature,
et aussi comme effort de variation propre à faire changer de nature.

Car est bien ce qu'on constate. L' organisme se conserve mais change de nature.

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar Vanleers » 30 déc. 2014, 16:43

A NaOh

Pour essayer d’avoir la discussion la plus claire possible, je poserai, ou rappellerai, trois définitions :
1) Opérer, c’est produire un effet.
2) Agir, c’est produire un effet qui peut s’expliquer clairement et distinctement par soi seul.
3) Etre libre, pour un homme, c’est être actif.

Dès lors le projet éthique de Spinoza vise à ce que nos opérations soient le plus possible des actions et on pourrait le résumer par cette maxime :
« Opère de telle sorte que ce que tu produis puisse s’expliquer clairement et distinctement par toi seul »
On dira qu’on ne trouve pas d’impératif dans l’Ethique et c’est vrai sauf que dans la Préface de la partie IV, Spinoza se propose de définir un modèle (exemplar) de la nature humaine et esquisse le portrait de l’homme libre à la fin de cette partie.

On demandera alors : « Comment est-il possible d’être libre, c’est-à-dire actif alors que tout, dans le monde, est déterminé? »
C’est ici qu’il y a lieu de distinguer deux voies de libération que, dans mon avant-dernier message, j’ai appelées les voies du deuxième et du troisième genre.
Notre discussion porte sur la voie du deuxième genre et je dirai ceci.
Il est possible d’être actif : c’est le cas lorsqu’on est « déterminé par un autre à travers ce que l’on a de commun avec lui ». On dira alors que nous faisons cause commune avec ce qui nous détermine.
Mais il est important de noter que la question directe que je me pose c’est : « Comment opérer pour que ce que je produis puisse s’expliquer clairement et distinctement par moi seul ? » et pas du tout « Comment faire cause commune avec ce qui me détermine ? »
Spinoza, qui n’est pas Sénèque, ce qu’avait finement remarqué Ulis, propose à chacun d’agir absolument par vertu d’après le fondement qui consiste à rechercher son propre utile (E IV 24).
Il se trouve que, ce faisant, je ferai cause commune avec ce qui me détermine mais ce n’était pas le but recherché.

J’ajoute ceci.
Vous en êtes encore à distinguer entre communauté qui nous rend libre et communauté qui nous aliène alors que je rappelais dans un précédent message qu’il était clair que « faire cause commune » ne peut se dire que lorsque ce qui détermine un individu, et donc l’affecte, augmente et aide sa puissance d’être.

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar Lechat » 31 déc. 2014, 10:42

Bonjour à tous,

Dans ce débat, je pense que Vanleers colle le mieux à la pensée de Spinoza. J'ajoute mon grain de sel (ouvert à la critique bien sur).

"Homme libre" ça a l'air d'être une expression contradictoire ("Dieu seul est cause libre" E1P17c2). Pour info, j'ai cherché la première occurence de cette expression dans le thesaurus d'Ethicadb, pour voir quelle définition Spinoza en donnait. La précision existe en E4P67 : " Un homme libre, c'est-à-dire qui vit suivant le seul commandement de la Raison...". Moyennant quelques équivalences (action-adéquation etc.), ça revient à la définition de Vanleers ("être actif"). Mais ça a quelque chose de frustrant car on est assez loin de la notion de maitrise autonome qui existe dans la liberté au sens commun, surtout si on tient compte du fait qu'on est déterminé par une chaine infinie de causes (E1P28).

