Modes infinis, médiats-immédiats : état des lieux ?

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
Règles du forum
Cette partie du forum traite d''ontologie c'est-à-dire des questions fondamentales sur la nature de l'être ou tout ce qui existe. Si votre question ou remarque porte sur un autre sujet merci de poster dans le bon forum. Merci aussi de traiter une question à la fois et d'éviter les digressions.
Pourquoipas
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 387
Enregistré le : 30 déc. 2003, 00:00

Modes infinis, médiats-immédiats : état des lieux ?

Messagepar Pourquoipas » 04 nov. 2008, 20:19

Bonjour à tous,

Pour tâcher de comprendre quelque chose à la question qui a donné lieu à de houleux débats, je voudrais ici vous faire part de certaines réflexions à partir de quelques textes portant sur l’épineuse, délicate et difficile question dite des modes infinis, immédiats-médiats. N’en prenez pas ombrage, mais je me suis volontairement abstenu de nommer tel ou tel des intervenants sur d’autres fils (et dont je me suis inspiré). Les traductions sont de moi, et bien sûr contestables. Et cela va sans dire, mais mieux en le disant, j’ai pu me tromper dans telle ou telle lecture, interprétation, etc., oublier ou ne pas voir tel ou tel texte, etc.

Dans les propositions 21 à 23 de Ethique I

Spinoza a écrit :21 — Toutes les conséquences nécessaires d’un attribut de Dieu devront exister toujours et infinies, autrement dit sont éternelles et infinies à travers (per) cet attribut.

22 — Toute conséquence d’un attribut de Dieu, en tant qu’il a été modifié par une modification telle qu’il existe nécessairement et infini, doit elle aussi exister nécessairement et infinie.

23 — Tout mode qui existe nécessairement et infini a dû être conséquence nécessaire ou de la nature absolue d’un attribut de Dieu ou d’un attribut modifié d’une modification qui existe nécessairement et infinie.

23 Dm — En effet un mode est en un autre par quoi il est conçu (par Df 5), c’est-à-dire (par 15) est en Dieu seul et peut être conçu par Dieu seul. Si donc un mode est conçu exister nécessairement et infini, cette double [caractéristique] doit nécessairement être conclue, ou perçue, à travers un attribut de Dieu en tant qu’il est conçu exprimer l’infinité et la nécessité d’existence, autrement dit (c’est la même chose par Df 8) l’éternité, c’est-à-dire (par Df 6 et 16) en tant qu’il est considéré absolument. Donc un mode qui existe nécessairement et infini a dû suivre de la nature absolue d’un attribut de Dieu, et ce ou immédiatement (là-dessus voir 21) ou par l’intermédiaire d’une modification qui suit de sa nature absolue, c’est-à-dire (par 22) qui existe nécessairement et infinie.


On ne peut que constater qu’il y a ambiguïté dans l’expression de Spinoza entre l’énoncé de la 23 et sa démonstration :
— dans l’énoncé, il semble opposer « suivre de la nature absolue d’un attribut » et « suivre d’un attribut modifié » ;
— dans la démonstration, il regroupe sous la même expression « suivre de la nature absolue d’un attribut » le fait d’en suivre « immédiatement » et celui d’en suivre « par l’intermédiaire d’une modification existant nécessairement et infinie ».

Toujours est-il que s’il ne parle pas de modes infinis-éternels de second rang, degré, niveau (dits traditionnellement « modes infinis médiats »), dans le Court Traité, il le fait dans son principal ouvrage, le plus systématique et le plus travaillé, l’Ethique. C’est à la lumière de l’[/quote]Ethique[/quote] qu’il faut lire le Court Traité et non l’inverse (de plus, compte tenu des difficultés éditoriales que pose ce dernier texte). Il en parle peu, soit, mais il en parle. Même s’il les utilise peu et si ces modes infinis de second rang semblent tout à fait superfétatoires et fort peu utiles à notre salut.
Spinoza fait d’ailleurs usage de la 22 dans la démonstration de la 28, pour y prouver qu’une chose particulière (= finie et ayant une existence déterminée) n’a pu être produite ni directement par la nature absolue d’un attribut de Dieu (par la 21) ni par un attribut affecté d’une façon quelconque (aliquo modo affectum), c’est-à-dire par un mode infini (il reprécise la synonymie mode-affection dans 28 Dm). Pourquoi éprouverait-il le besoin d’ajouter ce point s’il ne pensait pas que de tels modes (de second rang) existent ?
Ou alors doit-on considérer que cela donne quelque crédit à l’hypothèse selon laquelle l’usage de la 22 ici ne serait que négatif : à savoir pour servir à prouver qu’une chose singulière n’a pu suivre d’un mode infini. En d’autres termes : Spinoza aurait écrit la proposition 22 juste pour prouver que les modes finis ne peuvent être conséquences d’aucun infini, que ce soit substance-attributs ou modes ? Personnellement, j’y crois peu (notamment à cause de la lettre 64, voir plus bas), mais après tout pourquoi pas ?
En droit, d’ailleurs, comme on l’a remarqué, on ne voit pas pourquoi ces modes infinis ne continueraient pas à impliquer des conséquences infinies et éternelles, et sic in infinitum. Mais bon, on en voit peu l’intérêt, sauf à insister lourdement (ce qui n’est pas rien et n’est pas inutile à rappeler) sur le fait que de l’infini et de l’éternel, ne peut découler que de l’infini et de l’éternel. Et donc, effectivement (là-dessus tout le monde semble d’accord), en aucun cas le fini ne naît, ne découle, n’est conséquence de l’infini.


