Des notions communes aux essences singulières

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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bardamu
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Messagepar bardamu » 03 juil. 2005, 19:52

hokousai a écrit :.
La puissance n’est pas la force ,c’est tout ce que je voulais dire .
Dieu n’a besoin d’aucune force .

E1P11 scolie
Car, puisque c'est une puissance que de pouvoir exister, il s'ensuit qu'à mesure qu'une réalité plus grande convient à la nature d'une chose, elle a de soi d'autant plus de force pour exister ; et par conséquent, l'Etre absolument infini ou Dieu a de soi une puissance infinie d'exister, c'est-à-dire existe absolument.
Hokousai a écrit :
Ce concept et cette idée de force est Nietzschéen et pas Spinoziste lequel a comme idée majeure la raison et non la force .
‘Cest ainsi que Spinoza est rationaliste et non énergétiste

E3P55 scolie
Or, comme cette joie se produit chaque fois que l'homme considère ses vertus, c'est-à-dire sa puissance d'agir, il arrive que chacun se plaît à raconter ses propres actions et à déployer les forces de son corps et de son âme, et c'est ce qui fait que les hommes sont souvent insupportables les uns pour les autres.

E4 Titre De l'esclavage de l'homme ou de la force des affects

E4D8
Vertu et puissance, à mes yeux, c'est tout un ; en d'autres termes (par la Propos. 7, part. 3), la vertu, c'est l'essence même ou la nature de l'homme, en tant qu'il a la puissance de faire certaines choses qui se peuvent concevoir par les seules lois de sa nature elle-même.
Hokousai a écrit : Je vous ai déjà expliqué assez clairement que causalité synthétique ou analytique n’était pas la question . Cela revient au même in fine si vous attribuez une force efficiente aux antécédents(comme causes ) sur les effets . je n’attribue pas de force à Dieu donc la causalité est une affaire de la naturée relève de la physique mais pas de la métaphysique .
La causalité immanente est la nécessité ie ce qui ne connaît justement pas de causes l’empêchant d’exister ce qui est l’essence de la substance une et indivisible .
hokousai

On peut considérer que la distinction naturante-naturée n'est que de Raison, puisque tout ce qui suit de Dieu en suit nécessairement. Il n'y a pas de nature naturante sans nature naturée et vice versa.
La nature naturée est aussi métaphysique ou aussi physique que la naturante.
En fait, la physique chez Spinoza est la nature selon l'Etendue. Mais on retrouve des termes communs pour l'Etendue et la Pensée.
"vis", "virtus", "potentia", "conatus", les termes d'une énergétique, de l'expression de Dieu, puissance en acte.

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hokousai
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Messagepar hokousai » 04 juil. 2005, 00:05

à Bardamu


. """"""""""La nature naturée est aussi métaphysique ou aussi physique que la naturante. """"""""""""

D ordinaire on attribue pas une réalité objective à la métaphysique ou à la physique .Ce sont des intellections .Cette distinction est des plus classiques .La métaphysique traite de l’étre en tant qu être et la physique traite de la nature empirique . Dieu n’est pas plus physique que métaphysique en revanche il y a un discours naturaliste sur Dieu et un discours métaphysique voire un discours théologique ..
Vous parlez de l’értendue ,certes, dans un discours naturaliste orienté vers la physique et non la biologie par exemple , c’ets à dire qu’une science constituée ( après Spinoza d'ailleurs ) oriente votre philosophie de la nature .

Les termes communs repérés reste dans ‘lEthique dans la généralité propre à la métaphysique et vous ne respectez pas les limites de cet ordre .Aristote était lui même loin de les respecter .Hegel non plus à qui on a reproché bien des absurdités en biologie déduites dialectiquement plus qu empiriquement .
…………………………………………………….
Sur la PUISSANCE.

Très utile de me citer ce texte( scolie prop 11 )
sur la démonstration que vous citez

""""" Car puisque pouvoir exister est une puissance .......
Que plus il appartient de réalité à la nature d’une chose plus elle à de forces par soi pour exister ………….Dieu a par soi une puissance d’exister absolument infinie et donc existe absolument """""""""""""

La déduction ( ou l’inférence ) se fait à partir d’une chose en général (plus il appartient de réalité à la nature d’UNE chose) et il est supposé d’une chose qu elle acquière réalité infinie et par là une force d’exister par soi infinie .
Le passage de cette chose à Dieu est des plus périlleux (logiquement ) Dieu ne peut être compris génétiquement comme une chose expansée infiniment . Ce n’est pas ainsi qu’il est compris génétiquement avant .

C’est bien pour cela que Spinoza précise plus bas . """"mais il suffit de remarquer que je ne parle ici des seules substances """", et la fin du scolie ne parle plus de puissance infinie mais d’ existence et d’absolue perfection .


En fin de texte Spinoza ne dit pas que l’existence est infinie mais que il parle de l’existence de l’Etant absolument infini .
Donc c'est Une puissance d’ exister qui est absolument infinie , certes, cela veut dire qu’ elle n’est pas finie , rien ne la borne ,rien de l' empêche, rien ne la contraint, aucune finitude rien n'empêche ce pouvoir exister ( puissance )et la compréhension est négative .

Mais il est certain que hors la contrainte logique de la finitude l’idée d’infini perd le sens qu'elle a quand elle est opposée à l’idée de fini . De fait elle perd son sens .
D où la nécessité logique de partir d’une chose finie ayant une puissance d’exister limitée et de faire une expansion imaginaire

Parler de puissance infinie d’exister est une forme d’ expression qui n’a pas le sens de force . Ce qui existe nécessairement l’est par nécessité et sans l' apport dune force , Dieu n'exerce aucune force ce qui existe existe , je dirai tout ,naturellement .

(Ce qui n'est pas le cas d'une chose particulière à laquelle il faut parce qu'elle est particulière et dans un jeu de forces, il lui faut une force .mais on est plus dans la perspective de la substance )
..............................................................................................

Je veux bien que vous continuiez à penser Dieu en terme de puissance infinie ..Personnellement j’ estime l’idée contradictoire . Dieu n’a aucunement besoin de puissance –force infinie puisque aucune force ne vient le contraindre . Une puissance-force infiniment faible suffit . Et après tout j' extrapole moins que vous ne le faites sur la physique .

Une puissance infini d’exister cela veut dire exister nécessairement .
Pas plus .

hokousai

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Messagepar bardamu » 04 juil. 2005, 18:55

hokousai a écrit :Une puissance infini d’exister cela veut dire exister nécessairement .
Pas plus .

Ca veut aussi dire qu'il découle de cette puissance une infinité de choses infiniment modifiées, une générosité infinie.

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Messagepar Miam » 06 juil. 2005, 13:37

Très cher Bardamu

Merci beaucoup pour ce magistral exposé de ce que tu penses être la physique spinozienne. Je crois que la différence de nos deux points de vue réside en ceci que tu entends valider cette physique d’un point de vue moderne alors que je la considère dans sa situation historique. Par exemple j’aurais quelque scrupule d’user de différentielles et d’intégration pour illustrer une théorie physique ignorante des infinitésimaux. Car enfin rien n’indique que Spinoza ait connu les infinitésimaux. La seule trace de ce qui pourrait correspondre à un infinitésimal concerne précisément les cercles non concentriques de la Lettre 12, puisque le rapport le plus grand suppose le rapprochement à l’infini des deux circonférences. Et j’imagine bien que Spinoza, vue son usage de la notion d’infini, puisse avoir quelque notion approchant celle des infinitésimaux, mais certainement pas de quoi concevoir des différentielles ou des intégrales, puisqu’il ne pouvait avoir connaissance des travaux en cette matière ni de Leibniz, ni de Bernoulli.

Par conséquent, je ne comprends pas comment un corps simple pourrait être l’intégration d’un mouvement composé. Je n’y vois pas de « rapport différentiel intrinsèque » car les corps les plus simples se différencient par « leur mouvement et leur repos, leur vitesse ou leur lenteur » (Lemmes 1 et 2). Et je n’y vois pas de « rapport différentiel intrinsèques » mais des déterminations extrinsèques et relatives, à l’instar de la mécanique cartésienne.

