Salut !
Cette réponse est trop longue pour un forum, sa longueur pourra même faire perdre de vue l’essentiel, mais je la publie tout de même puisque l’essentiel a été précisé au dessus. On pourra donc y trouver certaines précisions importantes pour mieux comprendre encore la différence entre certitude et conviction. Autre difficulté, la forme dialoguée peut avoir tendance à donner l’impression que l’affrontement personnel l’emporte sur le débat d’idées, impression qui sera inévitablement fondée à certains moments de part et d’autre, mais mon « pari » est que chacun saura tout de même voir qu’au delà de ces moments, il y a le débat qui reste fondamental.
zerioughfe a écrit :Je voudrais savoir si tu admets que le scepticisme est irréfutable, comme je le fais pour le dogmatisme.
Si tu me poses cette question, c'est que tu ne dois pas avoir lu avec assez d'attention mon message du 6/12 car il contient une réfutation du scepticisme.
Cela dit, je reconnais que le scepticisme est irréfutable en fait pour celui qui a fait le pari que c’est le meilleur mode de pensée, de même que n’importe quelle doctrine est irréfutable quand elle découle d’un pari. Tout pari, même s’il se fonde en partie sur des raisonnements, est un saut dans l’irrationnel comme le montre bien le célèbre pari de Pascal. Dans ce cadre, il est naturel que le raisonnement n’ait plus aucune prise sur le parieur. Je vais faire une comparaison qui va sans doute te déplaire, parce qu’elle va à l’extrême, mais regarde ceux qui parient que Dieu n’est que vengeance et qu’il récompensera mille fois ceux qui seront morts pour « Lui » : tu peux leur parler de tout ce que tu voudras, de la justice, de l’amour, de l’innocence... ils ne t’écouteront jamais que d’une oreille, persuadés que leur pari est le plus avantageux.
Toi tu as décidé de parier sur la raison – que tu ne saurais comprendre comme Spinoza (= percevoir les choses non comme contingentes mais comme nécessaires et donc ipso facto comme certaines car qui dit contingence dit incertitude (E2P44) – pour toi la raison ne serait que percevoir les choses de façon moins contingente que par ouï-dire par exemple) mais passons. Puisque ce n’est qu’un pari, cela ne vaut
au fond ni plus ni moins que le pari du fanatique. Alors, oui un pari est irréfutable mais uniquement parce qu’il est en deça de la raison. Et c’est pourquoi tu es peu perméable aux raisonnements qui remettent en cause ton scepticisme métaphysique. Comme tu te fondes sur une démarche de fidélité à la raison, tu peux te permettre de balayer d’un revers de main avec l’assurance d’un télévangéliste (oui j’exagère quand même un peu) les démonstrations les plus subtiles en invoquant des formules quasi-magiques « c’est un paralogisme », « cette démonstration n’en est pas une », « tous les logiciens seront d’accord avec moi », « pour quelqu’un de bonne foi comme moi cela n’est pas convaincant, donc cela demeure objectivement incertain » etc. tout cela souvent sans guère plus d’explication que ces formules. Ce n’est pas compliqué : puisque tu as parié sur la raison et que par définition, parier c’est parier en même temps qu’on a fait le meilleur choix possible, tu as toujours raison, paradoxalement tu ne doutes jamais plus de quelques minutes de ton scepticisme raisonnable.
Ce qui fait malgré tout que je continue de discuter avec toi, c’est que je ne doute pas de ta capacité à raisonner qui est manifeste mais dont tu ne sembles pas avoir assez clairement conscience, la confondant souvent avec une sorte d’imagination prudente collée à l’empirique. Par contre, je peux douter de ta capacité à prendre conscience des certitudes authentiques qui sont en toi, c’est là si tu veux mon pari encore que je l’ai déjà gagné puisque l’intérêt pour moi n’est pas de te convaincre du « dogmatisme » philosophique mais justement de raisonner avec toi. Mais si je parvenais à te sortir de ton sommeil sceptique, cela ne serait pas un mal non plus
Zerioughfe a écrit :En effet : il n'y a pas de démonstration absolument probante. Mais une fois qu'on a posé quelques principes clairs (les certitudes pratiques), les démonstrations restent heureusement possibles. Elles ne perdent que leur prétention à la certitude absolue.
