[Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Questions et débats touchant à la conception spinozienne des premiers principes de l'existence. De l'être en tant qu'être à la philosophie de la nature.
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Miam
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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Miam » 14 avr. 2015, 18:25

Van Leers, pourquoi voulez-vous éviter l'analyse sémantique ? Parce que la sémantique est impossible selon Witgenstein ? Mais Wintgenstein parlait du langage alors qu'ici nous sommes en présence d'un texte. La méthode géométrique à l'époque de Spinoza était courante en tant que méthode d'exposition littéraire. L'Ethique possède au moins trois niveaux différents : l'ordre des propositions, l'ordre des références des démonstrations et l'ordre des scolies. Personne ne pourra jamais formaliser cela. Nombreux sont ceux qui s'y sont cassé les dents, notamment sur ce forum.

Croyez vous que l'analyse sémantique ou tout au moins lexicale d'un texte soit nécessairement floue ? Je ne pense pas. Je pense que chaque verbe (notamment mais aussi les conjonctions etc.) ont une fonction logique, certes, mais non formalisable parce qu'il s'agit de la logique de Spinoza et pas de celle de Descartes ni des scolastiques y compris et surtout lorsqu'il emploit le même vocabulaire.

Il suffit, dis-je, de chercher ces fonctions par l'usage que Spinoza en fait dans le texte (et sans oublier le contexte). Telle est la voie pour définir les fonctions de ces verbes. Je dis qu'envelopper ne signifie pas englober ou enfermer (comme le pensait notamment Condillac et vous même), ni impliquer parce que Spinoza n'est pas Descartes et que l'"implicance" cartésienne - ou du moins d'une lecture déjà ancienne et assez scolastique de Descartes - n'a rien à voir avec l'enveloppement spinozien même et surtout lorsque Spinoza semble reprendre des expressions cartésiennes.

Pour "envelopper", la tâche est pourtant assez simple puisque les Axiome 4 et 5 de la première partie de l'Ethique que précise la proposition 3 permettent de définir à elles seules l'"envelopper". Ensuite, il s'agit de vérifier si cette fonction persiste dans le reste de l'Ethique en examinant TOUTES les occurrences et non pas une seule ou deux comme vous le faites. Cette méthode, loin d'être floue, me paraît tout à fait scientifique puisqu'elle vérifie ses hypothèses. Car si la connaissance de l'effet implique la connaissance de la cause, il me semble aussi que la connaissance de la cause implique la connaissance de l'effet. Ce qu'on ne lit nulle part. Si un corps implique l'étendue, l'étendue doit aussi impliquer ce corps, surtout l'étendue continue et indivisible de Spinoza. Mais cela non plus, on ne le lit nulle part. Vous appauvrissez la signification de l'"envelopper" en en faisant une double implication et pas même une implication parce que ce que vous nommer "impliquer" joue dans les deux sens.

Si Spinoza use d'impliquer à un endroit et d'envelopper à un autre, ce n'est pas pour faire joli. Le cercle carré enveloppe une contradiction mais la substance finie implique une contradiction parce que la première est une simple fluctuatio imaginationis alors que la seconde nous empêche de parvenir même à l'idée de Dieu. Ce n'est pas pour faire joli. Ca a du SENS. Et chaque mot, chez Spinoza, a un sens.

Pour illustrer mes dires, vous dites qu'on peut impliquer (1 seule occurrence dans l'Ethique) sans expliquer. Mais la sémantique elle-même dit bien plus : qu'impliquer est le contraire d'expliquer. Cela est évident. Encore faut-il alors définir ce que veut dire "expliquer". Ce qui est loin d'être évident cette fois. Bref : je pense que votre méthode est simpliste parce qu'elle veut tout réduire à la logique formelle la plus simple (pas même modale) et se base sur le ouï dire de vieux interprètes alors qu'une bonne lecture doit se fonder sur le texte et rien que le texte.

Cordialement

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Vanleers » 14 avr. 2015, 19:44

A Lechat

A la réflexion, on peut conserver l’équivalence entre (B enveloppe A) et (B implique A) au sens de l’implication logique car il n’est pas gênant de considérer que B est une condition suffisante de A.
Par exemple, reprenons l’axiome 4 de la partie I dans lequel Spinoza écrit que la connaissance de l’effet enveloppe la connaissance de la cause, c’est-à-dire que la connaissance de l’effet implique logiquement la connaissance de la cause.
On dira : vous soutenez donc qu’il suffit de connaître l’effet pour connaître la cause !
On répondra : c’est exact, en ajoutant : mais il est nécessaire de connaître la cause pour connaître l’effet.
Il n’y a pas lieu d’imaginer que nous puissions connaître d’abord l’effet, ce qui nous permettrait ensuite de connaître la cause puisque, pour connaître l’effet, il faut nécessairement connaître la cause.