Ensuite je ne crois pas que le conatus puisse être considéré comme un « point dynamique ». Le conatus, ou effort pour persévérer dans son être, suppose l’existence du rapport de mouvement et de repos intrinsèque. Cet effort consiste à conserver ce rapport intrinsèque malgré les aléas de l’existence. On pourrait certes comparer les êtres formels (mais non actuels) comme des « points dynamiques », pourvu qu’on se rappelle qu’ils sont contenus dans une étendue indivisible (II 8, Coroll. et Scolie). Toutefois il ne s’agit pas là de conatus proprement dits mais de degrés de puissance ou d’intensités de l’étendue, tandis que le conatus suppose au moins que ces divers degrés de puissance puissent « être dits exister » comme êtres actuels et partant exister en acte à quelque moment du temps, sans quoi ils ne seraient pas chacun un « effort pour conserver son être ». Du reste, la notion de « point dynamique » me fait penser aux formes substantielles et aux monades de Leibniz beaucoup plus qu’à Spinoza.

L’essence actuelle serait selon toi « le vecteur résultant des contacts (rotation + translation) » entre les corps les plus simples, si je comprend bien ? Alors les corps les plus simples n’ont pas d’essence actuelle ? Ce seraient là les essences formelles donc ? Les intensités ou degrés de puissance (de réalité, de perfection) de l’étendue ? Cela me paraît très bizarre que des essences formelles puissent constituer immédiatement une essence actuelle, d’autant qu’il ne s’agit pas nécessairement de modes distincts : les choses qui existent en acte possèdent bien également une essence actuelle et une essence formelle.

« L’étendue, soumise à un mouvement » produirait selon toi une « figure » ou une « structure ». Je pense que pour Spinoza, la figure est un auxiliaire de l’imagination utile à l’entendement, à l’instar de la mesure et du nombre. Spinoza use bien sûr de figures dans ses exemples pour exiger une nécessité toute géométrique, mais il ne s’étend nulle part sur les propriétés épistémiques de la notion de figure. Plutôt que de figures, il parle de « formes ». Et ces formes sont en effet des « structures ». Ici aussi, je crois que tu considères les corps les plus simples comme des degrés de vitesse (ou de force ?) dans l’étendue, tandis que la « structure » n’apparaîtrait qu’au stade de l’essence actuelle. Je pense au contraire qu’ il n’y a que des formes-structures. L’essence formelle n’est pas moins structurée que l’essence actuelle. Comment le pourrait-elle s’il s’agit des essences formelles et actuelles du même mode ? Une composition partielle entre essences actuelles se traduira alors immédiatement dans les relations entre les essences formelles. Existence en acte, essence actuelle et essence formelles ne sont pas des modes différents mais le même mode perçu sous divers points de vue temporels EDT.

La « facies toti universi » est la structure de toutes les structures à chaque moment d’une durée sempiternelle.

Quant à alléguer des relations en extension, cela suppose des relations intensives, non ? Ces relations intensives sont les degrés de puissance de l’étendue, non ? (détrompe-moi !) Alors je crois que là tu localises la structure dans l’essence actuelle (en extension) et le dynamisme dans les degrés de l’étendue (intensités) ( ??). Mais de même que l’une n’est pas moins « structurale » que l’autre, l’essence actuelle n’est pas moins « dynamique » que l’essence formelle : le conatus n’est-il pas une force ? Bref, d’une manière générale, je ne vois pas comment les corps les plus simples pourraient être des points dynamiques sans forme ni structure, puisqu’il n’y a pas de force sans forme ni structure.

Enfin je ne vois pas pourquoi l’essence éternelle serait une rotation. Et de quelle essence éternelle s’agit-il ?

« Le rapport essentiel de chaque corps est intégré (au sens du calcul différentiel) dans un vecteur-mouvement exprimant la "force", »

Pourquoi la « structure » devrait-elle être intégrée en une « force », alors que le conatus ou force pour persévérer dans son être, c’est à dire conserver son rapport interne ou essence, est lui-même cette essence ? Encore une fois : pourquoi distinguer ici la force et la structure comme s’il s’agissait de deux êtres différents alors qu’il s’agit de deux points de vue complémentaires sur une même chose, la structure infinitaire étant une force constituante, de sorte que l’on puisse assimiler la totalité à la cause et la partie à l’effet ?

« "force", celle-ci étant un rapport de l'Etendue en tant qu'espace (mode infini immédiat) à l'Etendue en tant que durée (mode infini immédiat) ou à l'Etendue en tant que masse-inertie (mode infini immédiat) etc. »

Ca je ne comprend pas du tout. Il y a trois modes infinis immédiats ?

« De même qu'une vitesse a pour dimension une longueur divisée par un temps, chaque être combine différentiellement plusieurs aspects de l'Etendue qui sont ses dimensions dans l'Etendue : kg, mètres, secondes, ampères etc. autant d'unités chargées de porter des aspects de l'Etendue dont le rapport défini un mode de réel qualitatif. »

Je ne vois pas où tu trouves de tels « aspects de l’étendue » chez Spinoza. Chez Descartes si : les natures simples matérielles sont des « aspects de l’étendue ». Par ailleurs, kg, mètre, secondes, ampère, sont des « mesures » et appartiennent de ce fait aux auxiliaires de l’imagination selon Spinoza. Ce ne sont pas des « aspects de l’étendue » mais des modes de penser (êtres de raison) qui permettent de mesurer l’étendue.

« L'essence actuelle est le vecteur-mouvement résultant des contacts divers, c'est les flèches.
L'essence sub specie aeternitatis, c'est le tourbillon au point d'application de la flèche, c'est le mouvement tel qu'il serait sans contact avec le reste et qui conditionne la phase du vecteur-mouvement résultant. »

C’est quand-même très analogique. Ensuite c’est distinguer deux essences comme deux choses différentes alors qu’il s’agit de l’essence d’une même chose du point de vue de deux temporalités EDT différentes. Et je ne crois pas que l’essence sub specie aeternitatis soit l’essence « sans contact avec le reste ». Bien au contraire, toute essence, sub specie aeternitatis ou non, participe à la production de toutes les autres et le troisième genre de connaissance procède «de l’essence formelle d’un attribut », c’est-à-dire de l’idée cette production (selon moi via l’idée de Dieu).

Pour les deux paragraphes suivants, je crois avoir répondu en disant que l’aspect vectoriel et l’aspect structural ne correspondent pas à deux niveaux différents, l’un à celui des essences actuelles, l’autre à celui des essences formelles. Du reste ces deux aspects sont présents chez Huygens : un pendule c’est une production de la force de gravité. Huygens a fort bien assimilé le relativisme et la pesanteur-accélération de Galilée. Contrairement à Descartes. Pour faire une force, la vitesse ne suffit pas, il faut la vitesse au carré, c’est à dire l’accélération (voir les PPD). Je vois un Spinoza coincé historiquement entre Descartes et Huygens. C’est pourquoi je lis les PPD II comme une critique larvée de Descartes selon des notions compatibles avec Huygens. Selon Daniel Parrochia (« physique et politique chez Spinoza » in « Kairos » 11), la physique spinozienne serait une véritable synthèse entre les tourbillons cartésiens et les cycloïdes de Huygens, que d’ailleurs tu reprends tous deux en quelque manière dans tes dernières illustrations. Et ce n’est pas con du tout, bien qu’un peu court (pas toi, Parrochia !).

