Essence

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Messagepar Vanleers » 29 mai 2013, 15:55

A Hokousai

Dire que l’ego est un affect vous pose problème.

J’essaierai de justifier cette affirmation comme suit.

Référons-nous à la définition générale des affects (E III App.) :
« L’affect qu’on dit une Passion de l’âme est une idée confuse par laquelle l’Esprit affirme une force d’exister de son Corps, ou d’une partie de son Corps, plus grande ou moindre qu’auparavant, et dont la présence détermine l’Esprit à penser ceci plutôt que cela » (traduction Pautrat)

Examinons un comportement égotique tel que décrit sur le site bouddhique déjà cité :

« Le comportement égotique habituel est une attitude fermée, de protection et de défense, d’une part, de possessivité et de captation, d’autre part. Elle consiste à toujours prendre et garder pour soi ce qui est jugé bon, à exclure ce qui est jugé mauvais. »

Cherchant à comprendre un tel comportement, je dirai que l’esprit de l’homme qui y est sujet affirme « une force d’exister de son Corps, ou d’une partie de son Corps, plus grande ou moindre qu’auparavant » et que cette affirmation s’explique par une idée confuse dans son esprit.
J’ajouterai, en me référant à la Définition générale des affects, que la présence de cette idée confuse déterminera « l’Esprit à penser ceci plutôt que cela ».
Mais un affect étant l’idée d’une affection du corps (E III déf. 3), le corps, lui, sera déterminé à faire ceci plutôt que cela.

Je pense donc qu’en nous inspirant de Spinoza, nous sommes autorisés, en présence d’un comportement égotique, à parler d’un homme « en proie à l’ego » ou, plus précisément, d’un esprit affecté par l’ego.

Ne disons pas « en proie à son ego », ce qui serai redondant puisque :
« N’importe quel affect de chaque individu discorde de l’affect d’un autre autant que l’essence de l’un diffère de l’essence de l’autre » (E III 57)

Je ne parlerai donc pas, à propos de l’ego, de « pour-soi » ou de « par-soi ».
S’il faut parler de « lieu », je concède (avec Macherey, par exemple) que l’on peut considérer l’esprit comme un lieu où se forment des idées, notamment l’affect appelé ego.

En tout cas, en disant que l’ego est un affect, nous nous épargnons tout recours à des topiques et à des « instances » (freudiennes, existentialistes…) que je qualifierai d’obscures. De plus, nous sommes fondés à traiter le comportement auquel il donne lieu avec l’« arsenal » des remèdes aux affects produit par Spinoza.

Bien à vous

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Messagepar Vanleers » 29 mai 2013, 17:15

A Hokousai

Je complète mon précédent message par une citation de Pierre Macherey :

« […] il serait tout à fait vain de chercher chez Spinoza un concept d’inconscient, parce que, dans son système de pensée, il ne peut y avoir de place pour quelque chose qui ressemblerait à une topique : Spinoza a suffisamment combattu une doctrine des facultés de l’âme, d’inspiration cartésienne, pour ne pas réintroduire dans la vie mentale un système d’instances, la véritable éthique, à laquelle il parvient dans la dernière partie de son ouvrage, ayant justement pour caractère d’effacer tout ce qui pourrait ressembler à des instances, puisque la libération procède au contraire de l’égalisation de cette vie mentale. »

(Note sur le rapport de Spinoza à Freud in Avec Spinoza, PUF 1992 p. 200)

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Messagepar hokousai » 29 mai 2013, 18:24

à Vanleers

« L’affect qu’on dit une Passion de l’âme est une idée confuse par laquelle l’Esprit affirme une force d’exister de son Corps, ou d’une partie de son Corps, plus grande ou moindre qu’auparavant, et dont la présence détermine l’Esprit à penser ceci plutôt que cela »

Si vous voulez .
Sauf que ce supposé affect affirme toutes les forces d' exister de mon corps et pas du vôtre. Ce qui fait une différence notable.
Il faut intégrer cette différence dans votre compréhension de l' ego comme affect. Ce qui devient important et primordial ce n'est pas que ce soit un affect mais que soit le mien.
Mais pour moi l' ego n'est pas du tout alignable sur les affects. Poser dans la présence soi ou/et le monde ce n'est pas un affect. C' est plutôt ce qui leur permet d' apparaître.

Je pense que l'égotisme et sa critique ne rendent pas compte de l' ego. On y parle d'un attachement à un quelque chose alors que c'est de ce quelque chose dont il faudrait parler . Ce quelque chose (l' égo ) ne se comprend pas par le plus ou moins grand attachement qu'on peut lui porter.
Car qui alors porterait un plus ou moins grand attachement ?

