[Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Vanleers » 27 févr. 2015, 17:19

La question de l’argument ontologique chez Spinoza a fait l’objet de nombreuses discussions sur le forum et, à la page 1 du présent fil, Henrique indique ceux où on peut les retrouver.
Il écrit, au début de la page 2 :

« En revanche, prenons l'idée de totalité de ce qui a existé, existe et existera, il n'y a donc rien de concevable en dehors d'un tel concept. Je n'ai à l'évidence pas la connaissance sensible d'une telle totalité mais j'en ai une idée claire et distincte : par définition, une telle totalité ne peut être due à autre chose qu'à elle-même puisqu'il n'y a, toujours par définition, rien en dehors d'elle tant pour la produire que pour empêcher son existence. Supposer qu'une telle totalité pourrait ne pas exister, cela reviendrait donc à changer le concept : on imagine par exemple quelque chose en dehors de cette totalité qui aurait été nécessaire pour qu'elle existe ou qui aurait pu empêcher qu'elle existe. Ce serait donc une supposition aussi absurde que celle qui consisterait à admettre qu'on pourrait trouver un demi-cercle plus grand que le cercle dont il est tiré.
Cette totalité nous pourrons donc l'appeler substance au sens de Spinoza puisqu'elle ne dépend que d'elle-même pour exister comme pour être conçue. Et si nous envisageons le concept d'étant absolument infini, c'est-à-dire d'être dont on ne peut absolument rien nier de positif et dont au contraire on doit affirmer tout ce qui peut être positif, nous y trouverons le même contenu que dans le concept précédent de totalité universelle : ce sera un étant donc le concept même implique l'existence puisqu'il ne pourra être que cause de soi. »

Le raisonnement de Henrique me paraît relever de l’argument a posteriori exposé et invalidé par Pascal Sévérac dans l’avant-dernier post.

Rappelons que P. Sévérac écrit : « Pourquoi tout ce qui existe ne serait-il pas qu’une série d’êtres événementiels, ou occasionnels, en tout cas non substantiels, qui dépendraient les uns des autres sans que rien ne dépende jamais de soi seul ? »

Cette perspective fait irrésistiblement penser au scepticisme radical, celui de Pyrrhon et de son disciple Timon qui disait : « Mais le phénomène l’emporte sur tout, où qu’il aille. »
Marcel Conche a étudié ce scepticisme (Pyrrhon ou l’apparence) et soutient que cette phrase de Timon signifie que le phénomène (il préfère dire « apparence ») constitue le tout de la réalité : l’apparence est apparence pure et non apparence de quoi que ce soit.
Il justifie ainsi une éthique sceptique elle-même radicale et d’une très grande simplicité que l’on peut être tenté de comparer à l’éthique spinoziste quant à son efficacité.

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Vanleers » 28 févr. 2015, 17:55

J’ai lu la longue controverse initiée par zerioughfe sur le fil signalé par Henrique à la page 1 du présent fil et intitulé « Existence de Dieu ».

Elle concerne l’argument ontologique et, à première vue, je trouve les arguments de zerioughfe convaincants : Spinoza n’a pas démontré l’existence de Dieu tel que défini en E I déf. 6 ; les démonstrations d’E I 7 et E I 11 ne sont pas acceptables !

Si ceci se confirmait, le système de Spinoza ne pourrait plus être considéré comme certain mais seulement comme hypothétique.
Cela ne lui enlèverait pas toute valeur.
D’une part, on pourrait encore l’évaluer, comme le fait Karl Popper pour une théorie métaphysique :

« Si l’on considère à présent une théorie comme la solution que l’on se propose d’apporter à un ensemble de problèmes, cette théorie se prête alors immédiatement à la discussion critique, quand bien même elle serait non empirique et irréfutable. Car nous pouvons désormais poser des questions comme celles-ci : est-ce que la théorie résout effectivement le problème ? Le résout-elle mieux que ne font d’autres théories ? S’est-elle, éventuellement, contentée de déplacer celui-ci ? Est-elle simple ? Est-elle féconde ? » (Conjectures et réfutations p. 296)

D’autre part, nous serions invités à vérifier si l’éthique spinoziste nous rend encore « sinon heureux, tout du moins plus heureux » (Pautrat).

