Bonjour recherche,
recherche a écrit :Mais je vous ai demandé votre avis, pas celui de Spinoza !
Sont-ils rigoureusement semblables ?
Sur les principes, oui, ils sont identiques.
Si je synthétise le rapport cerveau-pensée chez Spinoza (cf E1 appendice et E2p48 scolie pour des occurrences de "cerveau"), avec des références à des notions plus contemporaines, ça donnerait :
Les idées du 1er genre de connaissance ("imagination", sensation, mémoire etc.) sont uniquement "dans le cerveau", sont locales.
Les idées du 2n genre (notions communes) doivent être considérées de manière non-locale du fait même qu'elles sont communes. Pour se calquer sur un langage de physicien, on peut concevoir chaque notion commune comme un champ. L'idée-champ "2 + 2 =4" est excitée une fois dans tel cerveau, une fois dans une calculatrice etc. L'identité, l'essence de l'idée est portée par le champ, sa manifestation ici et maintenant en est une "particule", un mode d'excitation.
Les idées du 3e genre font voir le non-local dans le local, font saisir ces idées coupées de leur cause, semblant n'être que "dans le cerveau" comme exprimant en fait une globalité.
recherche a écrit :Je pourrais en outre vous répondre que « le concept d’idée » implique bel et bien des « intensités électriques », des « fréquences de dépolarisation »… etc.
Oui, si on accepte d'emblée que pensée se résume à ce qu'il y a "dans le cerveau", alors on peut assez facilement identifier les idées à ce qu'il se passe dans le cerveau. Si on considère que "2 + 2 = 4" est aussi dans un boulier ou une calculatrice, l'idée n'est pas limitée à son expression cérébrale.
recherche a écrit :Vraiment, je ne vous rejoins pas.
En prenant connaissance de cette expérience de Wheeler, on pourrait croire à un tour de passe-passe ! Un choix retardé ayant des conséquences sur le passé ! ... Excusez du peu (et de ma naïveté...)
J'allais me lancer dans une reformulation de l'expérience pour réduire le côté "spectaculaire" mais je me contenterais de recommander "Mécanique quantique, une introduction philosophique" de M. Bitbol. C'est l'ouvrage que je mets toujours en avant pour abaisser le taux de mystère dans les esprits.
Un mot quand même : en dépit de formulations discutables, n'oublions pas que l'article se conclut par "Il n'y a donc aucune transmission d'une information du futur vers le passé". La physique quantique respecte la causalité einsteinienne pour tout ce qui concerne l'agir, l'action par transmission de quantum d'énergie ou son équivalent informationnel (1 bit pour un quantum).
recherche a écrit :Mais cela ouvre pour moi des perspectives intéressantes… Si l’on vous dit vouloir étudier le cerveau pour ses capacités cognitives (supposées…), pensez-vous qu’il serait souhaitable de se plonger dans l’étude de la physique quantique ?
Se plonger dans la physique quantique elle-même, je dirais non.
Tout le formalisme est développé pour des variables de physicien : la description des systèmes, les lois d'évolution (équation de Schrödinger), les observables concernent l'énergie, l'impulsion, le spin etc., l'échelle énergétique des phénomènes en jeu (de l'ordre de la constante de Planck) est en deça de l'échelle biologique, pas grand chose qui à mon sens soit pertinent avec la pratique biologique.
Mais c'est peut-être par la discipline intermédiaire qu'est l'informatique que neurosciences et quantique peuvent se rejoindre : d'un côté elle touche à la quantique et en épure la logique, la libère des spécificités physiques, de l'autre elle touche aux neurosciences (modèles de réseau de neurone et autre).
Et je me suis parfois dit que dans les neurosciences on devrait jeter un oeil aux travaux que j'indiquais sur les corrélations non-locales, ne serait-ce que pour avoir une perception nouvelle sur les effets possibles de processus synchrones. Une corrélation non-locale, ça peut se réaliser avec
un simple élastique.
Quels effets peuvent résulter d'un traitement parallèle d'inputs ?
Des effets de sens peut-être (syntaxe et sémantique...).
Ceci étant, il y a eu des tentatives pour "affaiblir" (au sens logique) le formalisme et pouvoir en faire un usage dans d'autres domaines que la physique. Par exemple,
dans cette thèse l'auteur tente une reformulation de la quantique en termes d'information et dans les pistes de recherche il évoque les sciences cognitives (cf le chapitre 10). Mais en pratique, il n'est pas évident qu'un neurobiologiste voit quoi faire de l'étude des C*-algèbres, d'un espace de Hilbert et autre.
recherche a écrit :Je reformule :
« Et rien ne vous oblige à penser que nos capacités cognitives seraient tributaires de la physique quantique. »
Je crois avoir saisi la nuance.
La physique quantique retombe sur la tension corps-esprit, sur le caractère "phénoménal" de l'expérience scientifique, qui était suffisamment masqué en physique classique pour mener à un matérialisme "dogmatique" très XIXe siècle, oublieux notamment des enseignements de Kant.
Donc, en effet, quelqu'un voulant produire une théorie de l'origine des capacités cognitives à partir de quelque chose où elles ne sont pas encore (matérialité sans pensée), doit douter de la quantique comme théorie de la matière. Ce n'est pas pour moi un problème parce qu'effectivement je ne considère pas la quantique comme étant uniquement une théorie du matériel (au sens einsteinien).
Par contre, l'"immatériel" que je vois dans cette théorie, je ne le fais certainement pas dépendre de l'organisation du cerveau. Il n'a pas fallu attendre nos facultés cognitives pour que l'idée "2 + 2 = 4" existe sous une forme ou une autre. Je ne fais pas "émerger" la pensée tout simplement parce que je ne considère pas que les structures qu'exprime notre cerveau ont le cerveau pour condition nécessaire.
L'identité d'une idée ne se définit pas par sa position spatio-temporelle, c'est bien la même et unique idée qui est à la fois ici et là, chose qui ne pose problème que tant qu'on reste dans la conception physique où position et temps sont des variables déterminantes de l'identité, de l'essence de la chose.
Un neurobiologiste peut donc montrer comment se forme dans le cerveau une structure correspondant à telle ou telle idée, comment ce cas particulier émerge, mais il ne peut pas dire que le cerveau a créé l'idée laquelle s'exprime par d'autres moyens ailleurs. L'idée de Dieu est partout parce que Dieu est partout, tout existant enveloppe l'Existence.
Et pour tout dire, une chose que je n'aime pas trop dans cette idée d'émergence de la pensée par le cerveau, c'est son côté anthropocentré, comme si sans l'homme (ou équivalent) le monde tombait dans un néant ou un chaos, sans ordre puisque personne n'y penserait "2 + 2 = 4".