L'Entendement

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
Avatar du membre
alcore
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 517
Enregistré le : 12 avr. 2009, 00:00
Localisation : Paris

Messagepar alcore » 02 mai 2009, 22:21

Sesho

Sur le fond, vous dites que la notion d'attribut est liée à la finitude de notre entendement. Cela ressemble à une compréhension idéaliste des choses: on conçoit de notre point de vue, tout subjectif, que la substance a des attributs. Les attributs sont nos points de vue sur la substance.

Si vs voulez.

Je trouve plus intéressant de considérer que la perception n'est pas humaine ou subjective et qu'elle expressive de la chose même. Ne pas considérer le percevoir du côté du perçu uniquement, mais aussi en tant qu'acte. La substance se perçoit et quand je perçois quelque chose, j'assiste à la perception; certes il y a une part d 'imagination, de rencontre qui ne dérive pas directement de la substance ce pourquoi percevoir c est aussi imaginer; mais il y a quelque chose dans toute perception qui est irréductible à moi, à mon imagination, cela ne vient pas des choses que je perçois mais de la façon de les percevoir, façon qui exprime l'attribut pensée.
et cela est vrai de tout: tout est expressif, tout perçu est un percipiens.

Mais je suis d'accord sur le fait que percevoir enveloppe une part de finitude. Spinoza ne dit jamais que nous percevons la substance; nous la concevons, mais ne la percevons pas. Nous percevons ses attributs, avec évidence (nul ne doute d être dans le monde et de penser), et la puissance de l'attribut, dans son infinité, produit chacune de nos pensées, comme pensées finies. La finitude pour SPinoza est toujours liée me semble t il à une complication de l'infini. Il y a du fini parce que l"infini ne cesse jamais de se compliquer à l"infini.

Avatar du membre
sescho
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1127
Enregistré le : 30 mai 2002, 00:00
Localisation : Région Centre
Contact :

Messagepar sescho » 02 mai 2009, 22:33

alcore a écrit :a) à mes yeux le Deus sive natura n a rien d'évident. Où Spinoza dit il cela ?

E4Pré : ... aeternum namque illud, et infinitum Ens, quod Deum, seu Naturam appellamus,...

E4P4 : ... est ipsa Dei, sive Naturae potentia. ...

Spinoza met souvent en équivalence "loi de la Nature" et "décret divin" par ailleurs.

On trouve deux dénégations de cela dans les lettre, mais défensives, et sur une acception de "nature" qui n'est pas celle de Spinoza. C'est surtout le problème, je crois : le sens que l'on donne à "Nature"... Un livre en anglais dit : Spinoza distingue Dieu / Nature de la nature comprise comme le monde physique, créé.

"Parallélisme" c'est juste un mot pour signifier ce que pose Spinoza sur la parfaite correspondance des modes dans les divers attributs. Toute image est défectueuse.


Serge
Connais-toi toi-même.

Avatar du membre
alcore
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 517
Enregistré le : 12 avr. 2009, 00:00
Localisation : Paris

Messagepar alcore » 02 mai 2009, 22:42

sescho a écrit :E4Pré : ... aeternum namque illud, et infinitum Ens, quod Deum, seu Naturam appellamus,...

E4P4 : ... est ipsa Dei, sive Naturae potentia. ...

Spinoza met souvent en équivalence "loi de la Nature" et "décret divin" par ailleurs.

On trouve deux dénégations de cela dans les lettre, mais défensives, et sur une acception de "nature" qui n'est pas celle de Spinoza. C'est surtout le problème, je crois : le sens que l'on donne à "Nature"... Un livre en anglais dit : Spinoza distingue Dieu / Nature de la nature comprise comme le monde physique, créé.

"Parallélisme" c'est juste un mot pour signifier ce que pose Spinoza sur la parfaite correspondance des modes dans les divers attributs. Toute image est défectueuse.


je connais les citations que vous donnez. D'abord remarquez que Spinoza dit : Deus seu natura et que donc l 'expression courante est purement fictive.
Ensuite il y a quelques occurrences dans les propositions de Eth 4.
Mais comme je l'ai déjà dit, ce n'est pas décisif parce qu'en Eth 4 il s'agit de développer une théorie de la servitude humaine et qu à ce niveau, oui, Dieu est la nature. En Eth V toute référence à la nature disparait presque.
Je pense que Spinoza à modifier la conception de la nature, qu'il a intégré la nature à Dieu, qu'il a rendu Dieu immanent à la nature, mais cela ne signifie pas à mes yeux que Dieu SOIT la nature. En tout cas, cela n a rien d'évident et le fait que l on résume souvent sa pensée par cette expression-cliché me semble totalement abusif.

