Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Vanleers
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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar Vanleers » 24 déc. 2014, 19:01

A Ulis

La réponse est catégoriquement non si on veut bien comprendre ce que signifie l’expression « faire cause commune avec ce qui nous détermine ».
Par définition, nous faisons cause commune avec ce qui nous détermine lorsque nous sommes dans la situation que décrit Julien Busse dans cet extrait que je cite à nouveau :

« Si l’activité d’un corps A est déterminée par l’activité d’un corps B à travers une loi commune à l’une et l’autre activité, alors, relativement à cette loi commune, on ne peut dire que A pâtit absolument de l’action de B, puisque, par hypothèse, cette partie commune de l’affection de A par B s’explique autant par la nature de B que par la nature de A ; autrement dit, A est cause adéquate, et non partielle, de cette partie de l’affection de A par B qui obéit à une loi également présente en A et en B. »

Dans cette situation, nous sommes nécessairement cause adéquate de ce que nous produisons, donc actif, cette fois au sens de Spinoza (E III déf. 2). Nous ne pouvons donc éprouver un affect de tristesse qui marquerait une diminution de puissance.

Bien à vous

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar Ulis » 24 déc. 2014, 22:40

@ Vanleers
Vous dîtes:
comprendre ce que signifie l’expression « faire cause commune avec ce qui nous détermine » Oui, être en accord avec ce qui nous contraint, mais encore ?
Je vous pose une question dont l'énoncé est limpide et vous me répondez par une citation confuse de Busse.
Je persiste à dire que l'on peut faire cause commune avec ce qui nous détermine et pour autant, par erreur ou par volonté funeste..., ne pas maximiser son effort pour persévérer dans son être. Or, pour Spinoza, nous n'agissons librement que dans l'hypothèse ou cet acte à pour effet de renforcer notre utilité - et d'autant plus librement que l'acte nous est utile.
Vous semblez penser qu'un dément, déterminé à se pendre et "estimant vivre plus commodément suspendu au gibet qu'assis à sa table" Lettre XXIV- soit libre d'y satisfaire.
cordialement

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar hokousai » 25 déc. 2014, 02:08

SI la cause qui me détermine est extérieure, je peux faire cause commune mais alors je la subis.
La pesanteur par exemple

ce qu'explique Julien Busse.( sans donner d' exemple précis )
« Si l’activité d’un corps A est déterminée par l’activité d’un corps B à travers une loi commune à l’une et l’autre activité, alors, relativement à cette loi commune, on ne peut dire que A pâtit absolument de l’action de B,

en revanche je ne suis pas d'accord avec la suite
cette partie commune de l’affection de A par B s’explique autant par la nature de B que par la nature de A ;
Certainement pas autant et pas à égalité. la pesanteur ne s' explique pas autant par B ( le cosmos et ses lois ) que par A (un corps singulier).


Mais je veux bien encore accorder cela, que dit Busse .
autrement dit, A est cause adéquate, et non partielle, de cette partie de l’affection de A par B qui obéit à une loi également présente en A et en B. »
au sens où la partie de mon corps se rapportant à la pesanteur est "cause adéquate" de la pesanteur qu'il subit.

Mais pas plus que le bois enflammé est cause adéquate de sa crémation.
Que le sel est cause adéquate de sa dissolution dans l'eau.
Que l' eau cause adéquate de son humidité
Et l'opium de sa dormitivité

Que l'aveugle est cause adéquate de sa cécité.
Que l'homme têtu est cause adéquate de ses jugements bornés ...

On n' avance guère sur le chemin de la compréhension de la liberté.


Mais supposons l'idée du suicide.. Idée extérieure pour Spinoza. Il est là fort déconseillé par Spinoza soi-même de faire cause commune avec cette cause extérieure.
Spinoza prétend même que cela est impossible.
Et pourtant certains se suicident.
N' ont- ils pas fait cause commune ? Et ne se sont-ils pas montrés dans ce cas actif( sans engendrer de Joie semble -t- il)
A moins qu' ils ne fussent passifs
et dans ce cas faire cause commune peut aussi être de la passivité .

