Les démonstrations évidentes?! (exemple: E1P1)

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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romwel
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Re: Les démonstrations évidentes?! (exemple: E1P1)

Messagepar romwel » 16 déc. 2016, 02:40

Tout d'abord merci à tous pour toutes ces réponses qui font avancer le sujet.

A Vanleers pour les premières réponses:
Les différentes traductions de la proposition E1P1 pour "est antérieure en nature" ou "est première en nature" ne change pas le déroulement de la démonstration car ce terme "x" joue un rôle de relation. Cela ne pose pas de problème tant qu'il y a la même relation "x" entre la substance et ses affections et entre la cause et son effet.

A Babilomax et Vanleers en ce qui concerne les assistants de preuves:
Je ne me suis jamais intéressé à la logique formelle ni aux assistant de preuve car je n'ai jamais trop approfondi le sujet. Je pensais qu'il était difficile de retranscrire les démonstrations dans un langage naturelle et que cela pouvait nous amener à des aberrations. Vous m'avez fait réaliser qu'il faut le prendre pour ce qu'il est, c'est à dire un assistant qui permet de valider des démonstrations et qui permet de pointer du doigt les raccourcis que l'on veux prendre. Je voudrai bien prendre le temps de me formé sur ces sujets mais je ne sais pas quand je l'aurai. Je pense que je partirai sur "coq" car il y a déjà de la matière sur Spinoza.

A hokousai:
Vous dites:
Or ce n'est pas du concept de substance qu'on va tirer le concept de modification.

C'est justement ce que je fais dans la démonstration de 1 à 8. Le raisonnement simplifié serait:

On suppose que la substance existe. Si elle existe alors elle a une cause (1). Si elle a une cause alors elle a un effet (2). Si elle a un effet, cet effet diffère d'elle (3). Or, comme elle est en soi et est conçu par soi (4), son effet doit être en autre chose (5) et se concevoir par autre chose (6) (7). Donc, l'effet de la substance = mode = affections de la substance (8).

Le concept de mode est définit dans la partie des définitions mais je vois plutôt cette définition comme une "déclaration anticipée" au sens où le concept de mode découle inévitablement de celui de substance (dès le moment qu'on suppose qu'elle existe). Et ce n'est qu'en 8 que l'on simplifie du concept de l'effet de la substance à celui de mode et d'affection de la substance. On aurait pu déclarer la définition du mode à ce moment là.

Du coup, je vois une contradiction dans ses affirmations
on peut concevoir la substance sans ses modes.
L' idée de substance est cause de l'idée de mode et est comme cause antérieure à l'effet .

Si l'idée de substance est cause de l'idée de mode et est comme cause antérieure à l'effet,
alors concevoir la substance sans ses modes c'est comme concevoir une cause sans effet.
C'est peut être possible mais ça ne tient pas très longtemps à cause de l'axiome III qui peut se transformer de:
D'une cause déterminée que donnée, suit nécessairement un effet

en:
De la conception d'une cause déterminée que donnée, suit nécessairement la conception d'un effet

puis d'après la démonstration de 1 à 8 en:
De la conception d'une substance donnée, suit nécessairement la conception de ses affections


A Baptiste Mélès par interposition:
Vous dites
A. si quelque chose existe en une autre chose, alors cette autre chose lui est antérieure de nature ;
B. si quelque chose est conçue par une autre chose, alors cette autre chose lui est antérieure de nature.
Ces axiomes me semblent métaphysiquement évidents et inoffensifs.


Je pense que ces axiomes peuvent paraître évidents, mais ils sont loin d'être inoffensifs. Pour atteindre le but, cela oblige de commencer la démonstration en supposant qu'un mode existe et non en supposant qu'une substance existe. Ce qui est contraire à l'ordre d'apparition des termes impliqués dans la proposition. Cela revient à mon avis à démontrer la proposition suivante.
Proposition inversée: les affections sont en nature postérieure à leur substance


D'autre part, étant donné que la définition 5 implique la définition 3,
Définition V. - J'entends par mode les affections d'une substance, autrement dit ce qui est dans une autre chose, par le moyen de laquelle il est aussi conçu.

supposer qu'un terme de la définition 5 existe c'est déjà supposer l'existence d'un terme de la définition 3. C'est à dire que supposer qu'un mode existe c'est déjà supposer l’existence d'une substance (qui de plus lui est associé). Ce qui permet donc de se passer de la définition 3 et de créer la "surprise".

