Volonté et intellect

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Alexandre_VI
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Volonté et intellect

Messagepar Alexandre_VI » 02 juil. 2014, 23:53

Bonjour,

Une des choses que je comprends le moins dans le spinozisme, c'est la réduction de la volonté à l'intellect, ou en tout cas des volitions à des actes intellectuels.

L'intellect, après tout, essaie d'accepter la réalité telle qu'elle est. C'est la démarche du scientifique et du philosophe spéculatif, le respect du réel.

La volonté se contente parfois de ce qui est, comme l'intellect, mais elle essaie souvent d'apporter un changement à la situation présente, dans le sens des intérêts du sujet et de ses alliés.

Bref, l'intellect est une puissance d'acceptation de ce qui est, tandis que la volonté est une puissance de transformation de ce qui est (ou du moins, elle a le choix entre acceptation et transformation).

Comment réduire l'une à l'autre?

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hokousai
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Re: Volonté et intellect

Messagepar hokousai » 04 juil. 2014, 00:04

à Yves

L'intellect, après tout, essaie d'accepter la réalité telle qu'elle est
. Il faut te placer dans des situation où tu estimes que le mot volonté est approprié . Du très simple "je veux me lever " à "je veux escalader l' Annapurna" ... en passant par je veux changer le monde. Dans ces trois cas il y a une idée; l'affirmation d une idée qui si je la lâche me fait renoncer à la volonté que j 'avais . C'est bien une question d'intellect .
L''idée de faire une action ( corporelle ou intellectuelle ) est un projet mais faire c'est la volition.. .Sinon c'est un souhait et par un acte de volonté .

Mais nous avons des idées insuffisamment fortes et qui ne produisent pas de volitions ou pas celle qu'on souhaitait.
Donc une question d'énergie .( le courage si l'on veut ). "Avoir de la volonté" c'est avoir des idée telles que je mène à bien en acte l' idée ( le projet ).
Mais ne pas en avoir ?
Est- ce que c'est de la seule puissance de l'idée ? Spinoza pense que oui.
Mais d'où viennent ces idée fortes ( adéquates dirait- il ) ?

Si c'est l'idée d'un mouvement de mon corps , autant mon corps est fort , valide, apte à bouger autant l' accord entre l'idée et le corps persistera .(idem d' un esprit apte à une activité intellectuelle ).
Mais pour moi, ça déborde alors l'idée. Il y a des causes relatives à l'énergie déployable.
Donc je dirais que nous ne pouvons vouloir cette énergie ( une autre façon de dire que nous ne pouvons vouloir notre volonté ).
Nous sommes en quelque sorte envahi ou possédé (ou investi) par les idées fortes ( ou pas du tout ).

bon j 'essaie de rester dans le contexte spinoziste .. alors que toi y est extérieur... ce n'est pas un reproche :wink:

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Re: Volonté et intellect

Messagepar Alexandre_VI » 04 juil. 2014, 00:28

Cher Paul Herr Jean-Luc,

Mais nous avons des idées insuffisamment fortes et qui ne produisent pas de volitions ou pas celle qu'on souhaitait.


Pour moi ce n'est pas une question de force d'idées.

Certaines idées nous présentent des choses comme étant bonnes ou mauvaises, et peuvent effectivement inciter à l'action.

D'autres idées ne considèrent pas les choses sous cet angle, mais plutôt sous l'angle d'une connaissance pure, et ne mènent pas normalement à une action précise. Si je lis un livre sur la théorie de la relativité, j'en retire du savoir, donc des idées, mais pas d'inclinations particulières à agir.

Cependant, il y a une troisième catégorie d'idées, qui présente des choses comme étant bonnes et mauvaises sans en avoir l'air, sous couvert d'une recherche "objective" de la vérité, mais en réalité dans une visée idéologique de pouvoir. Certains discours psychiatriques, économiques ou sexologiques s'apparentent à cela.