« Pourquoi ne pourrait-on pas dire que l'essence actuelle du corps est dépendante des contingences de l'existence ? C'est bien parce que nous sommes affectés de toute part par des choses que nous ne maîtrisons pas que nous avons des idées inadéquates. Celles-ci traduisent justement les affections du corps, les images. »

L’essence actuelle du Mental est constituée des idées, adéquates ou non, que nous avons dans l’existence (II 11). De même l’essence actuelle d’un corps est constitué des affections de ce corps. Mais cette essence actuelle se conserve pourtant durant toute l’existence de ce corps. Ce ne sont pas les corps qui créent l’essence actuelle d’un autre corps. Ce que « décide » la composition des corps, c’est seulement le moment du passage à l’existence en acte d’un corps et le moment où il quitte cette existence. Et l’essence actuelle du corps ne dépend pas de ces deux moments. L’essence actuelle « dépend » de l’existence dans la seule mesure où ce sont les aléas de l’existence qui le constituent. Mais le rapport lui-même est toujours déjà « rempli » par les affections qui le constituent, quoique celles-ci changent à chaque moment. Ou l’on voit que l’existence en acte et l’essence actuelle sont une seule et même chose selon deux (voire trois) temporalités EDT différentes. Donc l’essence actuelle ou rapport de mouvement et de repos n’est pas dépendant des affections qui le constituent. Du reste, si cela était, il faudrait que son essence enveloppe son existence.

Miam a écrit:

Quelle est la relation immédiate de l'étendue avec la vitesse si on omet le mouvement ? Il n'y en a pas. Pas de vitesse sans mouvement. La vitesse acquiert de l'importance dans un monde physique et non dans un monde géométrique. Et c'est le rapport de mouvement et de repos (essence actuelle) qui détermine le mode étendu comme faisant partie du monde physique.

« Tu veux dire que tu considère le monde de Spinoza comme géométrique plutôt que physique ? ».

Non non. Par « géométrique », je voulais dire un monde « en deux dimensions » (un plan d’immanence dirait Deleuze) avec des intensités qui y sont « contenues » et donc non individualisées. Ces intensités sont aussi des formes, des structures. Et des formes en mouvement, puisque le mouvement (mode infini immédiat) est l’intensité infinie qui « suit de la nature de l’attribut absolument » (I 21) et « se rapporte à Dieu en tant qu’il est infini » (I 22, 23, II 9, …). Il s’agit dans les deux cas, essences formelles et essences actuelles, d’un même monde et ce monde est physique. Mais les unes sont contenues dans l’étendue et leur être formel ne se distingue pas de celui de l’étendue. Le mouvement lui-même ne se distingue pas alors de l’étendue. L’étendue exprime la puissance infinie de la matière. Et comme cette puissance est infinie, la matière peut prendre toutes les formes qui s’interpénètrent et se composent alors selon une sorte de combinatoire infinie - d’un point de vue structural, et à ceci près que l’on se trouve du point de vue de l’éternité - tandis que d’un point de vue dynamique elle prend tous les degrés de puissance, celui du mouvement s’étendant toujours sur tous les autres. Ces degrés de puissance sont bien physiques. En tant que degrés de puissance en acte, elles correspondent à des choses qui existent, ont existé ou existeront « réellement », à des causes actives et non à des effets seulement.

« Comme par le moyen de ces Lois, en effet, la matière doit prendre nécessairement toutes les formes qu’elle peut recevoir, si nous les considérons dans l’ordre, nous pourrons arriver enfin à la forme qui est celle du monde présent ; nous n’avons ainsi à craindre aucune erreur d’une hypothèse fausse » (PPD III)

Pourtant, les essences formelles des choses qui n’existent pas se trouvent elles aussi contenues dans les attributs (II 8 et Coroll.). Quel est leur statut ? Quel est le statut du cheval ailé ? Il semble bien que le cheval ailé soit une essence formelle qui ne passera jamais à l’existence, ni sous la forme d’une essence actuelle (qui « peut être dit exister ») ni a fortiori sous la forme d’une existence actuelle. Mais cela pose un problème. Car quel est le degré de puissance de ces choses qui n’existent pas ? En principe nul, puisqu’elles n’existent pas et donc n’ont nulle perfection. Mais alors elles ne peuvent être contenues par l’attribut. Ce qui est contre le texte. C’est pourquoi, comme je l’ai déjà dit déjà, je pense que le degré de puissance de ces choses non existantes correspond à celui du « commun » (de la notion commune) qui sert de base (ou d’espace commun) sur laquelle vient se greffer l’affection passive qui conduit à l’idée confuse (voir la dernière histoire du cheval ailé je ne sais plus où). Mais ce degré de puissance est alors aussi celui d’une essence qu’enveloppe ce même « commun » (puisque les notions communes sont des idées d’essences mais du point de vue de la partie, c’est-à-dire des effets). Et cette essence-là est aussi actuelle : elle est aussi dite existante, bref elle est « réelle », elle au moins, si l’on veut, avec toutes les réserves d’usage. Il faut donc qu’il y ait deux essences (dont l’une de chose non existante et l’autre correspondant à une « chose commune ») pour un seul degré de puissance. Comment cela est-il possible ?

Je me réfèrerai ici pour une fois à Wolfson qui distingue l’ « être formel » de l’ « essence formelle ». Ici en effet, au seul niveau des essences formelles et êtres formels, c’est un peu comme tu le dis, on distingue l’aspect dynamique et l’aspect structural, mais les conséquences sont inverses des tiennes. L’ « être formel » concerne l’aspect dynamique de la forme contenue dans l’attribut. C’est la forme en tant que degré de puissance. Par contre l’ « essence formelle » concerne plutôt l’aspect structural : la « nature » du mode. L’être formel c’est est l’être de la chose comme effet constitutif de Dieu (et donc cause active). L’essence formelle c’est la « nature » d’une chose (selon la définition de l’essence) qui peut devenir l’objet d’une idée vraie, même si la chose n’existe pas. On peut en effet avoir l’idée vraie d’une affection passive d’un corps.

Il en résulte ceci. Les choses n’existant pas possèdent bien une essence formelle contenue dans l’attribut. Elles peuvent faire l’objet d’une idée vraie. Ainsi je peux fort bien référer rationnellement le cheval ailé à la mythologie. Par contre elles n’ont pas d’être formel propre. Il n’y a pas d’être formel du cheval ailé parce que celui-ci ne découle pas d’un affect actif, n’est qu’un effet et n’a pas de valeur causale dans l’ordre des causes. Les choses non existantes ne sont que l’ effet d’un « commun » actif et causal sur lequel elles viennent se greffer comme l’un des effets réels de cette cause,

J’explique par cela comment certaines des essences formelles contenues dans l’attribut peuvent assumer tous les mouvements, y compris ceux qui sont impossibles au niveau des essences actuelles. Ainsi un cheval ailé est impossible au niveau des essences actuelles parce qu’il y s’agit de définir ces essences par un rapport de mouvement et de repos, ce qui suppose une activité. Mais ce même cheval ailé est possible (et donc réel) au niveau des essences formelles parce que celles-ci n’expriment pas un rapport interne de mouvement et peuvent n’être que des effets. Spinoza nous dit seulement qu’elles sont des « formes » de l’étendue d’un point de vue structural (essences dont on peut avoir l’idée) ou dynamiques (degrés de puissance des causes ou êtres formels). C’est du reste pourquoi le troisième genre procède de l’idée de l’essence formelle d’un attribut et non de son être formel (II 40s2) : il faut passer par l’idée de Dieu et les êtres objectifs qui en découlent.

Comme la puissance infinie de l’étendue doit prendre toutes les formes possibles, elle doit également produire celles qui sont les effets, sans valeur causale, des degrés de puissance qui le constituent. Et ainsi tout mouvement et toute forme imaginable dans l’étendue, même dans la fantaisie ou le rêve, sera une essence formelle contenue dans l’attribut. Je disais donc « géométrique » parce que en effet ces mouvements ne tiennent pas compte de la matérialité des choses qu’assume, à l’instar des essences formelles possédant leur propre être formel, les essences actuelles (ces deux choses sont la même). On peut donc dire que selon l’aspect dynamique des « êtres formels » l’étendue est toujours physique, mais du point de vue structural des « essences formelles », elle peut n’être que géométrique dans ses effets (combien de fois Spinoza ne reproche-t-il pas à Descartes de connaître par les effets, c’est à dire par la « nature » des choses et de faire ainsi plus de la géométrie que de la physique ?).