Si maintenant on commence la démonstration en supposant que la substance existe,
Définition III. - J'entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi : c'est-à-dire ce dont le concept n'a pas besoin du concept d'une autre chose, duquel il doive être formé.

rien dans cette définition n'implique des modes, rien ne laisse penser que des affections vont en découler nécessairement et encore moins qu'elles seront de cette substance. Bien au contraire, il est souligné que "le concept n'a pas besoin du concept d'une autre chose, duquel il doive être formé". C'est à dire que c'est le tout premier concept et il n'en n'implique aucun autre. C'est seulement à partir du moment où l'on suppose qu'il existe que l'on met le doigt dans l'engrenage. Car c'est supposer l'existence d'une chose qui a des conséquences, ce n'est pas le concept même de la chose. D'où l'axiome A et la suite de la démonstration.
Axiome A. - L’existence d’une chose étant donnée, il y a nécessairement une cause par laquelle cette chose existe.
...


Merci Vanleers pour avoir eu l'idée de faire avancer le sujet au prés de Baptiste Mélès. Pensez-vous qu'il puisse intervenir si le sujet l’intéresse?

Les évidences de Spinoza sont trompeuses. Il ne faut pas lui donner notre confiance au point d'y perdre notre raison.

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Re: Les démonstrations évidentes?! (exemple: E1P1)

Messagepar Vanleers » 16 déc. 2016, 12:14

Bonjour romwel

La proposition 1 n’est utilisée qu’une seule fois dans l’Ethique, dans la démonstration de la proposition 5.
Or cette proposition peut être démontrée sans la proposition 1.

Voyons cela.
La démonstration expose :

« Et si c’est parce que les affections diffèrent, comme une substance est par nature antérieure à ses affections (par la prop. 1), une fois donc mises de côté les affections, et considérée en soi, c’est-à-dire (par la déf. 3 et l’ax. 6) considérée vraiment, on ne pourra pas concevoir qu’une substance se distingue d’une autre […]. »

Spinoza a raison de « mettre de côté » les affections. Pourquoi ?
Parce qu’on ne peut pas déduire d’une propriété d’une affection de substance, quoi que ce soit sur la substance elle-même, et ceci en raison de la définition de la substance (et non de la proposition 1).
En effet :

« Par substance, j’entends ce qui est en soi et se conçoit par soi : c’est-à-dire, ce dont le concept n’a pas besoin du concept d’autre chose d’où il faille le former. » (déf. 3)

Si de la distinction entre une affection A’ de la substance A et une affection B’ de la substance B on pouvait inférer que la substance A est différente de la substance B, cela voudrait dire que le concept de A aurait besoin du concept de la distinction de A’ et B’ pour être formé, ce qui est contraire à la définition 3.

La distinction entre A’ et B’ n’est donc d’aucune utilité pour montrer que A est différent de B et on peut donc la « mettre de côté ».

La proposition 1 n’a donc pas de véritable postérité dans l’Ethique (ce n’est pas la seule).