Je pense que les notions communes (qui servent à fonder la Raison en E2P40sc2 ) sont bien les briques de bases qui permettent de comprendre la substance microscopique de la liberté de l'homme dans une nature déterminée. Ce qui dans la formule de Séverac nous permet d'expliquer les choses par des causes extérieures et aussi par l'individu seul vient de ces propriétés qui sont pareillement dans la partie et dans le tout de l'affectant et de l'affecté. Hélas Spinoza nous donne très peu d'exemples : le mouvement pour les choses étendues, et ce que qu'on a appelé la "choséité" dans un autre fil (c'est à dire l'essence de Dieu), la preuve mathématique de la proportionnalité. L'apport de Deleuze dans l'affaire est de souligner que ces notions communes vont au delà des déductions et de ce qui peut se formaliser par un discours, comme pour le nageur et sa vague. En résumé Spinoza avec E2P38-39 postule une espèce de "glue" entre les choses singulières (toutes ou 2 à 2) qui permet d'être actif même dans un rapport à l'extérieur.

En revanche je ne suis pas convaincu par le dernier message de NaOh qui dit : "est dit conforme à notre nature ce qui tend à être identique à notre nature". Avec les notions communes, on peut se passer de ça. Deuxièmement on peut constituer un sur-individu (un couple par exemple), autrement dit on peut s'accorder avec un autre, sans pour autant être identique. Enfin je pense que l'expression "nature semblable" est à prendre avec des pincettes (contrairement à "nature conforme"). Elle est utilisée par Spinoza dans le livre 3 quand il parle de l'imitation des affects, mais il semble que c'est une imagination et non une réalité (il n'y a pas de nature semblable mais des natures que l'on juge semblables). Cf ce qu'en dit Miam dans ce fil :connaissance/similitudes et notions communes

On reste frustré de ne pas pouvoir illustrer une telle liberté a un niveau macroscopique d'organisations complexes comme l'homme qui font des actions complexes. Un homme qui vivrait uniquement sous le commandement de la raison (qui n'aurait donc que des décisions issues d'idées adéquates) est purement théorique. Dans la pratique un homme prend toutes ses décisions sur la base de raisonnements probabilistes donc pas adéquats. Il sait que plus de 99% des gens qui ont pris le train pour se rendre à Nice sont arrivés entier à destination donc "raisonnablement" il tente le coup. Pour moi il a été aussi libre que possible : il a organisé sa rencontre avec un élément externe (départ d'un train vers Nice) en jugeant le risque de mettre en péril son organisation interne très faible. Il est bien l'acteur adéquat à 99,..% de l'effet "son corps se trouve à Nice" dans la mesure où son conatus lui commande de se rapprocher de sa famille. (Sachant qu'une autre explication de cet effet est aussi de dire que des ingénieurs ont conçu un système moteur qui permet de déplacer des wagons et il s'est trouvé que le corps de l'homme était dans un des wagons au moment où ceux-ci sont partis vers Nice.)
L'activité de l'homme lié à l'effet "son corps se trouve à Nice" a eu lieu lors de la prise de décision et la mise en oeuvre. Ensuite durant le trajet il n'y a pas lieu de parler d'activité ou passivité lié à cet effet, c'est plus comparable à de l'inertie.

Bonne fin d'année
Modifié en dernier par Lechat le 31 déc. 2014, 12:26, modifié 1 fois.

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar Vanleers » 31 déc. 2014, 11:52

A Lechat

Je reprends votre exemple de l’homme qui décide de prendre le train pour se rendre à Nice et qui, au moment de prendre la décision, s’interroge : « Suis-je libre de prendre ce train pour Nice ? »
La question peut se reformuler ainsi : « Cette décision peut-elle se comprendre clairement et distinctement par moi seul ? ». Si la réponse est oui, c’est que je suis libre de prendre ce train pour Nice, si la réponse est non, c’est que je ne suis pas libre.
Mais comment pourrait-il le savoir, que sa décision peut se comprendre clairement et distinctement par lui seul ?
Et, de plus, il faudrait que ce savoir soit lui-même clair et distinct pour pouvoir lui accorder du crédit.
A mon point de vue, cela dépasse ses forces et il ne peut donc pas savoir s’il est libre ou non de prendre le train pour Nice.