« Je ne vois pas quelle particularité a la Pensée par rapport aux autres attributs »

Pourtant cela me paraît clair. L’attribut pensée est le seul qui s’applique sur tous les autres attributs via l’idée de Dieu et les êtres objectifs qui en suivent. C’est pourquoi la puissance de penser de Dieu égale sa puissance d’agir, puisqu’elles s’étendent également à tous les attributs.

« La facies totius universi des corps est la même chose que celle de la pensée mais en mouvement »

Ca je ne comprends pas. Je crois que tu voulais dire le contraire, non ?

« L'idée de Dieu est la connaissance de l'essence de Dieu d'où découle une infinité de modes infinis, or, l'entendement n'est qu'un mode infini parmi d'autres. L'infini absolu de l'essence de Dieu n'est-il pas supérieur à cet infini "en son genre" qu'est l'entendement ? »
Ce ne sont pas des modes qui suivent de l’idée de Dieu, mais les êtres objectifs des modes. Et l’idée de Dieu est aussi un mode infini (I 21 scolie). Il ne s’agit pas de l’essence de Dieu mais de son idée seulement. Et toute idée est un mode du penser.

« La lettre XII ne résout rien à ce niveau puisque Spinoza y parle justement d'un infini indéfini :
"certaines autres enfin peuvent être dites infinies ou, si vous l'aimez mieux, indéfinies, parce qu'elles ne peuvent être égalées par aucun nombre, bien qu'on les puisse concevoir comme plus grandes ou plus petites." »

Ce « si vous l’aimez mieux » s’éclaire si l’on relit le début de la lettre :
« Et aussi pour cette raison qu’on n’a pas distingué ce qui est infini parce que sans limite et une grandeur dont nous ne pouvons déterminer ou représenter les parties par aucun nombre, bien que nous en connaissons la valeur la plus grande et la plus petite ».
Par là Spinoza distingue l’ « infini » qu’on ne peut nombrer (indéfini) – de ce qui est « sans limite » (illimité). Ce qu’on ne peut nombrer n’est en effet pas nécessairement sans limite. Or les essences actuelles sont sans limites internes : elles sont infinies par leur cause et expriment, tout autant que les attributs, la puissance infinie de Dieu « d’une manière définie et déterminée ».Elles se déterminent les unes par rapport aux autres comme des infinis plus grand ou plus petit, bien qu’elles soient « indéfinies » par un nombre. C’est en ce sens seulement qu’à la fin de la Lettre 12, Spinoza veut bien les dire « indéfinies, si vous l’aimez mieux ».
Ces infinis de grandeurs différentes, ce sont les essences actuelles, les conatus (III 7). Dans l’Ethique, le conatus n’est jamais dit « indéfini ». Seule sa durée est dite indéfinie. L’essence actuelle est un infini « défini » par sa grandeur. Car dans l’Ethique « défini » veut dire déterminé. Mais il n’est pas « défini » par un nombre. L’essence actuelle ne possède pas de limite interne. Intérieurement, l’essence actuelle est infinie par sa cause. Ce n’est que sa durée qui se trouve limitée par la composition des corps existants. La durée est alors « indéfinie », impossible à nombrer, comme dans la Lettre 12, Mais elle est aussi indéfinie parce que bien que limitée nécessairement,.on ne peut déterminer cette limite. C’est là le nouveau sens de l’ « indéfini » dans l’Ethique. « La durée est la continuation indéfinie de l’existence » (II Déf. 5). Quant à elle, l’essence actuelle est à la fois « indéfinie » au sens d’indénombrable (Lettre 12) seulement et illimitée, car elle n’a pas de limite interne, c’est un véritable infini.

« Si le nombre est indéterminable, la grandeur, elle, est déterminée. »

C’est bien ce que je dis ci-dessus.

« Si la composition est infiniment repoussée sans jamais être intégrée, on ne peut pas, par exemple, déterminer un cercle. Si le cercle est la figure générée par un corps en rotation, mais si ce corps n'est jamais délimité parce qu'il faudrait une infini précision pour le faire, jamais le cercle ne se détermine. Il faut des paliers d'intégration pour déterminer les choses. »

Le cercle est déterminé par sa production même. Je n’ai pas besoin de préciser l’épaisseur de ma pointe de compas ni même de mesurer la longueur du fil avant d’avoir produit ce cercle. La grandeur du rapport est appréhendée dans sa production même (notion commune). Quant à sa mesure, elle découle seulement de cette production. La production du cercle suffit à déterminer le cercle, bien qu’il ne soit pas encore « défini » par des nombres.

« les infinitésimaux, sont la base de l'analyse classique en math. »

Mais Spinoza ne connaissait pas les infinitésimaux. Pour lui, l’infini demeure inanalysable. Et je ne suis pas sûr qu’il ait été d’accord avec l’infini infiniment divisible de Leibniz, parce que l’expression de l’infini, chez Spinoza et chez Leibniz, sont totalement différents (encore plus que veux bien le dire Deleuze).

Enfin, si on analyse une chose comme un tout, on examine ses parties, ces effets. Chez Spinoza toute chose se dit « par rapport à un tout » (comme tu dis) : elle se connaît par sa cause et, en dernière instance, par l’idée de Dieu. Spinoza parle de digestion, non d’organes. Lorsqu’il parle d’organes, il s’agit de représentation par l’organe (affections ou images) ou d’une impulsion partielle et partant passive (III 2s). Spinoza ne voit pas des organes, mais l’organisme et, pionnier en cela de la biologie moderne, il ne séparera jamais l’organe de sa fonction dans l’organisme.

A bientôt
Miam

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Messagepar hokousai » 06 juil. 2005, 14:53

""""""""""""On voit par là clairement que la mesure, le temps et le nombre ne sont que des manières de penser ou plutôt d’imaginer .
Il n’est donc pas étonnant que tous ceux qui ont entrepris de concevoir la marche de la nature à l’aide de notions semblables et encore mal comprises, se soient embarrassés dans des difficultés inextricables dont ils n’ont pu se tirer qu’en brisant tout et en admettant les pires absurdités ….« .
Comme il y a en effet beaucoup de choses que nous ne pouvons saisir que par le seul entendement ,non du tout par l’imagination ,et telles sont avec d’autres la substance et l’éternité , si on entreprend de les ranger sous des notions telles que nous les avons énumérées , qui ne sont que des auxiliaires de l’imagination , on fait tout comme si on s’ appliquait à déraisonner avec son imagination """"""""""""""""""

lettre12 à Louis Meyer

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Messagepar bardamu » 07 juil. 2005, 00:50

Miam a écrit :Très cher Bardamu

Merci beaucoup pour ce magistral exposé de ce que tu penses être la physique spinozienne. Je crois que la différence de nos deux points de vue réside en ceci que tu entends valider cette physique d’un point de vue moderne alors que je la considère dans sa situation historique.

Salut,
comme je disais dans ma première phrase, il ne s'agit pas de la physique de Spinoza mais d'un schéma compatible avec les notions de mouvement du XVIIe et avec celles de Spinoza en particulier.
L'idée n'est pas d'exprimer la pensée de Spinoza mais ma pensée, contemporaine, dans l'espoir que tu saisisses mes références et que tu exprimes les tiennes.

En plus, en y repensant, je me dis que j'inverse le rapport que je voudrais faire paraître en parlant d'"intégration de mouvements composés" pour faire un corps simple, alors qu'en calcul différentiel ce serait plutôt une dérivation de corps composés en un corps simple.

C'est comme dans le système de dérivation de type newtonien où on passe de la force à l'espace par dérivation selon le temps, chaque opération étant un changement de nature :
F = ma ; force = masse * accélération
a = dv/dt ; accélération = dérivée de la vitesse par rapport au temps
v = dl/dt ; vitesse = dérivée de la longueur par rapport au temps

Le corps simple est au corps composé ce que la vitesse est à l'espace, l'accélération à la vitesse.
Mais comme avec Louisa, je crois que je vais abandonner les analogies personelles et rester plus près de Spinoza, parce qu'au final je ne me fais pas mieux comprendre et je n'avance guère dans la compréhension de ta pensée.

