Je pense que nous progressons.
Je reprends ici seulement quelques points :
1) Sur la dissolution des passions par le troisième genre :
E5P18S : …
la tristesse, en tant que nous en concevons les causes, cesse d’être une passion (par la Propos. 3, part. 5) ; en d’autres termes (par la Propos. 59, part. 3) elle cesse d’être la tristesse ; d’ou il suit qu’en tant que nous concevons Dieu comme cause de la tristesse, nous éprouvons de la joie.
2) Sur Dieu « parfait » :
Je me suis déjà clairement expliqué plusieurs fois. J’ajoutais « si l’on veut se servir de ce mot » systématiquement au début. Dieu (et tout ce qui en découle) ne peut être proprement dit « parfait » : il est, c’est tout. Il n’est dit « parfait » à mon sens avec quelque raison, soit simplement pour trancher sur le fait qu’à Dieu et ses modes aucune imperfection ne peut être attachée, soit comme traduction de l’Amour de Dieu qui accompagne indissociablement sa connaissance réelle. Ajoutons que « parfait » signifie « auquel rien ne manque » (sans défaut, de quoi que ce soit), achevé, absolu,… tout cela étant des propriétés de Dieu.
3) Sur l’importance des lois chez Spinoza :
Je répète que
le fait qu’on ne connaisse éventuellement pas le statut ontologique des lois ne justifie en aucune façon qu’on les passe sous silence. Ce serait tout simplement prendre une ignorance pour une raison… Spinoza en parle très abondamment (c’est un des premiers sujets en importance globalement), et comme étant
l’essence même de Dieu, « ses décrets » (elles appartiennent à l’essence du Mouvement-repos, selon moi.) Donc :
aucune étude sérieuse de Spinoza ne peut passer les lois par pertes (en plus, les propriétés - dynamiques, au moins - des choses et les propositions de l’
Éthique sont des lois ou des expressions de lois.)
4)
hokousai a écrit : je vois comme une contradiction entre
"""" D'abord, il ne s'agit pas d'un mal théorisé et extérieur, mais d'un mal intérieur"""
Et """""la souffrance, prise en soi n'est pas un mal, car rien n'est mal en soi """""
Car » rien n'est mal en soi » ne répond justement pas à un mal intérieur
Je me suis exprimé à des niveaux différents de compréhension, et ceci rejoint très intimement la dissolution du mal par la connaissance du troisième genre illustrée plus haut.
Si je me place au plan de Dieu, aucun phénomène (sans exception) ne peut être dit « mal » (c’est pourquoi je peux dire absolument la seconde phrase.) Si maintenant je me place sur le plan de l’Homme (qui est en Dieu mais n’est pas Dieu), de deux choses l’une : soit 1) Un individu a pleine conscience de Dieu (infiniment rare) et alors il sait que rien n’est mal, mais d’un autre côté il ne vit plus rien de ce qui est appelé « mal » au sens du deuxième genre, soit 2) Ce n’est pas le cas et il vit donc plus ou moins le « mal » selon ce même sens. J’ai donc parfaitement droit à la première phrase aussi.
Sinon, je maintiens comme une évidence pour moi, que l’objet de l’
Éthique est l’amendement personnel (qui comprend encore une fois la Générosité) et que le but n’est pas de théoriser le « mal » (mais c’est utile en première étape) -
a fortiori pas de passer à côté de toute l’
Éthique en confondant les plans divin et humain pour affirmer que de toute façon tout va bien puisque le « mal » n’existe pas, et que le problème c’est précisément qu’il existe une morale, soit le plus monumental contresens possible sur l’
Éthique … - mais de le dissoudre en soi de fait.
hokousai a écrit :Vous écriviez le: 06/11/2004 22:48 """ il n’y a pas de connaissance du troisième genre d’un mal, parce que vivre un mal est être par là-même dans un état passif qui est contraire à la connaissance du troisième genre)"""""".
C’est très exactement E4P64 (et c’est logique ; il s’agit là de connaissance du premier genre) :
La connaissance du mal est une connaissance inadéquate.
Démonstration : La connaissance du mal, c’est la tristesse, en tant que nous en avons conscience (par la Propos. 8, part. 4). Or, la tristesse, c’est le passage de l’homme à une moindre perfection (par la Déf. 3 des pass.), et par conséquent, elle ne se peut comprendre par
l’essence même de l’homme (en vertu des Propos. 6 et 7, part. 3) ; d’où il suit (par la Déf. 2, part. 3) que c’est une affection passive qui ne dépend donc point des idées adéquates (par la Propos. 3, part. 3), et enfin que
la connaissance de la tristesse ou du mal est une connaissance inadéquate (par la Propos. 29, part. 2). C. Q. F. D.
hokousai a écrit :Je vous demande par quel genre de connaissance est- ce que je connais Auschwitz qui ne soit pas bien entendu une connaissance purement factuelle .
