recherche a écrit :Pourquoi n'envisagez-vous qu'au-delà de simples jeux parallèles d'"expression", il y ait une causalité entre l'idée et ce qui, physiquemenet, la sous-tend ?
A la fac, j'étais parti dans un cursus de biologie, et à l'époque je faisais plus qu'envisager cette causalité, je le prenais comme une sorte de fait de base qui, à la limite, ne s'interrogeait même pas.
Seulement, quand on étudie la philo, la logique, l'informatique et les fondements de la physique, on s'aperçoit que "causalité" et "matérialité" recouvrent des réalités plus complexes que ce qui apparait dans la mécanique assez basique de la biologie.
Je ne vois pas, par exemple, comment un biologiste va expliquer les corrélations non-locales qui apparaissent en quantique à partir d'une physique classique qui reste dans les contraintes relativistes.
M. Bitbol que je citais plus haut est un spécialiste de l'épistémologie de la quantique et je n'ai rien à redire à ses analyses qui le conduise à un parallélisme épistémologique. Les physiciens en sont à tenter de distribuer le "matériel" et l'"informationnel" dans leurs théories, et pour l'instant, de tout ce que je sais de science, l'option la plus raisonnable est d'en rester à une distinction qualitative entre deux plans ou deux pôles, ce qui évite bon nombre de délires autour de la physique.
Et pour tout dire, à mon sens, si on prenait le point de vue de Spinoza, on appellerait "corporel" ce qui correspond à la Relativité Générale, c'est-à-dire tout ce qui s'explique en terme de forme d'espace-temps/densité d'énergie et le reste serait de l'"idéel" ou de l'informationnel, à expliquer par de pure relations logiques qui ne se soucient pas de prendre pour terme des éléments localisés et respectant les limites relativistes.
Parce que, in fine, c'est ça qu'il faut expliquer : comment considérer ces réalités qui n'entrent pas dans notre rapport "moteur" au monde, dans notre rapport au monde en terme de mouvement, d'espace, de durée, de masse ?
Ou pour parler en neurobiologiste : le système cognitif est capable d'accéder à des réalités qui échappent au système sensori-moteur, et aucune description en terme sensori-moteur (c'est ici ou là, ça pèse tant, c'est de telle couleur etc.) ne représente ces réalités. En droit, on peut produire des systèmes cognitifs accédant aux mêmes réalités, on peut produire de l'intelligence artificielle, mais
voir fonctionner un cerveau ou un ordinateur n'est pas
comprendre ce qu'il comprend.
D'autre part, ces réalités ne sont pas produites par le cerveau : ce n'est pas le cerveau qui produit une réduction de paquet d'onde en quantique ou des corrélations non-locales, elles ne sont pas dans notre tête. Une corrélation non-locale n'a de sens qu'en temps qu'elle n'a ni lieu ni temps défini, elle peut concerner en même temps un quasar à 12 milliards d'années-lumières et un instrument de laboratoire.
On peut vouloir tout "subjectiver", dire que "c'est dans la tête", que c'est nous qui sommes causes de tout cela, que ce n'est qu'une manière de voir, de "se faire des idées", de synthétiser des choses tout à fait locales et matérielles mais cette forme d'anti-réalisme a tendance à miner toute l'entreprise scientifique.
Le parallélisme de Spinoza a le grand avantage de saisir pourquoi les mathématiques fonctionnent en sciences, pourquoi nos modèles expriment des réalités physiques, pourquoi ce n'est pas juste le cerveau ou l'esprit qui se fait des idées : ces idées sont déjà coextensives aux choses. On pourra par exemple dire qu'il y a bien des corrélations non-locales dans la structuration des choses, que ce n'est pas qu'une "abstraction", une "illusion", le simple point de vue d'un petit homme qui s'invente un monde dans son petit cerveau/esprit.
recherche a écrit :Nous nous comprenons si bien que cette distinction entre syntaxe et sémantique n'a vraiment, nous concernant, pas lieu d'être.
Je me permets d'insister : c'est une difficulté essentielle en intelligence artificielle laquelle s'efforce de produire un système intelligent. C'est notamment ce qui fait qu'on en est à des artifices d'intelligence plutôt que de l'intelligence artificielle, comme disait un chercheur.
recherche a écrit :Entre l'idée selon laquelle "les idées n'engendrent que des idées"/"le physique n'engendre que du physique" et "nul ne sait ce que peut le corps" (pourquoi pas, engendrer du physique l'on appellera "idées" !), il me semble que nous pouvons mettre en exergue quelque chose d'assez contradictoire.
J'essaie autrement : faisons au moins la distinction aristotélicienne entre forme et matière.
Il y a tel triangle dessiné sur la table et la forme triangle qui se trouve aussi bien dans ce triangle-là que dans celui d'à côté, d'avant ou de plus tard. On peut éventuellement la dire aussi "encodée" dans le cerveau. Cette forme, cette structure n'a ni poids, ni lieu, ni temps. On ne considère pas que le dessin de triangle
produit la forme triangle, la structuration triangulaire, puisque celle-ci existe en dehors de lui. On considère qu'il l'incarne, qu'il en est un exemplaire matériel.
Ca donne au moins des concepts opérationnels qui feront que pour caractériser la nature "être triangulaire", on ne sortira pas une balance pour peser le triangle dessiné.
recherche a écrit :Pourquoi dès lors refuser le concept même de causalité de la "pensée" sur "l'étendue" (geste volontaire) ou de "l'étendue" sur la "pensée" (états mentaux induits par tels stimulis) ?
Allez, je tente une présentation formelle :
Dans l'axiomatique logique de Spinoza la relation d'implication entre type de données suit la table de vérité de l'opérateur d'équivalence XNOR (cf la table des
connecteurs logiques). :
Soit les événéments A et B, et les types x et y, indexant les événements
A - > B
Ax - > Bx, c'est-à-dire A - > B selon le type x (disons "idée)
Ay - > By, c'est-à-dire A - > B selon le type y (disons "corps")
Si on applique la table de vérité de l'opérateur XNOR à la relation d'implication, on obtient :
(Ax - > Bx) = vrai
(Ax - > By) = faux
(Ay - > Bx) = faux
(Ay - > By) = vrai
Le transtypage est une opération locale, n'ayant de valeur que dans des cas particuliers par correspondance analogique. Par exemple, le terme "1" peut signifier le nombre 1 ou la valeur booléenne "Vrai" dans des cas particuliers déterminé par le programme exécuté mais pas de manière générale. Parfois l'identification fonctionne et parfois ça fait planter le programme, ça marche pas, il faut un typage strict.
A défaut d'être convaincu par cette logique, elle a sa cohérence interne.
recherche a écrit :Tout expliquer de deux façons, certes, mais il est question ici de comprendre que l'une de ces deux façons (la physique) permet à l'autre d'émerger (l'idéel).
Et vice-versa pourrait dire un physicien invoquant la nécessité d'un observateur pour réduire la fonction d'onde, pour obtenir une réalité déterminée. On n'a qu'une superposition inobservable d'état sans cette réduction. Qui est premier, l'observateur ou l'observé ? Ni l'un ni l'autre peut-être, pas de science, pas de connaissance sans relation observé-observateur, le sens même de "représentation".