Je viens de lire le fil "Pour en revenir au Dieu de Spinoza", et je voudrais aborder la discussion sur un plan purement logique. Les preuves de l'existence de Dieu sont à mon avis le seul point faible de la philosophie de Spinoza (que j'admire plus que tout autre philosophe, soit dit en passant ) : elles ne sont pas valides sur le plan de la simple logique. J'ai lu les arguments de Henrique, qui m'ont impressionné, mais pas convaincu J'aimerais néanmoins mieux comprendre sa position.
I) Critique de l'argument ontologique
Henrique a écrit :La vallée appartient nécessairement à la montagne parce que c'est une propriété de sa nature, mais l'existence ne saurait appartenir à la montagne nécessairement, car son concept est celui d'un être fini, dépendant de l'existence d'autre chose, ne pouvant donc être cause de soi : son essence ne saurait envelopper l'existence.
Tout le piège est de croire qu'une définition peut suffire à impliquer l'existence de quoi que ce soit. Une définition, en effet, ne peut impliquer qu'une existence conditionnelle (conditionnée par l'existence de l'objet qu'elle définit), ce qui conduit à la pétition de principe de l'argument ontologique... Je m'explique. Revenons à l'exemple de la vallée :
Dans le monde des concepts, la vallée appartient à la montagne. Donc si une montagne existe, alors la vallée existe aussi. (existence conditionnelle).
La logique étant universelle, il en va de même pour la définition de Dieu :
Dans le monde des concepts, l'existence appartient à Dieu. Donc si Dieu existe, alors Dieu existe aussi . C'est là aussi une existence conditionnelle : les deux "Dieu existe" n'ont pas, sur le plan logique, le même statut. Oublier le premier est objectivement une erreur.
Pour le dire autrement :
il est bien clair que le concept de Dieu ou de substance enveloppe le concept d'existence, mais pas l'existence elle-même !
Henrique a écrit :Or un être qui peut ne pas exister est un être qui comporte une part de négativité, on n'accède donc pas à son concept tant qu'on imagine qu'il pourrait ne pas exister, tant qu'on se situe à vrai dire dans la fiction plutôt que dans le concept.
Le seul problème, c'est que le concept et la chose conçue sont a priori distincts. S'ils étaient identiques, il faudrait le prouver avant, et Spinoza n'a pu le faire qu'après coup, ce qui invalide sa démonstration (pétition de principe). Le concept de Dieu peut parfaitement exister sans que Dieu existe pour autant.
Alors doit-on dire que Dieu comporte une part de négativité ? Cela dépend : parle-t-on de Dieu, ou du concept de Dieu ? Dieu lui-même n'existe pas (du moins rien ne prouve qu'il existe), mais son concept existe néanmoins dans mon cerveau.
Quelqu'un a pris, dans le fil cité ci-dessus, l'exemple d'un "triangle existant". Henrique l'a réfuté en disant que le triangle est une chose finie, dont le concept dépend d'autres concepts. Cela ne change pourtant rien à la logique : le même raisonnement s'applique à n'importe quel concept (fini ou infini). Si je forge le concept de "yéti jaune existant", il est clair que la définition contient la propriété d'existence. Mais cela ne prouve pas que ce yéti existe. Cela prouve seulement que s'il existe, alors par définition il existe (et il est jaune). Pour pouvoir dire "par définition", il faut d'abord vérifier l'existence. Sinon on n'a affaire qu'à un concept de l'esprit, et rien ne prouve que Dieu soit autre chose, même si ce concept n'a besoin d'aucun autre (ce qui est d'ailleurs douteux).
II) Réponse aux réfutations de ces critiques
Le contre-argument de Henrique consiste à dire que le concept de Dieu n'a besoin d'aucun autre pour exister.
Pour exister... en tant que concept ! Rien ne prouve que ce concept décrive une réalité, même s'il n'a besoin d'aucun autre concept pour exister.
Il y a un autre détail (mais il sort de la stricte logique) : si l'homme n'existait pas (ce qui peut parfaitement se concevoir), le concept de Dieu n'existerait pas non plus, à moins de revenir à Platon qui est tout aussi indémontrable.
Si je conçois clairement l'étendue, je ne puis rien trouver qui la limite : un corps étendu peut en limiter un autre, mais l'étendue elle-même ne peut être limitée par rien. Or, pour pouvoir ne pas exister, il faudrait qu'il existe quelque chose d'extérieur à l'étendue pouvant en limiter l'existence.
Ici, nous sortons totalement de la logique.
Il est vrai que nous ne pouvons pas imaginer que l'étendue n'existe pas (encore que !... Il faudrait savoir ce qu'est l'étendue, et franchement nous l'ignorons tous), mais nous pouvons parfaitement le concevoir. Le concept d'étendue n'implique nullement son existence. Si ne pouvons pas imaginer l'étendue comme non existante, ce n'est pas parce que son essence envelopperait son existence. L'étendue, nous ne faisons que la constater, ou plutôt l'imaginer (voire l'hypostasier : indépendamment de la matière, ce n'est jamais que du vide...).
Nous pouvons donc concevoir que l'étendue n'existe pas, même si nous avons du mal à l'imaginer. Quant à Dieu, c'est encore plus simple : non seulement nous pouvons concevoir qu'il n'existe pas (il n'y a aucune aberration logique), mais en plus nous pouvons très bien l'imaginer. Je peux parfaitement imaginer une nature cohérente bien que non divine.
Par conséquent, l'inexistence de Dieu est parfaitement possible. Donc son existence n'est pas certaine.
Si pour parvenir au concept de Dieu, je procède de la même façon que lorsque je me forge l'idée d'un extra-terrestre, c'est bel et bien que je n'ai pas encore procédé à une 'emendatio' de l'intellect suffisante pour faire le départ requis ici entre le conceptuel et l'imaginaire.
Quand on pense à un être absolument infini, on ne fait jamais qu'appliquer la notion d'infini à la notion d'être. C'est du bricolage autant que le reste... Mais ce n'est pas important : dans le cas contraire, cela ne changerait rien. Bricolage ou pas, un concept reste un concept, imaginaire ou non. Ou alors il faudrait prouver le contraire, qui me semble impensable (et d'ailleurs on retombe dans la même pétition de principe).
Je termine en rappelant que si l'argument ontologique était valable, nous serions tous soit intégralement spinozistes, soit idiots...