Le scolie de la proposition 28 de Ethique I

Spinoza a écrit :Cùm quaedam à Deo immediatè produci debuerunt, videlicet ea, quae ex absolutâ ejus naturâ necessariò sequuntur, et alia mediantibus his primis, quae tamen sine Deo nec esse, nec concipi possunt ; hinc sequitur I°. quod Deus sit rerum immediatè ab ipso productarum causa absolutè proxima ; non vero in suo genere, ut ajunt. Nam Dei effectûs, sine suâ causâ, nec esse, nec concipi possunt (per Prop. 15 et Coroll. Prop. 24). Sequitur II°. quod Deus non potest propriè dici causa esse remota rerum singularium, nisi forte eâ de causâ, ut scilicet has ab iis, quas immediatetè produxit, vel potius, quae ex absolutâ ejus naturâ sequuntur, distinguamus. Nam per causam remotam talem intelligimus, quae cum effectu nullo modo conjuncta est. At omnia, quae sunt, in Deo sunt, et à Deo ità dependent, ut sine ipso nec esse, nec concipi possunt.

Comme certaines choses ont dû être produites immédiatement par Dieu, à savoir celles qui suivent nécessairement de sa nature absolue, et d’autres par l’intermédiaire de ces premières, qui pourtant ne peuvent sans Dieu ni être ni être conçues, il suit de là : 1) que Dieu est cause absolument prochaine des choses produites immédiatement par lui, mais pas en son genre, comme on dit. Car les effets de Dieu ne peuvent sans leur cause ni être ni être conçus (par 15 et 24 C). Il suit : 2) que Dieu ne peut être dit proprement cause éloignée des choses singulières, si ce n’est peut-être pour cette cause que nous distinguions celles-ci de celles qu’il a produites immédiatement, ou plutôt qui suivent de sa nature absolue. Car par cause éloignée nous entendons celle qui n’est conjointe en aucune façon avec son effet. Or toutes les choses qui sont sont en Dieu et dépendent de Dieu de telle sorte que sans lui elles ne peuvent ni être ni être conçues.


Sur ce scolie, plusieurs questions que je me pose :

— Dès la première phrase, Spinoza affirme qu’il y a des choses produites immédiatement par Dieu et d’autres produites par l’intermédiaire de ces premières « qui pourtant ne peuvent sans Dieu ni être ni être conçues ».
Pour la plupart des commentateurs (Gueroult, Curley entre autres), ces choses « qu’il a produites immédiatement, ou plutôt qui suivent de sa nature absolue », désignent tous les modes infinis (qu’il y en ait un, deux, 7 893 ou une infinité de niveaux… mais tenons-nous-en à deux…), et les choses produites « par l’intermédiaire de ces premières [c’est ainsi que je traduis mediantibus his primis], qui pourtant ne peuvent sans Dieu ni être ni être conçues » qui sont les choses particulières (celles-ci ont été définies dans le corollaire de la 25 : « affections, ou modes, des attributs de Dieu, par lesquels les attributs de Dieu sont exprimés de manière certaine [précise] et déterminée). Me semble aller en faveur de cette interprétation le fait qu’il corrige l’expression « produites immédiatement » par « ou plutôt suivant de sa nature absolue », expression qui dans la démonstration de I 23 désigne sans ambiguïté et les choses infinies produites immédiatement et en même temps celles qui suivent de celles-ci (dites « modifiées d’une modification »).
Force est donc d’admettre qu’il y a ambiguïté sur le terme « immédiat » tel que l’emploie Spinoza.
— Ce qui me pose encore problème c’est l’expression, à propos des choses singulières, de « choses produites par l’intermédiaire de ces premières » (= celles « produites immédiatement »), expression qui a autorisé d’autres commentateurs à interpréter ces choses comme les « modes infinis médiats », ce qui semble peu plausible (à cause de l’expression juste après : « qui cependant ne peuvent sans Dieu ni être ni être conçues » et surtout à cause de ce qu’il dit plus loin dans le scolie). Il semblerait donc que les choses particulières suivraient de Dieu « par l’intermédiaire » des productions divines infinies (= modes infinis), donc qu’elles seraient elles aussi infinies et éternelles. Or nous savons que cela n’est pas. Il semble donc qu’il faille ici considérer que le terme « médiat » est lui aussi employé de manière ambiguë.
— Indépendamment de ces points, ce scolie laisse entière, semble-t-il, la question de savoir s’il existe ou non des modes infinis seconds…


Dans les lettres 63 et 64

Notons d’abord que Spinoza est toujours celui qui répond à une lettre qu’on lui a adressée. Aussi, quand on a la chance d’avoir la lettre de son correspondant, il vaut mieux aller voir ce qu’il demande à Spinoza et dans quels termes. (Soit dit en passant, cela ajoute d’ailleurs à la difficulté d’interpréter la lettre 12 sur l’infini ou la lettre à Balling, par exemple, car nous ignorons ce que Meyer ou Balling, dont Spinoza était très proche, lui ont exactement dit ou écrit.)