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar hokousai » 25 déc. 2014, 22:38

J 'ajoute ce qui doit quand même être remarqué dans la citation de Busse :
Busse a écrit :« Si l’activité d’un corps A est déterminée par l’activité d’un corps B à travers une loi commune à l’une et l’autre activité, alors, relativement à cette loi commune, on ne peut dire que A pâtit absolument de l’action de B, puisque, par hypothèse, cette partie commune de l’affection de A par B s’explique autant par la nature de B que par la nature de A ; autrement dit, A est cause adéquate, et non partielle, de cette partie de l’affection de A par B qui obéit à une loi également présente en A et en B. »


Il y a confusion de deux (ou de trois ) causalités. Aristote distingue finement la causalité motrice des causalités matérielle et la formelle.

Du point de vue post newtonien:
je suis un corps soumis à la pesanteur par causalité motrice du point de vue de l'action exercé sur moi par le cosmos via la loi de la gravitation .
Mais la gravitation n'a pas la nature ou forme d' un corps individué. Un corps est pesant s' il est soumis à la pesanteur mais n'est pas pesant essentiellement. Le corps A pâtit de la pesanteur ou n'en pâtit pas. C' est selon la cause motrice extérieure pas selon la cause formelle/matérielle ( qui est l' essence de A ).

Pour une physique classique un corps A subit la pesanteur mais reste égal à lui même hors sa masse ( variable).

Dans le cas de la pesanteur on ne peut dire que l’agent A est cause adéquate de l’effet produit, c’est dire que l’effet peut se percevoir clairement et distinctement par lui car :
Avant Newton peut -être mais pas après
. On ne comprend plus après Newton que la masse d' un corps soit causée par le corps.
On a abandonné la cause formelle/matérielle
.................................
antérieurement à Newton on a par exemple 1620
Voir Corps de toute la philosophie divisé en deux parties... par démonstration et auctorité d'Aristote, avec esclarcissement de sa doctrine par luy-mesme, par maistre Théophraste Bouju, sieur de Beaulieu,...LIVRE 3 page 98

Bouju de Beaulieu a écrit :la matière est tout de même comme la forme dite cause efficient par découlement de propriétés qui fluent d' elles : à savoir la pesanteur, la grandeur,la hauteur …

la pesanteur est un accident formel et par conséquent n'a pas de matière, mais ces le sujet où il adhères qui en a....

il ne se peut rein démontrer par la cause formelle ni par la cause matérielle, que certains accidents, qui sont les propriétés des sujets dont elles sont matière et forme , la pesanteur est un accident formel et par conséquent n'a pas de matière, mais c'est le sujet où il adhère qui en a.

..............................

Mais bref.
Toutes ces considérations n' ont guère à voir avec la liberté.

Les remarques de naOh et d' Ulis semblent tout à fait pertinentes.

Incombe à Vanleers de mieux ré-expliquer un point de vue apparemment difficile à partager.

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar Vanleers » 26 déc. 2014, 15:14

Dans l’extrait déjà cité deux fois, Julien Busse écrit :

« Si l’activité d’un corps A est déterminée par l’activité d’un corps B à travers une loi commune à l’une et l’autre activité… »

Que faut-il entendre par « loi commune à l’une et l’autre activité » ?
Autrement dit, qu’est-ce que la loi qui régit l’activité d’un corps A, qui, ici, est la même que celle qui régit l’activité d’un corps B ?
La loi qui régit l’activité d’un corps A, c’est la loi qui régit sa puissance d’agir. Il lui correspond la loi qui régit la puissance de penser de l’esprit, idée de ce corps, puissance d’agir et puissance de penser étant les deux aspects de la puissance d’être de l’individu.
Cette puissance d’être c’est l’essence de l’individu et, s’agissant de l’homme, Spinoza écrit dans la démonstration d’E IV 21, que « le désir de vivre heureux […] est l’essence même de l’homme, c’est-à-dire l’effort par lequel chacun s’efforce de conserver son être ».
Il précise en E IV 20 que conserver son être, c’est s’efforcer de rechercher son utile et indique, au début du scolie, que :

« Personne donc, à moins d’être vaincu par des causes extérieures et contraires à sa nature, ne néglige d’aspirer à son utile, autrement dit, de conserver son être. »

Dès lors, il est clair que « faire cause commune » ne peut se dire que lorsque ce qui détermine un individu, et donc l’affecte, augmente et aide sa puissance d’être.