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Re: Les démonstrations évidentes?! (exemple: E1P1)

Messagepar Vanleers » 19 déc. 2016, 11:15

Je complète le post précédent en signalant le cours de Pierre-François Moreau sur les 9 premières propositions de l’Ethique. On peut l’écouter en :

https://www.canal-u.tv/video/ecole_norm ... _2_7.18947

P. F. Moreau donne des précisions intéressantes sur les propositions 1 et 5 et rappelle que cette dernière est démontrée d’une autre façon dans le scolie de la proposition 8.
Il critique Martial Guéroult qui suppose, à tort selon lui, que les 8 premières propositions concernent des substances à un seul attribut alors que Spinoza n’introduit pas cette notion.
Cela peut avoir son importance pour le traitement informatique en Coq des premières propositions de l’Ethique : les programmeurs ont-ils fait la même erreur que Guéroult ?
Concernant ce traitement informatique, je continue à m’interroger sur sa pertinence, sachant qu’il requiert une formalisation de l’Ethique qui fait appel à une logique fondée sur le principe des relations externes.
Denis Vernant éclaire cette question en :

http://webcom.upmf-grenoble.fr/DenisVer ... ionM&L.pdf

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Re: Les démonstrations évidentes?! (exemple: E1P1)

Messagepar hokousai » 22 déc. 2016, 22:01

Romwell a écrit :A hokousai:
Vous dites:
Or ce n'est pas du concept de substance qu'on va tirer le concept de modification.

C'est justement ce que je fais dans la démonstration de 1 à 8. Le raisonnement simplifié serait:

On suppose que la substance existe. Si elle existe alors elle a une cause (1). Si elle a une cause alors elle a un effet (2). Si elle a un effet, cet effet diffère d'elle (3). Or, comme elle est en soi et est conçu par soi (4), son effet doit être en autre chose (5) et se concevoir par autre chose (6) (7). Donc, l'effet de la substance = mode = affections de la substance (8).

Ce n'est pas ce que Spinoza fait .( du moins me semble -t- il ... sinon je n'aurais rien à redire )

Pour Spinoza la substance n'a pas de cause hors d 'être une causa sui /cause de soi . Si elle a un effet, la cause de soi a comme effet... soi même. Soi même n'est pas en autre chose .

Donc je ne tire pas les modifications de l'idée de substance .
Une substance peut être ou ne pas être modifiée, ce n'est pas du concept de cause de soi que je peux le savoir.
Le concept de cause de soi causa sui est indéterminé quand à savoir s'il y a modifications ou pas .

Après tout la substance pourrait être immuable et éternellement non modifiée .

Je tire donc l'idée de modification de mon expérience des phénomènes .

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Re: Les démonstrations évidentes?! (exemple: E1P1)

Messagepar Vanleers » 23 déc. 2016, 14:24

A hokousai

Spinoza démontre que la substance est unique (E I 14) et il l’appelle Dieu. Il démontre ensuite E I 16 :

« Ex necessitate divinae natura, infinita infinitis modis (hoc est, omnia, quae sub intellectum infinitum cadere possunt) sequi debent ».

« De la nécessité de la nature divine suivent nécessairement une infinité de choses d’une infinité de manières (c’est-à-dire tout ce qui peut tomber sous un intellect infini » (traduction Pautrat)

« De la nécessité de la nature divine doit suivre une infinité de choses en une infinité de modes (c’est-à-dire tout ce qui peut tomber sous un entendement infini). » (traduction Misrahi)

Les expressions « doit suivre » ou « suivent nécessairement » montrent que Spinoza ne présuppose pas le recours à une expérience des phénomènes, ce que confirme la démonstration :

« Cette Proposition est nécessairement évidente à chacun pourvu qu’il prête attention à ceci : étant donnée la définition d’une chose quelconque, l’intellect en conclut plusieurs propriétés, lesquelles, en vérité suivent nécessairement (c’est-à-dire de l’essence même de la chose), […] » (Pautrat)

Contrairement à ce que vous soutenez, la substance, c’est-à-dire Dieu, ne « pourrait être immuable et éternellement non modifiée ».