Avatar du membre
sescho
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1127
Enregistré le : 30 mai 2002, 00:00
Localisation : Région Centre
Contact :

Messagepar sescho » 02 mai 2009, 23:08

alcore a écrit :En fait Spinoza a déjà fait usage du concept de Pensée et d'Etendue comme Attributs. Par ex EthI,14, cor2
"lachose étendue et la chose pensante sont ou des attributs de Dieu, ou des affections des attributs de Dieu"

Vous avez tout lu ? : "... ou des affections des attributs de Dieu."

alcore a écrit :Il n'en reste pas moins que la preuve ne repose pas sur une inférence de l"infini à partir du fini, mais sur le fait que toute pensée finie, déterminée enveloppe comme sa condition de possibilité, en tant que cette pensée CI, une forme capable de produire non seulement la forme générale de la pensée, mais sa détermination, son contenu concret, et c'est proprement cela qui intéresse Spinoza dans cette preuve.

C'est une perception de l'infini comme commun au fini, quoi.

alcore a écrit :Il n'est question de l'homme que maintenant, pas dans Ethique I. Je ne vois pas de raison d'introduire l'homme en Ethique 1. ...

A partir du moment où il y a un auteur et un lecteur, l'homme est forcément impliqué partout. Et s'il s'agit de Dieu, pourquoi parler de l'entendement qui perçoit et pas directement des attributs eux-mêmes ? Et si l'on va par là, Dieu n'est pas encore défini lorsque l'attribut l'est. Et encore moins son entendement (E2P3 hors scholies.)

Quant à E1P10, donne-t-elle un ordre à Dieu ? : Tout attribut d’une substance doit être conçu par soi.

Démonstration : L’attribut, en effet, c’est ce que l’entendement perçoit dans la substance comme constituant son essence (suivant la Déf. 4). Il doit donc (par la Déf. 3) être conçu par soi. C. Q. F. D.

E1P15S : ... Si quelqu’un me demande maintenant pourquoi nous sommes ainsi portés naturellement à diviser la quantité, je répondrai que la quantité se conçoit de deux façons, d’une façon abstraite et superficielle, telle que l’imagination nous la donne ; ou à titre de substance, telle que le seul entendement nous la peut faire concevoir. Si nous considérons la quantité comme l’imagination nous la donne, ce qui est le procédé le plus facile et le plus ordinaire, nous jugerons qu’elle est finie, divisible et composée de parties ; mais si nous la concevons à l’aide de l’entendement, si nous la considérons en tant que substance, chose très difficile à la vérité, elle nous apparaîtra alors, ainsi que nous l’avons assez prouvé, comme infinie, unique et indivisible. ...


Serge
Connais-toi toi-même.

Avatar du membre
sescho
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1127
Enregistré le : 30 mai 2002, 00:00
Localisation : Région Centre
Contact :

Messagepar sescho » 02 mai 2009, 23:35

alcore a écrit :... je connais les citations que vous donnez. D'abord remarquez que Spinoza dit : Deus seu natura et que donc l 'expression courante est purement fictive.

Cela m'aurait fait gagner quelque temps que vous les citiez vous-mêmes, alors... Mais avez-vous bien lu la deuxième, "Dei, sive Naturae" ?

alcore a écrit :... cela ne signifie pas à mes yeux que Dieu SOIT la nature. En tout cas, cela n a rien d'évident et le fait que l on résume souvent sa pensée par cette expression-cliché me semble totalement abusif.

Bis repetita. Sinon, tout dépend de ce que vous appelez "la Nature".

E1P15 : Tout ce qui est, est en Dieu, et rien ne peut être, ni être conçu sans Dieu.

Scolie : ... Je le répète, toutes choses sont en Dieu, et tout ce qui arrive, arrive par les seules lois de la nature infinie de Dieu, et résulte (comme je vais le faire voir) de la nécessité de son essence. ...

E1P16 : De la nécessité de la nature divine doivent découler une infinité de choses infiniment modifiées, c’est-à-dire tout ce qui peut tomber sous une intelligence infinie.

Etc.