Voici donc l’échange :

Dans sa lettre du 25 juillet 1675, et après trois autres questions, Schuller a écrit :Quartò Exempla eorum, quae immediatè à Deo producta, et quae mediante aliqua modificatione infinita desiderarem ; Mihi videntur primi generis esse Cogitatio et Extensio, posterioris Intellectus in Cogitatione, Motus in Extensione, etc.

En quatrième lieu, je désirerais des exemples de ces choses produites immédiatement par Dieu et de celles [produites] par l’intermédiaire d’une modification infinie ; me paraissent du premier genre la Pensée et l’Etendue, et du suivant l’Entendement dans la Pensée et le Mouvement dans l’Etendue, etc.


Dans sa réponse du 29 juillet 1675, Spinoza a écrit :Denique exempla, quae petis, primi generis sunt in Cogitatione, intellectus absolutè infinitus ; in Extensione autem motus et quies ; secundi autem, facies totius Universi, quae quamvis infinitis modis variet, manet tamen semper eadem, de quo vide schol. 7. lemmatis ante prop. 14 P. II.

Enfin les exemples que vous demandez sont, du premier genre dans la Pensée, l’entendement absolument infini ; et dans l’Etendue le mouvement et repos ; et du second, la face de l’Univers total qui, bien qu’elle varie d’une infinité de façons, reste cependant toujours la même – voir à ce sujet le scolie du lemme 7 avant la proposition 14 de la partie II.


Je remarque :
— tout d’abord que Schuller se trompe (erreur que Spinoza corrige sans le faire remarquer) en considérant les attributs comme des productions de Dieu, ce qu’ils ne sont pas. Mais Spinoza donne des exemples et du premier genre et du second, ce qui signifie de toute évidence qu’il les considère et comme réels, et comme différents les uns des autres (même si cette différence n’est qu’une différence de regard porté) ;
— que, contrairement à ce qu’il fait le plus souvent dans le Court Traité, il emploie, de même que dans l’Ethique, toujours l’expression mouvement et repos (jamais mouvement seul), de même qu’il parle toujours de rapidité et lenteur ;
— que, comme le voit Misrahi (dans une note à sa traduction de l'Ethique), il n’est pas sûr du tout que le facies ne concerne que l’Etendue ; ce qui fait penser cela, c’est l’allusion que fait Spinoza au scolie de Ethique II, où il parle de la possibilité de concevoir l’ensemble infini des corps comme un unique individu étendu. Bon, mais laissons ce problème de côté pour le moment.
Le problème ici (en admettant que le facies ne concerne que l’Etendue) me semble être le suivant et tenir au rapport névralgique entre fini et infini. La démarche n’est pas du tout la même dans le scolie et dans la lettre : dans le scolie, Spinoza effectue une démarche synthétique, partant des corps les plus simples (ceux qui constituent les individus de premier niveau) pour aboutir, de proche en proche, à un individu qu’on pourrait dire infini, en d’autres termes, il part des modes finis – ou choses singulières – étendus ; au contraire dans la lettre, la démarche est inverse : il part du caractère absolu de l’attribut (à savoir son infinité et son existence nécessaire, i.e. son éternité, voir 23 Dm) pour en déduire d’abord le mouvement-repos puis le facies. Ainsi, le fait que Spinoza invoque ce scolie dans sa lettre à Schuller, où l’on ne parle que de déduction de choses infinies, me pose problème : Spinoza a assez répété (lettre 12, scolie de Ethique I 15) qu’on peut ajouter, rassembler autant de finis qu’on voudra, on n’en obtiendra jamais aucun infini. Alors… délit de facies ?
Modifié en dernier par Pourquoipas le 08 juin 2011, 12:50, modifié 2 fois.

Avatar du membre
sescho
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1127
Enregistré le : 30 mai 2002, 00:00
Localisation : Région Centre
Contact :

Re: Modes infinis, médiats-immédiats : état des lieux ?

Messagepar sescho » 05 nov. 2008, 23:15

Pourquoipas a écrit :Toujours est-il que s’il ne parle pas de modes infinis-éternels de second rang, degré, niveau (dits traditionnellement « modes infinis médiats »), dans le Court Traité, il le fait dans son principal ouvrage, le plus systématique et le plus travaillé, l’Ethique. C’est à la lumière de l’Ethique qu’il faut lire le Court Traité et non l’inverse (de plus, compte tenu des difficultés éditoriales que pose ce dernier texte). Il en parle peu, soit, mais il en parle. Même s’il les utilise peu et si ces modes infinis de second rang semblent tout à fait superfétatoires et fort peu utiles à notre salut.

Cela c'est un peu facile, mon cher Pourquoipas, et plutôt faible. Certes le CT ne saurait être considéré comme aussi abouti que l'Ethique, et on peut éventuellement douter que quelques passages - en particulier des notes - soient du pur Spinoza. Mais c'est quand-même un texte authentifié de Spinoza, et les contradictions avec les autres textes, y compris l'Ethique, sont quand-même rares. Pas le droit de le balayer d'un revers de main, donc. Si l'on a une contradiction patente, il n'y a pas de problème pour dire que le CT doit passer par pertes et profits sur ce point précis. Mais ici ce n'est pas le cas. Et d'autant moins le cas que dans une lecture simple, qui ne gomme pas le terme "immédiat", qui est bel et bien là, le scholie de E1P28, pour être un peu moins radical que le CT, dit exactement la même chose...