Il est bien évident que je ( ni vous ) n’en ai pas une connaissance purement factuelle ( objective, froide et dépouillée de tout affect ).
Le premier genre, à moins que vous n’ayez démontré la possibilité (c’est-à-dire les circonstances nécessaires et suffisantes qui s’ajoutent aux lois de la nature humaine) d’Auschwitz par la démonstration. C’est alors du deuxième genre (je précise en passant que, normalement, « second » est réservé au cas où il n’y a que deux et non plus.)
hokousai a écrit :Excusez- moi mais je ne suis pas près d’ avaler cette couleuvre là :Ensuite, s'il s'agit de Dieu et de l'éternité, il n'y a ni bien ni mal
C’est très très clairement ce que Spinoza dit. Mais il dit aussi qu’il n’y a pas plus de mal à pendre les coupables…
5) Notions communes :
Je rappelle que le texte de Spinoza n’est très explicite (et en plusieurs endroits) sur la nature des notions communes qu’en cela :
les notions communes sont les axiomes. Il y a forcément, dans ces conditions, un doute sur le statut qu’accorde Spinoza aux notions universelles (ou générales), voire même aux définitions (dont celle de Dieu, la base absolue.) C’est cependant une obligation logique que de les associer à la connaissance claire de près (définitions, dont Dieu) ou de proche (notions générales, dont l’Homme ; mais effectivement Spinoza reprend l’Homme par sa racine dans le cours du texte ; pas sûr que l’animal soit exclu facilement de cette « définition » en passant…) Quoiqu’il en soit, il est un fait monumental évident qu’il les utilise en permanence (et pour cause, encore une fois : le deuxième genre ne fonctionne absolument pas sur du particulier en tant que particulier), qu’elles sont donc ultra-validées par l’usage qu’en fait l’auteur lui-même, et que si l’on veut absolument que ce soient des idées très confuses, la cohérence élémentaire indique qu’il vaudrait mieux changer d’auteur…
Spinoza ajoute en outre qu’en tant qu’il sont intelligents (troisième genre avec Dieu en permanence à l’esprit comme cause de tout) les hommes conviennent (de fait) en nature, c’est-à-dire en essence, et aussi que le souverain bien est le même pour tous les hommes (ce qui est totalement cohérent, et seulement cela l’est, avec le reste : « essence de l’homme », « éternité des idées du troisième genre », etc.)
Durtal a écrit :… l'esprit, chose parmi les choses, se connaît toujours ainsi in situ dans le milieu des choses, et qu’inversement il n'y a pas de connaissance de choses qui ne soit en réalité connaissance de l'esprit par lui-même (en ce sens si vous voulez qu’il ne peut pas sortir à l’extérieur de lui-même pour aller se « promener » dans les choses).
Je suis d’accord (et avec le reste), mais je voudrais faire la distinction suivante : les trois genres de connaissance ne sont pas du tout similaires de ce point de vue :
- Le premier genre est dans les représentations des choses singulières, mais sans ordre, tel un compactage d’impressions (plus ou moins généralisées à tort ensuite) ; bref la mémorisation confuse de sensations, et éventuellement élaboration de pseudo-lois à partir de là.
- Le deuxième genre c’est l’opposé : Spinoza le répète à l’envi : les choses extérieures sont d’une essence étrangère à la nôtre, elles changent tout le temps, elles ne nous donnent aucune idée de Dieu, etc., etc. La seule base qu’elle trouve dans la Nature ce sont les quelques notions communes (axiomes, et …), connaissance immédiate liée à une communauté de nature de fait entre les corps. Ensuite, elle ne fait que développer la Logique, et c’est là un processus totalement interne (connaître l’entendement, appartenant à l’essence pure de l’Homme, et ses lois et tout construire à partir de là.) Les choses comprises par l’entendement sont invisibles. « L’ordre commun de la Nature » (extérieure, ici) s’oppose à « l’ordre de l’entendement. »
- Le troisième genre revient aux choses réelles, mais pas du tout dans le même rapport que dans le premier genre : il s’agit alors de voir en acte ce que le deuxième genre à dégagé par le raisonnement, c’est-à-dire l’ordre ontologique (Dieu-Mouvement-Corps, ou Dieu-Entendement infini-idée parfaitement claire) et les lois, directement, sans raisonnement verbalisé (si toutefois ce n’est pas un pléonasme.)