J'ai démontré au contraire que sans certitude absolue à la base, il n'y a pas de démonstration à proprement parler. Parle de raisonnements ou d'argumentations si tu veux, mais pas de démonstrations. En effet, une démonstration rend nécessaire une affirmation donnée sur la base d'une ou plusieurs affirmations antérieures logiquement. S'il n'y a pas de certitude absolue, il n'y a donc pas de démonstration. C'est pourtant fort clair, mais voilà tu glisses sur le sens précis des termes de sorte que tu as l'impression d'avoir toujours réponse à tout.
Pour répondre en peu de mots à la plupart de tes objections, je dirai que mon scepticisme est un pari tout à fait confiant sur l'existence du réel, sur sa rationalité, sur la fiabilité (au moins relative) de la raison humaine, et sur un certaine fiabilité (certes bien moins grande) de nos sens. Le dogmatisme, à mon sens, est un autre pari : il mise tout sur l'infaillibilité de la raison humaine. Il a pour cela d'excellentes raisons, mais le simple fait qu'il y ait un choix entre les deux est un puissant argument en faveur des sceptiques. "Rien ne fortifie plus le pyrrhonisme que ce qu'il y en a qui ne sont point pyrrhoniens. Si tous l'étaient, ils auraient tort", disait Pascal. La possibilité du dogmatisme donne paradoxalement raison aux sceptiques, quand l'existence d'un seul sceptique intelligent et de bonne foi suffit à contredire les dogmatiques (sauf à considérer que les sceptiques sont tous aveuglés, ce qui me semble déraisonnable).
Tu parles d'une raison à laquelle je ne crois précisément pas. Tu en parles en effet comme d'une faculté, une sorte d'instrument à forger de bonnes idées. Or je nie qu'il existe une telle faculté. La raison telle que je la comprends n'est que le nom général que l'on donne aux idées claires, distinctes et complètes portant sur des notions communes et à leurs enchaînements naturels. Mais on n'a jamais vu qu'une idée générale pût être cause de quoique ce soit en particulier : la raison n'est pas cause des raisonnements, pas plus que l'idée d'homme n'est la cause effective de Pierre ou de Paul. Je n'ai donc pas à parier sur le pouvoir en général de la raison. Quand je constate une évidence particulière, quelque chose qui se voit de soi-même, je ne parie pas, je gagne si je peux dire.
D'autant plus que je n'ai pas fait ici appel à la raison mais à l'intuition intellectuelle : "quelque chose existe", je peux en comprendre la nécessité absolue à partir de cette idée même, dans sa simplicité, sans faire intervenir d'idée antérieure. J'avais pourtant l'impression d'avoir assez lourdement insisté là dessus...
Je te vois d'ici me dire que raison ou intuition, cela ne change rien. Qu'est-ce qui me prouve que l'intuition est infaillible ? Mais on ne peut justement parler de pari qu'à partir d'une incertitude. Pourra-t-on parler de pari, si je dis "je fais le pari que je fais un pari" ? A l'évidence non ou alors, c'est à toi de prouver qu'il n'y a pas certitude. Autrement, nier cela, c'est nier l'évidence. Cela s'appelle la mauvaise foi, mais ce terme de mauvaise foi suppose une volonté libre de se tromper que je n'admets pas pour des raisons que tu dois connaître, je parlerais alors plutôt de dénégation.
Je pense que la capacité qu'a la raison de douter d'elle-même, loin d'être un défaut, est la marque de sa rigueur et de son exigence de lucidité.
J'ai bien dit qu'il ne s'agissait pas de ne douter de rien. Mais douter de la raison, si l'on entend par là le fait de douter des idées claires, distinctes et complètes et non pas d'une supposée faculté de comprendre extérieure aux idées, je dis que c’est absurde. Ce serait en effet douter de ses certitudes. C’est bien sûr très politiquement correct de prétendre « douter de ses propres certitudes », mais cela ne veut rien dire : si l’on en doute, c’est que ce ne sont pas des certitudes. Alors bien sûr, on peut douter de ses convictions, idées toutes faites dont l’inverse n’est pas du tout contradictoire a priori et qui ne s’affirment dans mon esprit que parce que les idées qui pourraient les contredire sont absentes. Je ne cesse de dire qu’il faut prendre garde de ne pas appeler certitude ce qui n’est que conviction, mais de là à décréter a priori qu’aucune certitude n’est possible , c’est jeter le bébé avec l’eau du bain.