J’extrais du commentaire de R. Misrahi d’E I 16 le passage suivant :

« Sur le plan ontologique et logique, cette Proposition 16 exprime une autre critique de la pensée médiévale et cartésienne : le Dieu de Spinoza crée (ou plutôt FONDE et EST) un nombre infini de mondes, c’est-à-dire tout cela qui découle de son essence : nulle potentialité n’est laissée en suspens, nul possible ne tombe en dehors de Dieu, tout monde possible est, par Dieu et en Dieu, immédiatement réel, puisqu’il EST Dieu. C’est toute la doctrine cartésienne des choix de Dieu qui est ici contestée (ainsi que la future théorie des mondes possibles chez Leibniz).
La rigueur et la fermeté spinozistes à l’égard de la toute-puissance active et toujours actuelle de Dieu, sont constantes dans l’œuvre du philosophe. A propos de la richesse productive de Dieu, il écrit dans les Pensées métaphysiques (II, 3, « De l’immensité de Dieu ») : « Quelques-uns admettent que l’immensité de Dieu est triple, à savoir l’immensité de l’essence, celle de la puissance, et enfin de la présence ; mais ceux-là disent des balivernes [nugas], car ils semblent distinguer entre l’essence de Dieu et sa puissance. » » (note 42 de la traduction de l’Ethique).

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Re: Les démonstrations évidentes?! (exemple: E1P1)

Messagepar hokousai » 24 déc. 2016, 10:55

vanleers a écrit :Les expressions « doit suivre » ou « suivent nécessairement » montrent que Spinoza ne présuppose pas le recours à une expérience des phénomènes, ce que confirme la démonstration :

« Cette Proposition est nécessairement évidente à chacun pourvu qu’il prête attention à ceci : étant donnée la définition d’une chose quelconque, l’intellect en conclut plusieurs propriétés, lesquelles, en vérité suivent nécessairement (c’est-à-dire de l’essence même de la chose), […] » (Pautrat)


Tout à fait d'accord .

Nolens volens la défintion d'une chose est un phénomène . C' est ce qui apparait à l"intellect . C' est un phénomène mental si l'on veut .
Un idéalisme pourrait même soutenir que tous les phénomènes sont mentaux. Spinoza qui n'est pas idéaliste soutiendra au moins que toutes les idées sont des phénomènes mentaux.

Que lesquelles, en vérité suivent nécessairement (c’est-à-dire de l’essence même de la chose) certes pourquoi pas ... reste que si je n'ai pas la chose je ne peux rien inférer de l'existence même des essences.

Il se pourrait que la substance soit éternellement indifférenciée... sauf qu'à des esprits apparait comme phénomène: la différence.

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Re: Les démonstrations évidentes?! (exemple: E1P1)

Messagepar romwel » 21 janv. 2017, 00:00

Bonjour et merci encore pour vos réponses,

A Vanleers à propos de P.F Moreau,

Lorsque dans cette vidéo P. F. Moreau analyse la première proposition, il commence par résumer l’interprétation de Gueroult. Ensuite, il dit que les quatre premières propositions sont très simples et fait remarquer que les deux premières propositions concernent les substances seulement et ne font donc références qu'aux définitions et que les deux suivantes concernent les choses et font donc références aux axiomes. Je ne comprends pas la logique.
Ensuite, je cite
P.F Moreau a écrit :"Proposition 1: une substance est antérieure (natura) à ses affections, cela est évident par la définition 3 et 5." Donc, la substance est ce qui est en soi et est conçu par soi et le mode ou les affections c'est ce qui est en autre chose et conçu par autre chose donc il va de soi que pour que quelque chose puisse être conçu par autre chose il faut que l'autre chose soit antérieure... à la seconde. Ce sur quoi il faut s'arrêter ici sur la proposition 1 c'est sur ce terme "natura"...