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar Vanleers » 31 déc. 2014, 15:06

A Lechat (suite)

Vous indiquez, à juste titre, que la première occurrence d’« homme libre » dans l’Ethique se situe en E IV 67.
La démonstration précise que l’homme libre c’est celui « qui vit sous la seule dictée de la raison »
Ajoutons que « l’essence de la raison n’est rien d’autre que notre Esprit en tant qu’il comprend clairement et distinctement » (E IV 26 dém.)
La démonstration d’E IV 67 se réfère à E IV 63 dont la démonstration commence par : « Tous les affects qui se rapportent à l’Esprit en tant qu’il agit, c’est-à-dire (par E III 3) à la raison […] »
Il est donc solidement établi que l’homme libre c’est l’homme qui suit la raison donc l’homme actif et qu’être libre, pour l’homme, c’est être actif.

Ajoutons que la démonstration d’E III 3 se réfère au corollaire d’E II 38 :

« De là suit qu’il y a certaines idées ou notions communes à tous les hommes. Car (par le Lemme 2) tous les corps conviennent en certaines choses, lesquelles (par la Prop. précéd.) sont nécessairement perçues par tous de manière adéquate, autrement dit claire et distincte. »

Ceci renvoie à une importante composante de ce que j’ai appelé la voie de libération du deuxième genre.
Dans le précédent message que je vous ai envoyé, j’indiquais qu’il me paraissait impossible de déterminer si nous étions libres ou non lorsque nous faisions quoi que ce soit.
Mais cela ne veut pas dire qu’aucune libération ne soit possible et les vingt premières propositions de la partie V nous donnent des moyens de nous libérer, notamment E V 4 (dont la démonstration se réfère au corollaire d’E II 38 précité) :

« Il n’est pas d’affection du Corps dont nous ne puissions former quelque concept clair et distinct »

Mais former quelque concept clair et distinct d’une affection de notre corps, c’est faire davantage cause commune avec la cause qui a affecté notre corps, c’est-à-dire devenir davantage actifs, donc plus libres.

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar Vanleers » 31 déc. 2014, 16:30

A NaOh

La démonstration d’E III 7 indique :

« […] et donc la puissance d’une chose quelconque, autrement dit l’effort par lequel, seule ou avec d’autres, elle fait ou s’efforce de faire quelque chose, c’est-à-dire (par E III 6) la puissance ou effort par lequel elle s’efforce de persévérer dans son être, n’est rien à part l’essence qu’a cette chose, autrement dit son essence actuelle »

Il est donc clair que Spinoza tient pour équivalents : conatus, puissance d’agir (de faire quelque chose), puissance de persévérer dans son être et essence actuelle.
Or, la puissance d’agir est variable, elle augmente ou diminue en fonction des affections du corps (E III déf. 3)

Nous sommes fondés à considérer l’essence de l’homme de trois façons : vis, conatus, cupiditas : force, effort, désir.

1) La force (vis), c’est l’essence éternelle de l’homme. Comme il n’y a qu’une distinction de raison entre une chose et l’essence de cette chose (E II déf. 2), on peut dire tout aussi bien que la force, c’est l’homme considéré sub specie aeternitatis.

2) L’effort (conatus), c’est l’essence de l’homme considéré sub specie durationis, c’est-à-dire dans une existence en commerce avec d’autres existences qui l’affectent, c’est-à-dire le modifient. Spinoza parle d’essence actuelle, on pourrait dire actualisée ou déterminée par d’autres choses qui l’affectent.
3) Le désir (cupiditas), c’est encore l’essence de l’homme « en tant qu’on la conçoit déterminée, par suite d’une quelconque affection d’elle-même, à faire quelque chose » (E III Déf. Aff. 1). C’est l’essence actuelle de cet homme mais considérée avec son aspect de production de quelque chose.

Ces trois concepts renvoient à la même réalité : l’essence de l’homme, considérée sous trois points de vue différents.
Il est clair que conatus et cupiditas varient dans la durée en fonction des affections dont il faut rappeler qu’elles ne sont pas les accidents d’un être substantiel.