Pourquoipas a écrit :... doit-on considérer que cela donne quelque crédit à l’hypothèse selon laquelle l’usage de la 22 ici ne serait que négatif : à savoir pour servir à prouver qu’une chose singulière n’a pu suivre d’un mode infini. En d’autres termes : Spinoza aurait écrit la proposition 22 juste pour prouver que les modes finis ne peuvent être conséquences d’aucun infini, que ce soit substance-attributs ou modes ? Personnellement, j’y crois peu (notamment à cause de la lettre 64, voir plus bas), mais après tout pourquoi pas ?

De mon point de vue c'est pourtant ce qu'il fait. Même si le procédé n'est pas le plus courant, il dit dans un premier temps que ce qui découlerait [immédiatement] d'un mode infini immédiat serait forcément infini, ce qui lui permet dans un second temps de dire que les choses singulières ne peuvent donc suivre immédiatement ni d'un attribut ni d'un mode infini immédiat (le seul point qui m'ennuie dans E1P22, c'est que manque un "immédiatement" à mon sens ; "nature absolue" pouvant n'être réservé qu'à un attribut.)

Pourquoipas a écrit :En droit, d’ailleurs, comme on l’a remarqué, on ne voit pas pourquoi ces modes infinis ne continueraient pas à impliquer des conséquences infinies et éternelles, et sic in infinitum. Mais bon, on en voit peu l’intérêt...

Deuxième remarque faible à mon sens. Il ne s'agit pas de juger de l'intérêt ici. Car s'il faut juger de l'intérêt, celui-ci est d'opter pour le principe d'économie, le rasoir d'Occam, autrement dit de considérer que les modes infinis soit-disant "médiats" n'existent pas, car on s'en passe très bien... Corrélativement, soit on prend la (soi-disant) logique de la démonstration et alors il faut la prendre jusqu'au bout, soit on la laisse tomber complètement (et donc les modes "médiats" avec, qui ne sont manifestement pas soutenus par grand chose, sinon rien...)

Pourquoipas a écrit :... en aucun cas le fini ne naît, ne découle, n’est conséquence de l’infini.

Ne "suit" non plus, je présume... Cette fois, je pense que c'est avec une grosse partie de l'œuvre de Spinoza que nous risquons d'avoir un problème... Comment alors Dieu peut-il être cause de tout, de choses qui sont en lui-même ? Mais peut-être est-ce simplement un manque de précision, pour les choses singulières, entre la cause immanente qui tient à l'essence, et la cause transitive qui tient à l'existence (seul objet de E1P28) ? Quelques extraits :

Spinoza a écrit :E1A3 : Étant donnée une cause déterminée, l’effet suit nécessairement ; et au contraire, si aucune cause déterminée n’est donnée, il est impossible que l’effet suive.

E1P29 : ... J’entends, au contraire, par nature naturée tout ce qui suit de la nécessité de la nature divine, ou de chacun des attributs de Dieu ; en d’autres termes, tous les modes des attributs de Dieu, en tant qu’on les considère comme des choses qui sont en Dieu et ne peuvent être ni être conçues sans Dieu.

E1P8S : ... il ne suffira pas, pour rendre raison de l’existence de ces vingt hommes, de montrer en général la cause de la nature humaine ; mais il faudra montrer en outre la cause en vertu de laquelle il existe vingt hommes, ni plus ni moins, puisqu’il n’y a rien (par la remarque 2) qui n’ait une cause de son existence. Or, cette cause (par les remarques 2 et 3) ne peut être contenue dans la nature humaine elle-même, la vraie définition de l’homme n’enveloppant nullement le nombre vingt. Et en conséquence (par la remarque 4), la cause qui fait exister ces vingt hommes, et partant chacun d’entre eux, doit pour chacun être extérieure. D’où il faut conclure absolument que tout ce dont la nature comporte un certain nombre d’individus suppose nécessairement une cause extérieure, pour que ces individus puissent exister. ...

E1P16C1 : Il suit de là que Dieu est la cause efficiente de toutes les choses qui peuvent tomber sous une intelligence infinie.

E1P17S : ... Dieu est antérieur à toutes choses par sa causalité (voir le Coroll. 1 de la Propos. 16), et la vérité, l’essence formelle des choses, n’est ce qu’elle est que parce qu’elle existe objectivement dans l’intelligence de Dieu. Par conséquent, l’intelligence de Dieu, en tant qu’elle est conçue comme constituant l’essence de Dieu, est véritablement la cause des choses, tant de leur essence que de leur existence ; et c’est ce que semblent avoir aperçu ceux qui ont soutenu que l’intelligence, la volonté et la puissance de Dieu ne sont qu’une seule et même chose. ...

E1P18 : Dieu est la cause immanente, et non transitive, de toutes choses.

Démonstration : Tout ce qui est, est en Dieu et doit être conçu par son rapport à Dieu (en vertu de la Propos. l5), d’où il suit (par le Coroll. 1 de la Propos. 16) que Dieu est la cause des choses qui sont en lui ; voilà le premier point. De plus, si vous ôtez Dieu, il n’y a aucune substance (par la Propos. 14), c’est-à-dire (par la Déf. 3) aucune chose qui, hors de Dieu, existe en soi ; voilà le second point. Donc, Dieu est la cause immanente et non transitive de toutes choses. C. Q. F. D.