Comme le dit aussi l'extrait d'Arnaud Desjardins que j'ai reproduit par ailleurs : tout est Dieu, et pourtant la transcendance de Dieu par rapport aux phénomènes est absolument maintenue. Transcendance ne veut pas dire extériorité ; c'est aussi ce que signifie "cause immanente." Reste à en déduire la consistance des dits phénomènes...


Serge
Connais-toi toi-même.

Avatar du membre
alcore
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 517
Enregistré le : 12 avr. 2009, 00:00
Localisation : Paris

Messagepar alcore » 03 mai 2009, 00:15

sescho a écrit :Vous avez tout lu ? : "... ou des affections des attributs de Dieu."


En voici une autre : I,31

"Par entendement, en effet, nous n'entendons pas la pensée absolue, mais seulement un mode défini du penser qui diffère des autres, tels que le désir, etc et par conséquent doit être conçu par la PENSEE ABSOLUE; AUTREMENT DIT IL DOIT ETRE CONCU PAR QUELQUE ATTRIBUT QUI EXPRIME L ESSENCE ETERNELLE ET INFINIE DE LA PENSEE, etc."

on apprend d'ailleurs au passage que l'entendement dont question au début est un mode de la pensée absolue, mais qu'il n'est en rien humain.
C'est une perception de l'infini comme commun au fini, quoi.

Avatar du membre
alcore
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 517
Enregistré le : 12 avr. 2009, 00:00
Localisation : Paris

Messagepar alcore » 03 mai 2009, 00:20

sescho a écrit :[
Comme le dit aussi l'extrait d'Arnaud Desjardins que j'ai reproduit par ailleurs : tout est Dieu, et pourtant la transcendance de Dieu par rapport aux phénomènes est absolument maintenue. Transcendance ne veut pas dire extériorité ; c'est aussi ce que signifie "cause immanente." Reste à en déduire la consistance des dits phénomènes...


Serge


Je ne crois pas que l 'idée de phénomènes soit présente chez Spinoza. Précisément, l'idée d'attribut a pour but de conjurer le phénoménisme. Le fini est partiellement imaginaire, mais il a toutefois une essence qui le distingue du phénomène. Il y a bien priorité ontologique de la substance sur les modes, mais les modes sont expressifs de la substance et ne sont donc pas des phénomènes.
ou alors on a en vue l'ensemble des signes, des informations que l imagination réalise, ce sont des images qui ont leur vérité propre d ailleurs.
Le bouddhisme est bcp pls cohérent me semble t il avec Shopenhauer qui de fait réduit le monde a un ensemble d'apparences dont la vérité est la Volonté.
rien de tel chez Spinoza

Avatar du membre
sescho
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1127
Enregistré le : 30 mai 2002, 00:00
Localisation : Région Centre
Contact :

Messagepar sescho » 03 mai 2009, 10:44

alcore a écrit :En voici une autre : I,31 ...

Cet exemple est certainement mieux choisi que le précédent. Pour le reste il n'y a rien de probant là-dedans puisqu'encore une fois je ne cherchais pas en l'occurrence à restituer Spinoza, mais la philo-genèse :D de l'affaire. En choisissant de m'interpeller sur le texte de Spinoza, vous êtes donc à côté de la plaque. Spinoza est très cohérent dans l'ensemble, c'est certain. Sinon, en effet, cette démonstration anticipe sur E2P1.

alcore a écrit :...on apprend d'ailleurs au passage que l'entendement dont question au début est un mode de la pensée absolue, mais qu'il n'est en rien humain.

Deux questions si vous voulez bien :

Comment interprétez-vous "mode" en l'occurrence ?

Qu'est-ce qui vous fait dire qu'il n'est en rien humain ?


Serge
Connais-toi toi-même.

Avatar du membre
sescho
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1127
Enregistré le : 30 mai 2002, 00:00
Localisation : Région Centre
Contact :

Messagepar sescho » 03 mai 2009, 11:15

alcore a écrit :[Je ne crois pas que l 'idée de phénomènes soit présente chez Spinoza. Précisément, l'idée d'attribut a pour but de conjurer le phénoménisme. Le fini est partiellement imaginaire, mais il a toutefois une essence qui le distingue du phénomène...