Bien à vous

PS Je viens de voir que Miam a émis un post

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Vanleers » 14 avr. 2015, 21:50

A Miam

La seule véritable objection à la thèse que je soutiens : (B enveloppe A) équivaut à (B implique A) au sens de l’implication logique, je la trouve dans votre phrase :

« Car si la connaissance de l'effet implique la connaissance de la cause, il me semble aussi que la connaissance de la cause implique la connaissance de l'effet. »

Eh bien, il vous semble à tort car si (B implique A) est vrai, cela n’entraîne nullement que (A implique B) soit vrai. C’est même assez élémentaire.

J’ai étudié les axiomes 4 et 5 de la partie I, assez longuement dans plusieurs posts, et montré qu’ils confirmaient ma thèse. J’ai également montré que votre définition d’« envelopper » que vous tiriez de ces axiomes était boiteuse.

Lisez-vous vraiment les posts que vous critiquez ?
Je ne cherche nullement à formaliser l’Ethique mais à en comprendre un point très précis, à savoir ce que Spinoza entend par « envelopper ». Est-ce le fait de parler de A et de B qui vous effraie ? Spinoza en fait tout autant dans la démonstration d’E II 49.

Enfin, j’aimerais que vous me fassiez ouïr ces vieux interprètes qui auraient déjà soutenu la même thèse à propos d’« envelopper » car je n’en connais aucun, mais je suis loin de les avoir tous lus.

Bien à vous

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Lechat » 14 avr. 2015, 22:10

Vanleers, si je comprends bien Spinoza "détourne" (selon les termes de Macherey) E1A4 dans la démo d'E2P16. Il l'utilise en omettant le deuxième "connaissance" : la connaissance de l'effet enveloppe la cause (et non la connaissance de la cause).
(si j'identifie les termes d'E2P16 : connaissance = idée, effet = affections , cause = nature du corps)
Pensez-vous que l'omission du connaissance dans l'application d'E1A4 est un détail sans importance, ou alors que "nature du corps" est un objet un peu flou entre une cause et une connaissance de cause ?

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Vanleers » 15 avr. 2015, 13:57

A Lechat

Effectivement, le recours à l’axiome 4 devrait conduire à dire que l’idée, c’est-à-dire la connaissance, des affections du corps enveloppe la connaissance de la nature du corps affecté et celle du corps affectant et non cette nature elle-même.
Mais ne serait-ce pas tomber dans un cercle puisque l’esprit humain, lorsqu’il perçoit, ne connaît son corps et les corps qui l’affectent qu’à travers précisément ces affections ?
Le recours à l’axiome 1 qui suit le lemme 3 paraît suffisant. Il énonce que les affections du corps suivent de la nature du corps affecté et du corps affectant (et nous avons déjà vu que « suivre » est équivalent à « envelopper »). Mais une affection du corps et l’idée de cette affection, c’est la même chose envisagée sous deux attributs différents.

Bien à vous

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Vanleers » 15 avr. 2015, 15:49

A Miam

P.S.

Vous écrivez :

« Le cercle carré enveloppe une contradiction [E I 11 2ième dém. – involvere] mais la substance finie implique une contradiction [E I 13 sc. – seule occurrence d’implicare dans l’Ethique] […] »

Il n’y a pas d’inconvénient à traduire involvere et implicare par impliquer au sens de l’implication logique.
Rappelons que l’implication logique (B implique A) signifie que l’on a :
B est une condition suffisante de A
A est une condition nécessaire de B

Poser un cercle carré ou une substance finie suffit pour que l’on ait une contradiction.
Un cercle carré ou une substance finie ne peuvent être posés que comme nécessairement contradictoires.

Bien à vous

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Miam » 15 avr. 2015, 16:05

Je ne pense pas qu'on puisse les confondre. Vous n'êtes pas assez analytique (paradoxalement)
Le cercle carré est une fluctuatio imaginationis : on passe constamment de la perception d'un cercle à la perception d'un carré et l'inaptitude à distinguer ces images font que l'on perçoit un cercle carré.