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Re: Volonté et intellect

Messagepar hokousai » 05 juil. 2014, 00:29

à Yves

Je pense que Spinoza est dans une polémique avec Descartes . Spinoza voit la volonté dans l''affirmation alors que Descartes la voit dans le choix. Pour Spinoza on ne choisit pas on affirme ( une idée) et c'est une volition.

Spinoza a écrit :Nous avons dit que l’âme humaine était une chose pensante, d’où suit que, par sa seule nature et considérée en elle-même, elle peut faire quelque action, à savoir penser, c’est-à-dire affirmer et nier. Mais ces pensées, ou bien sont déterminées par des choses placées hors de l’âme humaine, ou bien le sont par l’âme elle-même ; puisqu’elle est elle-même une substance de l’essence pensante de laquelle beaucoup d’actes de pensée peuvent et doivent suivre. Ce sont ces actes de pensée qui n’ont aucune autre cause que l’âme humaine que nous appelons des volitions. Pour l’âme humaine, en tant qu’elle est conçue comme cause suffisant à produire de tels actes, elle s’appelle volonté.


Si par volonté vous entendez une chose dépouillée de toute pensée, nous accordons que la volonté est indéterminée de sa nature. Mais nous nions que la volonté soit quelque chose qui soit dépouillé de toute pensée et nous affirmons au contraire qu’elle est pensée, c’est-à-dire puissance d’affirmer et de nier ; par quoi l’on ne peut entendre autre chose que cause suffisante pour l’un comme pour l’autre. Nous nions en outre également que, si la volonté était indéterminée, c’est-à-dire dépouillée de toute pensée, une cause adventice quelconque*, autre que Dieu par sa puissance de créer, pourrait la déterminer. Concevoir en effet une chose pensante sans aucune pensée, c’est tout de même que si l’on voulait concevoir une chose étendue sans étendue.

* là il vise la volonté libre comme faculté , le libre arbitre chez Descartes

C 'est dans "pensées métaphysiques "
peut- être qu' ensuite Spinoza a évolué sur sa doctrine mais pas sur ces idées là.


L' acte corporel c'est à dire la relation idée /corps est une autre question. Mais de mon point de vue il n'y a volition, c'est à dire affirmation de l'idée de ce que je veux que dans l'acte effectué .

j'en retire du savoir, donc des idées, mais pas d'inclinations particulières à agir.
Spinoza dit que tout est du même genre et du genre de l'affirmation d idées .
Il va ranger ce qui ne te semble pas '' inclinations particulières à agir sous le genre "affirmation".
C' est à dire qu'il voit un phénomène plus général, et très général, qui englobe diverses activités ( et penser ... un peu passivement te semble- t -il :) ...est une activité .

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Re: Volonté et intellect

Messagepar Alexandre_VI » 06 juil. 2014, 22:30

Cher Paul Herr Jean-Luc,

La perspective de Spinoza est étrange... Je peux me figurer que des idées causent des volitions, ou en tout cas les inspirent, mais les idées sont bien distinctes des volitions. Elles sont souvent associées, c'est vrai, mais ce n'est pas une raison pour les confondre.

Enfin, je ne dis pas que Spinoza a tort sur toute la ligne, parfois les idées originales sont plus vraies que les idées courantes, mais sa pensée est sur ce point passablement contre-intuitive. Dans le cerveau ce ne sont pas les mêmes aires qui analysent l'information et qui initient des mouvements volontaires ou qui contrôlent les désirs pulsionnels.

L'affirmation, c'est classiquement une modalité de la deuxième opération de l'intelligence, là où l'esprit lie ensemble deux idées pour émettre un jugement, qu'on appelle aussi proposition quand il est exprimé verbalement. L'affirmation peut être spontanée si le lien entre deux idées est d'une évidence éclatante, ou bien elle peut être effectuée par un acte contingent de volonté, quand le lien entre les idées n'est pas complètement évident, mais la personne pense qu'il vaut mieux affirmer que nier ou suspendre son jugement...