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar NaOh » 31 déc. 2014, 18:14

A Vanleers,

Vous m’écrivez:

"Vous confondez tout simplement « vis » et « conatus ». Je vous avais pourtant envoyé un extrait de Sévérac expliquant les distinctions entre vis, conatus et cupiditas (fil sur l’hypnose). Apparemment sans résultat."

Remarquez que dans la citation en question, Sévérac explique bien que ces trois concepts renvoient tous à une même réalité. Cela étant j’essaie de comprendre votre objection. D’après vous E IV 25 serait une façon pour Spinoza de dire que la force par laquelle chaque chose persévère dans l’être n’est due qu’à elle-même, mais que son conatus ou son effort peut être déterminé par autre chose qu’elle-même. Si ce n’est pas ce que vous vouliez indiquer j’avoue que je donne ma langue aux chats.

Ainsi, je confondrais « force » et « effort » en interprétant EIV 25 comme niant que la chose soit déterminée par une autre dans son "effort", alors que Spinoza ne l’entendrait que de la « force » par laquelle une chose persévère dans l’être. Vous rejeter par ailleurs la traduction dont je me sers qui a l’inconvénient, certes de faire intervenir malencontreusement la causalité d’une « autre chose ».

Mais retournons un peu en arrière. Je vous écrivais ceci :

"« N'oubliez pas à ce sujet que «  Personne ne s'efforce de conserver son être à cause d'une autre chose que soi-même. »

Or comme la liberté consiste à maximiser cet effort de se conserver soi même, vous admettrez que le terme de liberté s’accommode assez mal de celui "d'hétéro-détermination"."
 

Je mettais cette proposition en perspective avec la notion de liberté. Voyons si votre distinction dans cette perspective change quoi que ce soit au problème. Je prétends moi qu’est de plus en plus libre celui dont l’effort (je dis bien « l’effort » et non la « force ») est de moins en moins déterminé par une autre chose. Qu’avez-vous à dire là contre ? Je sais bien que vous n’êtes pas d’accord, mais enfin la distinction entre « vis » et « conatus » ne fait rien à l'affaire…

Il est vrai que vous invoquez pour rejeter l’interprétation litigieuse de EIV 25 le scolie d’EII 45 :

« Car, quoique chacune d’elles [chacune des choses singulières] soit déterminée par une autre chose singulière à exister d’une manière précise, il reste que la force [vis] par laquelle chacune persévère dans l’acte d’exister suit de l’éternelle nécessité de Dieu. »

Là encore quelque chose m’échappe très certainement : pourquoi ne peut-on pas dire que l’effort traduit bien cette même force de persévérer dans l’être et que par conséquent il n’est en tant que tel déterminé par rien d’autre que lui-même ? C’est ce que je ne vois pas. Est-il si difficile de concevoir qu’une chose puisse persévérer dans l’être de son propre fond d’une part, tout en étant affectée par des causes extérieures d’autre part ? Ces causes extérieures, je l’admets, la déterminent à exister autrement que si elle était seule à opérer, mais je ne vois pas pourquoi l’on nierait pour cela que l’effort n’a pour cause que la seule essence de la chose dont on considère l’effort. Ce qui advient par ailleurs à cet effort étant autre chose.

Pourquoi donc la proposition « Personne ne s’efforce de conserver son être en raison d’une autre chose » ne signifierait-elle pas en effet que l'effort pour persévérer dans l'être n'a d'autre cause que l'essence seule de la chose qui persévère dans l'être ?