E1P24C : Il suit de là que Dieu n’est pas seulement la cause par qui les choses commencent d’exister, mais celle aussi qui les fait persévérer dans l’existence, et (pour employer ici un terme scholastique) Dieu est la cause de l’être des choses (causa essendi). En effet, alors même que les choses existent, chaque fois que nous regardons à leur essence, nous voyons qu’elle n’enveloppe ni l’existence, ni la durée ; par conséquent, elle ne peut être cause ni de l’une ni de l’autre, mais Dieu seul, parce qu’il est le seul à qui il appartienne d’exister (par le Coroll. 1 de la Propos. 14). C. Q. F. D.

E1P25 : Dieu n’est pas seulement la cause efficiente de l’existence des choses, mais aussi de leur essence.

Démonstration : Si vous niez cela, Dieu n’est donc pas la cause de l’essence des choses ; par conséquent (en vertu de l’Axiome 4) l’essence des choses peut être conçue sans Dieu, ce qui est absurde (par la Propos. 15). Dieu est donc la cause de l’essence des choses.
Scholie : Cela résulte plus clairement encore de la Propos. 16, par laquelle, la nature divine étant donnée, l’essence des choses, aussi bien que leur existence, doit s’en conclure nécessairement, et pour le dire d’un seul mot, au sens où Dieu est appelé cause de soi, il doit être appelé cause de tout le reste, ce qui d’ailleurs va ressortir avec la dernière clarté du corollaire suivant.

Corollaire : Les choses particulières ne sont rien de plus que les affections des attributs de Dieu, c’est-à-dire les modes par lesquels les attributs de Dieu s’expriment d’une façon déterminée. Cela est évident par la Propos. 15 et la Déf. 5.


Pourquoipas a écrit :... Indépendamment de ces points, ce scolie laisse entière, semble-t-il, la question de savoir s’il existe ou non des modes infinis seconds…

A part ces points, oui. Mais avec, ce qui est la réalité, le terme de "laisser entier" me semble quand-même un tantinet surfait pour un accouchement si difficile...

Pour le "faciès", je me réserve (deux fois : il va falloir bosser) de reprendre le fil antérieur avec en particulier Bardamu et Enegoid ce WE. Mais je ne vois pas pour l'instant que son prétendu statut d'éternel et infini soit défendable... Et comme Hokousai l'a fait remarquer très à propos, la référence de Spinoza n'est pas E1P22 (ce qui serait pour le moins indiqué dans le contexte posé, faussement à mon sens), mais E2P13L7...


Serge
Connais-toi toi-même.

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 05 nov. 2008, 23:58

Pourquoipas a écrit :... en aucun cas le fini ne naît, ne découle, n’est conséquence de l’infini.


Ne "suit" non plus, je présume... Cette fois, je pense que c'est avec une grosse partie de l'œuvre de Spinoza que nous risquons d'avoir un problème... Comment alors Dieu peut-il être cause de tout, de choses qui sont en lui-même ?


je ne crois pas que le problème majeur se situe là. La réponse à cette question se trouve à mon avis déjà dans les toutes premières définitions du premier livre de l'Ethique: Dieu est cause des choses finies en tant qu'il est lui-même chose finie.

Dieu est en effet les deux: infini dans son essence, fini en tant qu'il s'explique par chaque mode fini considéré en tant que mode.

Spinoza fait dès l'E1 la distinction entre Dieu en tant que mode ou affection de la Substance, et Dieu en tant qu'attribut (ou Dieu en tant qu'essence de la Substance), et dit quelques pages plus loin qu'à part les attributs et les modes, il n'y a rien. Il aurait dû dire qu'il n'y a rien à part les attributs, s'il n'y avait pas une différence importante entre "être un attribut", et "être un mode".

Ce qui vaut aussi bien pour les modes que pour les attributs, c'est l'éternité, autrement dit l'existence nécessaire (puisqu'en Dieu, tout est déterminé de toute éternité). Ce qui ne vaut que pour la nature ou essence de Dieu et pour tout ce qui suit de cette essence, c'est l'infinité. Cela ne signifie pas que les modes finis ne suivent pas de Dieu, cela signifie plutôt que les modes finis ne suivent pas de l'essence même de Dieu, ils suivent d'autres modes finis de Dieu.

A mon avis, ces distinctions, apportées dès le début de l'Ethique, sont cruciales pour pouvoir comprendre la suite du livre. Dieu n'est pas qu'une essence. Il est tout aussi bien les modes, qui ne sont "que" des affections de cette essence, mais qui par là même constituent une "partie" radicalement différente de Dieu que celle constituée par son essence. Etre fini, c'est radicalement différent d'être infini. La difficulté à penser, le travail à faire, me semble dans ce cas consister dans le fait qu'il faut essayer de penser ensemble l'infini et le fini, sans que le fini ne soit une "émanation" de l'infini, une "création". C'est là qu'à mon sens il y a véritablement du pain sur la planche.

Une réponse plus détaillée aux autres éléments évoqués dans ce message et aux autres messages arrive sous peu,
L.

(message édité une fois, 06/11/2008 13h)

Pourquoipas
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 387
Enregistré le : 30 déc. 2003, 00:00

Re: Modes infinis, médiats-immédiats : état des lieux ?