J'aimerais saisir les relations que tu fais entre diverses notions et ce que tu entends exactement par elles :
- mouvement : rapport entre durée et espace ? transport d'un voisinage à un autre ? masse multiplié par vitesse ? changement de coordonnées ? changement d'état ?
- composition infinitaire synthétique : corps plein ? synthèse d'infinitésimaux (ça non apparament...) ?
- structure : réseau statique ?

Comment relies-tu ces notions, quelle représentation, modélisation serait la plus proche de ta pensée ?
Miam a écrit :Ici aussi, je crois que tu considères les corps les plus simples comme des degrés de vitesse (ou de force ?) dans l’étendue, tandis que la « structure » n’apparaîtrait qu’au stade de l’essence actuelle. Je pense au contraire qu’ il n’y a que des formes-structures. L’essence formelle n’est pas moins structurée que l’essence actuelle. Comment le pourrait-elle s’il s’agit des essences formelles et actuelles du même mode ? Une composition partielle entre essences actuelles se traduira alors immédiatement dans les relations entre les essences formelles. Existence en acte, essence actuelle et essence formelles ne sont pas des modes différents mais le même mode perçu sous divers points de vue temporels EDT.

Dans mon schéma, tout est visible en 1 fois et donc, essences formelles et actuelles, durée, temps et éternité, sont là, ensemble, dans une relation nécessaire et réciproque. Malgré tout, de même que l'essence formelle (je suppose que tu appelles "essence formelle" l'essence sub specie aeternitatis) se distingue de l'essence actuelle en ne prenant pas en considération ce qui dépend de la durée, la "spirale" que je mets à l'intérieur de chaque "cellule" ou particules pour parler comme Spinoza se distingue du mouvement relatif exprimé par la flèche et qui dépend des chocs entre particules. Tu prends 1 toupie, tu la lances dans un espace vide et tu as son mouvement propre. Tu prends 10 toupies, tu les lances dans un espace fermé et tu vois combien leur mouvement propre diffère de leur mouvement libre. Chacune s'efforce de conserver son mouvement propre, chacune s'efforce de tourner comme elle le ferait sans les autres, mais au final, c'est la situation qui leur impose leur mouvement, c'est le tout qui détermine leur essence actuelle.

Miam a écrit : Bref, d’une manière générale, je ne vois pas comment les corps les plus simples pourraient être des points dynamiques sans forme ni structure, puisqu’il n’y a pas de force sans forme ni structure.
(...)
Encore une fois : pourquoi distinguer ici la force et la structure comme s’il s’agissait de deux êtres différents alors qu’il s’agit de deux points de vue complémentaires sur une même chose, la structure infinitaire étant une force constituante, de sorte que l’on puisse assimiler la totalité à la cause et la partie à l’effet.

Et pourquoi distinguer 2 attributs alors qu'il s'agit de 2 expressions de la même chose ?
Mais pour toi concevoir une force sans forme ni structure est problématique ?
Et une structure serait une force constituante ?
Ca me fait penser à des sortes de formes pré-existantes, des moules genre Aristote qui formerait les choses par l'action du Divin potier mais je suppose que ce n'est pas ça.
Miam a écrit :« "force", celle-ci étant un rapport de l'Etendue en tant qu'espace (mode infini immédiat) à l'Etendue en tant que durée (mode infini immédiat) ou à l'Etendue en tant que masse-inertie (mode infini immédiat) etc. »

Ca je ne comprend pas du tout. Il y a trois modes infinis immédiats ?

Il y en a une infinité peut-être.
Miam a écrit :« De même qu'une vitesse a pour dimension une longueur divisée par un temps, chaque être combine différentiellement plusieurs aspects de l'Etendue qui sont ses dimensions dans l'Etendue : kg, mètres, secondes, ampères etc. autant d'unités chargées de porter des aspects de l'Etendue dont le rapport défini un mode de réel qualitatif. »

Je ne vois pas où tu trouves de tels « aspects de l’étendue » chez Spinoza. Chez Descartes si : les natures simples matérielles sont des « aspects de l’étendue ». Par ailleurs, kg, mètre, secondes, ampère, sont des « mesures » et appartiennent de ce fait aux auxiliaires de l’imagination selon Spinoza. Ce ne sont pas des « aspects de l’étendue » mais des modes de penser (êtres de raison) qui permettent de mesurer l’étendue.

Ces aspects, je les trouve dans la physique.
Et j'ai bien dit que les unités, les mesures, étaient chargées de porter des aspects de l'Etendue mais il faut s'intéresser à ces aspects pas aux mesures, de même qu'il faut s'intéresser à la durée et pas au temps. Spinoza ne connaissait pas grand chose en physique et pouvait se contenter d'un mécanisme mais aujourd'hui il faudrait plutôt parler de formes d'énergie qui, au moins dans notre univers, semble constituer des champs infinis, des modes infinis (médiats ou immédiats ?) : champ gravitationnel, champ électro-magnétique.
Mais bon, ce sont peut-être des références qui ne t'intéressent pas si tu veux rester dans une étude historique de la pensée de Spinoza. Laissons tomber.

Miam a écrit :Selon Daniel Parrochia (« physique et politique chez Spinoza » in « Kairos » 11), la physique spinozienne serait une véritable synthèse entre les tourbillons cartésiens et les cycloïdes de Huygens, que d’ailleurs tu reprends tous deux en quelque manière dans tes dernières illustrations. Et ce n’est pas con du tout, bien qu’un peu court (pas toi, Parrochia !).

Quand on lit les lettres sur Boyle, c'est beaucoup moins "pur" comme physique. Ses histoires de particules pointues qui passent dans les pores de la langue pour nous donner la sensation de piquant rend sa conceptualisation assez naïve. Et d'ailleurs, un passage me fait douter qu'il n'ait pas adopter une forme d'atomisme :
dans la lettre VI, selon les notes de l'édition Flammarion (notes d'Appuhn ?) "Boyle se demande s'il existe une portion de matière composée de parties si petites et si mobiles, que, soumises à une action extérieure qui les divise encore ou à une compression, elles puissent sans qu'il y ait d'espace vide entre elles, et sans qu'elles occupent un espace plus grand, se déplacer les unes par rapport aux autres, d'un mouvement incessant."
Spinoza répond : Il faut répondre affirmativement à moins qu'on ne veuille admettre un progrès à l'infini ou accorder l'existence du vide, ce qui est la plus grande absurdité.

Le "progrès à l'infini" c'est un peu l'écueil que je voyais dans ta conception et qui me semblait empêcher toute détermination, mais je ne sais pas si c'est ça qu'il entendait, ou bien si à cette époque il acceptait une forme d'atomisme.
Miam a écrit :
« Pourquoi ne pourrait-on pas dire que l'essence actuelle du corps est dépendante des contingences de l'existence ? C'est bien parce que nous sommes affectés de toute part par des choses que nous ne maîtrisons pas que nous avons des idées inadéquates. Celles-ci traduisent justement les affections du corps, les images. »

L’essence actuelle du Mental est constituée des idées, adéquates ou non, que nous avons dans l’existence (II 11). De même l’essence actuelle d’un corps est constitué des affections de ce corps.

Si l'essence actuelle est constituée d'idée inadéquate et vu que les idées inadéquates naissent des contingences de l'existence (c'est-à-dire de ce qu'on ne connait pas), il me semble légitime de considérer que l'essence actuelle est dépendante de ces contingences.
Cela ne veut pas dire qu'elle est définie par ces contingences, cela veut dire qu'elle est... dépendante, non libre. Libérons notre essence !
Miam a écrit :Non non. Par « géométrique », je voulais dire un monde « en deux dimensions » (un plan d’immanence dirait Deleuze) avec des intensités qui y sont « contenues » et donc non individualisées. Ces intensités sont aussi des formes, des structures.