Quant à la raison en tant que faculté, source/instrument des idées vraies, non seulement j'en doute mais je la réfute comme expliqué plus haut.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, cet exemple est le seul à me faire vraiment hésiter. Tu as donc beau jeu de l'utiliser sans cesse. Je ne suis pas loin de penser que la proposition "quelque chose existe" est la seule et unique certitude absolue (toutes les autres sont clairement douteuses). Cependant, le seul fait que je réussisse honnêtement à en douter (ne serait-ce qu'infiniment peu) confirme mon scepticisme...
Je n’avais pas lu en détail les discussions sur les preuves de l’existence de Dieu (au passage, à chaque fois que je veux me lancer dans une réponse, d’autres éléments sont apportés de part et d’autres... mais j’y arriverai
). Soit, mais tu n’expliques pas comment le scepticisme ne s’effondre pas dès lors qu’on reconnaît une seule certitude absolue. Et il ne t’est pas venu à l’esprit que si une certitude était possible, on pouvait sur cette base en trouver d’autres, en réfléchissant sur la façon dont on a procédé pour dégager cette certitude de l’océan d’incertitudes dont notre esprit est fait ?
Oui mais pour établir que quelque chose existe, tu fais appel à tes sens (dont la "sensation" de penser), à ta raison (que tu es incapable d'établir) et à l'évidence (que tu es incapable de fonder). Tu entres là dans un cercle : c'est donc un pari, et tout pari, pour moi, est douteux.
Tu ne sembles pas avoir bien compris : pour établir que quelque chose existe, je n’ai besoin de rien d’autre que de cette proposition elle-même ! Cette proposition s’éclaire elle-même : il n’y a pas besoin d’une faculté extérieure pour en saisir la nécessité. Quand je parle d’intuition intellectuelle, je ne parle pas d’une faculté qui projetterait une lumière extérieure, ce qui effectivement introduirait une distance entre la proposition d’un côté et le pouvoir de l’affirmer de l’autre. Quand je parle d’intuition intellectuelle, je ne parle de rien d’autre que de la capacité d’une idée à s’éclairer d’elle-même. Que cela soit compris une fois pour toutes, il n’y a pas de volonté, de raison, d’entendement, d’intuition, d’imagination en dehors des idées mêmes qu’il s’agit de comprendre. Puisque tu admets chez Spinoza à peu près tout sauf Dieu et la théorie de la vérité, je ne dois pas avoir besoin de t’expliquer plus avant qu’entendement et volonté sont une seule et même chose vue sous deux angles différents : une propriété des idées, non un pouvoir transcendant d’affirmer et comprendre ces idées.
Le scepticisme est au moins aussi irréfutable que le dogmatisme. La sophistique l'est d'ailleurs tout autant : on ne pourrait la réfuter qu'au nom d'une raison ou d'une vérité dont elle nie l'existence ou la pertinence. Ce n'est évidemment pas une raison d'être nihiliste ou sophiste (une fois qu'on a fait le pari de la raison, la phrase "rien n'est vrai" devient contradictoire). C'est est une, néanmoins, d'être sceptique.
Le scepticisme, autant que le relativisme sophistique ou le nihilisme se réfutent eux-mêmes en utilisant le raisonnement pour réfuter le raisonnement en tant que pouvoir de comprendre la nécessité des idées par elles-mêmes. On ne peut sérieusement réfuter cela même qu’on pose pour le réfuter. Autant essayer de prouver que je n’ai pas de main droite en le montrant avec ma main droite ou encore, plus subtilement, de se casser la main droite rien qu’avec la main droite !
"Quelque chose existe" est une affirmation qui est comme je l'avais dit - mais tu n'y as guère fait attention - "entièrement déterminée" dès lors qu'elle ne dépend de rien d'autre qu'elle-même pour pouvoir être affirmée.
"
Elle ne dépend de rien d'autre qu'elle-même pour pouvoir être affirmée" : voilà typiquement une phrase dont le sens ne me semble pas clair.
Voilà le fond de notre problème. Tu ne comprends pas ce qu’est une idée adéquate chez Spinoza et après tu te targues d’en réfuter la validité ! Peut-être que la formulation qu’en donne Fabien t’aidera à clarifier cela, autrement je ne peux que t’indiquer de relire avec attention ce que j’en ai dit et de me dire ce qui te paraît obscur.