Si un individu a la volonté funeste de se suicider, c’est qu’il y est contraint par des causes extérieures (E IV 20 sc.) et on ne saurait dire, dans ce cas, qu’il fait cause commune avec ces causes dont la loi d’activité est contraire à la sienne qui comme pour toute chose singulière, est de persévérer dans l’être.
Il y a lieu de noter que, en règle générale, l’individu ne fera cause commune avec ce qui le détermine que partiellement et ne concernera que « cette partie de l’affection de A par B qui obéit à une loi également présente en A et en B. » (J. Busse)
Ajoutons que l’ignorant au sens de Spinoza fait peu cause commune avec ce qui le détermine car « les causes extérieures l’agitent de bien des manières » (E V 42 sc.). Cet état d’ignorance, au moins partielle, est d’ailleurs inévitable (E IV 4).
Le projet éthique de Spinoza peut se libeller ainsi : « Comment faire de plus en plus cause commune avec ce qui nous détermine ? »

Gilles Deleuze illustre le « faire cause commune » par l’exemple de la composition d’un corps avec une vague, en :
http://spinoza.fr/les-genres-de-connais ... s-deleuze/

« Vous n’êtes plus au régime des idées inadéquates, à savoir : l’effet d’une partie sur les miennes, l’effet d’une partie extérieure ou l’effet d’un corps extérieur sur le mien. Là vous atteignez un domaine beaucoup plus profond qui est la composition des rapports caractéristiques d’un corps avec les rapports caractéristiques d’un autre corps. Et cette espèce de souplesse ou de rythme qui fait que quand vous présentez votre corps, et dès lors votre âme aussi, vous présentez votre âme ou votre corps sous le rapport qui se compose le plus directement avec le rapport de l’autre. Vous sentez bien que c’est un étrange bonheur. Voilà, c’est le second genre de connaissance. »

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar hokousai » 26 déc. 2014, 16:33

à Vanleers

Certes.
Je ne m'oppose pas à "faire cause commune". Je soulève la question de l' hétérogénéité des causes . Etre déplacé par/dans un mobile ( un train ) et se déplacer dans ce train ne relève pas de causes semblables . Seulement analogues en ce qu'elles se réfèrent au mouvement.
Les sièges du train sont déplacés. Si mon corps se déplace( je marche par exemple dans ce train ) c'est qu'il y a une cause autre et supplémentaire .
Deux causes peuvent- elles être instituées ( par moi ) comme commune quand elles sont hétérogènes.

Dans le cas du passager du train il me semble que faire cause commune avec le train c est (surtout) ne pas bouger )!!! Mais comment puis- je dire alors que je suis actif?
Et surtout autant et a égalité que quand je vais marcher dans le train. le sens commun ( que je n'ose invoquer! ) vous dira que je suis actif quand je marche.

...........................
La position théorique de Deleuze est externaliste ( et celle de Spinoza aussi très majoritairement).

Ce qui se voit dans ce que dit Deleuze
Deleuze a écrit :Mourir, ça ne veut dire qu’une chose, c’est que les parties qui m’appartenaient sous tel ou tel rapport sont déterminées du dehors à rentrer sous un autre rapport qui ne me caractérise pas, mais qui caractérise autre chose.

C' est théorique et de mon point de vue contestable. Et là je conteste la pertinence de Spinoza .( ce n'est pas nouveau chez moi )
La mort y est conçue comme causée ( exclusivement ) par des causes extérieures. Elle est exclue de l'essence propre de l'individu vivant ( son intérieur ).
La mort est vue comme négativité. Elle n'est pas vue comme nécessaire à la Vie et comme une vie de la Vie de l'individu .
Thèse théorique que je refuse.

( et les questions telles que vous les posez renvoient aussi profondément dans le théorique )

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar NaOh » 26 déc. 2014, 22:30

A Vanleers,

Merci pour ces éléments de réponses qui, je vous le dis franchement, ne me satisfont qu'à moitié. Cependant vous me permettez d'affiner ma critique. J'avais à l'esprit que vous souteniez une conception du type de Sénèque dont Ulis a opportunément rappelé la formulation. Vous niez soutenir une conception de ce genre dont acte.