Faudra que je vérifie, mais pour autant que je connaisse Deleuze, ces intensités ne sont pas des formes, ce sont justement les infinitésimaux dont je parle et qui constituent des points singuliers d'où on isole des formes, des structures.
Pour faire une forme, il faut au moins 2 intensités.
Miam a écrit :L’étendue exprime la puissance infinie de la matière. Et comme cette puissance est infinie, la matière peut prendre toutes les formes qui s’interpénètrent et se composent alors selon une sorte de combinatoire infinie - d’un point de vue structural, et à ceci près que l’on se trouve du point de vue de l’éternité - tandis que d’un point de vue dynamique elle prend tous les degrés de puissance, celui du mouvement s’étendant toujours sur tous les autres. Ces degrés de puissance sont bien physiques. En tant que degrés de puissance en acte, elles correspondent à des choses qui existent, ont existé ou existeront « réellement », à des causes actives et non à des effets seulement.

Donc on dit la même chose mais pas dans le même ordre...
Miam a écrit :Mais ce même cheval ailé est possible (et donc réel) au niveau des essences formelles parce que celles-ci n’expriment pas un rapport interne de mouvement et peuvent n’être que des effets. Spinoza nous dit seulement qu’elles sont des « formes » de l’étendue d’un point de vue structural (essences dont on peut avoir l’idée) ou dynamiques (degrés de puissance des causes ou êtres formels).

Que de complications...
Et pourquoi ne pas considérer tout simplement que les choses n'existant pas signifie "les choses n'existant pas en ce moment", tandis que le cheval ailé est tout simplement un être d'imagination, un jeu de notre corps qui mélange comme il veut les traces qu'il a en mémoire ?
Le cheval ailé existe au minimum en tant que mouvement de notre corps imaginant un cheval ailé.
Miam a écrit :« Je ne vois pas quelle particularité a la Pensée par rapport aux autres attributs »
Pourtant cela me paraît clair. L’attribut pensée est le seul qui s’applique sur tous les autres attributs via l’idée de Dieu et les êtres objectifs qui en suivent. C’est pourquoi la puissance de penser de Dieu égale sa puissance d’agir, puisqu’elles s’étendent également à tous les attributs.

Et la puissance de mouvement de Dieu n'égale pas sa puissance d'agir ?
Ce n'est pas la première fois qu'on me parle d'une particularité de la Pensée mais je ne vois pas comment on peut accepter le parallélisme et dire que la Pensée est spéciale par rapport à l'Etendue ou à tout autre attribut.
Miam a écrit :« La facies totius universi des corps est la même chose que celle de la pensée mais en mouvement »
Ca je ne comprends pas. Je crois que tu voulais dire le contraire, non ?

Euh... non. La structure du monde comme composition infini d'idée, comme composition de l'attribut Pensée est la même chose que la structure du monde comme composition infini de corps, comme composition de l'attribut Etendue. Même ordre et connexion dans les idées et dans les corps, même structure, même dynamisme.
Miam a écrit :« L'idée de Dieu est la connaissance de l'essence de Dieu d'où découle une infinité de modes infinis, or, l'entendement n'est qu'un mode infini parmi d'autres. L'infini absolu de l'essence de Dieu n'est-il pas supérieur à cet infini "en son genre" qu'est l'entendement ? »
Ce ne sont pas des modes qui suivent de l’idée de Dieu, mais les êtres objectifs des modes. Et l’idée de Dieu est aussi un mode infini (I 21 scolie). Il ne s’agit pas de l’essence de Dieu mais de son idée seulement. Et toute idée est un mode du penser.

Aarghhh... Peux-tu me préciser cette distinction que tu fais entre "être objectif" et "être objectif des modes" ?
L'être objectif n'est-il pas l'idée des choses et donc un mode ?

Et je disais que c'est de l'essence de Dieu que découle une infinité de modes infinis (E1P16) et pas de l'idée de Dieu.

Miam a écrit :Le cercle est déterminé par sa production même. Je n’ai pas besoin de préciser l’épaisseur de ma pointe de compas ni même de mesurer la longueur du fil avant d’avoir produit ce cercle. La grandeur du rapport est appréhendée dans sa production même (notion commune). Quant à sa mesure, elle découle seulement de cette production. La production du cercle suffit à déterminer le cercle, bien qu’il ne soit pas encore « défini » par des nombres.

Question simple : comment, selon toi, se "finissent" les choses finies ?
Comment se finit un cercle fini, comment fait-il pour avoir une grandeur finie ?
Miam a écrit :« les infinitésimaux, sont la base de l'analyse classique en math. »
Mais Spinoza ne connaissait pas les infinitésimaux. Pour lui, l’infini demeure inanalysable. Et je ne suis pas sûr qu’il ait été d’accord avec l’infini infiniment divisible de Leibniz, parce que l’expression de l’infini, chez Spinoza et chez Leibniz, sont totalement différents (encore plus que veux bien le dire Deleuze).

Il ne connaissait pas non plus "la composition infinitaire synthétique". Tout cela c'est notre vocabulaire et c'est là qu'est le problème puisque je ne comprends pas ton vocabulaire et que tu ne comprends pas le mien.
Quand tu parles d'inanalysable pour quelque chose d'infiniment composé, cela n'a pas de sens pour moi puisque justement l'analyse fonctionnelle se fait sur ces principes.
Et je ne crois pas que Spinoza emploie les termes d'analyse ou de synthèse. La meilleure présentation du mode de composition me semble être dans la lettre 32 avec la lymphe et le chyle formant le sang, où il montre que chaque chose peut tantôt être prise comme un Tout, tantôt comme une partie.
Si la chose se dit par rapport à un Tout, elle se dit aussi en tant que Tout.
Heureusement, sinon on ne parlerait que de Dieu transformé en ceci, et de Dieu transformé en cela, ce qui ne serait pas très pratique même si c'est le fond de sa pensée.

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Messagepar hokousai » 07 juil. 2005, 01:34

à Bardamu


""""""""""""""""""""Miam a écrit:
« Je ne vois pas quelle particularité a la Pensée par rapport aux autres attributs »
Pourtant cela me paraît clair. L’attribut pensée est le seul qui s’applique sur tous les autres attributs via l’idée de Dieu et les êtres objectifs qui en suivent. C’est pourquoi la puissance de penser de Dieu égale sa puissance d’agir, puisqu’elles s’étendent également à tous les attributs. """""""""""

ah oui pour moi aussi ça tique un peu . Ce n’est pas vraiment clair Chez Spinoza je le concède .
Il faut admettre que l’IDEE de Dieu est comme le contenant de la forme de tous les attributs et donc a prééminence sur les attributs y compris celui de la pensée .
Ce qui n'est plus une pensée mais l'est encore , puisque c'est une idée que cette IDEE de Dieu .
Paradoxe de l 'ensemble de tous les ensembles .!!!

Par ailleurs Spinoza dit bien que Dieu ne pense pas ni n’a de volonté .
On doit respecter l’ évocation permanente d’ un entendement de Dieu, mais nous n' y avons pas accès (le chien céleste ) .Par défaut on peut même en toute logique ne pas le penser comme de l’ attribut pensée
On peut le penser comme CAUSE des choses, et on est ramené à la problématique de la cause .(scolie prop 17/1)

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Messagepar Miam » 26 juil. 2005, 15:02

Réponse à Bardamu.

« En plus, en y repensant, je me dis que j'inverse le rapport que je voudrais faire paraître en parlant d'"intégration de mouvements composés" pour faire un corps simple, alors qu'en calcul différentiel ce serait plutôt une dérivation de corps composés en un corps simple.

C'est comme dans le système de dérivation de type newtonien où on passe de la force à l'espace par dérivation selon le temps, chaque opération étant un changement de nature :
F = ma ; force = masse * accélération
a = dv/dt ; accélération = dérivée de la vitesse par rapport au temps
v = dl/dt ; vitesse = dérivée de la longueur par rapport au temps »

Pourquoi pas ? Mais il faudrait encore montrer le rapport avec la temporalité EDT chez Spinoza, et montrer que celui-ci atteint la notion leibnizienne de force (ce qui est possible vu sa considération de l’accélération dans les PPD, mais ce n’est pas établi).