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Vanleers » 01 mars 2015, 17:04

Spinoza donne trois démonstrations de l’existence de Dieu en E I 11 (plus une quatrième en reprenant la troisième)
Chacune de ces démonstrations se réfère à E I 7, d’où l’importance de cette proposition où c’est là véritablement que l’on rencontre la difficulté de compréhension de l’argument ontologique.
Si la démonstration d’E I 7 n’est pas acceptable, alors celle d’E I 11 ne l’est pas non plus. Le précédent post indiquait que zerioughfe avait produit des arguments, à première vue convaincants, qui allaient dans ce sens.
La question, toutefois est difficile, ce que Spinoza explique dans le deuxième scolie d’E I 8 :

« Je ne doute pas que tous ceux qui jugent confusément des choses et n’ont pas l’habitude de chercher à connaître les choses par leurs premières causes n’aient du mal à concevoir la démonstration de la Prop. 7 ; faute certainement de distinguer entre les modifications des substances et les substances elles-mêmes, et de savoir comment les choses se produisent. »

La question mérite donc un examen plus approfondi.
Signalons que Robert Misrahi propose de remplacer le mot « substance » par « réalité », à titre d’hypothèse pédagogique. Voilà qui permettrait peut-être de mieux comprendre ces questions.

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Lechat » 01 mars 2015, 17:27

Bonjour Vanleers,
Ca m'étonne que vous soyez convaincu par les arguments de Zerioughfe. Sa parodie avec "bidule" est assez similaires à l'exemple des thalers de Kant.
Zerioughfe a écrit :- J'appelle "bidule" un cheval ailé qui existe nécessairement
- Je peux concevoir un cheval ailé comme inexistant, mais je ne peux pas concevoir un bidule comme inexistant (car le bidule est un être qui existe nécessairement).
- Or tout idée claire et distincte est vraie.
- Donc le bidule existe.

Ces arguments font mouche sur la preuve de Descartes mais pas sur celle de Spinoza et Leibniz. C'est Deleuze qui m'en a convaincu (toujours le chapitre 4 du problème de l'expression). En effet contrairement à la définition de Dieu de Spinoza le bidule n'est pas une définition "réelle", c'est à dire déterminé et de laquelle on peut tirer toutes les propriétés. (Par ailleurs il n'est pas clair qu'elle n'enferme pas une contradiction) . Deleuze dit d'ailleurs que l'ens perfectissimus n'est pas plus une définition réelle, car l'infiniment parfait n'est q'un propre. Il ajoute
Deleuze a écrit :La preuve ontologique ne portera plus sur un être indéterminé qui serait infiniment parfait, mais sur l'absolument infini, déterminé comme ce qui consiste en une infinité d'attributs.

C'est vous-même qui me l'avez indiqué!

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Vanleers » 01 mars 2015, 17:57

A Lechat

Bidule, bidule, est-ce que j’ai dit bidule ?

Je cite l’extrait suivant (réponse de zerioughfe à Henrique – page 11 du fil « Existence de Dieu »)

Henrique : « Si donc on établit qu'au même titre que les 180° pour le triangle, l'existence est une propriété nécessaire de l'être absolument infini, alors cette nécessité sera aussi vraie dans la pensée que dans tout le reste de la réalité. »

zerioughfe : « Non, non, non et non !
Cette fois nous sommes au cœur du problème.
Tu pars du présupposé selon lequel l'existence ne serait qu'une propriété comme une autre. Ce n'est visiblement pas le cas, car la notion de propriété suppose celle d'existence (cela n'aurait aucun sens de dire qu'un chat est jaune si on ne suppose pas d'abord qu'il existe un chat). La propriété d'existence, pour exister, suppose donc d'abord l'existence de la chose qui possède cette propriété. »

S’il s’agissait d’une chose finie, zerioughfe aurait raison : l’existence ne peut pas être considérée comme une propriété d’une chose.
S’agissant de l’être absolument infini, je ne sais pas

Bien à vous

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Lechat » 01 mars 2015, 23:22

Vanleers, vous avez dit : "Chacune de ces démonstrations se réfère à E I 7, d’où l’importance de cette proposition où c’est là véritablement que l’on rencontre la difficulté de compréhension de l’argument ontologique."
Mais je pense que ce n'est pas cette proposition qui commet la prétendue erreur logique de considérer l'existence comme une propriété normale. En effet, elle n'énonce pas qu'une chose particulière existe mais bien que pour toute substance donnée (c-a-d supposée existante), cette existence est alors nécessaire, c-a-d contenue dans sa nature.
C'est bien E1P11 qui pose problème et qui dérive une existence particulière d'un concept. Comme on l'a déjà évoqué Spinoza refuse certainement la distinction concept/chose : d'un coté il donne un nom propre à son concept : "Dieu" comme s'il présupposait son unicité, et il enchaine sur l'indéfini "une" : "E1D6 : Par Dieu j'entends une substance...".