Je ne peux qu'être d'accord avec cela. Tu donnes une très bonne raison de ne pas tomber dans le "pyrrhonisme" orthodoxe (celui de Pyrrhon
). J'accepte la distinction que tu fais, sans toutefois l'hypostasier : elle n'est pour moi que
de degré. La sensation d'évidence ne saurait être un critère absolu, car elle pourrait n'être qu'un état de mon cerveau. Je peux très bien imaginer un bug de mon cerveau qui associerait l'état d'évidence à une proposition fausse. Ainsi, l'évidence que je vois dans la proposition "
si P est vraie, alors non P est fausse" pourrait bien être galvaudée. Je pourrais même avoir été créé il y a seulement 12 heures (ou même 12 secondes) : ma mémoire aurait tout simplement été initialisée avec de faux souvenirs... Tout cela peut paraître tiré par les cheveux, et assurément ça l'est, mais notre incapacité à écarter
absolument ces hypothèses suffit à me rendre sceptique). Sans compter les erreurs que nous pouvons commettre sans nous en rendre compte (comme celles contenues dans les démonstrations de l'existence de Dieu
)...
Si être sceptique, c’est se méfier des convictions que nous avons tendance à prendre pour des certitudes, parce que nous n’avons simplement pas envisagé la possibilité de l’inverse contradictoire, je suis sceptique ! Mais le scepticisme consiste à refuser absolument qu’il puisse y avoir des certitudes absolues, ton scepticisme modéré ne distinguant qu’entre de plus ou moins grandes incertitudes. C’est je le répète jeter le bébé avec l’eau du bain. Pour « quelque chose existe » ou « il est faux que rien n’existe », ta fiction du bug du cerveau, pas plus que celle du malin génie ne peut être raison de douter puisqu’alors il y a un cerveau ou un malin génie... Et si j’insiste sur cet exemple, c’est justement parce que tu voudrais bien glisser dessus, on dirait
Si une seule certitude indubitable est découverte, le scepticisme « orthodoxe » ou modéré est définitivement invalidé.
Mais je t’en donne une deuxième qui fonctionne de la même façon et échappe aussi bien à la fiction du bug qu’à celle du malin génie : « il y a de la pensée ». Dans cette affirmation, quelle que soit notre condition, il y a pensée de la pensée : l’affirmation qu’il y a de la pensée est objectivement présente dans l’essence formelle de cette proposition, pas besoin ici de se référer à une extériorité
qui seule pourrait introduire le doute. Tu me diras bien sûr « il pourrait ne pas y avoir de pensée » dans un univers qui ne serait qu’étendue. Mais cela ne s’oppose pas directement à l’affirmation « il y a de la pensée » qui pose immédiatement dans l’être cela même qu’elle affirme objectivement. Le contraire de « il pourrait ne pas y avoir de pensée dans la nature», ce serait « il y a nécessairement de la pensée dans la nature » : on pose ici la nécessité à l’extérieur de l’affirmation. Il faudra partir de l’idée de totalité dans son essence pour voir si l’on peut concevoir une nature sans pensée, mais c’est une autre question. C’est l’affirmation « il n’y a pas de pensée » qui serait contraire à « il y a de la pensée » et comme elle se contredit elle-même, il y a une certitude absolue qu’il y a de la pensée.
Mais là où l’on peut voir que tu ne sembles pas bien comprendre la théorie spinozienne de la vérité, c’est que tu fais de l’évidence un sentiment et que tu la supposes comme extérieure au vrai, à titre de critère. L’évidence est ce qui se voit de soi-même parce que la proposition indique par elle-même qu’il ne peut en être autrement, ce n’est pas l’assurance qui peut en découler sachant que l’assurance peut découler également de la conviction. Ensuite, elle n’est pas extérieure à la proposition, comme quelque chose qui accompagnerait ou non le jugement, elle est dans la proposition elle-même ou n’est pas.
Maintenant, se pourrait-il que nous soyons le jouet d’une Matrice qui nous donne de fausses impressions là où en réalité nous ne serions que de bêtes piles pour l’alimenter ? C’est un autre débat, qui ne remet en cause que la confiance que nous pouvons avoir dans nos sens, non la possibilité même de la vérité en tant qu’elle relève de l’intuition intellectuelle.
Il est bien clair que je serais pris en flagrant délit d'incohérence si je me disais absolument certain qu'une proposition doit être rigoureusement démontrée pour être acceptée comme certitude. Mais telle n'est pas ma démarche.
Je suis personnellement convaincu que les trois propositions suivantes sont vraies :
- Tant que la fiabilité des démonstrations n'a pas été établie, toute démonstration est douteuse en quelque chose.