Pour moi ce n'est qu'une question de mots. Il n'y a aucune raison dans mon esprit de distinguer absolument un phénomène d'une chose singulière, si ce n'est peut-être que le premier insiste plutôt sur l'aspect dynamique, la seconde plutôt sur l'aspect statique (en quelque part comme une photographie). Mouvement-repos. Mais Spinoza dit bien :

CTApp1P4Dm : La vraie essence d'un objet est quelque chose de réellement distinct de l’idée de cet objet ; et ce quelque chose, ou bien existe réellement (par l'ax. III), ou est compris dans une autre chose qui existe réellement et dont il ne se distingue que d'une manière modale et non réelle. Telles sont les choses que nous voyons autour de nous, lesquelles, avant d'exister, étaient contenues en puissance dans l’idée de l’étendue, du mouvement et du repos, et qui, lorsqu'elles existent, ne se distinguent de l'étendue que d'une manière modale et non réelle. ...

Mais "Manifestation" me va très bien aussi en équivalent ; même si Spinoza ne l'emploie pas non plus (ce n'est pas un argument du tout, d'ailleurs), c'est très très clairement ce qu'il entend.

Le Bouddhisme (très proche du Védantisme, qui est néanmoins plus exactement la base du propos d'Arnaud Desjardins), qui pousse très loin l'absence de substantialité des choses singulières, s'accommoderait sans doute mal en premier lieu des essences éternelles. Il y a même dispute entre écoles pour déterminer si le "Non-né" (substance non qualifiée) est une "entité" permanente. Toutefois, les essences des corps, par exemple, étant totalement distinctes de l'existence de ces corps, mais ne se distinguant pas, finalement, de l'essence du Mouvement dans l'Etendue, c'est beaucoup moins tranché qu'il peut le paraître en première approche.


Serge
Connais-toi toi-même.

Avatar du membre
alcore
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 517
Enregistré le : 12 avr. 2009, 00:00
Localisation : Paris

Messagepar alcore » 03 mai 2009, 12:25

sescho a écrit :Pour moi ce n'est qu'une question de mots. Il n'y a aucune raison dans mon esprit de distinguer absolument un phénomène d'une chose singulière, si ce n'est peut-être que le premier insiste plutôt sur l'aspect dynamique, la seconde plutôt sur l'aspect statique (en quelque part comme une photographie). Mouvement-repos. Mais Spinoza dit bien :

CTApp1P4Dm : La vraie essence d'un objet est quelque chose de réellement distinct de l’idée de cet objet ; et ce quelque chose, ou bien existe réellement (par l'ax. III), ou est compris dans une autre chose qui existe réellement et dont il ne se distingue que d'une manière modale et non réelle. Telles sont les choses que nous voyons autour de nous, lesquelles, avant d'exister, étaient contenues en puissance dans l’idée de l’étendue, du mouvement et du repos, et qui, lorsqu'elles existent, ne se distinguent de l'étendue que d'une manière modale et non réelle. ...

Mais "Manifestation" me va très bien aussi en équivalent ; même si Spinoza ne l'emploie pas non plus (ce n'est pas un argument du tout, d'ailleurs), c'est très très clairement ce qu'il entend.
?


Je n'ai pas la même traduction du CT. Ma trad dit que les essences des choses existaient comme comprises dans les attributs, et non qu'elles existaient en puissance, ce qui contredit directement la doctrine spinoziste actualiste.

Pour le reste, je ne peux juger des courants au sein du bouddhisme.
Ce que je pense, c'est que pour Spinoza il ne reviendrait pas au même de dire que telle chose est phénomène (bien sûr la chose réelle, existante, pas une illusion) et qu'elle est une essence exprimant la substance. dans un cas, on fait du monde un théâtre d'ombre, dans l'autre on fait de l'univers matériel, notamment, une expressionde Dieu.
Quand je vois cette table, ma perception est une pensée qui, dans son contenu, est produite par Dieu (ou dérive de l'idée de Dieu en fait), et en ce sens onpourrait dire que cette table n'est qu'un phénomène et qu'on n'a besoin de rien d'autre après tout.
ainsi Fichte: le seul donné, ce ne sontpas les choses (puisqu'elles naissent dans l'imagination donc apres coup), mais la puissance infinie de penser, le noumène. Ce qui est donné c'est l infini qui, justement, s'impose à moi radicalement, et c'est l"infini que je divise ensuite, parce que je suis fini en telle ou telle pensée que l'imagination réalise en tel phénomène.
Mais Spinoza ajoute: cette pensée, cette perception, ce phénomène est AUSSI une expressionde l'infinité de l'Etendue, donc c'est bien un corps "en soi" qui apparaît là et pas seulement un phénomène dont l'essence serait dans la substance pensante.
Bref Spinoza n'est pas spiritualiste.





Serge[/quote]


Retourner vers « La connaissance »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 6 invités