Spinoza et la maitrise pratique des affects

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 22 déc. 2006, 23:03

Bonsoir Hokusai,

et voici enfin aussi une réponse au dernier message que vous m'aviez adressé (d'ailleurs, si j'ai bonne mémoire, il y a également toujours quelques questions de votre part auxquelles je n'ai pas encore répondu cc les images communes ... j'y reviens dès que je trouve le moment de reprendre ce sujet).

Hokusai a écrit :Louisa écrit

"""""""""""Quand à la fin de ce processus, nous avons compris quelque chose d'adéquat concernant la cause de la Tristesse, celle-ci n'est pas du tout 'anesthésiée ou effacée, mais littéralement transformée en Joie. """"""""""""

Par exemple j’ai perdu mon chien ( non pas perdu dans les bois , non il est mort , il y a déjà neuf mois mais parlons au présent ) alors je suis triste .

Idée claire et distincte :
je l'aimais beaucoup, il est mort, il n’est plus là, il me manque alors je suis triste .A moins que par les causes vous ne me l ‘expliquiez autrement .


effectivement, à mon avis une explication par les causes est assez différente de ce que vous venez d'écrire ici. Vous donnez plutôt une description de vos sentiments, tandis qu'une explication par les causes exige une liste des causes de la mort de votre chien, ET l'ensemble des liens entre ces causes qui fait que la mort est survenue NECESSAIREMENT. C'est en considérant tout ce qui est nécessaire qu'un sentiment de soulagement/consolation/joie s'installe. Si pe votre chien a été écrasé par une voiture, alors la douleur sera beaucoup plus grande si vous commencez à vous fâcher sur le type derrière le volant, et si vous commencez à vous imaginer qu'il l'a fait exprès, ou qu'il était extrêmement distrait et qu'il n'aurait pas dû faire cela etc, que quand vous pensez au fait qu'il était déterminé de toute éternité qu'à ce moment précis, par un concours de circonstances, cette voiture allait toucher votre chien.
De la même manière, vous serez plus triste si vous commencez à culpabiliser, à vous dire que vous auriez dû avoir fait ceci et cela et alors il n'aurait jamais été à ce moment-là seul dans la rue, etc.
Or pour Spinoza, tout ceci ce sont des idées inadéquates. Personne n'aurait pu faire autrement, ni le chauffeur de la voiture, ni vous-même, ni le chien. Chacun était déterminé à s'efforcer à persévérer dans son être de cette manière précise, et il se fait que le croisement de ces trois efforts spécifiques ont créé une rencontre entre le chien et la voiture où la puissance de la voiture était plus grande que celle du chien.
On passe au registre adéquat dès que l'on commence à penser à ces déterminations nécessaires: personne n'a voulu la mort de ce chien, seulement, comme toute chose singulière, il est nécessaire qu'un jour il rencontre, dans la nature, une force plus grande que la sienne, et que la durée de son existence corporelle arrive à sa fin.
La prochaine fois, dans le cas où vous acheteriez un autre chien, vous pourriez même essayer de bien avoir cela en tête déjà avant qu'il soit mort: un jour il va mourrir, et ce sera toujours par accident, donc probablement inattendu. C'est pourquoi Spinoza conseille d'essayer de ne pas trop s'attacher aux choses inconstantes, dont on ne maîtrise que très peu la présence ou absence. Autrement dit: il vaut mieux penser non seulement au chien comme cause extérieure de votre Joie, et seulement aimer le chien, mais quand vous aimez le chien (au moment de sentir cet amour donc) essayer de penser à tout ce qui cause la présence du chien, et même déjà à tout ce peut un jour l'enlever. Spinoza ne prétend pas que ceci abolit toute Tristesse, il dit juste que c'est un moyen pour la rendre moins grande. Ensuite, il faut toujours du temps avant que votre imagination de représente plus constamment l'idée du chien comme cause de votre bonheur, et son absence comme cause de douleur. Plus le temps passe, plus votre Corps sera affecté d'autres causes extérieures, causes qui, quand vous les comprenez, prendront de plus en plus de place dans votre Esprit, tandis que vous serez de moins en moins affecté par l'idée de l'absence de cette cause.

Hokusai a écrit :« qui imagine détruit ce qu’il aime sera triste (pro19/3) »


oui, mais qui imagine de plus en plus de choses qui ont causé la mort du chien, de façon nécessaire, affaiblit par là l'image du chien comme cause unique de son bonheur, et donc l'amour ressenti pour le chien. Or si on aime moins le chien, ou surtout si on arrive aussi à aimer les autres choses qui ont causé sa mort, pe, on sera moins triste quand on pense au chien détruit qui si on ne se fixe que sur cet amour et l'absence du chien.

Hokusai a écrit :
Je suis triste parce qu il me manque . L’idée adéquate concernant la cause de la tristesse ne remplissant pas ce manque je persiste dans ma tristesse .


Je ne crois pas que pour Spinoza il s'agit de remplir en manque. Là on ne parle pas de Tristesse mais d'un autre affect primitif, le Désir. C'est le Désir qui désire un objet, qui jusqu'à ce qu'il le possède, lui manque, dans un certain sens.
Or une fois que l'on est Triste, construire des idées adéquates ne consiste pas vraiment à remplir le manque (à se donner la présence de l'objet désiré), car justement c'est parce qu'on sait qu'il est définitivement absent que l'on est Triste. Remédier à la Tristesse ne revient donc pas à combler un manque, mais à ajouter à l'idée de l'objet aimé comme cause extérieure de ma Joie d'autres idées, des idées adéquates aussi bien concernant la cause de la mort du chien que de la cause de sa propre Tristesse (on peut pe penser à ce que cet amour pour le chien dit sur nous-mêmes) et des causes de toutes ces causes, y ajoutant à chaque fois l'idée que tout ceci soit nécessaire.
Je ne sais pas si vous avez déjà essayé ce petit 'travail pratique', mais chez moi, j'ai l'impression que cela fonctionne assez bien. Bien sûr que l'on ne commence pas à sauter au ciel de Joie, mais la douleur de la Tristesse devient tout de même moins grande, et c'est dans le fait même de comprendre tout cela que l'on ressent qui on est, quelle est sa capacité de comprendre, bref ce processus d'ajout d'autres idées adéquates s'accompagne d'un sentiment d'affirmation de soi. Or qui dit affirmation de soi, dit Joie (mais Joie dans le sens spinoziste, c'est-à-dire un petit passage à une plus grande puissance que celle au moment où l'on ne sentait que de la Tristesse)... .
Joyeuses fêtes à vous et à tous!
Louisa

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Messagepar hokousai » 23 déc. 2006, 00:39

chère Louisa

"""""""""""""Si pex votre chien a été écrasé par une voiture, """""""""

Ecoutez ça m’est arrivé hier !! (vous êtes médium ?)
Sauf que mon chien sen est sorti quasiment indemne
Je n’ai rien vu du choc (mais entendu ) et puis mon chien vivant , noirci sur le côté de la tête à la queue .
J’ai eu très peur, je ne me suis pas fâché contre l’automobiliste , c’était de ma faute , j ‘avais lâché le chien .
Maintenant penser que tout cela était nécessaire ne m’est pas venu à l'idée .
Je ne suis décidément pas un bon spinoziste .
Ce qui fonctionne assez bien chez moi c’est l’ homéopathie .

Non mais en général (je vous rassure ) je sais bien que tout ce qui arrive est nécessaire , sans quoi ce serait autre chose qui arriverait ..non ?
En revanche je ne suis pas certain que ça me rende plus gai .