Compte tenu de vos éclaircissements sur ce que c'est que faire commune avec les causes extérieures il m’apparaît qu'il devient incohérent de continuer à parler d'hétéro-détermination, et même d'extériorité. Et je maintiendrai texte à l'appui que lorsque Spinoza explique qu'être cause adéquate de ses opérations ( être « actif » donc) c'est pouvoir produire des effets qui dérive de la nature de l'agent considérée seule, il entend bien par là exclure la considération du pouvoir causal des choses extérieures.

En ce qui concerne le premier point, les auteurs que vous invoquez à l'appui de votre thèse, ou bien sont d'une trop grande subtilité pour moi, ou bien se contredisent. En effet le nerf de l'argument est le suivant : « Être actif signifie être déterminé par un autre à travers ce que l’on a de commun avec lui »

Or cette proposition, si je ne m'abuse, contient quelque chose de contradictoire. De deux choses l'une en effet : ou bien dans cette affection commune j'agis, et en raison de cette communauté précisément il n'y a pas de sens à parler d'un autre qui agirait sur moi, c'est moi qui agis et dans la communauté justement la différence entre moi et non moi s'évanouit. Ou bien c'est un autre qui agit sur moi et en tant qu'il est autre, en tant qu'il est altérité, nous n'avons rien de commun ensemble et agissant sur moi comme un agent étranger, je suis passif. Si il y a cause commune, il n'y a plus d’altérite et si il y a altérité il n'y a plus de cause commune.

Or les formules que vous invoquez à l'appui de votre position mêlent allègrement ces deux choses alors qu'elles s'excluent. Et vous-même arrivez à en tirer que nous sommes à la fois libre et hétéro-déterminé, ce qui à moins de faire subir au concept de liberté une extraordinaire contorsion, indique qu'il y a un problème.

N'oubliez pas à ce sujet que «  Personne ne s'efforce de conserver son être à cause d'une autre chose que soi-même. »

Or comme la liberté consiste à maximiser cet effort de se conserver soi même, vous admettrez que le terme de liberté s’accommode assez mal de celui "d'hétéro-détermination".

En ce qui concerne le deuxième point, à savoir que Spinoza entend bien, lorsqu'il évoque la liberté humaine, exclure la causalité des choses extérieures, je soumettrai à votre perspicacité l'extrait suivant d'Ethique IV :


Proposition: Le désir qui naît de la connaissance vraie du bien et du mal peut être étouffé ou empêché par beaucoup d'autres désirs qui naissent des affects dont notre âme est agitée en sens divers.
Démonstration : De la connaissance vraie du bien et du mal, en tant qu'elle est un affect (par la proposition 8, partie 4), provient nécessairement un désir (par la définition 1 des affects), lequel est d'autant plus fort que l'affect d'où il provient est lui-même plus fort (par la proposition 37, partie 3) ; mais comme ce désir (par hypothèse) naît de ce que nous avons une connaissance vraie, il s'ensuit qu'il est en nous, en tant que nous agissons (par la proposition 3, partie 3), et partant qu'il doit être conçu par notre seule essence (par la définition 2, partie 3), et que sa force et son accroissement doivent se mesurer par la seule puissance de l'homme (par la proposition 7, partie 3). Or, les désirs qui naissent des affects qui agitent notre âme en sens divers sont d'autant plus forts que ces affects ont plus d'énergie, et par conséquent leur force et leur accroissement (par la proposition 5, partie 4) doivent se mesurer par la puissance des causes extérieures, laquelle, si on la compare à la nôtre, la surpasse indéfiniment (par la proposition 3, partie 4) ; et ainsi donc les désirs qui naissent d'affects semblables peuvent être plus forts que celui qui naît de la connaissance vraie du bien et du mal, et partant (par la proposition 7, partie 4) ils peuvent étouffer ou empêcher ce désir. C.Q.F.D.

Je m’intéresse ici non pas à la proposition mais à sa démonstration. Car il est bien évident que dans cette démonstration c'est l'essence seule de l'individu ( à l'exclusion des causes extérieure) qui est considérée et comparée à la puissance des causes extérieures. Et si la servitude consiste en ce que notre puissance est comparativement plus faible que celle des choses extérieures, inversement il est clair que notre liberté consistera dans le fait que notre puissance est comparativement plus forte que celle des choses extérieures.Mais si ces choses là s'établissent par comparaison, il est à nouveau bien clair que la nature humaine doit pouvoir être considérée seule ( à l'exclusion de toute influence externe) si l'on veut que l'acte de les comparer avec la puissance des causes extérieures ait un sens.