Messagepar Pourquoipas » 15 nov. 2008, 10:11

Sescho a écrit :(...) Certes le CT ne saurait être considéré comme aussi abouti que l'Ethique, et on peut éventuellement douter que quelques passages - en particulier des notes - soient du pur Spinoza. Mais c'est quand-même un texte authentifié de Spinoza, et les contradictions avec les autres textes, y compris l'Ethique, sont quand-même rares. Pas le droit de le balayer d'un revers de main, donc. Si l'on a une contradiction patente, il n'y a pas de problème pour dire que le CT doit passer par pertes et profits sur ce point précis. Mais ici ce n'est pas le cas. Et d'autant moins le cas que dans une lecture simple, qui ne gomme pas le terme "immédiat", qui est bel et bien là, le scholie de E1P28, pour être un peu moins radical que le CT, dit exactement la même chose...

Heureux de voir que sur ce point tu es d’accord avec moi (je n’ai jamais prétendu balayer le Court Traité d’un revers de main). J’ajoute quand même qu’il s’agit probablement de la traduction hollandaise écrit primitivement en latin (original que nous ne possédons pas).

Sescho a écrit :(...) (le seul point qui m'ennuie dans E1P22, c'est que manque un "immédiatement" à mon sens ; "nature absolue" pouvant n'être réservé qu'à un attribut.)

Il ne parle pas de "nature absolue" dans la 22. Où manquerait-il un "immédiatement" ? Merci en tout cas de vouloir nous réécrire Spinoza.

Sescho a écrit :
Pourquoipas a écrit :... en aucun cas le fini ne naît, ne découle, n’est conséquence de l’infini.

Ne "suit" non plus, je présume... Cette fois, je pense que c'est avec une grosse partie de l'œuvre de Spinoza que nous risquons d'avoir un problème... Comment alors Dieu peut-il être cause de tout, de choses qui sont en lui-même ? Mais peut-être est-ce simplement un manque de précision, pour les choses singulières, entre la cause immanente qui tient à l'essence, et la cause transitive qui tient à l'existence (seul objet de E1P28) ? (...)

Effectivement, vaste problème. Dieu (son essence-existence) est quand même cause et de l’essence et de l’existence des choses. Je crois qu’il faudrait approfondir-clarifier cette question de la causalité : il y a cellle, que tu appelles « transitive », entre modes singuliers (deux êtres humains sont cause de l’existence d’un troisième) et il y a Dieu, cause distinguable de la précédente – raison pour laquelle il accepterait à la rigueur qu’on l’appelle « éloignée », mais l’essentiel reste que Spinoza nous dit qu’elle en est distinguable (en droit, dans notre entendement). En tout cas, merci de cette invite à réfléchir plus avant sur la notion de causalité.

Sescho a écrit :
Pourquoipas a écrit :... Indépendamment de ces points, ce scolie laisse entière, semble-t-il, la question de savoir s’il existe ou non des modes infinis seconds…


A part ces points, oui. Mais avec, ce qui est la réalité, le terme de "laisser entier" me semble quand-même un tantinet surfait pour un accouchement si difficile...

Que veux-tu dire exactement par là ?

Sescho a écrit :Pour le "faciès", je me réserve (deux fois : il va falloir bosser) de reprendre le fil antérieur avec en particulier Bardamu et Enegoid ce WE. Mais je ne vois pas pour l'instant que son prétendu statut d'éternel et infini soit défendable... Et comme Hokousai l'a fait remarquer très à propos, la référence de Spinoza n'est pas E1P22 (ce qui serait pour le moins indiqué dans le contexte posé, faussement à mon sens), mais E2P13L7...

Le problème me semble être que quand on demande à Spinoza un exemple d’une chose infinie suivant d’une autre chose produite immédiatement par Dieu, donc dans une démarche « descendante » (de l’attribut absolu vers ses productions), il répond (sans remettre en cause cette démarche) en invoquant un scolie qui a une démarche ascendante (des corps « simplissimes » à un individu-univers total). On peut bien sûr (comme tu le fais) nier un résultat médiat de la démarche descendante (mais alors pourquoi Spinoza ne le fait-il pas, puisque la question posée par Schuller lui en fournit l’occasion ?) ; on peut aussi dire qu’il s’agit d’une même chose vue sous deux points de vue différents… donc répondant à deux types de causalité ?
Modifié en dernier par Pourquoipas le 08 juin 2011, 13:15, modifié 2 fois.

Pourquoipas
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 387
Enregistré le : 30 déc. 2003, 00:00

Messagepar Pourquoipas » 15 nov. 2008, 10:32

Louisa a écrit :(...)
Sescho a écrit :
Pourquoipas a écrit :... en aucun cas le fini ne naît, ne découle, n’est conséquence de l’infini.

Ne "suit" non plus, je présume... Cette fois, je pense que c'est avec une grosse partie de l'œuvre de Spinoza que nous risquons d'avoir un problème... Comment alors Dieu peut-il être cause de tout, de choses qui sont en lui-même ?


je ne crois pas que le problème majeur se situe là. La réponse à cette question se trouve à mon avis déjà dans les toutes premières définitions du premier livre de l'Ethique: Dieu est cause des choses finies en tant qu'il est lui-même chose finie.