zerioughfe a écrit :la notion de propriété suppose celle d'existence

D'abord il faut remarquer qu'il parle de propriété d'une chose et non d'un concept (car "un homme chauve est un homme" est vraie même si l'homme n'existe pas), donc il zeriou nous amène déjà sur le terrain kantien de la distinction chose/concept sur lequel on ne voulait pas forcément aller. Mais soit.
Donc on sous-entendrait l'existence dans une proposition qui fait intervenir une chose particulière. C'est vraie que la proposition "Dieu existe necessairement" devient alors "Dans l'hypothèse où Dieu existe, alors Dieu existe nécessairement", et ça perd de son intérêt.
Mais peut-être que c'est la qu'on peut faire une distinction entre le concept de la détermination complète par rapport à tous les prédicats possibles (détermination qui touche toute chose existante) et le concept d'existence. Dans ce cas on sous-entendra dans toute proposition particulière non l'existence mais la totale détermination. Une fois ces 2 choses distinguées il est plus facile d'accepter que l'existence nécessaire rejoigne le camp des propriétés "normales".
Comme l'être absolu est entièrement déterminé par son caractère absolument infini, on peut à bon droit "synthétiquement" lui donner la propriété d'existence nécessaire.

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Vanleers » 02 mars 2015, 10:48

A Lechat

1) Vous soutenez que la proposition E I 7 démontre « que pour toute substance donnée (c-a-d supposée existante), cette existence est alors nécessaire, c-a-d contenue dans sa nature. »
Je n’en suis pas convaincu.
Ni la proposition elle-même (« A la nature de substance appartient d’exister »), ni sa démonstration ne plaident en faveur de cette thèse.
Il est vrai que la démonstration précise : « […] c’est-à-dire (par la Défin. 1), son essence enveloppe nécessairement l’existence » mais je ne vois pas que le « nécessairement » qui apparaît-là signifie que, pour une substance pour laquelle on aurait déjà admis qu’elle existe, cette substance existe nécessairement.
En revanche, la proposition E I 11 démontre que Dieu existe nécessairement.
La première démonstration est très simple. Dieu ayant été défini comme une substance et comme « A la nature de substance appartient d’exister » (E I 7), Dieu existe nécessairement.
La référence à E I 7 dans la deuxième démonstration n’apporte pas d’argument en faveur de votre thèse :
« Et ce qui fait, au contraire, qu’une substance existe, cela suit également de sa seule nature, parce qu’elle enveloppe l’existence (voir la Prop. 7). »
Je maintiens donc que la difficulté de compréhension de la preuve ontologique se trouve bien en E I 7.

2) A propos de la distinction chose/concept, j’ai écrit, en me référant à E II 7, que concept et chose c’était la même chose considérée sous deux aspects différents.
A la réflexion, cette formulation me paraît imprudente et il vaut mieux en rester à la lettre d’E II 7 : « L’ordre et l’enchaînement des idées est le même que l’ordre et l’enchaînement des choses ».

3) Je me permets de vous donner copie d’un post que j’avais envoyé à Miam, dans lequel j’exposais qu’Alexandre Matheron (Individu et communauté chez Spinoza – Minuit 1988) définit la substance comme « productivité pure » (à rapprocher de « réalité » proposé par Misrahi). C’est un peu long mais cela devrait éclairer la question de l’existence de la substance.

Spinoza ne part pas de rien et, même s’il reconnaît dans le TRE qu’il est incapable de donner une définition claire de l’entendement (§ 107), il n’en reste pas moins que cet ouvrage a posé des bases sur lesquelles construire.

Matheron considère donc qu’il y a deux principes fondamentaux déjà acquis : 1) il y a des choses individuelles et 2) tout est intelligible.
Il écrit (p. 10) :

« En combinant ces deux principes, nous pouvons donc affirmer qu’il y a des essences individuelles. Et cette troisième vérité, à son tour, se présente sous deux aspects. D’une part, puisque l’ordre du connaître se modèle sur celui de l’être, chaque individu peut se concevoir indépendamment des autres et faire l’objet d’une définition distincte (Lettre 32). D’autre part, puisque l’ordre de l’être se modèle sur celui du connaître, un individu n’est rien d’autre que la transposition ontologique de sa propre définition : les choses singulières, telles qu’elles sont hors de notre entendement, ne contiennent ni plus ni moins que ce qui est compris dans leur concept (Cf. E I ax. 6. Principe traditionnel, mais que Spinoza prend dans toute sa rigueur) »

Après diverses considérations sur lesquelles je passe, il en arrive à poser une question en écrivant :