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Messagepar Vanleers » 29 mai 2013, 21:44

A Hokousai

1) Je ne comprends pas bien votre première remarque.
Bien entendu, tout affect est affection de tel ou tel corps particulier et, en même temps, l’idée de cette affection dans un esprit particulier : l’idée de ce corps particulier.
J’ai cité E III 57 qui vient en appui à cela.

2) Je pars d’un constat très simple et qui me semble peu contestable, à savoir qu’un homme qui a un comportement égotique (tel que décrit sur le site bouddhique, par exemple) est un homme qui ne suit pas la raison mais qui est soumis aux affects.
J’ai appelé « ego » ce complexe d’affects pour signifier que la sortie d’un comportement égotique relève de ce que Spinoza appelle les remèdes aux affects (cf. E V 20 sc. par exemple).
Mais on peut utiliser un autre mot si on le trouve inapproprié.

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 30 mai 2013, 15:14

Bien entendu, tout affect est affection de tel ou tel corps particulier

Je ne parle pas de tout affect mais des miens. Et dans cette seule distinction je résume la question de l' ego. Je ne peux réduire l' égo à l'égotisme. Un pur altruiste ne saurait- il plus ni où il est ni qui il est ? A quel autrui ( l'autre ) se rapporterait-il ?

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Messagepar Vanleers » 30 mai 2013, 23:20

A Hokousai

Vous parlez d’ego, une notion que je ne trouve pas dans l’Ethique.
Je ne trouve pas non plus la notion de « soi ». Spinoza parle bien d’amour de soi (philautia - E III App. déf 28) et de satisfaction de soi (acquiescentia in se ipso E III App. déf. 25) mais sans parler d’un « soi ».
Il faut d’ailleurs souligner l’évolution, dans l’Ethique, de l’acquiescentia in se ipso vers la mentis acquiescentia (cf E V 27 et E V 32 dém.). Le « in se ipso » disparaît.
Je dirai que dans la philosophie de Spinoza, il n’est pas question d’« ego », de « je », de « moi », de « soi », de « personne », de « sujet »
La conscience n’y joue pas non plus un grand rôle (cf. E III App. déf 1).
Il est vrai qu’à la toute fin de l’ouvrage, Spinoza écrit que le sage est :
« par une certaine nécessité éternelle, conscient de soi, de Dieu et des choses » (E V 42 sc.).
A mon avis, il faut entendre cette conscience comme la connaissance du statut ontologique de Dieu (substance), de soi et des autres (modes).

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 31 mai 2013, 17:08

Vous parlez d’ego, une notion que je ne trouve pas dans l’Ethique.

Excusez- moi cher Vanleers mais c'est vous qui l 'avez introduite .
Peut-on relier explicitement ce constat à des propositions précises de l’Ethique ?
Spinoza a en vue la libération de la servitude des affects. Cette libération implique-t-elle clairement, selon Spinoza, de se détacher de l’ego ?’


Si la conscience ne joue pas un grand rôle dans le spinozisme, installons nous dans l'inconscience. La déconstruction du sujet est un thème auquel je ne suis pas sensible.

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Messagepar Vanleers » 31 mai 2013, 21:16

A Hokousai

Je reconnais volontiers que ma question initiale était tâtonnante et mal formulée, ce qui est presque inévitable au début d’une recherche.

Cela vous aurait-il égaré ?

Dans les messages suivants, je crois avoir montré clairement que je n’en étais pas resté là et que j’avais reformulé le problème :

1) La vraie question est celle du comportement égotique.
2) Pour s’en libérer, la voie de Spinoza est celle des remèdes aux affects.
3) Subsidiairement, il n’est pas question d’ego, au sens d’une instance mentale, dans la philosophie de Spinoza.

Par ailleurs, je n’ai pas parlé d’inconscience mais j’ai écrit que, dans la philosophie de Spinoza, la conscience ne jouait pas un grand rôle.
J’ai fourni des arguments à cet effet.

J’attends les vôtres.

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 01 juin 2013, 01:21

à Vanleers

Vous n'avez pas fourni d'arguments sur le fait que la conscience ne tenait pas un grand rôle.

Chez descartes on ne trouve pas le mot conscience (sauf une fois et c'est au sujet de la définition de la pensée). Etre conscient c' est penser, mais un penser qui serait de l'odre du sentir, comme une mise au jour, un éclairement.