Il n'en va pas de même pour la substance finie.
Il ne s'agit pas d'une fluctuation entre deux images et idées de ces images mais d'une contradiction fondamentale. De LA contradiction qui conduit à toutes les autres. C'est pourquoi le début de l'Ethique n'est autre que la démonstration qu'une substance doit être infinie (cad constituée d'attributs infinis), sans quoi on ne pourrait pas même arriver à l'idée de Dieu (ou de l'un de ses attributs) qui est fondamentale en tant qu'idée vraie donnée.

Par suite : le cercle carré ne fait qu'envelopper une contradiction, c'est à dire qu'il y a entre cette idée et la contradiction quelque chose de commun de sorte que la contradiction (la simultanéité subjective du cercle et du carré) est cause partielle de cette idée (puisqu'il y a quand même dans cette idée celle du cercle et celle du carré).

En revanche, la substance implique contradiction. Autrement dit : la contradiction explique l'idée de substance finie. L'idée de la substance finie est la contradiction en elle-même, concentrée dans cette idée qui conduit à toutes les idées fausses et il n'y a rien d'autre, dans cette idée, qu'une contradiction. Il n'y a pas même l'idée de substance dans cette idée.

Ensuite : bien sûr que l'idée de la cause implique l'idée de l'effet puisque "la connaissance de l'effet n'est autre que celle de la cause". Connaissez vous une cause qui n'implique pas d'effet ? Non ? Alors il en va de même des idées de ces causes et effets puisque, selon le "parallélisme" l'idée de la cause est la cause de l'idée de l'effet.

Rien ne sert de jouer avec A et B. Ce sont là des notions totalement vides si vous en retirez toute signification. "A implique B n'est pas B implique A". Merci bien ! Là vous prenez vos lecteurs pour des idiots si vous croyez qu'ils manquent cette évidence. C'est pourquoi j'ai dit que votre implication est ici en l'occurrence (concernant cet axiome) une double implication. Seulement ici il ne s'agit pas de A et de B que vous postuler impliquer (vous supposez ce qui est à démontrer en un cercle logique parfait, merci) mais bien de mots qui ont une signification et un sens qu'aucune logique vide de sens - surtout lorsqu'on plonge directement dans un cercle logique - ne pourra jamais déterminer.

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Vanleers » 16 avr. 2015, 17:02

A Miam

1) En E I 13, Spinoza démontre que « Une substance absolument infinie est indivisible »
Dans le scolie, il écrit que l’on comprend plus simplement qu’une substance est indivisible « de cela seul, que la nature de substance ne peut se concevoir qu’infinie, et que, par partie d’une substance, on ne peut rien entendre d’autre qu’une substance finie, ce qui (par la Prop. 8) implique [implicare] une contradiction manifeste. »

Si la démonstration d’E I 8 est vraie, alors la proposition « Toute substance est nécessairement infinie » est vraie.
Soutenir qu’une substance est finie signifierait qu’une démonstration que Spinoza tient pour vraie est fausse et c’est là, à mon avis, que cela impliquerait contradiction.

2) En logique, la double implication signifie l’équivalence. Or l’axiome 4 n’énonce pas l’équivalence de la connaissance de la cause et de la connaissance de l’effet.

3) Je n’ai pas compris votre dernier paragraphe, en particulier en quoi consisterait le cercle logique.

Bien à vous

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Re: [Spinoza & Kant] Réfutation de l'argument ontologique

Messagepar Vanleers » 25 août 2015, 10:01

J’ajoute encore ceci

L’implication logique : B implique A peut être représentée par un ensemble B inclus dans un ensemble A.
Si X appartient à B, alors X appartient à A
Si X n’appartient pas à B, alors :
- soit X appartient à A dans sa partie extérieure à B
- soit X n’appartient pas à A
Si X n’appartient pas à A, alors X n’appartient pas à B.
On retrouve bien les propriétés de l’implication logique : B implique A.

Soutenir que B enveloppe (involvere) A, au sens de Spinoza, signifie que B implique A, au sens de l’implication logique, ne signifie pas que l’ensemble B « enveloppe » l’ensemble A.
C’est le contraire : c’est l’ensemble A qui « enveloppe » l’ensemble B.
C’est peut-être la source d’une difficulté de compréhension d’« involvere » pour certains, en particulier lorsqu’on s’appuie sur une image spatiale.
Si, par exemple, on représente les ensembles B et A par un petit cercle B à l’intérieur d’un grand cercle A, il saute aux yeux que le grand cercle A « enveloppe » visuellement le petit cercle B alors qu’il s’agit de l’image de « B enveloppe A », au sens de Spinoza.


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