- Tant que la fiabilité de notre raison n'a pas été établie, tout raisonnement est douteux en quelque chose.
- Tant que la fiabilité de nos évidences n'a pas été établie, toute évidence est douteuse en quelque chose.
Et là, tu peux toujours chercher une contradiction ! Le scepticisme, pour rester raisonnable, doit tout simplement se limiter lui-même.
J’ai bien compris que tu étais convaincu de cela. Mais j’ai montré en quoi « toute proposition doit être démontrée » est certainement fausse. Tu me réponds que tu n’es certain ni de sa vérité, mais ni de sa fausseté également sans expliquer les raisons pour lesquelles tu peux en toute bonne foi contester ce que j’avais dit : si on ne démontre pas « toute P doit être démontrée », on se contredit et si on se propose de le démontrer on tombe dans la régression à l’infini.
Ensuite tu ne comprends pas pourquoi l’inverse se suffit à soi-même : il est bien évident qu’il ne suffit pas d’affirmer quoique ce soit pour que cela soit aussitôt vrai, je dis que « toute P n’a pas besoin d’être démontrée » (ce qui n’est pas « aucune P n’a besoin d’être démontrée » !) : puisque la démonstration, c’est ce qui rend nécessaire une P, autrement dit qu’elle ne peut être niée, il y a au moins une P qui n’a pas à être démontrée, c’est cette affirmation. Une fois posée, en effet, je ne peux nier qu’elle a été posée. C’est comme quand tu me dis « un malin génie est possible », je peux fortement douter que le malin génie existe en dehors de cette proposition, mais je ne peux douter que tu l’affirmes : l’affirmation « il y a l’idée qu’un malin génie est possible » n’a pas à être démontrée parce qu’elle contient sa propre nécessité.
Ton problème, c’est que tu vas tout de suite à la connaissance des phénomènes avant de revenir au principe de toute proposition : n’ayant pas suffisamment réfléchi sur le principe de toute affirmation, qui est affirmation de l’affirmation, tu te concentres sur les conséquences et tu dis « toute affirmation contient une part de négation possible» sans voir que cela est contradictoire. Moi je dis que beaucoup d’affirmations contiennent une part de négation, dès lors que des affirmations contraires et cohérentes sont possibles, ce sont les convictions, mais que pour poser cela, il faut avoir l’idée de l’affirmation pure qui elle ne peut être niée comme je l’ai montré précédemment. Alors tu me réponds que tu n’as que des convictions en glissant sur les principes de la certitude que j’ai établis. Tu ne fais que confirmer que tu as fait un pari, c’est-à-dire que tu as posé arbitrairement une certitude sur la base d’une incertitude, ce qui te dispense de prendre en compte sérieusement les raisons que j’avance.
Aussi le problème de la fiabilité des moyens de connaître que tu poses montre bien que tu supposes qu’une connaissance ne peut être valable que si elle est certifiée par une autre. Cela ne répond en rien à mon argumentation qui montrait au contraire qu’une connaissance peut se certifier elle-même, dès lors qu’on a bien compris ce qu’on entend par certitude : non ce qui a été nécessairement confirmé par autre chose, mais ce qui doit se penser nécessairement. Quand une proposition contient cela même qu’elle affirme, au lieu d’avoir à en supposer l’existence extérieure, elle n’a pas besoin d’être « fiabilisée » par quoique ce soit d’autre.
Tu pourras encore me dire que ce que j’ai établi n’est que tautologie, que je ne fais qu’appliquer le principe d’identité à « quelque chose existe » , « il y a de la pensée » ou encore « Toute proposition n’a pas besoin d’être démontrée »... Cela n’est pourtant pas purement formel, comme A= A, il y a des contenus ayant une signification intuitive : quelque chose, la pensée, proposer, démontrer. Et en affirmant que « il y a de la pensée » s’affirme nécessairement d’elle-même, je fais une distinction entre ce qui affirme (la proposition, l’idée en tant que réalité « formelle ») et ce qui est affirmé (son contenu, ce dont elle est l’idée, son être « objectif »). L’identité pure, si tu veux, s’autoaffecte ici. Je ne dis pas seulement l’être est, le non être n’est pas, je ne dis pas seulement qu’il y a de l’affirmation, je dis que l’affirmation affirme immédiatement et nécessairement son objet lorsque celui-ci ne contient aucune négation : l’identité de l’affirmation avec elle-même pose immédiatement, mais de façon que l’on peut distinguer pour les besoins de l’analyse, l’identité de l’affirmation formelle avec l’affirmé objectal.