Outre le fait que le raisonnement "pour que quelque chose puisse être conçu par autre chose il faut que l'autre chose soit antérieure... à la seconde" soit peu convainquant, pour lui le terme important est celui de "en nature" car "il joue un rôle important dans la mécanique du raisonnement" alors que pour moi ce terme est décoratif par rapport à toutes les difficultés qu'amènent la relation non définie d'antériorité. Il digresse et fait des corrélations sur les différents sens que pourrait avoir ce terme "natura" pour en conclure finalement que ... la substance est antérieure à ses attributs. (j'espère qu'il voulait dire affections)
Cette façon de démontrer une proposition me paraît bien loin de la logique. P. F. Moreau évite la démonstration en laissant ses auditeurs supposer que cela est incompréhensible mais évident.
Je comprends l'utilité de commenter les philosophes ou de les faire parler, cependant dans le cas de Spinoza il est à mon avis impératif de valider ou non les propositions qu'il avance. On ne peut pas s'enfermer dans des interprétations quand un philosophe fait l’effort d'être le plus clair possible avec des démonstrations. Personnellement, la structure de l'éthique me pousse à utiliser la déduction. C'est-à-dire que pour démontrer ou comprendre une proposition, je m'efforce de faire attention à n'avoir seulement besoin des définitions, des axiomes et des propositions précédentes. Si donc pour comprendre ou démontrer une proposition je suis amené à faire une corrélation qui m’entraîne en dehors de ce cadre, c'est que je suis sur la mauvaise voie. La solution est soit d'intégrer cet élément au cadre s'il est nécessaire, soit de s'en passer.

A hokousai,
hokousai a écrit :Ce n'est pas ce que Spinoza fait .( du moins me semble -t- il ... sinon je n'aurais rien à redire )

C'est certes moi qui ai fait la démonstration, mais c'est avec les concepts de Spinoza. Pour ne pas être d'accord avec ma conclusion, il vous faut soit déceler une erreur dans la démonstration (ce qui est fort possible), soit de ne pas être d'accord avec une définition ou un axiome. Or, vous ne critiquez pas ma démonstration mais vous semblez plutôt être en désaccord avec l'axiome de Spinoza
Spinoza a écrit :L'effet diffère de sa cause de ce qu'il en reçoit

C'est pour cela que vous dites
hokousai a écrit :Pour Spinoza la substance n'a pas de cause hors d 'être une causa sui /cause de soi . Si elle a un effet, la cause de soi a comme effet... soi même. Soi même n'est pas en autre chose.

Je suis d'accord que cet axiome pose problème car pour ce qui est cause de soi, l'effet ne diffère pas de sa cause. Je pense avoir résolu le problème dans la nouvelle démonstration plus bas.
Mais dans ce que vous dites, vous semblez intervertir l'effet de la substance ("Si elle a un effet,") et l'effet qu'est la substance ("a comme effet... soi même") à un moment où il n'est pas possible de le faire. Car, la substance est une chose qui a une essence et qui existe par une cause. Il s'avère que la cause de son existence appartient à son essence, mais elle n'en reste pas moins un effet, l'effet de la cause de son existence. Dire que la substance est cause de soi est un abus de langage qui porte à confusion, car c'est du concept de cause de soi que se déduit celui de substance, et on ne devrait pas pouvoir parler de substance avant d'avoir conçu la cause de soi.
Le problème est qu'on ne peut pas concevoir ce qui est cause de soi seulement par sa cause, c'est-à-dire qu'on ne pas peut concevoir une cause première au sens strict. Car une essence étant conçu, elle est nécessairement conçu comme existante, c'est à dire qu'une essence ne peut être conçue sans une cause par laquelle elle existe, que cette cause soit en soi ou en autre chose. C'est-à-dire que concevoir une essence, c'est en fait concevoir un effet, l'effet de la cause de son existence. D'où
Spinoza a écrit :Axiome 4: la connaissance de l'effet dépend de la connaissance de la cause et l'enveloppe.