Finalement c’est assez tautologique .
C’est un peu comme « évidemment que je crois cela , sinon je changerais d' idée » c’est si évident que le sens du « je crois » n’en est plus si évident .

bien à vous
jean-luc hks

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Messagepar Louisa » 24 déc. 2006, 04:48

Cher Hokusai,

Hokusai a écrit :J’ai eu très peur, je ne me suis pas fâché contre l’automobiliste , c’était de ma faute , j ‘avais lâché le chien .
Maintenant penser que tout cela était nécessaire ne m’est pas venu à l'idée .
Je ne suis décidément pas un bon spinoziste .
Ce qui fonctionne assez bien chez moi c’est l’ homéopathie .

Non mais en général (je vous rassure ) je sais bien que tout ce qui arrive est nécessaire , sans quoi ce serait autre chose qui arriverait ..non ?
En revanche je ne suis pas certain que ça me rende plus gai .

Finalement c’est assez tautologique .
C’est un peu comme « évidemment que je crois cela , sinon je changerais d' idée » c’est si évident que le sens du « je crois » n’en est plus si évident .


Je ne sais pas si c'est une question d'être un bon spinoziste ou non. Peut-être faudrait-il d'abord tout simplement faire activement l'expérience telle que Spinoza le propose, pour après pouvoir décider si c'est ce à quoi on veut adhérer ou non.
Et alors justement, faire activement l'expérience, c'est autre chose encore que de se rappeler 'en général' la croyance que tout ce qui arrive est nécessaire. Là, il ne s'agit que d'une idée, idée que propose Spinoza, mais que l'on n'est pas du tout obligé de croire. 'Faire activement l'expérience' (les 'travaux pratiques' auxquels je référais) n' implique pas de croire en l'une ou l'autre idée. Et si par hasard on y croit déjà (comme cela semble être votre cas, si je vous ai bien compris), alors simplement se rappeler cette idée n'a pas la même chose que de la mettre en pratique, de la mettre en oeuvre.

Cela (la mettre en oeuvre), je suppose que pour l'instant, vous ne l'avez pas encore fait, vu que vous écrivez que cet accident serait de votre 'faute'. Car pour Spinoza, ceci n'est qu'une idée inadéquate, qui revient à s'imaginer être la seule cause de l'accident. Or si tout est nécessaire, par définition il n'existent pas de causes 'isolées' (ce seraient des causes dites 'libres'). Il faut donc commencer à vous imaginez le monde d'une telle façon que vous n'êtes plus de tout la seule cause, mais où il y a une multiplicité infinie de causes.

Et là aussi, il ne suffit pas de se dire 'en général': 'oui c'est vrai, la chaîne des causes est forcément infinie, si toute cause doit elle-même être causée'. Il faut essayer maximalement (autant qu'il est en votre puissance, ce qui implique un effort considérable) de s'imaginer ces causes, l'une après l'autre.
Car ce que Spinoza prétend, c'est que plus qu'on puisse s'imaginer clairement et distinctement de différentes causes de cet événement 'chien heurté par une voiture', plus le sentiment de Tristesse est contrarié. Aussi longtemps que vous restez dans le 'général', il est donc normal que vous vous sentez toujours aussi triste. Ce n'est que PENDANT que vous imaginez concrètement un maximum de causes particulières, liées à cet événement, que l'effet affectif se fera sentir.

Et cet effet ne consiste pas vraiment à du coup passer de la tristesse à un sentiment de gaïeté (dans le sens ordinaire). La seule chose que Spinoza prétend (pour autant que je l'aie compris), c'est que la Tristesse consiste en une baisse ponctuelle de la puissance d'agir. La Joie, par contre, n'est rien d'autre que de remonter la pente, d'augmenter sa puissance d'agir.
Et à mon avis, on peut dans un certain sens très bien dire que cet effet est comparable à un effet homéopathique: car il n'agit, il ne produit de l'effet que goutte à goutte. On pense d'abord à une seule cause : soi-même (d'où la possibilité de traduire cette idée en 'faute': c'est ma faute). Puis on réfléchit, et on s'imagine une deuxième cause particulière. Voilà une petite goutte en plus. La différence, au niveau de la puissance, ne se fera quasiment pas sentir. Mais après avoir répété cet effort pas mal de fois, à un certain moment la différence devient considérable. On ne se sentira pas forcément extrêmement gai, mais on sentira que sa puissance d'agir a augmenté considérablement. Ce qui veut dire que quelque part, on est devenu plus 'réel', on existe davantage.

Mais cela ne sert à rien de juste se dire tout ceci. Par définition, l'effet ne peut se produire que si on l'applique à une situation de Tristesse concrète, c'est-à-dire au moment où l'on la vit, et en cherchant des causes particulières à l'événement qui a causé la Tristesse. C'est pourquoi il s'agit d'un remède AFFECTIF aux affects de Tristesse: cela ne sert à rien de juste se dire 'oui, tout est nécessaire', sans plus. Il faut encore pouvoir traduire cela, cette règle générale, en 'Joie'. Et cette traduction n'est possible que sur un cas concret.

En revanche, si on se dit très fréquemment que tout est nécessaire, alors à nouveau, par effet homéopathique, on rendra le poids de cette idée plus grand, et donc on aura plus vite l'idée de chercher toutes les causes particulières quand une Tristesse se produit que quand on se rappelle cette règle qu'une fois tous les trois mois, à l'occasion d'une discussion philosophique pe. Car comme vous le dites ci-dessus: vous croyez que tout est nécessaire, et pourtant, au moment de l'accident de votre chien, vous n'avez pas du tout eu le reflexe de penser à cette idée. Et c'est effectivement cela, le problème, selon Spinoza: il faut arriver à avoir cette idée 'sous la main' immédiatement, au moment même de l'affect de Tristesse, pour la contrarier la plus vite et la plus sérieusement possible. Or dans le 'choc' de l'événement, on est souvent balloté par toutes les images qui nous viennent à l'Esprit, suivant l'ordre des choses qui nous touchent le plus intensément. Et donc effectivement, on pense à tout sauf à des règles générales, 'abstraites', telle que 'tout est nécessaire dans la vie'.
Pourtant, pour Spinoza, c'est en ce moment précis qu'il faudrait non seulement avoir le reflexe de se rappeler la règle, mais immédiatement, avant même que les passions peuvent se déchaîner dans tous les sens, l'appliquer. Cela n'est pas possible sans exercice préalable. Cet exercice consiste à penser beaucoup à cette idée de la nécessité universelle, en dehors de toute situation choquante. Car plus qu'on a pris l'habitude d'y penser, plus il y a une chance qu'au moment où l'on en a le plus besoin, elle va être présente dans notre Esprit. Du coup, la Tristesse sera moins importante dès le début, c'est-à-dire ce même accident fera moins baisser notre puissance d'agir. Et la rétablir telle qu'elle était avant se fera aussi plus vite, vu que l'on a immédiatement appliqué le remède (on cherche immédiatement d'autres causes que soi-même). Avec un peu de chance, on peut même comprendre tellement de causes particulières de l'événement, que la proportion idées adéquates/idées inadéquates (celle qui définit notre puissance d'agir, donc notre essence) augmente par rapport à ce qu'elle était avant que l'accident était survenu (car comprendre = ajouter des idées adéquates à notre Esprit). C'est cela d'ailleurs, à mon avis, l'effet 'netto' potentiellement positif de la Tristesse, tel que semble le chercher fantasueno.
Cordialement,
Louisa.