Dieu est en effet les deux: infini dans son essence, fini en tant qu'il s'explique par chaque mode fini considéré en tant que mode. (...)

Là-dessus, je suis plutôt d'accord avec toi, Louisa. D'où la surabondance dans la deuxième partie des expressions du type "Dieu en tant que..." ("qu'il est considéré comme affecté d'un autre mode de penser", etc.).

Porte-toi bien.
Modifié en dernier par Pourquoipas le 08 juin 2011, 13:33, modifié 2 fois.

Avatar du membre
sescho
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1127
Enregistré le : 30 mai 2002, 00:00
Localisation : Région Centre
Contact :

Re: Modes infinis, médiats-immédiats : état des lieux ?

Messagepar sescho » 15 nov. 2008, 15:02

Pourquoipas a écrit :
Sescho a écrit :(...) (le seul point qui m'ennuie dans E1P22, c'est que manque un "immédiatement" à mon sens ; "nature absolue" pouvant n'être réservé qu'à un attribut.)

Il ne parle pas de "nature absolue" dans la 22. Où manquerait-il un "immédiatement" ? Merci en tout cas de vouloir nous réécrire Spinoza.

Parole d'expert ! Je ne voudrais toutefois pas que vous le preniez pour un encouragement... ;-)

Pour le reste, je n'ai pas dit que c'était explicitement dans E1P22. Mais dans celle-ci il est dit "... une modification, qui, par cet attribut, existe nécessairement et comme infinie, ..." ; or E1P21 associe cela on ne peut plus clairement à "suivre de la nature absolue" (de l'attribut.) Donc absence d'objection.

L'"immédiatement" que je mettrais n'a pas une place évidente dans la grammaire de la phrase, car Spinoza démarre non pas avec le mode infini (immédiat) dont il est question mais à nouveau avec l'attribut dont il est le mode. J'ai tendance à penser d'ailleurs que c'est cette façon d'exposer qui fait qu'il "manque." Mon souci est que les modes finis suivant des modes infinis (immédiats), les soi-disant "modes finis médiats" ne pourraient, s'ils existaient, en suivre de la même façon, mais seulement immédiatement. Commencer par "Tout ce qui suit [immédiatement]" ne convient toutefois pas - du moins à une lecture simple - puisque derrière c'est l'attribut qui apparaît, et que les modes infinis (immédiats) ont déjà été traités à la proposition précédente.

Mais bon, cet "immédiatement" peut être considéré comme implicite par la référence même à l'attribut, en tant que etc. Ce qui me convient on ne peut mieux.

Pourquoipas a écrit :Que veux-tu dire exactement par là ?

Eh bien, après avoir 1) Découplés les extraits concordants du CT de l'Ethique, 2) Écarté le CT comme inférieur à l'Ethique a priori. 3) Balancé le fait que si l'on veut prendre comme logique par E1P22 l'existence de "modes infinis médiats," il faut obligatoirement l'appliquer en boucle. 4) Interprété le seul scholie conservé de l'Ethique, E1P28S, de façon "particulière"... je pense qu'il faut y aller modérément sur les superlatifs...

Pourquoipas a écrit :Le problème me semble être que quand on demande à Spinoza un exemple d’une chose infinie suivant d’une autre chose produite immédiatement par Dieu, donc dans une démarche « descendante » (de l’attribut absolu vers ses productions), il répond (sans remettre en cause cette démarche) en invoquant un scolie qui a une démarche ascendante (des corps « simplissimes » à un individu-univers total). On peut bien sûr (comme tu le fais) nier un résultat médiat de la démarche descendante (mais alors pourquoi Spinoza ne le fait-il pas, puisque la question posée par Schuller lui en fournit l’occasion ?) ; on peut aussi dire qu’il s’agit d’une même chose vue sous deux points de vue différents… donc répondant à deux types de causalité ?

Comme je l'ai déjà dit, on voit mal Spinoza répondre en parlant de la chose singulière qu'il a en face des yeux (et son lecteur non), en connexion avec celle d'à côté, etc. Sa réponse est la seule qui ait de la hauteur : il s'agit de l'ensemble des choses singulières à un instant donné, lesquelles sont en interdépendance (pour l'étendue, il n'y a pas de vide : tout se tient - et au-delà tout mouvement d'une chose singulière, sauf à être en autre chose qui a le même mouvement, en affecte obligatoirement une autre. Ce "pattern" de modes à un instant donné couvre l'entièreté de l'attribut (qui est infini en lui-même.) C'est la face de l'univers entier, qui comme je l'ai dit est simplement la plus grande des choses singulières. Mais comme je l'ai déjà dit aussi, il aurait pu employer une formulation plus triviale, comme "les choses que nous voyons autour de nous" (dans un extrait supplémentaire, en passant, qui montre que l'on va bien directement du Mouvement aux choses finies - corps en l'occurrence - chez Spinoza) :

Spinoza a écrit :CTApp1P4Dm : La vraie essence d'un objet est quelque chose de réellement distinct de l’idée de cet objet ; et ce quelque chose, ou bien existe réellement (par l'ax. III), ou est compris dans une autre chose qui existe réellement et dont il ne se distingue que d'une manière modale et non réelle. Telles sont les choses que nous voyons autour de nous, lesquelles, avant d'exister, étaient contenues en puissance dans l’idée de l’étendue, du mouvement et du repos, et qui, lorsqu'elles existent, ne se distinguent de l'étendue que d'une manière modale et non réelle. ...