Ainsi, on ne peut que concevoir une cause première par son effet, c'est-à-dire par son essence, la cause de soi. C'est pour cela que la définition de la cause de soi est une essence mais n'est pas au sens strict une cause première, c'est-à-dire une chose qui ne soit pas encore une essence. Car une chose qui n’appartiendrait à aucune essence serait inconcevable, n'aurait rien de commun avec aucune chose et ne serait finalement cause de rien.
La confusion vient finalement de ce que la cause de soi étant une essence, elle est en fait un effet, un effet dont l'essence enveloppe l'existence. Et aussi pour plus de confusion, c'est à partir de ce concept que l'on conçoit les deux types de relation entre la cause et l'effet. En effet, d'une part la cause de soi enveloppe la cause de son existence, c'est-à-dire que la cause et l'effet sont en une seule et même chose, c'est-à-dire que l'effet ne diffère pas de sa cause, c'est-à-dire que la cause de soi est en soi. Et d'autre part, la cause de soi étant une essence, c'est-à-dire un effet, elle est cause d'autre chose, c'est-à-dire qu'elle est cause d'un effet qui diffère d'elle, c'est-à-dire qu'elle est cause de ce qui est en autre chose. Ainsi, la cause de soi est un effet qui ne diffère pas de sa cause, puis, elle est une cause dont l'effet diffère d'elle.

Dans cette démonstration, l'axiome concernant la relation entre la cause et l'effet est sous condition, car leur relation diffère selon que l'effet considéré soit en soi ou en autre chose. Je pense avoir réussi à démêler les concepts de cause et d'effet en les polarisants, c'est-dire en faisant en sorte qu'une cause soit toujours cause d'un effet et qu'un effet soit toujours cause d'autre chose. Une cause n'a pas nécessairement besoin d'une autre cause qui la précède. Ainsi, un effet qui enveloppe sa cause peut être premier. Et, le fait qu'un effet soit toujours cause d'autre chose permet de faire émerger les différences.
Ensuite, je ne pars plus du concept de substance mais du concept de cause de soi.

Ci-dessous je démontre que ce qui est cause de soi est substance puis que ce qui est substance est antérieure à ses affections.
Définition A: par cause, j'entends ce par quoi un effet existe.
Définition B: par effet, j'entends ce qui est cause d'autre chose.
Définition 1: par cause de soi, j'entends ce dont l'essence enveloppe l’existence.
Définition C: par être en soi, j'entends ce dont l'effet ne diffère pas de sa cause.
Définition D: par conçu par soi, j'entends ce dont le concept n’a pas besoin du concept d’une autre chose pour être conçu.
Définition 3: par substance, j'entends ce qui est en soi et est conçu par soi : c'est-à-dire ce dont le concept n'a pas besoin du concept d'une autre chose pour être conçu.
Définition 5: par mode, j'entends les affections d'une substance, autrement dit ce qui est dans une autre chose, par le moyen de laquelle il est aussi conçu.

Axiome 1: tout ce qui est, est ou bien en soi, ou bien en autre chose.
Axiome 2: ce qui ne peut être conçu par le moyen d'une autre chose, doit être conçu par soi.
Axiome 4: la connaissance de l'effet dépend de la connaissance de la cause et l'enveloppe.
Axiome A: une cause dont l'effet diffère d'elle, cette cause est antérieure en nature à son effet.

Définition 1: par cause de soi, j'entends ce dont l'essence enveloppe l’existence.

1. Par cause de soi, j'entends ce dont l'essence enveloppe la cause de son existence, c'est-à-dire ce dont l'essence ne diffère pas de la cause de son existence, c'est-à-dire ce dont l'effet ne diffère pas de sa cause.
Définition C: par être en soi, j'entends ce dont l'effet ne diffère pas de sa cause.

2. Ainsi, ce qui est cause de soi est en soi.
Définition 1: par cause de soi, j'entends ce dont l'essence enveloppe l’existence.

3. Par cause de soi, j'entends ce dont l'essence enveloppe la cause de son existence, c'est-à-dire ce dont l'effet enveloppe sa cause, c'est-à-dire ce dont la conception enveloppe la conception de sa cause.
Axiome 4: la connaissance de l'effet dépend de la connaissance de la cause et l'enveloppe.

4. Donc ce dont la conception enveloppe la conception de sa cause n’a pas besoin du concept d’une autre chose pour être conçu.
Définition D: par conçu par soi, j'entends ce dont le concept n’a pas besoin du concept d’une autre chose pour être conçu.

5. Ainsi, ce qui est cause de soi est conçu par soi.
6. Donc, ce qui est cause de soi est en soi (d'après 2) et est conçu par soi (d'après 5).
Définition 3: par substance, j'entends ce qui est en soi et est conçu par soi.