PS: rassurez-vous, je n'ai rien d'un 'medium' ... il se fait tout simplement que si l'on habite en ville, la première cause potentielle de la mort d'un chien qui vous vient en tête, c'est une mort par accident de voiture ... .

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Messagepar fantasueno » 24 déc. 2006, 15:07

A Louisa, Miam et Hokousai :

Merci à vous trois pour l’ensemble des éclairages que vous m'avez apporté.
Je me permets donc de faire une synthèse, toujours dans une optique pratique de la pensée de Spinoza :

- Face à une tristesse passée, la nécessité des événements - et donc l’imagination d’un réseau causal - peut m’aider à retrouver ma puissance. En effet, puisque je comprends, je m’intègre des choses, donc j’augmente ma puissance. Là-dessus nous sommes tous d'accord.

- Face à une difficulté existentielle présente ou à venir, mon imagination peut me rendre triste (peur devant un projet, crainte de chômage, angoisse d’une séparation etc). Mais dans ce cas, la nécessité causale est de faible secours puisque je tombe dans le piège métaphysique insoluble du libre arbitre. En effet, je défie quiconque, dans sa vie pratique, de ne pas se croire « libre» quand il doit prendre une décision importante dans sa vie.

- Dans ce cas, comment gérer la tristesse imaginée face aux difficultés à venir ? par ex je sais que je dois changer de travail et ce challenge me fait peur, ou bien je hais ma compagne (ou mon compagnon) et je sais que je dois la (le) quitter sous peine de finir comme esclave, ou bien je n’ai pas envie de faire telle activité qui me fait horreur etc. Dans ce cas :
1/ Soit je me considère comme mode fini, et donc naturellement soumis à être limité et empêché par les autres modes finis (Spinoza). J’accepte alors « les règles du jeu ». j’accepte de faire face aux problèmes avec plus de sérénité. Mais c’est à peu près tout. Ce n’est pas en tout cas d’une grande utilité pratique. Essayer, vous verrez.
2/ Ou mieux encore, je donne une valeur ontologique au dépassement de soi et me lance courageusement dans la bataille pour faire partie des forts (Nietzsche), sachant alors que la tristesse à venir est le prix à payer pour accéder à une plus grande joie. Bref, le COURAGE. Ne serait-ce pas l’affect actif par excellence ? Mais pas besoin d’un tel édifice théorique pour savoir ceci.
3/ Ou alors, j’écarte l’affect triste en imaginant un scénario positif ? « Je raisonne du bien au mal et non l’inverse» comme dit Spinoza. Je dois changer de travail ? J’imagine tous les éléments joyeux que ce travail peut m’apporter ? Dans ce cas, il y a deux scénarios :
3.1/ Je n’ai pas encore pris ma décision : cette imagination positive ne risque-t-elle pas de me faire perdre de vue les dangers de mon action ? Est-ce que je ne risque pas de faire une bêtise ?
3.2/ J’ai déjà pris ma décision : Quelle différence avec une banale et insipide méthode Coué ?

Mes chers amis, dans les 3 cas pratiques évoqués, je retombe sur le bon sens populaire. Sur la raison pratique pure et simple. Pourquoi alors un si long détour ?
Est-il finalement possible que la logique théorique d’une éthique, quelle qu’elle soit, dépasse et déborde la raison pratique, qui, finalement, nous fait VIVRE.
Est-ce que l’esprit n’est pas fait d’abord pour agir ? Dans ce cas quelle est la valeur d’une pensée spéculative, si belle qu’elle soit, devant la puissance et l’élan vital d’une pensée pratique ? Cette valeur ne serait-elle pas seulement « la croyance », c'est-à-dire l’amour, que l’on y attache ? J’en veux pour preuve, les références systématiques des membres de ce site aux scolies et autres paragraphes de Spinoza, qq soit le sujet de discussion.

Pardonnez –moi pour ce blasphème, mais Spinoza ne serait-il pas un messie dont le livre sacré est basé sur la croyance pure et simple envers la raison, c'est-à-dire l’enchaînement ontologique, logique et physique de cause à effet ?
Et l’enchaînement de cause à effet, est ce que cela existe vraiment tant que nous restons dans le « DEVENIR » ?
Et si les affects sont finalement les représentations de notre devenir, alors est ce qu’il ne faut pas vivre sa vie « sub specie temporis » ?


Bonnes fêtes
Amitiés

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Messagepar hokousai » 25 déc. 2006, 01:46

à Louisa

""""""""""""""Car pour Spinoza, ceci n'est qu'une idée inadéquate, qui revient à s'imaginer être la seule cause de l'accident. """"""""""""""""


Pas la seule cause mais la plus proche .Or Spinoza hiérarchise les cause comme tout un chacun et je dirais que la totalité des causes c’est la cause la plus indéterminée donc la plus lointaine ainsi celle qui ne vient à l’esprit que , sinon tardivement , du moins pas immédiatement ..
Que je sois la cause que mon chien est lâché dans la rue c’est celle très claire et distinct qui me vient immédiatement à l’esprit , les autres causes sont moins claires et moins distinctes
Car Est « cause adéquate celle dont l’effet peut se percevoir clairement et distinctement «
Je dois dire que sans et mon inattention la chose ne serait pas advenue ou bien que par mon inattention elle est advenu , c’est ma faute et pas celle du voisin lequel vaquait à ses occupations .

..........................................;

""""""""""""""Ce n'est que PENDANT que vous imaginez concrètement un maximum de causes particulières, liées à cet événement, que l'effet affectif se fera sentir.."""""""""""""""""""""

Mais la solution la plus efficace serait encore de penser carrément à autre chose , car pourquoi se morfondre dans les causes de l’événement attristant .Pensez vous qu’en savoir les causes va le rendre moins attristant ? En savoir les causes ne l ‘annihile en aucune manière , ce qu’il faudrait c’est oublier ..
Ce n’est pas votre rationalisation qui fait décroître la tristesse , c’est la décroissance de la tristesse qui se traduit en rationalisation .
Le spinozisme serait un art de penser à autre chose en dérivation perpétuelle de l’évènement en sa factualité . A cet effet je peux bien m’entraîner à penser alors à ce n’importe quoi qui ne m’arrivera jamais , par exemple à mon voyage dans la lune et toutes ses causes .

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Messagepar Henrique » 26 déc. 2006, 15:49

hokousai a écrit :Pas la seule cause mais la plus proche .Or Spinoza hiérarchise les cause comme tout un chacun et je dirais que la totalité des causes c’est la cause la plus indéterminée donc la plus lointaine ainsi celle qui ne vient à l’esprit que , sinon tardivement , du moins pas immédiatement ..
Que je sois la cause que mon chien est lâché dans la rue c’est celle très claire et distinct qui me vient immédiatement à l’esprit , les autres causes sont moins claires et moins distinctes
Car Est « cause adéquate celle dont l’effet peut se percevoir clairement et distinctement «
Je dois dire que sans et mon inattention la chose ne serait pas advenue ou bien que par mon inattention elle est advenu , c’est ma faute et pas celle du voisin lequel vaquait à ses occupations .


Oui, Spinoza ne nie pas la responsabilité, c'est-à-dire le fait que la cause prochaine d'un effet soit effectivement celle qui peut répondre de l'effet puisque sans lui, hypothèse imaginaire mais logiquement concevable, il n'y aurait pas eu cet effet. C'est pourquoi le chien enragé peut être tué si l'on ne veut pas être enragé à son contact (et qu'on ne dispose pas d'autre moyen de s'en prémunir). Il n'est pas responsable d'avoir contracté le virus, mais il l'est de la morsure qu'il pourra occasionner (puisque ce n'est pas le virus qui mord).