« J'aimerais saisir les relations que tu fais entre diverses notions et ce que tu entends exactement par elles :
- mouvement : rapport entre durée et espace ? transport d'un voisinage à un autre ? masse multiplié par vitesse ? changement de coordonnées ? changement d'état ?
- composition infinitaire synthétique : corps plein ? synthèse d'infinitésimaux (ça non apparament...) ?
- structure : réseau statique ? »

De mon point de vue (il semble qu’il faille nous rencontrer en allant vers des côtés opposés) :

Le mouvement :

- Un rapport entre durée et espace ? Plutôt un rapport entre le temps et l’espace dans les Principes de la philosophie de Descartes. Mais c’est là le point de vue des auxiliaires de l’imagination qui participent aux idées claires et distinctes et permettent les procédures expérimentales en physique.

- Transport du voisinage d’un corps à un autre ? Non. Certainement pas. C’est ce qui distingue Spinoza de Descartes. Chez Spinoza le mouvement est un rapport intrinsèque infini et/ou une relation avec l’infinité des corps contenus dans l’attribut. Le mode étendu n’est pas un morceau de l’étendue.

- Masse multiplié par vitesse ? C’est à dire quantité de mouvement. Dans le Court Traité certainement : tel est alors le mouvement comme mode infini. Mais l’Ethique abandonne toute référence à une quantité précise de mouvement.

- Changement d’état ? Oui, au sens spinozien d’ « état » car c’est ainsi que l’on traduit le plus souvent la « constitutio seu affectus ». Aussi le Mental et le Corps sont-ils mus (« moventur »), lorsqu’ils sont affectés. Mais le rapport de mouvement interne demeure pourvu que les parties « se communiquent leur mouvement selon un certain rapport ». Je sais bien que Deleuze assimile ces parties aux corps les plus simples, puisque toute partie peut être considérée comme un tout. Mais n’est-ce pas oublier que ces parties ne sont des touts qu’intrinsèquement ? Elles ne le sont que si elles-mêmes sont composées de parties qui se communiquent leur mouvement selon un certain rapport, etc… ad infinitum. Le mouvement communiqué aux autres parties dépend du mouvement intrinsèque et vice versa. Le rapport est engendré par sa variation. Cela répond-t-il à la définition du changement d’état ?

Composition infinitaire synthétique :

D’un point de vue structural, j’entends par là simplement une composition de rapports internes de mouvement, qu’elle soit ou non perçue par le Mental. Analogie des pendules composés. Synthétique parce qu’il ne s’agit pas d’une composition d’éléments simples. Infinitaire parce que les formes que l’on compose sont elles-mêmes composées infinitairement : à savoir composées de parties elles-mêmes composées, etc…

D’un point de vue dynamique j’entends la même chose en considérant le rapport interne comme force causale, à savoir ici comme mouvement puisque Spinoza reste en deça de Leibniz et assimile encore comme Descartes la force et le mouvement. Seulement la quantité cartésienne de mouvement devient dans l’Ethique un rapport interne de mouvement. Le mouvement, comme mode infini, est lui-même un rapport interne (puisqu’il est un mode comme un autre). Aussi « se composer » n’est autre chose que « communiquer leur mouvement selon un certain rapport », de sorte que les parties qui se composent deviennent les effets-propriétés d’une totalité-cause. La définition par la cause n’est alors rien d’autre que la saisie du rapport de mouvement interne selon lequel les différentes parties-effets se communiquent leur mouvement.

Je veux dire que tout mouvement interne est derechef un mouvement externe. Analogie biologique. Tout rapport interne n’est tel qu’en relation avec un dehors infini. Le rapport individuant n’a lui-même de sens qu’en rapport, de sorte qu’il n’est pas concevable sans transformations incessantes, compositions, décompositions et recompositions de ses parties. Je veux dire également par là que le mouvement dont nous parlons est une affection, non d’une étendue cartésienne, divisible, homogène et mesurable ; mais d’une étendue continue, indivisible et contenant des degrés de puissance parce que véritablement infinie.

Par conséquent on ne peut considérer simplement une structure statique. La structure est toujours dynamique et ce n’est que notre langage qui nous contraint à distinguer ces deux points de vue. Du reste l’opposition structural-dynamique ne suit pas l’opposition être-essence (voir autre message d’hier)

« Comment relies-tu ces notions, quelle représentation, modélisation serait la plus proche de ta pensée ? »

Deux schèmes chez Spinoza : le mouvement pendulaire = la cycloïde de Huygens et le schème biologique (nutrition, transformation, régénérescence / individuation). Sans compter la physique cartésienne dont il se libère peu à peu (jusqu’où ?).

« Dans mon schéma, tout est visible en 1 fois et donc, essences formelles et actuelles, durée, temps et éternité, sont là, ensemble, dans une relation nécessaire et réciproque. Malgré tout, de même que l'essence formelle (je suppose que tu appelles "essence formelle" l'essence sub specie aeternitatis) se distingue de l'essence actuelle en ne prenant pas en considération ce qui dépend de la durée, la "spirale" que je mets à l'intérieur de chaque "cellule" ou particules pour parler comme Spinoza se distingue du mouvement relatif exprimé par la flèche et qui dépend des chocs entre particules. Tu prends 1 toupie, tu la lances dans un espace vide et tu as son mouvement propre. Tu prends 10 toupies, tu les lances dans un espace fermé et tu vois combien leur mouvement propre diffère de leur mouvement libre. Chacune s'efforce de conserver son mouvement propre, chacune s'efforce de tourner comme elle le ferait sans les autres, mais au final, c'est la situation qui leur impose leur mouvement, c'est le tout qui détermine leur essence actuelle. »

J’aime bien cette image de toupie. Mais l’essence formelle ne peut être comparée à une toupie solitaire. Elle demeure en relation (productive) avec toute l’infinité des autres essences contenues dans l’attribut. C’est justement au niveau actuel que l’on peut la considérer individuellement, parce que cette relation y est traduite en un rapport interne. La seule toupie solitaire serait plutôt le mouvement lui-même.

« Mais pour toi concevoir une force sans forme ni structure est problématique ?
Et une structure serait une force constituante ? »

Wi. (Enfin par pour moi : pour Spinoza selon moi).

« Ca me fait penser à des sortes de formes pré-existantes, des moules genre Aristote qui formerait les choses par l'action du Divin potier mais je suppose que ce n'est pas ça. »

Ben non. Il n’y a pas de formes déterminées préexistantes puisque forme suppose transformation-production (rapport interne ou externe infini).

« Quand on lit les lettres sur Boyle, c'est beaucoup moins "pur" comme physique. Ses histoires de particules pointues qui passent dans les pores de la langue pour nous donner la sensation de piquant rend sa conceptualisation assez naïve. Et d'ailleurs, un passage me fait douter qu'il n'ait pas adopter une forme d'atomisme :
dans la lettre VI, selon les notes de l'édition Flammarion (notes d'Appuhn ?) "Boyle se demande s'il existe une portion de matière composée de parties si petites et si mobiles, que, soumises à une action extérieure qui les divise encore ou à une compression, elles puissent sans qu'il y ait d'espace vide entre elles, et sans qu'elles occupent un espace plus grand, se déplacer les unes par rapport aux autres, d'un mouvement incessant."
Spinoza répond : Il faut répondre affirmativement à moins qu'on ne veuille admettre un progrès à l'infini ou accorder l'existence du vide, ce qui est la plus grande absurdité. »

Spinoza défend là la physique cartésienne. La naïveté dont tu parles est cartésienne. Il suffit de lire « l’homme » ou « Le monde » pour la retrouver. On ne saurait parler proprement d’atomisme, même quant à la physique cartésienne. La conception cartésienne de l’étendue est moins atomiste qu’analytique. Je veux dire qu’elle ne nécessite pas l’atomisme. Le problème c’est qu’on ne voit pas très bien comment, sans le vide, les choses ne finissent pas par se gripper : comment le mouvement est possible sans vide. Mais Descartes ne répond jamais à ce problème. Si Descartes exclut également tout « progrès à l’infini » c’est qu’il explique le mouvement par les différences de grandeurs et de figures des corps. Ce que ne fait jamais Spinoza en son nom propre. Spinoza suit encore ici la physique cartésienne. Ce n’est qu’après son installation à Voorburg qu’il fréquentera les Huygens. Et la physique de l’Ethique semble rien moins que cartésienne.