Tout cela est extrêmement simple bien que difficile à expliquer et à comprendre, je l’admets. C’est qu’habitués à prendre nos idées complexes pour simples, il nous est difficile de remonter aux principes les plus simples de ces idées. Le simple n’est pas le facile.
L'évidence en effet, c'est ce qui se voit de soi-même, sans qu'il soit besoin d'un moyen terme pour le voir précisément parce qu'il n'y a pas de distance entre le voir et le vu.
Il y a une grande distance au contraire...
Affirmation gratuite, sans justification qui montre bien que tu te dispenses de raisonner là où ton pari est mis en défaut en tant que pari. Ici je suis absolument certain que tu affirmes qu’il y a dans l’évidence une grande distance entre le voir et le vu, mais je doute fortement que tu aies compris pourquoi je disais qu’il n’y avait pas de distance.
(...)de même que fermer les yeux devant la fleur ne la réfute pas.
Sauf que si je suis honnête (si je ne ferme pas les yeux), cet argument perd toute sa force. A moins que je sois aveugle, ce que tu peux toujours penser.
Je dirais que tu ne regardes manifestement pas ce que je t’indique, tu regardes ailleurs. Comme celui qui dit que la lune n’existe pas à celui qui la montre parce qu’il regarde le doigt qui la montre au lieu de ce qu’il montre.
Quand on n'est pas attentif à ses idées, il est possible de prendre une conviction pour une certitude (ce qui n'est pas ton cas) aussi bien que de prendre une certitude pour une simple conviction (ce qui est ton cas).
Oui, mais il n'y a aucun moyen fiable de savoir si on manque d'attention. Nous sommes tous les deux certains d'avoir raison au sujet des preuves de l'existence de Dieu, mais il faut bien que l'un de nous ait tort malgré lui.
J’ai déjà répondu sur la question du besoin d’avoir un moyen extérieur à la certitude pour être certain. L’attention requise pour comprendre qu’il y a de la pensée n’est pas une faculté extérieure à la pensée qu’il y a de la pensée, elle est simplement pensée de la pensée et donc position de la pensée par elle-même. De même pour comprendre qu’il y a nécessairement quelque chose : l’affirmation du quelque chose s’affirme d’elle-même au moment même où il y a affirmation, ce n’est pas une pensée extérieure qui la pose.
La grande force du scepticisme est qu’affirmant que tout est douteux (même plus ou moins), toute tentative de montrer qu’alors le scepticisme est douteux ne fait que confirmer le sceptique dans son doute. Tu aurais là un autre exemple de ce que j’essaie de t’expliquer : ce pouvoir de l’affirmation de s’affirmer elle-même autant qu’il est en elle. Mais justement, cela montre aussi qu’avant d’affirmer le doute, il y a l’affirmation et que celle-ci échappe par cette antériorité au doute même. C’est pourquoi il y a une chose de plus dont tu ne peux absolument pas douter, c’est que tu doutes.
Tu pourras y mettre toute l'application que tu voudras, et n'accepter que les évidences, il n'en reste pas moins que l'édifice pourra s'effondrer. Dans la pratique, je n'accepte moi aussi que les évidences. Et j'en arrive, comme tout le monde, à la conclusion inverse de la tienne au sujet de l'existence de Dieu (en n'utilisant que des idées claires et distinctes)...
1) Tu répètes tes conclusions sans voir manifestement que j’en ai réfuté les prémisses. Tu te fondes exclusivement sur ce que le sens vulgaire appelle évidence ou certitude et qui n'est en fait que conviction puis tu en déduis facilement que rien en ce monde n’est ferme et assuré, l’édifice pourra toujours s’effondrer. Tu disais qu’on ne peut jamais être sûr de n’avoir rien oublié. Je te répondais qu’en partant de notions simples, qui se suffisent à elles-mêmes, il n’y a pas à craindre d’avoir oublié quoique ce soit. C’est cela qu’il faut critiquer si tu veux pouvoir contester mon dogmatisme sans tomber dans la pétition de principe.