Mais cela n'enlève rien à la très belle analyse de Louisa : une chose est de reconnaître qu'on est la cause prochaine d'un fait douloureux - et c'est mieux que tenter d'en rejeter la responsabilité sur autre chose (Serge pourrait nous rappeler ici Paul Diel, lecteur profond de Spinoza, qui disait que la vanité, l'imaginaire morbide, l'introspection malsaine, c'est à l'origine le refus de reconnaître ses fautes, autrement dit ses limites) - autre chose est de s'accabler de reproches en se prêtant à soi-même une puissance qu'on n'a pas.

J'ai moi-même perdu un beau chat blanc avec des tâches rousses en début d'année, que j'aimais beaucoup pour son côté à la fois sauvage et familier, il était comme l'esprit domestique de la maison. La dernière fois que je l'ai vu, c'était un soir de janvier, il était monté sur la table de la cuisine. Je l'ai fait descendre sans trop de ménagement et je l'ai mis dans le garage. Puis au bout d'un moment il est sorti par la chatière. Après cela il n'est jamais revenu. Je l'ai cherché partout dans le village, sur les routes, dans les campagnes environnantes et dans les refuges pendant plus d'un mois. J'en suis alors venu à la conclusion que n'ayant pas trouvé son corps écrasé sur une route, ni entendu de nouvelle de lui (il était tatoué), l'hypothèse la plus plausible pour expliquer sa disparition était qu'un voisin chasseur qui n'aime pas les chats avait dû réussir à le capturer dans un de ces pièges à fauves dont ils aiment garnir leur jardin et avait dû supprimer ce concurrent jugé déloyal. D'autant plus que les anciens propriétaires de la maison où nous habitons avaient perdu successivement trois chats auparavant, tout trois ayant été empoisonnés.

Qui est responsable de la disparition de mon chat ? C'est le chat lui-même qui est sorti des limites de la maison. Qui aurait pu l'empêcher ? Moi en ne le mettant pas dans le garage à ce moment. Mais bien sûr cela aurait pu arriver à n'importe quel autre moment dans certaines conditions. Le fait est que si le chat avait toujours vécu hors de la maison, on aurait beaucoup moins profité de lui d'une part et il aurait sans doute été supprimé depuis beaucoup plus longtemps, car son côté chasseur l'amenait à s'éloigner souvent de la maison, avec tous les dangers que cela entraînait pour lui. Mais comme il pouvait entrer dans la maison, il fallait que je lui fasse respecter certaines règles de vie commune, notamment le fait de ne pas monter sur la table. D'un autre côté, son caractère un peu sauvage lui donnait encore l'impulsion de monter sur la table après plusieurs années "d'éducation". L'enchaînement de causes et d'effets qui s'en est suivi était donc inévitable. La responsabilité n'empêche pas la nécessité et inversement. Une autre fois, je ne mettrai peut-être pas le chat dans le garage après une récrimination, mais ne pouvant prévoir que cette fois il ne reviendrait pas, je ne pouvais éviter de le faire ce soir là, car je voyais pas d'autre moyen de lui faire intégrer qu'il n'avait pas le droit de monter sur la table.


Mais la solution la plus efficace serait encore de penser carrément à autre chose , car pourquoi se morfondre dans les causes de l’événement attristant .Pensez vous qu’en savoir les causes va le rendre moins attristant ? En savoir les causes ne l ‘annihile en aucune manière , ce qu’il faudrait c’est oublier ..


Penser les causes d'un événement attristant et bouleversant est plus efficace que de tenter de l'oublier, d'abord parce qu'oublier quelque chose de bouleversant est quasiment impossible sur le coup, ensuite parce que même refoulé, le sentiment de culpabilité que l'imagination peut y attacher spontanément ne cesse pas forcément d'exister à un niveau que je qualifierais de paraconscient (plutôt qu'inconscient ou subconscient, mais c'est un autre problème) et enfin parce que comprendre la nécessité d'un événement vécu comme triste le rend moins triste, parce que comprendre est toujours une augmentation de ma puissance de penser et donc une joie et surtout parcequ'en l'occurrence, j'évite ainsi l'imagination qui fait vraiment le plus souffrir : me dire que les choses auraient pu être autrement, mieux en l'occurrence, et que par ma faute, ou celle d'un autre être que la structure imaginaire de mon esprit me conduit toujours à croire plus ou moins doué de libre arbitre, l'événement inévitable aurait pu être évité. Il s'agit donc essentiellement de cette façon d'éviter d'ajouter de la tristesse à la tristesse.

Ce n’est pas votre rationalisation qui fait décroître la tristesse , c’est la décroissance de la tristesse qui se traduit en rationalisation .
Le spinozisme serait un art de penser à autre chose en dérivation perpétuelle de l’évènement en sa factualité . A cet effet je peux bien m’entraîner à penser alors à ce n’importe quoi qui ne m’arrivera jamais , par exemple à mon voyage dans la lune et toutes ses causes .


Non il ne s'agit pas de penser à autre chose que ce qui constitue les événements ayant trait à la constitution de mon essence d'être persévérant dans sa puissance d'exister, mais d'y penser plus complètement et de cette façon plus sereinement. Quand Spinoza parle de s'entraîner à supporter d'une âme égale les événements qui jalonnent notre existence au scolie de la prop. 10 d'E5, au moyen d'une imagination encadrée par la puissance de comprendre de la raison, il parle d'événements que nous sommes susceptibles de vivre concrètement et régulièrement. Ainsi, pour éviter la haine d'autrui ou de soi, on s'imaginera dans une situation où pour reprendre un cas concret déjà examiné sur ce forum, un homme se met régulièrement en colère contre son épouse qui ne range rien à la maison. Et on imaginera les comportements qui seraient le plus en accord avec l'éthique rationnelle, permettant un surcroît de joie plutôt que de tristesse.

Pour finir, je voudrais revenir sur la question de la douleur telle que Fantasueno en a parlé au départ.

Quand Hokousai perd son chien, le fait de penser aux causes qui ont conduit à cet événement lui permettrait d'éviter d'ajouter imaginairement de la tristesse à l'événement lui-même. Mais cela ne supprime pas pour autant la douleur initiale de la perte elle-même. Mais justement Spinoza ne nous dit pas qu'il faut absolument chercher à fuir la douleur, du moins tant que nous en avons la puissance : "La titillation (titillatio) est susceptible d'excès et peut être mauvaise ; la douleur, à son tour, peut être bonne, en tant que la titillation ou la joie sont mauvais." (E4P43 : la titillation - terme vieilli mais non remplacé adéquatement par "chatouillement" est uniquement un plaisir (contrairement au chatouillement) lié à l'attouchement d'une partie du corps seulement, qui peut être externe ou interne) et "la douleur est bonne, en tant qu'elle est une preuve que la partie malade n'est point encore en putréfaction" (E4P48S) : en elle-même, la douleur n'est pas bonne mais pour combattre les excès de titillation ou la dépression qui consiste à ne plus désirer désirer parce qu'on se croit déjà mort, elle est utile comme instrument de prise de conscience que nous sommes vivants.