« Mais toutes choses sont-elles actives ? C’est ce que l’on ne saurait démontrer sans faire appel à la métaphysique du livre 1ier. »

Matheron va commencer maintenant à s’intéresser à cette « métaphysique » en écrivant :

« Cette métaphysique n’est elle-même que le développement et l’approfondissement de nos deux principes. Etant admis qu’il y a des individus et que ceux-ci sont intelligibles, il nous suffit, pour reconstituer la conception spinoziste de l’Etre, de nous demander : qu’est-ce, exactement, que l’intelligibilité d’un individu ?
Le TRE (Mais non point l’Ethique, dont il nous faut, paradoxalement, chercher la clef dans un ouvrage non publié.) nous renseigne sur ce point. Concevoir intellectuellement une réalité quelconque, c’est en former une définition génétique (§ 92) […] »

Nous sommes maintenant prêts à entendre ce que Matheron dit de la « régression analytique ».

Il part de la définition de la sphère donnée en TRE § 72 : « volume engendré par la rotation d’un demi-cercle autour de son diamètre ».

La définition génétique de cette réalité qu’est la sphère fait appel à une autre réalité : le demi-cercle, dont il convient logiquement, de donner, à son tour, une définition génétique.
C’est ce que fait Spinoza en TRE § 92 : figure engendrée par la rotation d’un segment de droite dont une extrémité est fixe et l’autre mobile.

A son tour, cette réalité qu’est le segment de droite se définit de la même façon et Matheron écrit :

« Translation d’un point (TRE § 108 III), c’est-à-dire la combinaison de mouvement et de repos [mouvement entre les points de repos que sont les extrémités du segment] qui, parce qu’elle est la plus simple possible, se conçoit par les seules notions de mouvement et de repos en général (Cf. Principia II prop. 15 sc.) »

Il écrit ensuite :

« Enfin, le mouvement et le repos sont les deux déterminations immédiates que l’Etendue se donne à elle-même : puisqu’ils se conçoivent par l’Etendue, la théorie de la définition exige qu’ils soient produits par elle, même s’il nous est difficile de nous représenter cette production et d’en expliquer verbalement le mécanisme ; sinon, il y aurait dans l’être quelque chose d’inintelligible. Et nous atteignons, cette fois, le Naturant absolu, celui qui est uniquement naturant et en aucune façon naturé ; car l’Etendue, dans la mesure où elle se comprend par sa seule essence et non plus par autre chose (TRE § 97 I), est à elle-même sa propre cause prochaine (Cf. lettre 60) : non pas réceptacle inerte (Cf. lettre 81), mais pure Activité spatialisante qui se produit elle-même en produisant les structures qu’elle se donne. »

Matheron indique ensuite que si, au lieu de partir de la sphère, nous étions partis d’une réalité spirituelle :

« Nous aurions trouvé une Activité d’un autre type, pensante et non plus spatialisante, mais toujours un Naturant absolu. »

Il est temps maintenant de tirer les conclusions de cette démarche, ce que fait Matheron en écrivant :

« Cette productivité pure, pour employer le vocabulaire traditionnel, c’est la Substance ; les structures qu’elle se donne en se déployant, ce sont ses modes ; ce qui constitue son essence, c’est-à-dire la manière dont elle produit ses propres structures […], c’est l’Attribut. Compte tenu de la conception spinoziste de la définition génétique, les définitions 3, 4 et 5 du livre 1ier ne peuvent guère avoir d’autre sens.
Ainsi commence l’Ethique. »

Bien à vous

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Vanleers » 02 mars 2015, 12:25

Je me décide à recopier la suite du texte de Matheron.

Ainsi commence l’Ethique. Puis les 15 premières propositions, envisageant la Substance indépendamment de ses modes, la ramènent à l’unité au moyen de deux syllogismes :

1) Il ne peut y avoir deux ou plusieurs substances de même attribut (I 5), car, selon le principe de correspondance entre l’intellect et la chose, deux ou plusieurs réalités dont les concepts ne se distinguent en rien sont absolument identiques (id. démonstration) ;

2) Toute substance dont nous avons une idée claire et distincte existe nécessairement par soi (I 7). Sinon, puisqu’elle ne peut être produite par autre chose (I 6 et coroll., qui se démontrent eux-mêmes soit par les propositions 2 et 3, soit directement par l’axiome 4 et la définition de la Substance), son existence serait absolument impossible en droit ; et selon le principe de correspondance, nous ne pourrions en avoir une idée vraie (I 8 scolie 2, qui complète heureusement la démonstration de la proposition 7) ;

