Shub-Niggurath a écrit :Je ne vois rien dans ces extraits, après les avoir lu avec attention, qui contredise mon affirmation selon laquelle l'intellect (ou l'entendement, c'est la même chose) de Dieu est constitué de la somme infinie des intellects singuliers.
Nous en revenons à une de vos premières phrases, appelant le même commentaire. L'infini n'est pas une somme de fini, et encore moins des éléments d'un ensemble infini dénombrable. Si vous parlez de TOUS les "intellects singuliers", associés à TOUS les corps et leurs affections possibles, je peux à la rigueur être d'accord. Mais si par extrapolation hasardeuse de E5P40S vous n'y mettez que les intellects humains - plus ou moins extrapolé en intellects animaux - je ne suis pas d'accord du tout : c'est une inversion totale de l'ordre ontologique, et jamais Spinoza ne dit cela (il dit au contraire, dans les extraits ci-dessus, les limites strictement imposées à l'intellect humain - et animal par conséquent.)
Shub-Niggurath a écrit :Si Spinoza préfère le dire clairement dans la partie 5 de l'Ethique et non dans la première, c'est son affaire, et nous n'avons pas à discuter ce point.
Certes Spinoza a fait comme Spinoza a voulu. Mais Spinoza était logique et auto-cohérent. Et cela ne l'est pas du tout. Inutile de rappeler qu'en outre je considère votre "déduction" de E5P40S (et j'y associe tous les commentateurs qui la font) comme n'étant nullement contenue dans le texte de ce scholie ; ou du moins, pour laisser place à un complément d'information, très loin d'y être évidente.
Shub-Niggurath a écrit :Il affirme également clairement l'éternité de notre intellect seulement dans cette partie, alors qu'il aurait tout aussi bien pu le faire dans la seconde partie.
Non. Il était parfaitement logique de traiter de la liberté de l'homme après avoir traité de son asservissement (et forcément, celui-ci après avoir traité de l'âme.) Cela n'est pas comparable à un exposé de l'ordre ontologique, qui s'impose dans le - ou à la suite immédiate du - De Deo. Par ailleurs, il mentionne bien dans E2 les différentes formes de connaissances, dont le troisième genre, en disant qu'il en reparlera dans E5.
Shub-Niggurath a écrit :Tous les extraits de Spinoza que vous citez, à vrai dire, ne me paraissent pas concerner la question de l'intellect divin, causé immédiatement par Dieu, par la proposition 21 de la partie 1 (proposition à laquelle il est fait référence dans le scolie dont nous parlions).
!!!?
Encore une fois je m'en tiens au texte : il contient "entendement infini / divin" (sauf erreur de traduction - qui semble difficile sur ce coup) c'est tout... Il en est dit en particulier (lettre 64, CT, ...) que c'est le mode infini (immédiat) de la Pensée, etc., comme E1P21 le dit de l'Idée de Dieu.
Oui ou non ? (c'est nettement plus aisé à trancher que l'extrapolation de E5P40S...)
Si, par exemple (il y en a d'autres) je décortique sans le dénaturer CTApp2 (10) 3°, j'obtiens :
L'entendement dans la chose pensante (l'attribut Pensée) :
1) Est créé immédiatement par Dieu.
2) Renferme objectivement l’essence formelle de toutes les choses et n'est jamais ni augmenté ni diminué.
3) Est idée nécessairement une, puisque l'essence des propriétés et des modifications contenues dans ces propriétés sont l'essence d'un seul être infini.
On a le tout, non ?
Et ceci est très nettement corroboré par les autres extraits (CT2Ch22 note 1, E2P3Dm, E2P8, ... et les autres.)
Shub-Niggurath a écrit :Ce passage du court traité corrobore s'il en était besoin que notre intellect est une partie de l'intellect infini et éternel de Dieu, ...
Je le dis aussi...
Shub-Niggurath a écrit :... et il ne me force nullement à prêter à Dieu un autre intellect que celui que nous avons.
...