Quand j'ai perdu le chat évoqué plus haut, je n'ai pas autant souffert que si j'avais découvert son corps écrasé au bord de la route, j'ai pu me faire progressivement à l'idée de sa disparition. Mais son absence a été une douleur. C'est un membre de mon corps imaginaire qui m'a été arraché, car mon corps imaginaire est fait de tout ce qui l'affecte directement en renforçant sa puissance d'être affecté. Et j'ai connu des douleurs plus vives avec des animaux qui ont disparu beaucoup plus brutalement, le cadavre ne laissant de place à aucun espoir et je ne parle pas des pertes humaines, incomparablement plus douloureuses encore.

Mais tandis que la douleur affecte le corps et le mental qui est l'idée de ce corps - car à l'idée d'une perte correspond la sensation physique de cette perte - tandis donc que je souffre, comme il est nécessaire (E4P4), je peux au lieu de m'affliger savourer cette douleur comme "preuve" que je suis vivant. C'est alors un moyen de prendre conscience que je ne suis pas fondamentalement cette douleur, ni le corps et l'esprit qui en sont affectés, que je ne m'y réduis pas. Ayant conscience de souffrir et libéré de l'imagination morbide qui se représente ce corps comme substance contradictoirement destructible et refuse la douleur comme "injuste et évitable", je peux m'ouvrir à la conscience que je ne suis plus seulement la pensée de cette douleur, mais la pensée de cette pensée, qui demeure illimitée, inaltérable, éternelle, pensée par laquelle ce mental est vivant et sujet à souffrir. De même, je suis aussi l'étendue illimitée, la force par laquelle ce corps peut être affecté d'un grand nombre de façons.

La première fois que j'ai vécu une telle expérience, je venais d'avoir trois ans. Je vais vous le raconter en guise de conte de Noël spinoziste ;-)

J'étais parti de chez moi à la recherche de ma mère qui devait être partie faire des courses, tandis que mon père occupé à bricoler à la maison ne s'était pas trop alarmé de me voir me balader avec un baril de lessive dans lequel il n'avait pas vu que j'avais mis un pistolet en plastique, quelques gâteaux pour la route et une boîte d'allumettes pour faire peur aux loups que je risquais de rencontrer. Le petit chien de la maison était aussi parti en expédition avec moi, ce qui m'avait donné le courage de partir tenter le sort.

Puis quand j'ai compris que le monde en dehors de la maison de campagne où nous habitions était beaucoup plus grand que je ne l'imaginais et que mon chien n'avait pas l'air de savoir plus que moi où nous allions, sur ces routes de campagne goudronnées et interminables, quand j'ai compris que j'étais dans une situation mortelle pour un enfant de mon âge, je me suis mis à pleurer toutes les larmes de mon corps tout en continuant de traîner mon baril de lessive.

Et alors je me suis vu en train de pleurer dans cette situation désespérée et tout en continuant de pleurer, je me suis vu en train de voir la route interminable avec mon petit chien devant, les yeux embués de larmes, et j'ai ressenti que cet être qui se voyait voyant, était quant à lui d'une merveilleuse sérénité. Quelque chose en moi a alors compris que je n'étais pas seulement ce petit garçon perdu par sa propre faute.

Puis, à quatre ou cinq kilomètres de chez moi, des gens qui passaient l'après midi dans leur jardin m'ont vu et ont appelé les gendarmes...

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Henrique
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Messagepar Henrique » 26 déc. 2006, 17:35

fantasueno a écrit :Je me permets donc de faire une synthèse, toujours dans une optique pratique de la pensée de Spinoza :

- Face à une tristesse passée, la nécessité des événements - et donc l’imagination d’un réseau causal - peut m’aider à retrouver ma puissance. En effet, puisque je comprends, je m’intègre des choses, donc j’augmente ma puissance. Là-dessus nous sommes tous d'accord.


Il s'agit plutôt de ne pas se laisser submerger par la puissance d'une tristesse présente, en la contextualisant, en voyant que ce qui a causé cette tristesse a aussi participé de la joie que j'avais, car, comme je le suggère dans le post précédent en réponse à Hokousai, si par exemple je perds un être cher, bien que cette perte soit passée, elle continue de me faire souffrir au présent et pendant longtemps après puisque cette perte représente une diminution de puissance d'être affecté de mon corps qui ne peut être effacée d'un coup de baguette magique conceptuelle.

- Face à une difficulté existentielle présente ou à venir, mon imagination peut me rendre triste (peur devant un projet, crainte de chômage, angoisse d’une séparation etc). Mais dans ce cas, la nécessité causale est de faible secours puisque je tombe dans le piège métaphysique insoluble du libre arbitre. En effet, je défie quiconque, dans sa vie pratique, de ne pas se croire « libre» quand il doit prendre une décision importante dans sa vie.


Le libre arbitre est en effet une illusion du même type que celle évoquée en E4P1S : quand bien même on ne croit plus que le soleil est à 200 pieds au dessus de nos têtes, on a toujours l'impression de le voir tel - l'illusion du libre arbitre est à la racine de notre mentalité, comme le montre l'appendice d'Ethique I. Mais si je ne crois plus que le soleil est à 200 pieds, je ne vais pas avoir l'idée de tenter de gravir une montagne pour l'atteindre. De même, si je ne crois plus au libre arbitre, je ne vais pas croire que l'homme qui m'a causé un tort l'a fait en raison d'une libre volonté dont il est l'unique responsable et je ne vais pas ajouter de la souffrance inutile aux souffrances naturelles du corps et du mental.

J'ai par exemple pris la décision de parler davantage de moi sur ce forum ces derniers temps. Avant cela, j'aurais pu craindre qu'on se moque de moi, qu'on m'accuse de confondre philosophie et autobiographie. Mais je n'en ai pas moins conscience que ce qui m'y a déterminé n'est pas un choix qui sortirait de rien, comme l'implique en dernière analyse l'idée de libre arbitre, comme si le néant avait quelque propriété, mais une nécessité intérieure de parler de philosophie en toute transparence et de façon singulière, comme tout ce qui existe réellement, cette nécessité n'étant pas coupée d'un certain nombre d'événements extérieurs de ma vie récente (la lecture par exemple du dernier Onfray, La puissance d'exister...).

Donc supposons que nous avons une décision importante à prendre : admettons que je viens de m'apercevoir que mon épouse me trompe avec un autre homme, les relations extra-conjugales n'étaient pas dans notre entente commune, est-ce que je la tue ou pas ? Non, mon imagination a suffisamment été éduquée socialement pour que la peur du gendarme m'empêche d'envisager sérieusement l'option du meurtre et si je suis un peu spinoziste, j'ai suffisamment conscience que la tuer ne guérirait nullement la blessure narcissique occasionnée par cet adultère, que ce qui peut guérir cette blessure est quelque chose de positif pour l'image que j'ai de moi-même et non ici quelque chose de négatif, de sorte que je n'entretiens même pas sérieusement non plus ne serait-ce que le désir de la tuer.

Bon, mais alors, est-ce que je la quitte ou pas ? Elle me dit que c'était une passade et qu'elle ne recommencera plus. Admettons pour ne pas trop compliquer les choses ici qu'il n'y a pas d'enfants. Là, ou bien c'était par attachement que je vivais avec cette femme et alors je serai conduit à lui trouver nombre d'excuses et de bonnes raisons pour continuer la vie commune ou bien c'était par un amour libre que je désirais construire avec elle un couple capable d'affronter de concerts les difficultés du métier de vivre et d'en partager les joies avec d'autant plus d'intensité que l'association est resserrée, mais alors la confiance n'est plus possible car rien ne m'empêchera plus jamais d'imaginer qu'elle pourra recommencer et sans confiance, c'est-à-dire sans vérité, il n'y a plus de liberté dans l'amour. Dans un cas comme dans l'autre, il y a nécessité. Mais dans un cas, la nécessité se rapporte à des passions qui me rendent dépendant de causes extérieures. Dans l'autre à l'affect actif de fermeté (animositas), qu'on peut traduire aussi à mon sens par courage qui lui même dépend d'une capacité de raisonner suffisamment développée.