7. Donc, ce qui est cause de soi est substance.
Définition 3: par substance, j'entends ce qui est en soi et est conçu par soi.

Définition C: par être en soi, j'entends ce dont l'effet ne diffère pas de sa cause.

8. La substance est ce dont l'effet ne diffère pas de sa cause, c'est à dire que la substance ne diffère pas de sa cause.
Axiome 1: tout ce qui est, est ou bien en soi, ou bien en autre chose.

9. La cause de la substance est ou bien en la substance ou bien en autre chose, or la cause de la substance ne diffère pas de la substance, c'est-à-dire que la cause de la substance n'est pas en autre chose. Donc la cause de la substance est en la substance.
10. La substance enveloppe la cause de son existence, c'est-à-dire que la substance est ce dont l'essence enveloppe l'existence.
Définition 1: par cause de soi, j'entends ce dont l'essence enveloppe l’existence.

11. Donc, ce qui est substance est cause de soi.
12. Donc, ce qui est cause de soi est substance (d'après 6) et ce qui est substance est cause de soi (d'après 11).
13. Ce qui est substance enveloppe la cause de son existence.
14. Donc, ce qui est substance est un effet.
Définition B: par effet, j'entends ce qui est cause d'autre chose.

15. Ce qui est substance est cause d'autre chose.
16. L'effet qu'est la substance est cause d'autre chose.
Axiome 1: Tout ce qui est, est ou bien en soi, ou bien en autre chose.

17. L'effet de la substance est en autre chose.
18. Ce qui est en autre chose diffère de ce qui est en soi.
19. L’effet de la substance diffère de l'effet qu'est la substance.
20. L’effet de la substance diffère de la substance.
Définition 3: par substance, j'entends ce qui est en soi et est conçu par soi : c'est-à-dire ce dont le concept n'a pas besoin du concept d'une autre chose pour être conçu.

21. J'entends par effet de la substance ce qui diffère de ce qui est en soi et diffère de ce qui est conçu par soi : c'est-à-dire ce dont le concept diffère du concept qui n'a pas besoin du concept d'une autre chose pour être conçu.
Axiome 1: Tout ce qui est, est ou bien en soi, ou bien en autre chose.

22. Ce qui diffère de ce qui est en soi est en autre chose
Axiome 2: Ce qui ne peut être conçu par le moyen d'une autre chose, doit être conçu par soi.

23. Ce qui diffère de ce qui ne peut être conçu par soi, doit se concevoir par le moyen d'une autre chose.
24. J'entends par effet de la substance, ce qui est en autre chose (d'après 22) et est conçu par autre chose (d'après 23): c'est-à-dire ce dont le concept a besoin du concept d'une autre chose pour être conçu.
Définition 5: j'entends par mode les affections d'une substance, autrement dit ce qui est dans une autre chose, par lequel il est aussi conçu.

25. par mode, par les affections d'une substance et par effet d'une substance, j’entends la même chose.
Axiome A: Une cause dont l'effet diffère de cette cause, cette cause est antérieure en nature à son effet

26. La substance est cause de ses affections et ses affection diffèrent de leur substance.
27. La substance est antérieure en nature à ses affections.
Modifié en dernier par romwel le 31 janv. 2017, 13:10, modifié 1 fois.

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Re: Les démonstrations évidentes?! (exemple: E1P1)

Messagepar Vanleers » 25 janv. 2017, 10:21

A romwel

1) Pour ma part, j’ai été convaincu par les explications de P. F. Moreau quant à la proposition 1. Il fait un raisonnement qui me paraît logique et qui ne me pose pas de difficultés.

2) Je suis d’accord avec vous sur l’importance de vérifier par soi-même les démonstrations des propositions. Mais il faut voir aussi que les scolies, qui ne sont pas démontrés, ne sont pas de simples commentaires des propositions mais apportent néanmoins quelque chose d’important.
J’ajoute que la méthode d’exposition géométrique de l’Ethique a dû avoir une fonction heuristique importante pour Spinoza lui-même.
En s’obligeant à être rigoureux, il a sans doute découvert des choses qu’il n’aurait pas pu découvrir autrement.