2) J’ai bien compris que dans la discussion sur les preuves de l’existence de Dieu, tu t’efforçais de te situer sur un terrain strictement logique, faisant abstraction de ton scepticisme mais toujours prêt à le ressortir de ton chapeau au cas où la logique finissait par te donner tort
Mais ce qui fait que je tarde à intervenir sur ce débat est justement que tu ne sembles toujours pas comprendre à fond ce que j’entends par la distinction conviction/certitude, distinction pourtant essentielle à la compréhension de ma position. C’est pourtant très simple à comprendre mais il semble y avoir chez toi un processus de dénégation par lequel tu évites de prendre en compte le coeur de mon argumentation.
3) Toujours cette insistance très rhétorique à mettre « tout le monde » de ton côté... alors qu’à l’évidence, il y a déjà Serge, Fabien et moi qui ne le sommes pas. Je ne sais plus où tu me traitais de spinoziste orthodoxe
mais à te lire, je suis plutôt un spinoziste hérétique, les hérétiques ayant toujours été minoritaires.
Mais prendre garde de ne rien oublier ne doit pas être un motif de doute permanent. Celui qui après avoir fermé le gaz avant de sortir se demande s'il l'a bien fermé une fois sorti de chez lui n'en doute que parce qu'au moment où il a accompli ce geste pensait à autre chose, de sorte que le souvenir qu'il en a demeure obscur et confus dans son esprit : il se dira "j'ai bien le souvenir d'avoir fermé le gaz, mais était-ce aujourd'hui ou était-ce hier ?". Mais un défaut d'attention ne saurait être une preuve contre la possibilité de la certitude objective pas plus qu'une preuve que j'ai bel et bien oublié de fermer le gaz !
Qu'est-ce qu'une certitude objective dont on pourrait toujours douter en raison d'un hypothétique défaut d'attention ?
Si au moment où tu éteignais le gaz, tu ne pensais pas à autre chose mais que l’idée présente à ton esprit était que tu éteignais le gaz, il n’y aura pas « d’hypothétique défaut d’attention » tout bêtement.
Imaginer n'est justement pas le mode de penser requis pour accéder à l'intuition claire de la certitude. Mais si j'ai raison ne serait-ce que sur ce point, je ne vois pas pourquoi tu fais une règle sur l'impossibilité pratique de la certitude. Puisque tu es rationaliste, tu ne vas pas me dire l'absurdité selon laquelle "c'est l'exception qui confirme la règle".
Ce n'est une absurdité que dans ce cas précis où la règle est censée ne pas avoir d'exception !
: Pourrais-tu m’expliquer ce que serait une règle rationnelle qui admet des exceptions ? Pour être un sceptique cohérent, il est trop facile de dire « en règle générale, tout est douteux, mais il y a des exceptions ». Il s’agit simplement de savoir ce qu’on dit.
Pour répondre à ta question, je répète que la différence entre conviction et certitude n'est que de degré, pour la simple raison que la seconde suppose la première.
Mais si une seule certitude authentique est possible, comme tu le reconnais pour « quelque chose existe » ou encore « tous les points du cercle sont équidistants du centre », alors il y a bel et bien une différence entre une affirmation qui ne peut être niée par aucune autre et dont on ne peut donc absolument pas douter, la certitude, et d’autre part une affirmation qui peut être niée par d’autres, l’idée douteuse - ou la conviction si l’on oublie qu’elle peut être niée par d’autres. Le seul moyen que tu as de contester cette distinction est alors de montrer en quoi il serait logiquement cohérent de penser l’inverse de « quelque chose existe ». Prends ton temps, mais quand bien même « quelque chose existe » serait la seule certitude possible, alors tu n’as aucunement le droit (intellectuel s’entend) de ramener la certitude à une simple forme de conviction.
Je peux bien concevoir des certitudes qui n'en sont pas puisque ce sont des convictions !
Concevoir, sans doute, mais tu ne peux pas en trouver un seul exemple pour toi.
Là c’est moi qui ne doit pas bien comprendre ce que tu veux dire. Si je peux en concevoir, c’est que je peux en trouver des idées précises. J’ai pu me croire certain d’avoir donné un rendez-vous à X et me rendant au rendez-vous croire qu’X m’avait posé un lapin alors que j’avais simplement dit à X « il faudra qu’on se donne un rendez-vous ». Ici, la certitude n’était qu’une pseudo-certitude parce qu’ayant imaginé à un moment que je fixais telle date avec X, puis un peu plus tard me souvenant que j’avais parlé de rendez-vous avec X, j’ai confondu les deux souvenirs pour n’en faire qu’un seul, je n’ai pas envisagé de me demander s’il se pouvait que je n’ai pas fixé réellement de date avec X. C’était donc finalement une simple conviction. Où pourrait être la confusion dans « il y a de la pensée » ou « tout ce qui est, est ou bien en soi, ou bien en autre chose » ? Là j’ai tout le loisir de me poser la question, nous ne sommes plus dans le cours de la vie ordinaire, fait de ses petites urgences et grandes obnubilations de sorte qu’on n’a pas toujours le temps ou la présence d’esprit de se poser les bonnes questions.