3) Toute substance, à supposer même qu’un seul attribut lui appartienne, est nécessairement infinie (I 8) ; car, étant unique en son genre, elle n’est limitée par aucune autre substance de même nature (id. démonstration) ; rien ne fait donc obstacle à son inépuisable activité. Mais pourquoi chaque substance n’aurait-elle qu’un attribut ? On peut fort bien concevoir une activité pure qui s’exercerait, non pas d’une seule façon, mais de plusieurs façons à la fois : plus une substance a de réalité ou d’être, plus nous devons lui accorder d’attributs (I 9) ; à la limite, rien ne nous empêche de lui en accorder une infinité. Chacun de ces attributs, alors, au même titre que nos hypothétiques substances à un seul attribut, devrait se concevoir par soi (I 10) et être infini en son genre. Ainsi formons-nous l’idée claire et distincte de Dieu : substance absolument infinie, c’est-à-dire consistant en une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie (I définition 6) ;

4) Dieu, par conséquent, existe nécessairement par soi (I 11. Telle est du moins la première démonstration de l’existence de Dieu : celle qui applique au cas de Dieu ce qui a été démontré de la Substance en général. Les trois suivantes (et surtout la dernière, celle du scolie de la proposition 11) partent directement de l’idée de Dieu) ;

5) Dans ces conditions, puisque Dieu existe et possède déjà tous les attributs possibles, aucune substance ne peut exister en dehors de lui (I 14). Il est l’unique Naturant de la totalité du réel (id. coroll. 1) : tout est en lui et se conçoit par lui (I 15).

Nous arrivons alors à la proposition 16, qui, comme l’a bien vu Tschirnaus (lettre 82), est la plus importante de tout le livre 1ier. Une fois ramené à l’unité ce Naturant que la régressions analytique nous avait fait découvrir au cœur de chaque individu, nous allons pouvoir refaire le chemin en sens inverse et assister à la genèse des individus eux-mêmes : « De la nécessité de la nature divine doivent suivre une infinité de choses en une infinité de modes, c’est-à-dire tout ce qui peut tomber sous un entendement infini ».

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Vanleers » 02 mars 2015, 15:20

A Lechat

Il est clair maintenant qu’en désignant par Substance un « Naturant absolu, celui qui est uniquement naturant et en aucune façon naturé » (Matheron), les objections de zerioughfe tombent.
En effet, elles s’appuient sur des considérations relatives à des naturés pour lesquels il est évident que l’existence n’est pas une propriété. Mais cette critique n’atteint pas un Naturant.
J’avais commencé par vous répondre que le Dieu de Spinoza, c’est la Nature (Deus sive Natura) et que, comme la Nature existe, donc Dieu existe.
Mais c’était un peu simpliste parce que par Nature on n’entend généralement que la Nature naturée (la totalité de ce qui a existé, existe et existera) alors que par Nature, il faut entendre à la fois la Nature naturante (le Naturant) et la Nature naturée.
Au fond, on pourrait traduire « Dieu existe » par « La Nature (naturante) nature », autrement dit traduire « être » par « naturer ».

Bien à vous

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Lechat » 02 mars 2015, 21:33

A Vanleers,
Oui ce que dit Matheron est très éclairant. J'aime en particulier comme il insiste sur l'axiome 6 que je n'avais pas bien remarqué auparavant. L'idée vraie s'accorde avec l'objet, donc il est d'une certaine manière possible de connaitre l'"en soi" de certaine chose (en l'occurrence peut-être seulement une seule : Dieu, et Kant pense l'inverse).
Pour le 1) je peux m'expliquer d'avantage (c'est mon "c-a-d supposée existante" qui est un peu confusing)
Matheron a écrit :Toute substance dont nous avons une idée claire et distincte existe nécessairement par soi (I 7)

Ici, même si c'est vrai et bien dit, Matheron dit plus que E1P7. Si E1P7 disait cela, je la trouverais problématique comme vous (de la même manière que je trouve E1P11 problématique). Mais E1P7 est moins "particulière" que cela et est plutôt similaire à une proposition du type "tout homme vivant de plus de 150 ans est un homme". Cette dernière proposition est nécessairement vraie, mais on se doute bien qu'on ne trouvera jamais un cas particulier à qui l'appliquer. De même "toute substance existe par nature" est nécessairement vraie par E1P1-7 mais je ne me donne pas pour autant de cas particulier où je peux appliquer cette vérité. (Kant dirait qu'il peut sans contradiction nier à la fois le prédicat et le sujet).
Mais le cas particulier arrive en E1P11 avec Dieu qui est une idée vraie.


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