- Par ailleurs « esprit » est une notion universelle ; il n’y a que des idées singulières et il n’est pas possible d’avoir une idée claire et distincte (troisième genre) d’une idée confuse.
Durtal a écrit :Si je devais pour finir donner ma position par rapport à celle de Serge voici ce que je crois pouvoir dire : Serge pense que nous ne pouvons connaître les choses singulières en tant que singulières, parce que cela implique- et je suis parfaitement d'accord avec lui sur ce point- que nous ayons des perceptions intuitives ( si c'est toutefois ce que signifie "connaître les choses singulières en tant que singulières) de toutes les choses et relations qui sont couvertes par ailleurs par nos notions communes, ce qui, d'après moi, n'est pas possible en effet. Là où nous sommes en désaccord peut être est que je fais une exception et une seule à cette maxime: à savoir le rapport interne que nous avons à nous même et qui est bien la perception intuitive d'une chose particulière, laquelle (et cette fois c’est à votre intention que je répète ceci) n'est pas une entité monadique "sans portes ni fenêtres" (c'est à dire sans aucun rapport avec les autres choses).
Pour ce qui est de « chose singulière en tant que singulière », j’ai été obligé de l’utiliser pour démêler les pires écheveaux. Si, confondant une fois de plus le plan divin et le plan humain, je dis qu’il n’existe de vrai que les choses singulières « tel-que », et que la Raison, basée sur les notions générales, ne vaut rien (ou toute phrase qui dit cela tout en ne disant pas complètement cela, etc., et sans m’étendre sur ce que c’est toute l’
Éthique, entièrement du deuxième genre, qui est dite ne rien valoir par-là), il faut être conséquent : non pas définir ce qu’on entend par « chose singulière » en général, car c’est là-encore une notion universelle : « chose finie en acte », mais ne parler par exemple que de cette table-là telle qu’elle est en cet instant précis. Et sans le droit de dire « table » même, puisque c’est aussi une notion universelle. Juste un pointé de doigt vers une chose finie en acte : « cela. »
C’est cela que j’appelle « chose singulière en tant que singulière » ou « chose singulière prise dans sa singularité », pour bien marquer que je ne prends pas "chose singulière"
en général, ni même ne parle d’une notion universelle, telle « Homme », qui pourtant marque la communauté réelle d’essence (ce que n’acceptent pas les ayatollah de l’essence singulière) entre toutes les choses singulières réelles du genre (notion du deuxième genre) Homme.
Donc, un « homme singulier en tant que singulier » c’est untel en un instant précis, avec parmi tant d’autres détails jusqu’au plus petit, à cette seconde, sa manière unique de se souvenir de sa grand-mère unique, lui préparant des profiteroles au chocolat uniques en été (il a généralisé un peu) à Cassis, avec le soleil qui, …
Ou alors, il va falloir m’expliquer ce qu’on entend (en général…) par « chose singulière telle qu’elle existe réellement » si ce n’est pas pour la prendre telle qu’elle est…
Connaître ce qu’elle est dans son intégralité, de façon parfaite, il apparaît clairement à un enfant de trois ans que ce n’est pas possible à une infinité de points de vue (et Spinoza le dit bien explicitement.) Outre les limites très nettes de nos sens, « une chose singulière » est déjà une approximation en soi : 1) Elle ne peut pas être dissociée absolument de son environnement. 2) « Elle » change tout le temps tant soit peu dans cet ordre (et d’ailleurs « elle » n’
a pas d’essence, « elle » en incarne une, c’est tout ; en fait, même, « elle » n’existe pas en propre et c’est seulement Dieu qui se manifeste en permanence de cette manière changeante selon les lois du Mouvement dans l’Etendue ; « seul Dieu a une essence et les choses n’en ont pas ».)
Sinon oui : il y a des choses singulières que nous pouvons connaître par le troisième genre : les idées du troisième genre mêmes, soit toutes nos idées claires et distinctes.
Après nous sommes aussi dans le Monde changeant, et sans doute la « nourriture d’impressions » nous est-elle nécessaire dans ce cadre, éclairée, et cela reste l’essentiel, par la véritable connaissance de Dieu éternel. Par ailleurs, la connaissance vraie de Dieu ne peut pas se perdre ; une fois révélée elle illumine tout, accompagnée de l’Amour, sans interruption.
Serge
P.S. Je crois que j'ai fait long...
Connais-toi toi-même.