Si Spinoza refusait tout progrès à l’infini, comment aurait-il pu avoir la moindre idée des infinitésimaux (idée que tu lui octroies) ? C’est là l’ambiguité de ton discours : il ne peut accepter un progrès à l’infini parce qu’il faut des corps simples, mais il le doit parce que sinon impossible d’user d’infinitésimaux. Tandis que je dis que Spinoza, sans connaître les infinitésimaux, établit une constitution infinitaire. C’est un problème historique. Je vois bien la filiation Descartes, Leibniz, Newton. Et je pense que c’est là seulement, parmi d’autres, un des traitements possibles du problème de l’infini inauguré avec Copernic. C’est pourquoi je mets Spinoza avec Bruno et Galilée contre Descartes. Mais je ne peux évidemment rien dire de la filiation classique de la physique spinozienne, puisqu’il en a pas, du moins en physique. Ne peut-on traiter de l’infini autrement que par les infinitésimaux ? Il me semble que Spinoza montre que oui. Par ailleurs ta démarche me semble fort « physicaliste » alors que les schèmes spinoziens sont aussi biologiques dans la mesure où Spinoza lui-même ne distingue pas ces deux sciences comme le fait l’épistémologie moderne.

« Et pourquoi ne pas considérer tout simplement que les choses n'existant pas signifie "les choses n'existant pas en ce moment", tandis que le cheval ailé est tout simplement un être d'imagination, un jeu de notre corps qui mélange comme il veut les traces qu'il a en mémoire ? »

Parce que c’est sans doute là la lecture de 8 commentateurs sur 10 mais ce n’est pas la mienne : cela laisse inexpliqué et en dehors de la substance ces « êtres d’imagination ». Et rien ne peut être hors de la substance.

«
Miam a écrit:

« La facies totius universi des corps est la même chose que celle de la pensée mais en mouvement »
Ca je ne comprends pas. Je crois que tu voulais dire le contraire, non ?

Euh... non. La structure du monde comme composition infini d'idée, comme composition de l'attribut Pensée est la même chose que la structure du monde comme composition infini de corps, comme composition de l'attribut Etendue. Même ordre et connexion dans les idées et dans les corps, même structure, même dynamisme. »

Mais pourquoi la facies des corps devrait être en mouvement et la facies des idées non ?

« Aarghhh... Peux-tu me préciser cette distinction que tu fais entre "être objectif" et "être objectif des modes" ?
L'être objectif n'est-il pas l'idée des choses et donc un mode ? »

Je ne distingue pas « être objectif » et « être objectif des modes » (où vas-tu chercher ça ?) mais être objectif compris dans l’idée de Dieu et modes de l’attributs, bien que les premiers constituent les seconds et en sont les expressions. Cela fait des lunes que je distingue ces deux et je ne comprends pas ton cris de surprise ( ?)

Si « le Mental est constitué par l’idée du Corps » et que cette idée est un mode, alors ce mode ne peut être que le Mental lui-même. Le Mental devrait alors se constituer lui-même. Ce qui est impossible parce que seule la substance se constitue elle-même.

« Et je disais que c'est de l'essence de Dieu que découle une infinité de modes infinis (E1P16) et pas de l'idée de Dieu »

Bien sûr. Mais cela ne change rien.

« Question simple : comment, selon toi, se "finissent" les choses finies ?
Comment se finit un cercle fini, comment fait-il pour avoir une grandeur finie ? »

Précisément : elles sont finies sans devoir être mesurées. Elles sont des « grandeurs » ou des « quantités » mais non encore mesurées. Le cercle ne se définit pas par ses dimensions. Cela ce sont les propriétés du cercle. Il se définit par le mouvement du compas dont l’écart peut être plus ou moins grand (cela nous le saisissons directement dans la notion commune) mais n’a pas besoin d’être mesuré avant que l’on déduise de cette production les propriétés du cercle (et cela ce sont les idées claires et distinctes qui suivent des idées adéquates, sont donc elles-mêmes adéquates, et permettent l’établissement de protocoles expérimentaux : monter un cheval, ce n’est pas tenir un discours au sujet de l’équitation).

« Heureusement, sinon on ne parlerait que de Dieu transformé en ceci, et de Dieu transformé en cela, ce qui ne serait pas très pratique même si c'est le fond de sa pensée. »

Si c’est le fond de sa pensée, il faut aussi l’expliquer comme cela. C’est d’ailleurs ce que Spinoza fait lui-même. Et il ne peut y avoir de rupture entre cette sorte d’explication métaphysique et l’explication physique. Du reste Spinoza n’en fait jamais. Il précède Kant. C’est d’ailleurs ce qui fait tout son intérêt.

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Messagepar Miam » 27 juil. 2005, 20:42

Pour revenir sur les chiens aboyants et célestes sur lesquels Hokusaï semble se focaliser. Cette comparaison est fondée sur une hypothèse qui n’est pas celle de Spinoza :

« si l’entendement et la volonté appartiennent à l’essence éternelle de Dieu (…) l’entendement et la volonté qui constitueraient (constituerent) l’essence de Dieu (…) Si un entendement appartient à la nature divine (…) l’entendement de Dieu donc, en tant qu’il est conçu comme constituant l’essence de Dieu (…) l’entendement de Dieu en tant qu’on le conçoit comme constituant l’essence divine (…) »

Cette hypothèse s’oppose à la conception spinozienne de l’entendement comme mode car seul les attributs constituent l’essence de la substance (I Déf. 4 et 6). D’ailleurs, au début de ce même scolie de I 17, Spinoza affirme clairement que

« ni l’entendement, ni la volonté n’appartiennent à la nature de Dieu ».

La comparaison des entendement divins et humain avec le chien céleste et le chien aboyant ne concerne que cette acception de l’entendement de Dieu et non le concept spinoziste.

Miam

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hokousai
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Messagepar hokousai » 30 juil. 2005, 17:45

cher miam

Dans le scolie de la prop 17 de Deo Spinoza ne se contente pas d’une comparaison (chien céleste chien aboyant ) mais montre ce qu’elle signifie,cela à partir d’une compréhension de la cause ou plus précisément du causé.
Lequel comme effet diffère en ce qu’il tient d’elle (la cause ). Par exemple ;Un homme est cause de l’existence d’un autre homme dans l’exister ils doivent différer
Le causé existant diffère de la cause causant l’existence .

Pour la convenance des hommes par l’ essence laquelle ne cause pas l’existence, le causé(l’ effet ) de la destruction de la cause ( l’ essence d ‘un seul homme ) serait la destruction de l’essence de tous les hommes ,l’essence est une cause universelle qui n’a apparemment pas le même statut d’ efficience que la cause de l’existence .

Il semble bien y avoir y a donc deux régimes des causes .
Ce qui pourrait amener à penser que le régime de la cause par l’essence nous donne un accès à l’essence de l’entendement de Dieu ( en tant qu’on le conçoit constituer l’essence divine )car l’essence de l’ homme est une vérité éternelle .Mais cela n empêche pas la différence .

Spinoza conclut qu’une chose (l’intellect de dieu ) qui est cause de notre intellect tant de l’essence que de l’existence doit différer de notre intellect tant de l’essence que de l’existence et ne doit avoir avec lui d’ autre convenance que de nom .La conjonction ,existence ET essence, introduit une causalité complexe (duelle ) mais nécessaire et suffisante .Ainsi on ne peut dire que l’entendement humain ne diffère qu à moitié (selon l ‘existence ) de l ‘entendement de Dieu .Il en diffère alors que nous en avons l ‘idée.
Ils diffèrent suffisamment pour que Spinoza ose cette analogie entre les chiens .

Hokousai


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