Dans ce cas, comment gérer la tristesse imaginée face aux difficultés à venir ? par ex je sais que je dois changer de travail et ce challenge me fait peur, ou bien je hais ma compagne (ou mon compagnon) et je sais que je dois la (le) quitter sous peine de finir comme esclave, ou bien je n’ai pas envie de faire telle activité qui me fait horreur etc. Dans ce cas :
1/ Soit je me considère comme mode fini, et donc naturellement soumis à être limité et empêché par les autres modes finis (Spinoza). J’accepte alors « les règles du jeu ». j’accepte de faire face aux problèmes avec plus de sérénité. Mais c’est à peu près tout. Ce n’est pas en tout cas d’une grande utilité pratique. Essayez, vous verrez.


Je pense que tu n'as pas bien intégré ce que disais Louisa quand elle parlait de l'importance de relier mentalement les règles rationnelles générales et l'image de cas particuliers, de l'importance de ne pas à en rester à une compréhension uniquement générale des faits. Si tu étais un chirurgien et que tu devais opérer un accidenté de la route, est-ce qu'il serait utile pour cet accidenté comme pour toi en tant que chirurgien que tu commences à opérer l'esprit plein de colère contre l'automobiliste qui a causé cet accident et plein de dégoût devant le spectacle du corps massacré que cela a occasionné ? La sérénité, autrement dit l'acceptation du réel tel qu'il est, est la condition première d'une compréhension de celui-ci et ainsi d'une action efficace pour le modifier adéquatement. En comprenant pourquoi tu dois changer de travail au lieu de te morfondre à l'idée que tout cela est la faute de tel ou tel qui t'a empêché de faire tout ce que tu aurais pu faire, tu peux réfléchir plus sereinement aux moyens d'éviter que les mêmes causes produisent les mêmes effets et de créer les conditions d'une activité rémunératrice le plus en conformité avec tes attentes, de même que le chirurgien, en opérant sereinement peut voir ce qui est à soigner et avoir la présence d'esprit de penser aux actions les plus adéquates à sa connaissance sans endommager d'autres parties du corps.

2/ Ou mieux encore, je donne une valeur ontologique au dépassement de soi et me lance courageusement dans la bataille pour faire partie des forts (Nietzsche), sachant alors que la tristesse à venir est le prix à payer pour accéder à une plus grande joie. Bref, le COURAGE. Ne serait-ce pas l’affect actif par excellence ? Mais pas besoin d’un tel édifice théorique pour savoir ceci.


L'intérêt de l'Ethique n'est pas de nous faire découvrir des vérités inédites en matière de conduite de la vie mais de nous donner les moyens d'en comprendre clairement la nécessité et ainsi les moyens de les appliquer correctement, cf. Ethique V, préface : "Nous déterminerons les remèdes aux affects (passifs), remèdes dont je crois tout le monde a l'expérience, mais sans les observer avec soin ni les voir distinctement". En l'occurrence, tu peux d'autant mieux agir avec courage, c'est-à-dire avec fermeté, qui est à la colère ce que la générosité vraie est à la pitié, que tu ne confonds pas ces notions et que tu comprends à quelles conditions elles existent et se développent.

3/ Ou alors, j’écarte l’affect triste en imaginant un scénario positif ? « Je raisonne du bien au mal et non l’inverse» comme dit Spinoza. Je dois changer de travail ? J’imagine tous les éléments joyeux que ce travail peut m’apporter ? Dans ce cas, il y a deux scénarios :
3.1/ Je n’ai pas encore pris ma décision : cette imagination positive ne risque-t-elle pas de me faire perdre de vue les dangers de mon action ? Est-ce que je ne risque pas de faire une bêtise ?
3.2/ J’ai déjà pris ma décision : Quelle différence avec une banale et insipide méthode Coué ?


Tout ce que j'ai écrit dans ce message et le précédent explique suffisamment je pense en quoi il n'y a pas lieu d'écarter la douleur ou la tristesse comme si elles n'existaient pas, alors qu'il s'agit en élargissant la perception de celle-ci de vivre plus pleinement, et ainsi de ne plus les subir comme ce qui me diminue essentiellement. En l'occurrence, il est important de comprendre pourquoi un travail ou un couple n'ont pas donné satisfaction avant de passer à autre chose et pour pouvoir le faire adéquatement ou à la limite le moins inadéquatement possible.




Est-il finalement possible que la logique théorique d’une éthique, quelle qu’elle soit, dépasse et déborde la raison pratique, qui, finalement, nous fait VIVRE.


Oui dans la mesure où la raison pratique dont tu parles n'est jamais pure spontanément d'une foule d'erreurs et d'illusions de l'imagination, donnant lieu à nombre de passions tristes qui nous gouvernent contre notre intérêt bien compris. Elle n'est jamais pure durablement tant qu'elle n'a pas été purifiée au moyen d'une étude approfondie de ses conditions de possibilité et de sa distinction d'avec l'imagination et sa capacité à forger des abstractions qui nous tiennent lieu inadéquatement de règles de vie.

Est-ce que l’esprit n’est pas fait d’abord pour agir ? Dans ce cas quelle est la valeur d’une pensée spéculative, si belle qu’elle soit, devant la puissance et l’élan vital d’une pensée pratique ? Cette valeur ne serait-elle pas seulement « la croyance », c'est-à-dire l’amour, que l’on y attache ? J’en veux pour preuve, les références systématiques des membres de ce site aux scolies et autres paragraphes de Spinoza, qq soit le sujet de discussion.


Si on cite des textes de Spinoza, ce n'est pas dans un esprit révérencieux et pour se conformer à une autorité qui nous semblerait indépassable, c'est parce que quand on utilise la philosophie de Spinoza pour vivre et qu'on en parle, on est amené vis-à-vis des autres lecteurs de Spinoza à leur donner les moyens de vérifier si on parle avec cette philosophie de Spinoza ou bien uniquement à partir de son raisonnement propre. Parler avec Spinoza, c'est se situer dans un cadre rationnel commun, qui permet de comme ce dernier terme l'indique de communiquer à ce sujet. Cette communication est la raison d'être de ce forum.

Pardonnez –moi pour ce blasphème, mais Spinoza ne serait-il pas un messie dont le livre sacré est basé sur la croyance pure et simple envers la raison, c'est-à-dire l’enchaînement ontologique, logique et physique de cause à effet ?


Il n'y a pas de blasphème là où il n'y a pas de croyance. Or il y a croyance, quand face à deux affirmations également concevable, on en adopte une plutôt qu'une autre pour des raisons essentiellement affectives (ce qui est toujours le cas quand la raison se taît). Si au contraire, je comprends que l'une des deux positions est en fait impossible, comme par exemple l'idée que ma femme ne me trompe pas alors que je viens de trouver une lettre écrite à son amant où elle parle de leurs galipettes avec enthousiasme, alors il n'y a plus croyance mais savoir. Le déterminisme universel n'est justement pas une croyance parce que la position inverse, "il y a de l'indétermination", n'est pas logiquement et ontologiquement possible, à moins d'imaginer que le néant puisse produire quelque chose, que l'argent pourrait pousser sur les arbres ou qu'un arbre adulte pourrait pousser en quelques secondes à partir d'un rocher ou encore qu'un cercle puisse avoir des angles.