Ensuite, l'Univers - ou la Nature - est, pour sa manifestation finie, l'ensemble des modes passés, présents et à venir, qui changent ensemble sur toute l'étendue de l'attribut à chaque instant. Mais la Nature ne change pas, bien que ce "pattern" change parce qu'il est le fruit de l'éternité : la substance et son mouvement sempiternel. Et ceci parce que le temps est contenu dans le Mouvement ("le changement") et donc que la Nature elle-même n'y est pas soumise.

Sinon, toute chose étant causée par Dieu et étant en Dieu, y compris les choses particulières, il est évident qu'a un certain point de vue, partiel, Dieu peut être vu comme se manifestant sous forme finie. La formule consacrée pour exprimer le côté irréductiblement partiel d'un point de vue est précisément "en tant que." A part cette évidence, je ne vois pas ce qu'on entend avoir prouvé par-là.


Serge

P.S. Dans mes versions de la lettre 63 de Schuller j'ai : "Ma quatrième demande serait d’avoir des exemples de choses produites immédiatement par Dieu, et de choses produites par l’intermédiaire de quelque modification infinie. La pensée et l’étendue, ce me semble, appartiennent à la première catégorie ; l’entendement dans la pensée, le mouvement dans l’étendue, à la seconde." Il ne dit pas qu'il suppose la seconde génération de mode elle-même infinie. Quant à ce qu'il propose comme solutions, il fait une erreur en assimilant les attributs à des modes, puis les modes infinis immédiats à des "modes infinis médiats."
Connais-toi toi-même.

Avatar du membre
zzzz
passe occasionnellement
passe occasionnellement
Messages : 23
Enregistré le : 07 janv. 2013, 00:00

Re: Modes infinis, médiats-immédiats : état des lieux ?

Messagepar zzzz » 16 juil. 2014, 21:03

Bonjour,

il faut essayer de penser ensemble l'infini et le fini, sans que le fini ne soit une "émanation" de l'infini, une "création"


Votre solution, Louisa, est donc de dire que l'infini et le fini existent tous deux sans que l'un cause l'autre. Or, cela ne me paraît pas tenable. En effet, comme le dit Spinoza lui-même, deux choses qui n'ont aucun lien de causalité entre elles peuvent être conçues l'une sans l'autre. Mais c'est absurde. En effet, le fini ne peut être conçu sans l'infini.

louisa9
passe par là...
passe par là...
Messages : 1
Enregistré le : 21 juil. 2014, 18:17

Re: Modes infinis, médiats-immédiats : état des lieux ?

Messagepar louisa9 » 21 juil. 2014, 18:52

Votre solution, Louisa, est donc de dire que l'infini et le fini existent tous deux sans que l'un cause l'autre. Or, cela ne me paraît pas tenable. En effet, comme le dit Spinoza lui-même, deux choses qui n'ont aucun lien de causalité entre elles peuvent être conçues l'une sans l'autre. Mais c'est absurde. En effet, le fini ne peut être conçu sans l'infini.


Bonjour zzzz,

l'E1P21 dit: "Tout ce qui suit de la nature absolue d'un attribut de Dieu a dû exister toujours et être infini, autrement dit, est par cet attribut, éternel et infini".

Cela implique clairement que l'infini en tant qu'infini ne peut causer le fini, autrement dit que le rapport entre le fini et l'infini n'est pas un rapport de causalité. L'E1P28 réaffirme la même chose: "Tout singulier, autrement dit toute chose qui est finie, et a un existence déterminée, ne peut exister, ni être déterminée à opérer, à moins d'être déterminée à exister et à opérer par une autre chose, qui elle aussi est fini et a une existence déterminée (...)". Ou comme le dit la démonstration: "Or ce qui est fini, et a une existence déterminée, n'a pu être produit par la nature absolue d'un attribut de Dieu; car tout ce qui suit de la nature absolue d'un attribut de Dieu est infini et éternel (par la prop. 21)".

Pourtant, le scolie de la même proposition 28 dit en effet: "Or tout ce qui est, est en Dieu, et dépend tellement de Dieu que rien ne peut sans lui ni être ni se concevoir."

Comment penser ensemble ces différentes affirmations?

A mon sens, en faisant bien attention à ce qui relève de la "nature absolue" de Dieu (à savoir les attributs), et ce qui n'est qu'une chose singulière, autrement dit un mode. Le mode n'est pas moins divin, donc pas moins "Dieu", que les attributs. Mais si on ne peut le concevoir sans Dieu, c'est parce qu'en effet, un mode ne peut être conçu sans l'attribut qu'il exprime. Le rapport entre le fini et l'infini est donc un rapport d'EXPRESSION, et non pas de causalité. En tant que chose finie, une chose singulière n'est causée que par une autre chose singulière. Seulement, celle-ci n'est pas moins Dieu que l'attribut que ces deux choses expriment, raison pour laquelle il est tout à fait correcte de dire que c'est Dieu lui-même qui cause les choses finies. Il suffit de préciser que ce n'est que Dieu en tant que mode fini, et non pas en tant qu'attribut (donc non pas à partir de sa nature absolue) qui cause les choses finies pour que le paradoxe soit résolu.


Retourner vers « L'ontologie spinoziste »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 50 invités