Je suis assez proche philosophiquement de Descartes, dans la mesure où j'ai tendance à analyser le monde à partir de ses catégories, sa grille de lecture.

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Re: Volonté et intellect

Messagepar NaOh » 12 juil. 2014, 18:20

Bonjour,

Une des choses que je comprends le moins dans le spinozisme, c'est la réduction de la volonté à l'intellect, ou en tout cas des volitions à des actes intellectuels.

L'intellect, après tout, essaie d'accepter la réalité telle qu'elle est. C'est la démarche du scientifique et du philosophe spéculatif, le respect du réel.

La volonté se contente parfois de ce qui est, comme l'intellect, mais elle essaie souvent d'apporter un changement à la situation présente, dans le sens des intérêts du sujet et de ses alliés.

Bref, l'intellect est une puissance d'acceptation de ce qui est, tandis que la volonté est une puissance de transformation de ce qui est (ou du moins, elle a le choix entre acceptation et transformation).

Comment réduire l'une à l'autre?


Bonjour,

Pour répondre à votre question il faut tout d’abord veiller à être précis concernant la thèse que soutient réellement Spinoza.
Il écrit dans l’Ethique : il convient de noter ici que j'entends par volonté la faculté d'affirmer ou de nier, mais non pas le désir. J'entends, veux-je dire, la faculté par laquelle l'Esprit affirme ou nie ce qui est vrai ou faux, et non pas le désir par lequel l'Esprit poursuit les objets ou bien les fuit.

Ainsi, il faut restreindre la portée de cette thèse à la « faculté d’affirmer ou de nier le vrai et le faux » car c’est elle dont Spinoza affirme qu’elle est identique à la faculté de concevoir. Votre affirmation selon laquelle la volonté dispose à l’action dans le sens des intérêts de l’agent est peut-être fondée, mais ce n’est pas cela que Spinoza affirme être identique à l’entendement.

Maintenant je concède qu’il est étrange d’appeler « volonté » la faculté de nier et d’affirmer la vérité ou la fausseté de quelque chose. Mais pour bien comprendre ceci, il faut avoir à l’esprit le contexte de polémique avec le cartésianisme qui est celui de la proposition 48 et des suivantes. C’est Descartes qui, en effet, soutient le premier que la faculté de nier et d’affirmer la fausseté et la vérité est le fait de la volonté.

Pour Descartes, la volonté consiste seulement en ce que nous pouvons faire une chose, ou ne la faire pas (c'est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir), ou plutôt seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l'entendement nous propose, nous agissons en telle sorte que nous ne sentons point qu'aucune force extérieure nous y contraigne.


Cet extrait des Méditations Métaphysiques explicite la doctrine Cartésienne de l’erreur : nous nous trompons lorsque nous affirmons, alors que nous n’avons qu’une idée confuse d’une chose, qu’il en va en réalité « comme l’entendement nous le propose » concernant cette chose. On pourrait dire : la volonté affirme ou nie une conception de l’entendement en ce sens qu’elle ajoute à l’idée, l’équivalent mental de « il en est ainsi » pour l’affirmation, « il n’en est pas ainsi » pour la négation.

Spinoza au contraire estime que l’affirmation et la négation ne sont pas des actes qui viennent s’ajouter à l’idée, comme des moments séparés, mais que l’affirmation et la négation sont des moments constitutifs de l’idée. Supposons, pour reprendre l’exemple de Spinoza dans la proposition 49, que l’esprit affirme que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits. C’est au sens définit par Descartes, une « volition ». C'est-à-dire l’affirmation par l’esprit que les trois angles etc. Or Spinoza montre sans peine que cette affirmation résulte de la seule perception (claire et distincte, toutefois) du triangle. Car cette affirmation ne peut se concevoir sans l'idée du triangle et réciproquement toute idée (claire et distincte) du triangle implique cette affirmation.