Et l’enchaînement de cause à effet, est ce que cela existe vraiment tant que nous restons dans le « DEVENIR » ?


C'est justement parce qu'il y a enchaînement de causes et d'effets à partir de corps finis qu'il y a devenir.

Et si les affects sont finalement les représentations de notre devenir, alors est ce qu’il ne faut pas vivre sa vie « sub specie temporis » ?

L'éternité chez Spinoza se vit dès à présent, l'intérêt de l'expression "sub specie aeternitatis" est justement de suggérer qu'on peut vivre l'éternité aussi bien que "sub specie durationis", non qu'il s'agisse de vivre de façon schizoïde dans deux mondes séparés mais au contraire de vivre plus complètement en élargissant notre perception et compréhension de la seule nature qui existe.

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Messagepar Louisa » 26 déc. 2006, 23:09

Bonsoir Hokusai et Fantasueno,

je ne crois pas pouvoir mieux répondre que ce que vient de faire Henrique, donc peut-être juste une petite 'variation sur le thème'.

Fantasueno a écrit :Face à une difficulté existentielle présente ou à venir, mon imagination peut me rendre triste (peur devant un projet, crainte de chômage, angoisse d’une séparation etc). Mais dans ce cas, la nécessité causale est de faible secours puisque je tombe dans le piège métaphysique insoluble du libre arbitre. En effet, je défie quiconque, dans sa vie pratique, de ne pas se croire « libre» quand il doit prendre une décision importante dans sa vie.


Là-dessus il me semble que Henrique a raison de citer Spinoza quand il écrit que ce que propose l'Ethique n'est rien de fondamentalement nouveau mais se retrouve déjà dans l'expérience quotidienne de tout un chacun, seulement de manière vague. Cela signifie que SI un lecteur de l'Ethique a l'impression que tel ou tel passage est totalement contre son intuition spontanée, c'est que l'on n'a pas tout à fait tenu compte des sens que Spinoza veut donner aux mots (sens qui quant à lui n'est pas du tout le sens ordinaire, quotidien).
Dès lors, Spinoza ne nie pas du tout la liberté humaine, au contraire, il propose une pensée où celle-ci est tout à fait centrale. Il ne s'agit donc pas du tout d'abandonner cette idée (ce qui serait impossible, car effectivement, nous sentons bien qu'à certains moments, nous sommes libres).
Seulement, il propose d'essayer de concevoir la liberté autrement que comme absence de prescience (ce qui est plutôt ce par quoi on définit le libre arbitre). Pour comprendre ce qu'il veut dire par là, il faut tenir compte, je crois, du fait que quasiment toute tradition occidentale a toujours prétendu que la liberté humaine (ensemble avec la raison, selon le cas) est ce qui nous distingue le plus des animaux, ce que nous avons de plus élevé en nous, etc. Or comme il le répète souvent, son but n'est pas de rejeter en masse la tradition et d'inventer maintenant La Seule Philosophie.
Résumons:
1) il ne nie pas l'expérience de liberté
2) il ne nie pas que cette liberté, c'est ce que nous avons de plus précieux, comme l'ont dit quasiment tous les grands penseurs occidentaux.

En revanche, ce qui pose problème pour lui, c'est une certaine façon de concevoir la liberté: celle qui la définit de manière purement négative, par l'absence de connaissance certaine concernant le futur. Or comment définir ou comprendre ce qui, dans notre expérience de tous, est ressenti comme ce que nous avons de plus cher, par ce qui n'est rien d'autre que notre ignorance ... ? Comment dire que ce que nous avons de plus élevé, ce serait la bête et simple ignorance? Comment combiner cela avec un autre fil rouge de notre tradition, celui qui dit que nous nous distinguons des animaux par nos capacités rationnelles? Comment appeler le fait de de temps en temps ne pas savoir exactement quelles seront les conséquences de nos actes notre 'liberté' ... ?

Ceux qui ont opté pour cette définition de la liberté comme absence de savoir de l'avenir prennent d'habitude des situations très précises comme exemples: celles où un acte de décision pro X au lieu de pro Y puisse déboucher sur des états du monde très différents, ayant de graves conséquences pour celui qui doit décider. Mais ayant ce types de conséquences ou au contraire des conséquences tout à fait insignifiantes ne change rien à l'essentiel de la définition: c'est l'expérience active de ne pas connaître toute la chaîne des causes aux effets qui est appelé 'liberté'.
Avoir peur du chômage pe, revient à ne pas être certain d'être viré, ou si on l'est déjà, à ne pas être certain comment bien organiser sa vie dans un tel état. La seule chose différente entre une telle situation et une situation comme (pour prendre un des exemples favoris des philosophes anglo-américains) un jeu d'échec où l'on ne sait pas non plus ce que l'autre va faire quand on déplace telle ou telle pièce, c'est la gravité des conséquences. C'est tout.
Si on veut appeler ce type d'actes des actes où se montre par excellence la 'liberté', alors rien ne nous empêche d'appeler libre le papillon qui, au fin fond de la fôret amazonienne, a battu à un moment x son aile gauche un peu plus vite que son aile droite, situation dont nous savons qu'elle peut déclencher des inondations de l'autre bout de la planète, mais dont le papillon en question ne sait absolument rien. Or il va de soi que cela, appeler ce papillon 'libre', va tout à fait à l'encontre de notre intuition spontanée. Conclusion de Spinoza: dans ce cas, il ne faut pas abandonner l'idée que les humains peuvent poser des actes libres, il faut simplement trouver une définition qui correspond MIEUX à nos expériences de liberté que celle de l'absence de prescience (ou de savoir tout court, quand il s'agit de connaître les causes qui déterminent nos actes). Ce qui nous amène à ce que vient d'écrire Hokusai:

Hokusai a écrit :
Louisa a écrit:
""""""""""""""Car pour Spinoza, ceci n'est qu'une idée inadéquate, qui revient à s'imaginer être la seule cause de l'accident. """"""""""""""""

Pas la seule cause mais la plus proche .Or Spinoza hiérarchise les cause comme tout un chacun et je dirais que la totalité des causes c’est la cause la plus indéterminée donc la plus lointaine ainsi celle qui ne vient à l’esprit que , sinon tardivement , du moins pas immédiatement ..
Que je sois la cause que mon chien est lâché dans la rue c’est celle très claire et distinct qui me vient immédiatement à l’esprit , les autres causes sont moins claires et moins distinctes
Car Est « cause adéquate celle dont l’effet peut se percevoir clairement et distinctement «
Je dois dire que sans et mon inattention la chose ne serait pas advenue ou bien que par mon inattention elle est advenu , c’est ma faute et pas celle du voisin lequel vaquait à ses occupations .


Spinoza propose en effet une définition de la liberté par notamment la notion de cause adéquate, mais justement, il ne définit pas la cause adéquate par 'celle dont l'effet peut se percevoir clairement et distinctement'. Il y ajoute quelque chose de crucial: le 'par elle'.

E3 Déf I: "J'appelle cause adéquate celle dont l'effet peut se percevoir clairement et distinctement PAR ELLE. Et j'appelle inadéquate, autrement dit partielle, celle dont l'effet ne peut se comprendre par elle seule."