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romwel
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Re: Les démonstrations évidentes?! (exemple: E1P1)

Messagepar romwel » 26 janv. 2017, 19:36

Bonjour Vanleers

Vanleers a écrit :1) Pour ma part, j’ai été convaincu par les explications de P. F. Moreau quant à la proposition 1. Il fait un raisonnement qui me paraît logique et qui ne me pose pas de difficultés.

Je me permet de compléter mes propos lorsque je disais que
romwel a écrit :le raisonnement "pour que quelque chose puisse être conçu par autre chose il faut que l'autre chose soit antérieure... à la seconde" soit peu convainquant

PF Mareau s'exprime maladroitement et veut utiliser sous le nom de "autre chose" tantôt la substance, tantôt les modes. Ce raisonnement exprimé clairement serait:
La substance est ce qui est en soi et est conçu par soi et le mode ou les affections c'est ce qui est en autre chose et conçu par autre chose donc il va de soi que pour qu'une chose A puissent être conçu par une chose B, il faut que la chose B soit antérieure... à la chose A

Ici PF Moreau part du fait que les modes sont en autre chose et sont conçus par autre chose mais ce qui l'intéresse c'est que les modes soient conçus par autre chose car c'est ce sur quoi va s'appuyer son raisonnement.

On sait que les modes sont conçus par autre chose. Donc on peut remplacer dans le raisonnement "une chose A" par
"les modes".

Pour qu'une chose A puissent être conçu par une chose B, il faut que la chose B soit antérieure... à la chose A.
Donc, pour que les modes puissent être conçus par une chose B, il faut que la chose B soit antérieure... aux modes.

Mais à ce stade, qu'est-ce qui nous dit qu'une substance est nécessairement la chose B?
La chose B peut être un autre mode. En effet, "Pour qu'un mode A puissent être conçu par un mode B, il faut que le mode B soit antérieure... au mode A" ce qui n'est pas faux non plus.

Ensuite, PF Moreau se base sur un axiome qu'il ne démontre pas et qui de plus pose problème.
"Pour qu'une chose A puissent être conçu par une chose B, il faut que la chose B soit antérieure... à la chose A."
Qu'en adviendrait-il de la substance dans cet axiome? Étant donnée, que la substance se conçoit par elle-même, serait-elle antérieure à elle-même? C'est la réflexion que me faisait hokousai sur mon premier axiome sur l'antériorité de la cause à son l'effet.

Le raisonnement de PF Moreau n'est pas illogique mais incomplet. D'une part il ne permet pas à mes yeux de conclure que la substance est antérieure à ses affections et d'autre part il s'appuie sur un axiome qui enveloppe une incohérence.

Je suis parfaitement d'accord avec votre "2)".

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Vanleers
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Re: Les démonstrations évidentes?! (exemple: E1P1)

Messagepar Vanleers » 26 janv. 2017, 22:27

A romwel

Comme déjà noté, par Baptiste Mélès aussi, Spinoza ne donne pas de définition de « premier en nature », expression utilisée dans la proposition 1.
Il nous appartient donc d’en donner une et, pour ma part, j’ai donné la suivante :
« A est premier en nature par rapport à B si on peut concevoir de façon claire et distincte A sans penser à B et qu’on ne peut concevoir de façon claire et distincte B sans penser à A ».
J’ai ensuite montré que cette définition permettait de démontrer la proposition 5 qui est la seule proposition de l’Ethique faisant référence à la proposition 1.
Mon esprit est donc satisfait.
Je pense que, vous aussi, vous devriez arrêter une définition de « premier en nature », puisqu’elle manque, si celle que j’ai donnée ne vous convient pas.
Il faudrait voir ensuite si, avec votre définition, la proposition 5 est démontrée.

Bien à vous


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