QueSaitOn a écrit :Bonjour,
1. Acquiescer à cette proposition, est ce suffisant pour être spinoziste et/ou peut on être un spinoziste qui s'ignore ? (cela ne veut pas dire que lire Spinoza implique de comprendre Spinoza -:))
2. Je recopie ici intégralement un passage de Miguel Benasayag qui propose une interprétation originale de cette proposition de Spinoza ("Connaître est agir", ed. La Découverte, page 191):
"Ce qui ne passe pas ne permet aucun agir, aucun changement. Paradoxalement c'est la mort. S'attacher à l'éphèmère prend la forme de ce désir frelaté (...) ce désir que les choses gagnent la fixité qu'on imagine être la propriété des pierres. Mais la pierre elle même n'est que mouvement, vertigineux mouvement. Qui tourne le dos au devenir en tournant le dos au paysage auquel il appartient, pour s'imaginer identité séparée toujours égale à elle même, s'enfonce quand même dans la destruction et le déchirement. C'EST CE QUE VOULAIT SIGNIFIER SPINOZA QUAND IL DISAIT QU'UN HOMME LIBRE NE PENSE RIEN MOINS QU'A LA MORT."
Cher Que sait-on,
Etre "spinoziste" n'a pas grand sens pour moi. Il est vrai que j'ai mis cet adjectif en titre du fil, mais c'était plus en guise d'"accrochage". En règle générale, j'aime pas beaucoup les adjectifs se référant à une personne, fût-elle un poids lourd de la pensée, de l'art, de la science ou de la religion. Disons que l'essentiel est de vivre libre et sage, au moins d'y tendre (chemin ardu), et en cela Spinoza est l'un des guides (j'ajouterais aussi Mozart d'ailleurs, et Vermeer, et plein d'autres, car le langage n'est pas que verbal – mais, avec la musique ou la peinture, est-on encore dans la problématique de la "vérité"? – vaste programme !...). Et bien sûr qu'on peut être libre et sage sans avoir lu Spinoza : le Christ, que Spinoza présente comme un modèle de sagesse (ce qu'il ne fait jamais, sauf erreur, en ce qui le concerne, lui Benoît de Spinoza), avait-il lu et étudié Spinoza ? (mais ce prophète d'Israël,
définitivement mort crucifié, comme Spartacus, avait lu et étudié la Torah, tout comme Spinoza d'ailleurs – voir le TTP)
Pour revenir à la proposition IV, 67, et essayer d'être un peu précis, il y a quatre termes qui à mon avis doivent être distingués : "libre", "sa sagesse", "pense", "méditation".
— Le terme "méditation" me semble plus vouloir dire ici "ressassement", "obsession" qu'autre chose. Bonne (utile) dans le cas de la vie, mauvaise (nocive) dans le cas de la mort.
— L'expression "ne pense à rien moins qu'à la mort" me semble signifier que, tout en y pensant le moins possible, l'homme libre la prend quand même en considération : sinon, pourquoi l'être humain aurait-il inventé et fait progresser la médecine ? (à notre époque, il est plus que probable que ni Spinoza ni Mozart ne seraient morts si jeunes).
— Quant aux termes "l'homme libre" et ensuite "sa sagesse", je pense que ça mérite réflexion (sur laquelle je ne suis pas sûr d'être au point), mais toujours est-il que Spinoza (dont on ne peut contester la volonté de précision dans le choix des termes) établit non pas une opposition, mais une certaine différence, du moins à ce stade de son maître ouvrage (dans la partie V, ça va progresser : l'
Ethique est un chemin, une progression, comparable en cela aux
Méditations de Descartes ou à la
Phénoménologie de l'Esprit de Hegel).
Je ne connais pas l'ouvrage de Benassayag, et j'ai un peu de mal à saisir exactement la citation que tu donnes : si je comprends bien, ce qu'il veut dire c'est que la mort est l'immobilité, qui ne peut être que du non-être, pour nous (puisque le Mouvement-Repos est le mode infini immédiat –
private joke : premier de deux, ou unique - salut Sescho !
– de l'attribut Etendue. Et que s'obséder sur sa propre mort, c'est, imaginativement, s'efforcer de se détourner du vivant, pour nous qui sommes dans la durée, le devenir, et donc ne pas être libre (déterminés par nous-mêmes à agir) mais tendre, toujours imaginativement, au non-être, ce qui est en fait impossible à disons l'"ascète morbide" puisqu'il est encore vivant, d'où ses déchirements et ses angoisses, puisqu'il est, et donc agit.
Mais, en même temps, nous sommes éternels, et en faisons l'expérience, et le savons, mais souvent en nous trompant sur les mots (voir p. ex. V 34 S). Cette dernière question juste évoquée car j'ai beaucoup de mal à saisir la partie V.
Pour finir, j'ajouterai deux choses :
— La démonstration de la IV 67 (trad. Pautrat) : «
L'homme libre, c'est-à-dire qui vit sous la seule dictée de la raison, n'est pas conduit par la crainte de la mort (par la prop. 63 de cette partie) ; mais il désire direcement le bien (par le coroll. de cette même prop.), c'est-à-dire (par la prop. 24 de cette partie) agir, vivre, conserver son être conformément au fondement qui consiste à rechercher ce qui est proprement utile à soi ; et par suite il ne pense à rien moins qu'à la mort ; mais sa sagesse est une méditation de la vie. »
— Un lien vers l'un des plus beaux moments musicaux que je connaisse : la mort du Commandeur (dont l'infatigable dragueur vient d'essayer de se taper la fille), tué par Don Juan au début de
Don Giovanni – contrairement à Wagner, qui nous en fait des tonnes (parfois belles au demeurant), Mozart n'a besoin que de quelques secondes (mais
vivantes et "éternelles" au sens de Spinoza) pour nous dire la douleur et la mort (sur cela, voir Nietzsche et ce qu'il dit de Wagner, et aussi les superbes pages de Kierkegaard sur cet opéra de Mozart, à propos du désir et de la musique, dans
Ou bien... ou bien, Laffont, coll. "Bouquins", 1993, p. 83 sq.) :
voir et écouter ici le début du film de Joseph Losey (1979)
Porte-toi bien