Il y a une différence de taille entre d'une part le clergé de l'époque qui, aveuglé par des dogmes et par des croyances n'ayant rien à voir avec la raison, refusait de se soumettre à une démarche expérimentale et rationnelle qui allait contre ces croyances, et d'autre part la quasi-totalité des intellectuels de notre époque qui, quelles que soient leurs croyances, contestent de manière rigoureuse et en toute bonne foi les preuves purement intellectuelles de l'existence de Dieu.
Sur la rigueur, c’est justement ce qu’il s’agit de discuter dans le débat sur la possibilité ou non de prouver l’existence d’un être absolument infini. Si tu en fais un préalable indiscutable, persuadé que tu es que « tout le monde » te donne raison, il n’y a effectivement guère de discussion possible. Par ailleurs, au temps de Ptolémée, il n’y avait pas de clergé comme au moyen-âge. En insistant sur les mots « dogme » et « croyance », tu joues sur la confusion possible entre dogme philosophique, qui est un jugement objectivement indiscutable, et un dogme religieux qui est un jugement objectivement discutable qu’on rend indiscutable par des forces extérieures au raisonnement. D’autre part, même en ce qui concerne le clergé du moyen-âge, puisque je parlais de St Thomas, il est tout de même un peu facile de l’accuser d’aveuglement par sa foi sur une question d’ordre physique, lui qui justement envisageait systématiquement en philosophe les doctrines adverses.
La vraie raison pour laquelle l’héliocentrisme n’a pas eu de succès dès Aristarque, c’est que cela contredisait le sentiment commun, non pour des raisons religieuses, mais parce que l’expérience semble indiquer évidemment que le soleil tourne autour de la terre. Mais cette évidence là n’en est pas une puisque l’inverse est tout à fait concevable. On n’a donc pas sérieusement examiné les preuves qu’Aristarque avançait, Ptolémée les a balayées d’un revers de main persuadé qu’il avait toute la communauté des intellectuels rigoureux et de bonne foi derrière lui ! A vrai dire, la difficulté de l’héliocentrisme, c’est qu’il requiert pour être compris (et pas simplement appris comme une évidence à l’école) une conversion du regard, qui ne se tourne plus exclusivement sur l’expérience comme source unique du savoir. Une telle conversion n’est pas facile à opérer, c’est pourquoi Aristarque n’a pas été compris tout de suite. La conversion que demande Spinoza est encore plus radicale. Normal qu’elle soit encore plus difficile et donc plus longue à comprendre.
Quoiqu'il en soit, tu dis qu'une théorie qui n'est toujours pas reconnue par le plus grand nombre, trois siècles plus tard, ne peut rien avoir de certain. Je dis que cette confiance naïve dans la valeur scientifique du jugement du plus grand nombre, quand bien même s'agirait-il de celui des intellectuels, est démentie avec l'exemple d'Aristarque qui court sur environ 16 siècles ! Tu trouves alors le moyen de te défiler en invoquant la mauvaise foi des clergés, certain que tu sembles être de la bonne foi des "intellectuels" de notre temps. Quelle vision manichéenne de l'histoire des sciences ! Il y aurait eu une nuit obscurantiste de 16 siècles pour donner ensuite lieu à 3 siècles de lumière on va dire "quasi-certaine"... Pourtant si des hommes quels qu'ils soient ont pu se tromper pendant si longtemps sur ce qui était certain et ce qui ne l'était pas, je dis simplement qu'il faut être prudent quand on croit pouvoir s'autoriser du jugement du plus grand nombre et qu'il vaut mieux se rapporter à l'autorité de la raison seule, c'est-à-dire des idées claires, distinctes et
complètes en elles-mêmes. Tu me dis alors que tes idées à toi sont claires et distinctes, je te réponds que c'est ce qui est à voir, mais pour l'heure, évite simplement de croire que tes idées sont claires et distinctes simplement parce qu'elles sont partagées par le plus grand nombre.
Henrique