Voici donc qui clôt ma première série de remarques, j'en ferai d'autres si j'ai le temps concernant ce que j'ai appelé la « liberté-maîtrise » et que vous imputez-bien à tort croyez moi- à un supposé cartésianisme de ma part. Il y a en effet de nombreux textes en Éthique IV qui accréditent ma façon de voir. Mais j'y reviendrai encore une fois si j'ai le temps de le faire.

Bien à vous.

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar hokousai » 27 déc. 2014, 10:10

Sur Deleuze
voir ce cours très explicite sur la question de la MORT .

Deleuze a écrit :Mais je me sens, je me sens vraiment spinoziste, en 1980 - alors je peux répondre à la question, uniquement pour mon compte : qu’est-ce que ça veut dire pour moi me sentir spinoziste ?

- Et bien ça veut dire être prêt à admirer, à signer si je le pouvais, la phrase : "la mort vient toujours du dehors". La mort vient toujours du dehors. La mort vient toujours de dehors, c’est-à-dire la mort n’est pas un processus.


http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=70
"la mort n’est pas un processus" opinion que je rejette.

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar Vanleers » 27 déc. 2014, 16:43

A NaOh

Je vais essayer de répondre à vos objections mais, auparavant, laissez-moi vous recommander le livre de Pascal Sévérac : « Spinoza. Union et Désunion » (Vrin 2011) et, en particulier, les pages 145 à 155 qui concernent directement notre sujet. Je m’en inspirerai pour vous répondre et le citerai plusieurs fois.

1) P. Sévérac rappelle que :

« […] pâtir signifie d’abord produire soi-même, quoique de manière imparfaite, un certain effet.
De cette idée, nous devons tirer une conséquence essentielle pour la compréhension de l’éthique spinoziste : le concept de passivité ne saurait être identifié, purement et simplement, au concept de contrainte. La contrainte consiste dans le fait d’être déterminé par autre chose, ab alio (E I déf. 7) » (pp. 146-147)

a) Produire un certain effet de manière imparfaite, c’est n’en être la cause que partielle (E III déf. 2)
b) Dieu étant la seule chose qui ne peut être déterminée par autre chose, Dieu seul est libre au sens d’E I déf. 7. Tous les modes sont nécessairement contraints, ce qui ne veut pas dire nécessairement passifs.

2) Agir, c’est produire un effet qui peut s’expliquer par moi seul. Ceci n’est pas contradictoire avec l’idée que cet effet puisse s’expliquer, aussi, par la conjonction de causes extérieures et de moi-même. Pourquoi voulez-vous que cela entraîne que la différence entre moi et ces causes extérieures s’évanouisse ? Je ne vois pas le raisonnement.
D’autre part, je vous rappelle que si des choses extérieures n’ont rien de commun avec moi, elles ne peuvent en aucune façon agir sur moi (E I 3)

3) Ce serait en effet au prix d’une « extraordinaire contorsion » que nous prétendrions devenir libres au sens de la liberté de Dieu, ce qui serait une contradictio in terminis. Relisez le début de la Préface de la partie V de l’Ethique pour voir en quoi consiste ce que Spinoza entend par liberté humaine.

4) Vous citez E IV 25 :

« Personne ne s’efforce de conserver son être en raison d’une autre chose. » (traduction Misrahi)

Je vous signale que Pautrat traduit par :

« Nul ne s’efforce de conserver son être en vue d’autre chose. »

Notez le « en vue », qui n’est pas le « en raison » mais laissons cela et examinons la première démonstration de la proposition (car il y en a deux).
Elle consiste simplement à rassembler E III 6 et E III 7 pour dire que l’essence d’une chose n’est rien à part l’effort de conserver son être. Je ne vois pas ce que vous pouvez en tirer en faveur de votre thèse.