Pour Spinoza il n'y a rien de plus clair que l'intellection. C'est l'intellection que nous percevons plus clairement que tout. La percevoir se distingue d' un supposé ne pas l'apercevoir ( à supposer qu'il y ait intellection quand nous ne la percevons pas )
Mais restons en au perçu de l'intellection, c'est cela être conscient, c'est être dans la clarté. C' est l'intellect en acte ( et non en puissance ).
Spinoza a écrit : qui a une idée vraie sait en même temps qu'il a une idée vraie et ne peut pas douter de la vérité de la chose.
C' est être conscient .

Ce qui n'aurait pas de rapport nécessaire avec l' égo sauf que l' esprit est l'idée du corps mais pas de n'importe quel corps. L'esprit humain peut bien imaginer au sujet de son corps il n' empêche qu'il fait toujours la différence entre les corps du monde et ce qui affecte son corps.

L'esprit, soit en tant qu'elle a des idées claires et distinctes, soit en tant qu'elle en a de confuses, s'efforce de persévérer indéfiniment dans son être, et a conscience de cet effort.prop 9/3

la dem. dit
" et comme l' esprit à travers les idées des affections est toujours conscient de soi, l' Esprit est donc toujours conscient de son effort.

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Messagepar Vanleers » 01 juin 2013, 17:47

A Hokousai

A l’appui de l’assertion : « La conscience ne joue pas un grand rôle dans la philosophie de Spinoza », j’avais donné deux références de l’Ethique, en commentant la seconde (E V 42 sc.)
Dans la première (Définition 1 des affects), Spinoza explique qu’il ne fait pas de différence entre l’appétit et le désir humains, sachant, il l’a rappelé avant, que le désir est l’appétit avec la conscience de l’appétit.
C’est donc bien, ici, relativiser l’importance de la conscience.

Pierre Macherey s’emploie à développer ce point dans son commentaire de E III 9 (que vous citez dans votre message) auquel il associe la Définition 1 des affects.
Ce serait trop long de le citer mais, si vous disposez de son Introduction à la partie III de l’Ethique, je vous engage à regarder les pages 95 à 113.

Plus intéressant car plus synthétique est son commentaire de E V 31 sc., que je citerai intégralement (à l’exception de deux notes de bas de page) :

« Il y aurait toute une étude à faire au sujet de l’utilisation du terme « conscient » (conscius) dans L’Ethique, où il connaît en tout 23 occurrences [et 8 occurrences pour conscientia]. Dans l’appendice du de Deo et dans le de Affectibus ce terme est exploité en vue de faire comprendre ce qui distingue le désir (cupiditas) de l’appétit (appetitus), le premier se définissant par la prise de conscience du second : comme Spinoza accorde une signification très relative à cette distinction, et met les deux notions pratiquement toujours sur le même plan, on peut conclure que cette prise de conscience, qui de toutes façons est seconde, ne joue pas un rôle déterminant dans le déroulement de la vie affective, toute faite d’élans spontanés, de coups de cœur et de coups de tête que la conscience accompagne et reflète au coup par coup sans les diriger. Le statut de la conscience s’infléchit dès lors qu’intervient un début de régulation de la vie affective, qui permet de renforcer la part prise par la conscience dans les conduites de la vie courante : mais il est clair que, même dans ce cas, le rôle de la conscience est modérateur et non pas directeur. C’est seulement tout à la fin de L’Ethique, dans les derniers développements du de Libertate, que Spinoza procède à la réhabilitation définitive de la conscience, devenue enfin une marque de perfection : le scolie terminal de la proposition 42 opposera la position du sage « conscient » (conscius) et celle de l’ignorant « inconscient » (inscius). Contentons-nous d’une remarque à ce propos : cette conscience, qui ne se distingue en rien d’une connaissance, ne prend en aucun cas la forme d’une conscience personnelle, repliant le sujet sur l’irréductible singularité de son être propre, puisque, en sens exactement inverse, elle élargit la perspective de celui qui en est le porteur de manière à le rendre conscient par une certaine nécessité éternelle de soi et de Dieu et des choses [E V 42 sc.], formule qui reprend en la complétant celle employée dans le scolie de la proposition 31, conscient de soi et de Dieu. Etre conscient, au sens fort et accompli du terme, c’est se convaincre de sa nécessaire appartenance à l’ensemble de la réalité : c’est se comprendre soi-même comme « partie de la nature » (pars naturae), ce qui constitue l’enseignement principal qui se dégage de la pratique de la connaissance du troisième genre ».

On pourrait également citer Deleuze. Au chapitre 2 de son « Spinoza Philosophie pratique », le premier sous-chapitre a pour titre :
« Dévalorisation de la conscience (au profit de la pensée) : Spinoza le matérialiste »

et aussi Frédéric Lordon…etc. mais je m’arrête là.

Bien à vous


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