Spinoza pose explicitement l'Intellect divin comme étant le mode infini de la Pensée, découlant absolument et immédiatement de son attribut. Il dit seulement après qu'en tant que nous avons des idées claires et distinctes alors notre âme est une partie (intègre, entière, non tronquée) de l'Entendement divin.
Ceci ne peut en aucune façon être inversé pour dire que l'entendement divin est la "somme" des entendements humains (ou animaux) !
Shub-Niggurath a écrit :Les modes en effet ne peuvent être compris sans la substance, mais la substance peut tout à fait l'être sans ses modes. Ainsi l'idée de Dieu est d'être une substance absolument infinie, consistant en une infinité d'attributs, qui sont tous éternels et infinis. Et Dieu n'a pas d'autre moyen de se connaître que dans ses modes, autrement dit Dieu, en tant qu'il est infini, ne se connaît pas lui-même. Il est, il pense et il s'exprime sous une infinité d'autres attributs, mais seuls les intellects singuliers peuvent former une idée de lui-même.
- Spinoza dit pourtant bien que Dieu (qui est Nature naturante ET naturée) a un Entendement infini par lequel il se connaît lui-même (c'est, encore une fois, imposé par le parallélisme.)
- Les modes infinis appartiennent à la Nature naturée (E1P31, après E1P30 pour l'Entendement infini de Dieu.)
(On peut donc être mode ET infini.)
- L'attribut Pensée (ou plusieurs d'ailleurs, si l'on en croît une des lettres) n'est pas extérieur à Dieu, le regardant, mais "constitutif" de Dieu. Donc l'idée de Dieu en tant que naturant (non modalisé) est l'attribut Pensée même.
Si je comprends le fond de votre objection, c'est que si l'idée de la substance (non modifiée) appartient à la nature naturée (modifiée), alors il y a contradiction (non modifié congru à modifié.)
Je suis d'accord que le texte est ambigu sur ce point...
Sur le fond, la "conscience pure", située avant toute pensée, et dans laquelle toute pensée naît, mentionnée par tous les grands Sages ("éveillés", "réalisés", ...) que la Terre ait portés est l'"idée" (dans un sens très particulier qui n'est pas celui de pensée) de la substance pensante (Pensée) même ; la substance pensante vue par elle-même.
Note : ceci est plus immédiat que l’Étendue indivisible, en fait, étant la conscience vue (forcément : seule la conscience voit, y compris l’Étendue) par elle-même. C'est selon moi pourquoi Spinoza ne prend même pas la peine de le développer (de son temps c'était beaucoup plus naturel que maintenant), alors qu'il argumente longuement sur l’Étendue. (L'idéalisme n'est en fait pas une pure invention gratuite de ce point de vue, mais la saisie naturelle de premier niveau ; le matérialisme stupide ne voit même pas que ce qu'il appelle "Matière" n'est qu'une pensée sur l’Étendue, et en outre que la puissance de l'homme ne saurait égaler celle de la Nature, et donc la saisir intégralement - ce que dit bien clairement Spinoza ci-dessus - ; en particulier parvenir a réellement identifier pensée et "matière", cette dernière étant en fait une pensée.)
Shub-Niggurath a écrit :Prêter à Dieu, en tant qu'il est infini, un intellect, c'est projeter sur lui un puissance qui n'appartient qu'aux modes, c'est anthropomorphiser Dieu, et le réduire à l'état de mode. Dieu est une puissance infinie et éternelle, qui ne comprends pas les choses à la manière des humains, mais qui affirme seulement son infinie puissance.
Pas chez Spinoza, pour lequel l'Entendement divin est l'Univers entier (sans égard pour une quelconque considération de temps ou de durée) exprimé dans l'attribut Pensée, et qui n'a presque rien à voir avec l'entendement humain.
Encore une fois : c'est imposé par une option spinozienne - à ma connaissance unique dans l'histoire de la pensée (mais qui est en fait beaucoup plus commune au temps de Spinoza du point de vue de la Pensée - Dieu pure pensée - que du point de vue de l’Étendue, qui est la nouveauté...) - : LE PARALLÉLISME DES ATTRIBUTS.