Henrique a écrit :Je dis simplement que vous passez à côté d'une joie plus grande qui est de percevoir ce qu'il y a d'éternel dans notre existence même, et pas simplement de concevoir une éternité que vous espérez une fois libéré de la vie du corps, qui semble tant vous peser.
Je n'espère en aucun cas l'éternité après la mort du corps, puisque au contraire je soutiens comme Spinoza que l'éternité est l'existence même, mais je ne conçoit pas comme vous l'éternité comme limitée par l'existence du corps, ce qui serait une bien étrange éternité. Je conçois au contraire que notre intellect s'unit dans une succession infinie à une infinité de modes divers dans l'infinité des attributs de Dieu, ce qui me paraît découler directement non de mon imagination mais de la doctrine même de Spinoza :
"nous avons démontré la durée éternelle et constante de notre intellect"
Court traité, chapitre 26, 9
"Nous croyons avoir suffisamment montré jusqu'à présent ce qu'est notre amour pour Dieu, et les effets de cet amour, c'est-à-dire notre propre durée éternelle"
court traité, chapitre 24, 1
Après ces citations, il ne me semble pas que mon opinion touchant la doctrine de Spinoza soit éloignée de la vérité. Si Spinoza séparait, comme vous le faites, l'éternité de la durée, ces expressions seraient dénuées de sens. Or il les emploie. Il faut donc affirmer que l'éternité implique la durée infinie, et cela sans tordre inutilement la pensée de Spinoza, ni en le traduisant d'une manière qui s'oppose à son sens véritable.
D'ailleurs, dés le court traité, Spinoza revient constamment sur la nécessité de l'amour intellectuel de Dieu pour nous faire passer de l'amour pour le corps à l'amour pour Dieu, seul amour à être éternel, et seule chose capable de nous faire accéder à l'éternité de l'esprit. C'est bien dans l'amour intellectuel de Dieu que réside le salut, et non dans la raison, ni dans l'amour pour le corps. C'est l'intuition qui doit nous guider, par l'intermédiaire des affects, à jouir de cet amour pour Dieu, qui consiste en une union entre l'intellect singulier que nous sommes et l'être absolument infini.
Par suite la dévalorisation du corps est presque totale pour Spinoza, l'intellect amoureux de Dieu est entièrement spirituel, et n'a rien à voir avec les jouissances que nous pouvons tirer des choses matérielles. Je ne pense pas donc être très éloigné de comprendre vraiment la pensée de Spinoza, qui nous encourage à délaisser les joies corporelles pour les joies toutes spirituelles de la connaissance pure.
Il y a un dualisme dans la pensée de Spinoza lui-même, qui distingue, sauf erreur, deux attributs distincts parmi une infinité d'autres, à savoir la matière et l'esprit, et il privilégie la vie spirituelle de l'intellect, conçu comme puissance de comprendre le monde, sur la vie matérielle du corps. Evidemment, tant que le corps existe, il serait absurde de ne pas s'en servir, par exemple pour lutter contre la mélancolie en écoutant de la musique.