5) Venons-en maintenant à la démonstration d’E IV 15 que vous citez in extenso et que je reprends en partie :

« […] mais comme ce désir (par hypothèse) naît de ce que nous avons une connaissance vraie, il s'ensuit qu'il est en nous, en tant que nous agissons (par la proposition 3, partie 3), et partant qu'il doit être conçu par notre seule essence (par la définition 2, partie 3), et que sa force et son accroissement doivent se mesurer par la seule puissance de l'homme (par la proposition 7, partie 3). »

Spinoza écrit ici que ce désir « DOIT être conçu par notre seule essence (par la définition 2, partie 3) » alors que, dans la définition à laquelle il se réfère, il a écrit : « […] quelque chose qui PEUT se comprendre clairement et distinctement par elle seule. »
Comment comprendre le « doit » (et ce « doivent ») de la démonstration alors qu’il n’est pas question de « doit » mais de « peut » dans la définition qui fonde le « doit » ?
Je vous invite à remplacer « doit » par « peut » dans la démonstration et vous constaterez que celle-ci tient encore.
En effet, qu’est-ce que Spinoza cherche à démontrer ?
La vraie connaissance du bien et du mal qu’éprouve tel homme particulier est un affect actif, donc qui peut s’expliquer par cet homme seul. De cet affect naîtra un désir qui, lui aussi, pourra s’expliquer par cet homme seul. Ce désir sera donc susceptible d’être réprimé par tout désir né d’un affect provoqué par des causes extérieures plus fortes que cet homme particulier, ce qui est tout à fait possible comme l’a démontré E IV 3.
Autrement dit, il suffit à Spinoza de savoir que cet homme particulier peut être considéré comme cause totale du désir qui naît de sa connaissance vraie du bien et du mal pour limiter la force de ce désir à cet homme et faire jouer E IV 3.
Vous ne pouvez donc en tirer aucun argument en votre faveur.

6) Vous pourriez encore vous demander si, à la lumière de la démonstration d’E IV 15 le « peut » d’E III déf. 2 ne devrait pas être remplacé par un « doit ».
Mais ce serait faire fi d’E II 9, qui se réfère à E I 28 comme je l’ai déjà indiqué dans un précédent message.
Je termine par une longue citation de Sévérac que j’ai déjà donnée :

« Comment est-il dès lors possible, pour un esprit comme pour un corps, de devenir actif ? Comment une chose finie peut-elle être à la fois contrainte et active ? Ce ne peut être que parce que la causalité de la cause extérieure par laquelle cette chose est contrainte n’est pas différente de la causalité par laquelle cette chose produit activement son effet : certes, la cause extérieure existe bel et bien, et détermine la chose finie à opérer, c’est-à-dire ici à agir (c’est là la leçon de la proposition 28 d’Ethique I) ; mais l’effet qu’est déterminée à produire cette chose finie n’en demeure pas moins compréhensible par les lois de sa seule nature, et c’est pourquoi elle est active (ce sont là les définitions 1 et 2 de la partie III). La définition de l’agir dit bien, se fondant sur celle de la causalité adéquate : est active une chose dont l’effet « peut être compris clairement et distinctement par elle seule ». Ce qui signifie non pas qu’un tel effet ne puisse pas être compris AUSSI par une cause extérieure (dont la causalité serait commune avec celle de la chose active), mais qu’il SUFFIT de prendre en considération la seule nature de la chose productive pour avoir la causalité totale de l’effet produit. C’est pourquoi un esprit fini jamais ne s’autodétermine seul à former une idée, au sens où il ne serait déterminé par rien d’autre ; mais s’il est déterminé à produire son idée par une autre idée, suivant une causalité qui ne se distingue pas des lois de sa propre nature, suivant une causalité commune à sa nature et à celle de sa cause extérieure, en somme suivant une propriété commune, alors son effet peut s’expliquer par lui seul : en ce sens, il est extérieurement déterminé à s’autodéterminer. » (p. 149)

Bien à vous

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Re: Sartre et Spinoza au sujet de la liberté + R. Misrahi

Messagepar Ulis » 27 déc. 2014, 21:24

Cher Hokousaï
Vous dîtes
"la mort n’est pas un processus" opinion que je rejette.
Sur ce point, je suis totalement en accord avec Deleuze, donc en désaccord avec vous.
Le conatus ne s'oppose-t-il pas à tout processus d'obsolescence de notre être ?
Bien à vous


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