La question de savoir si Spinoza a raison ou tort d’affirmer l’identité de la volonté et de l’entendement doit donc tenir compte de la thèse Cartésienne qui introduit l’acte volontaire dans le jugement du vrai et du faux. Sans cela je doute même si Spinoza eût pris la peine de parler de « volonté » pour décrire les actes d'affirmation et de négation de l'esprit.
Mais qui de Spinoza ou Descartes a raison sur ce point ? C'est une question bien difficile à laquelle je n'essaierai pas de répondre aujourd'hui.

Bien à vous.

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Re: Volonté et intellect

Messagepar Alexandre_VI » 12 juil. 2014, 18:29

Merci pour ces éclaircissements, NaOh! :)

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Re: Volonté et intellect

Messagepar Vanleers » 12 juil. 2014, 20:17

A NaOh

Vous écrivez :

« Ainsi, il faut restreindre la portée de cette thèse à la « faculté d’affirmer ou de nier le vrai et le faux » car c’est elle dont Spinoza affirme qu’elle est identique à la faculté de concevoir. »

Cette formulation me paraît bien étrange puisque Spinoza démontre qu’il n’y a dans l’esprit aucune faculté absolue (début du scolie d’E II 48)

Quant à l’utilisation du triangle dans les démonstrations, j’ai essayé de la discuter en :

viewtopic.php?f=13&t=1318

Bien à vous

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Re: Volonté et intellect

Messagepar NaOh » 13 juil. 2014, 09:17

Bonjour Vanleers,

Sur le terme de faculté: Notez que Spinoza lui-même l'emploie dans ses formulations. Mais il n'était pas dans mon intention d'occulter que Spinoza critique la notion de faculté. Ce n'était simplement pas le sujet de mon message. Je reconnais bien volontiers que si nous voulions aller plus loin dans l'exposé de la thèse de « l'identité de la volonté et de l'intellect », il nous faudrait en passer par cette critique de la volonté comme  « faculté absolue ».

Sur le triangle : vos remarques sont intéressantes, mais elles ne touchent pas au présent sujet. J'aurais pu tout aussi bien me référer à l'exemple du cheval ailé qui vient un peu plus loin et qui est une idée inadéquate.

Pour dire quelques mots cependant : Je me trompe peut-être mais est-il correct d'appeler « triangle » un objet géométrique qui n'aurait pas, selon votre terminologie, la propriété P ? Autrement dit, un triangle dont les trois angles ne seraient pas égaux à deux droits, quoique ce puisse être dans une géométrie non-euclidienne, est-ce encore un « triangle » ?

Si d'aventure la réponse était négative cela conserverait une certaine nécessité à la propriété P relative à ce que nous concevons comme étant ou n'étant pas un triangle.

Bien à vous.

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Re: Volonté et intellect

Messagepar Vanleers » 13 juil. 2014, 10:21

A NaOh
1) Soyons plus précis puisque vous m’y invitez.
Vous écrivez que Spinoza affirme que la faculté d’affirmer ou de nier le vrai et le faux est identique à la faculté de concevoir, ce qui est manifestement faux.
Spinoza n’affirme rien de cela mais démontre que « La volonté et l’intellect sont une seule et même chose » (corollaire d’E II 49) et il n’est pas question de facultés.
La démonstration rappelle d’ailleurs que « La volonté et l’intellect ne sont rien à part les volitions singulières et les idées singulières elles-mêmes. »

2) Qu’est-ce qu’un triangle ?
On se donne trois points et on considère l’objet constitué par ces trois points et les segments de droite qui les joignent.
Qu’est-ce qu’un point et qu’est-ce qu’une droite ?
En tout cas, on peut en donner des définitions qui sont valables dans des géométries aussi bien euclidiennes que non-euclidiennes.
Il n’y a pas d’ambiguïté et on ne peut donc pas définir le triangle comme un objet qui, par définition, aurait la propriété P.

Bien à vous


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