Que maintenant le conatus soit toujours déterminé par l’action des causes extérieures à opérer de telle ou telle façon signifie seulement ceci : l’individu dans cette mesure n’est pas libre. Dans la mesure au contraire où son conatus n’est pas déterminé par des causes extérieures, alors il est libre. A vrai dire les deux choses coexistent toujours nécessairement dans le même sujet, attendu qu’il est impossible d’échapper au règne des choses extérieures d'une part, et que la « vis » par laquelle il persévère dans l'être lui appartient d'autre part. Ainsi si l’homme, n’est jamais entièrement autonome il n’est jamais non plus entièrement déterminé par les causes extérieures. C’est un processus de libération, qui est en jeu entre ces deux extrémités (idéales).

Nota bene : Ceci est écrit sans avoir lu attentivement votre dernier message. Je n'ai pas suffisamment de loisir pour « suivre » le rythme de votre production.

Bien à vous

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar NaOh » 31 déc. 2014, 18:50

A Lechat

Vous écrivez :
« En revanche je ne suis pas convaincu par le dernier message de NaOh qui dit : "est dit conforme à notre nature ce qui tend à être identique à notre nature". Avec les notions communes, on peut se passer de ça. »

Que voulez vous dire ? Voulez vous dire que dans une notion commune je suis affecté par quelque chose de différent de moi ? Je suppose que non, car autrement à quoi bon parler de quelque chose de commun entre moi et la chose qui m'affecte ?. Mais alors si cette chose ou cette partie de chose qui m'affecte dans une notion commune n'est ni différente ni identique à moi ou du moins à quelque partie de moi quel troisième terme envisagez vous ?

Ensuite :

« Deuxièmement on peut constituer un sur-individu (un couple par exemple), autrement dit on peut s'accorder avec un autre, sans pour autant être identique. »

Oui mais dans un couple dont les effets sont « désaccordés » autrement :« Que si plusieurs individus concourent à une certaine action de telle façon qu'ils soient tous ensemble la cause d'un même effet, je les considère, sous ce point de vue, comme une seule chose singulière. » Nieriez-vous par hasard que cette "chose singulière" soit identique à elle même ?

Enfin :

« Enfin je pense que l'expression "nature semblable" est à prendre avec des pincettes (contrairement à "nature conforme"). Elle est utilisée par Spinoza dans le livre 3 quand il parle de l'imitation des affects, mais il semble que c'est une imagination et non une réalité (il n'y a pas de nature semblable mais des natures que l'on juge semblables). Cf ce qu'en dit Miam dans ce fil :connaissance/similitudes et notions communes »

Je ne suis pas d'accord car il y a lieu de distinguer ce que nous imaginons être semblable et ce qui est semblable. Ainsi, il y a une communauté d'espèce entre les hommes qui les rend effectivement semblables. Spinoza ne le nie pas qui affirme « Rien ne peut être plus conforme à la nature d'une chose que les autres individus de la même espèce, et conséquemment (par le chapitre 7) rien ne peut être plus utile à l'homme pour conserver son être et jouir de la vie raisonnable que l'homme lui-même quand la raison le conduit. »

Bien à vous.

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar Lechat » 31 déc. 2014, 19:38

Bonsoir NaOh, merci pour votre réponse qui va me demander un peu de réflexion donc je ne vais pas y répondre tout de suite. En revanche comme je participe au concours du dernier post 2014 et que j'ai pensé à un contrexemple à votre dernier message à Vanleers (tout au moins un paradoxe). Je vous le livre :

NaOh a écrit :Que maintenant le conatus soit toujours déterminé par l’action des causes extérieures à opérer de telle ou telle façon signifie seulement ceci : l’individu dans cette mesure n’est pas libre.


Quelqu'un qui découvre et comprend tout-de-suite le livre 1 de l'Ethique produit forcément des idées adéquates. Et ces idées viennent de causes extérieures.
solution : les notions communes mises en jeu dans l'affection et les déductions qui s'en suivent jouent le rôle de révélateur d'idées adéquates (donc identiques dans chaque être de raison et aussi en Dieu). Mais c'est bien l'affection d'une cause extérieure qui a créé cette activité.

Bonne soirée à tous. Ne grillez pas vos neurones pour continuer le débat en 2015.


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