La cause adéquate n'est donc pas la personne qui à un moment x s'imagine être le seul responsable d'un événement, aussi clairement et distinctement qu'il puisse s'imaginer cela. Pour pouvoir l'appeler cause adéquate, il faut que l'événement ne puisse se comprendre QUE par cette personne seule. Ce qui dans ce cas-ci est manifestement faux: un chien lâché ne court pas forcément immédiatement droit à la rue, il aurait pu rester une seconde de plus chez vous, et alors la voiture aurait passé sans problème. Idem cc la voiture: il aurait suffit qu'il roulait un tout petit peu plus vite pour que la rencontre entre lui et le chien ne se fût jamais produite. Bref, il y avait tout un tas de causes concurrentes qui font qu'il devient impossible de vous imaginer seule cause de cet événement. Vous n'étiez qu'une cause partielle, et plus vous y pensez, plus vous devrez constater qu'en fait, vous n'étiez même qu'une cause toute petite dans toute cette affaire.
Car qu'est-ce qui vous a causé de lâcher le chien à cet instant-là, et pas deux secondes plus tard? Et qu'est-ce qui a causé le fait de vous promener avec lui à ce moment-là et et cet endroit-là et pas ailleurs? Vous le fait toujours, c'est une habitude? Mais qu'est-ce qui a créé cette habitude? Et si c'était plutôt exceptionnel, quelle était la cause de cette promenade un peu différente des autres? Et on pourrait continuer avec ce type de questions à l'infini, ce qui, chez Spinoza, ne nous mènera pas à du de plus en plus 'indéterminé', comme vous le dites ci-dessus, mais qui nous donnerait plutôt une idée de plus en plus déterminée et précise de l'arbre 'généalogique' ou causale qui a aboutit à cet événement précis: chien heurté.

Idem d'ailleurs pour le chômage: on peut se dire qu'on aurait dû pe être plus attentif aux signes précurseurs, et que si on l'avait été, on aurait pu anticiper des jugements négatifs (et peut-être injustifiés) et on aurait pu les éviter en se comportant autrement. Mais qu'est-ce qui a fait que l'on y a tout de même pas fait attention? La fatigue? Le fait de ne pas croire à l'éventualité d'un licenciement imminent? Le fait d'avoir été moins motivé, ces derniers temps?
Et inversement, si l'on n'est pas encore viré mais on le craint: qu'est-ce qui pourrait provoquer un licenciement réel? Quelles seraient les causes de ce licenciement? Comment les anticiper?

Dans les deux cas de figure, une ignorance fondamentale restera toujours, mais pour Spinoza, il est très problématique d'appeler notre situation à de tels moments pour autant 'libre'. Il préfère appeler notre Liberté notre salut ou béatitude. Et celle-ci ne consiste pas du tout à se fatiguer de ratiocinations à l'infini, elle est avant tout un sentiment, et un sentiment d'Amour. Amour qui est accompagné d'un profond sentiment d'Acquiescement ou de Satisfaction de l'Âme (les majuscules sont importantes, car elles indiquent qu'il faut prendre ces mots dans le sens précis défini par Spinoza, et pas dans le sens ordinaire).
La liberté chez Spinoza n'est donc pas l'ignorance, mais elle est fondamentalement une Joie.

Il en suit que pour lui, si nous nous disons libres quand nous avons peur du chômage ou quand nous avons lâché notre chien et que par hasard, il a croisé la rue au moment où une voiture y passait, nous donnons bien peu de poids à la notion de liberté. Si pouvoir poser des actes libres, c'est ça la grandeur de l'homme, pour lui c'est absurde de nommer la situation où l'on ne dort pas de peur du chômage une situation qui exemplifierait notre Liberté. Là, on souffre, et c'est tout. On souffre et on est ignorant de comment s'en sortir tout seul. Idem dans le cas du chien: quand vous vous sentez coupable de l'accident, quand vous vous imaginez clairement et distinctement être la seule cause prochaine et pas une cause prochaine partielle, vous allez être plus Triste, vous allez en souffrir. A ces moments-là, Spinoza nous dit: pour moi, vous êtes tout sauf libre.

Enfin, il va de soi qu'un des postulats majeurs de cette définition de liberté, c'est l'idée que tout est déterminé. Hokusai et Fantasueno ont appelé cela une 'croyance', mais je suis d'accord avec Henrique que la philo n'est pas une affaire de croyance. Ce qu'on y fait d'habitude avec les postulats ou prémisses, c'est les accepter temporairement pour pouvoir expérimenter la suite du raisonnement, c'est tout. Car ce dont on demande de juger, c'est bien le résultat pratique de la pensée, pas de la vérité des prémisses, car celles-ci s'appellent 'postulats' précisément quand on ne sait pas prouver leur vérité.
Entre-temps, pe, il se fait que la science a évolué, et n'est plus celle de Galilée et de Newton sur laquelle se basait Spinoza pour y puiser ses postulats de base. Depuis récemment, le temps n'est plus considéré comme n'appartenant qu'à la condition humaine et pas à l'univers en tant que tel. Maintenant, contrairement à ce que postule Spinoza, le temps fait partie de la Nature elle-même. Et il semble bien qu'il existe, dans la Nature même, des phénomènes non déterminés, ce qui serait ce que Spinoza appelle des 'causes libres', des causes qui produisent des effets sans être elles-mêmes causées. Pour l'instant, les physiciens sont donc en train de complexifier l'idée de déterminisme absolu.
Parallèlement, comme le souligne Badiou, Cantor a créé une théorie des ensembles où tous les objets mathématiques se laissent définir à partir de l'ensemble vide. Badiou en conclut qu'il faudrait donc abandonner l'idée d'un univers 'plein', tel qu'on le concevait au XVIIe, mais accepter la possibilité d'une création à partir du vide. Cela aussi renverse un des postulats essentiels de la philosophie de Spinoza.

Or pour moi, tout cela ne change rien au niveau proprement PHILOSOPHIQUE. Car ce déterminisme et cette absence du vide, Spinoza l'a pris comme point de départ d'une pensée qui est cohérente en tant que telle. Si l'on conçoit la philosophie comme la construction de problèmes précis, ensemble avec les concepts qui leur correspondent, il ne faut pas attendre d'elle la Seule Vérité, comme nous en prévient déjà Spinoza. Il faut attendre d'elle qu'elle ait la capacité de modifier nos idées et nos affects, et donc nos comportements, si on est prêt à se livrer à l'exercice de non seulement la lire, mais l'EXPERIMENTER.
Dans ce sens, la question proprement philosophique, en lisant Spinoza, n'est pas de savoir si tout cela est bien vrai. C'est de se demander QUEL EFFET cette manière de concevoir les choses a sur nous quand nous l'appliquons exactement comme Spinoza nous a voulu la communiquer.
Aujourd'hui on sait que CERTAINS événements naturels sont non déterminés. Mais ce n'est le cas que pour des systèmes loins de l'équilibre. Peut-on en conclure que certains actes humains ne sont pas entièrement déterminés? On n'en sait rien. L'important, c'est de savoir ce que cela donne comme effet sur la Tristesse (telle que Spinoza la définit) de se laisser affecter par toutes les idées des causes qui ont concouru à tel ou tel événement. Et pour le savoir, il faut d'abord être bien certain de comprendre ce qu'il dit dans le sens précis qu'il a voulu donner aux mots. C'est pourquoi ce travail d'exégèse de textes est tout sauf une idôlatrie, mais simplement le seul moyen pour bien comprendre CE QUE Spinoza nous veut faire expérimenter. Sans cela, impossible de le mettre en pratique. Et sans l'avoir mis en pratique, impossible de juger de son utilité dans la vie quotidienne. Donc impossible de juger la valeur de cette philosophie pour soi-même.
Moi-même pe je ne suis que dans la phase de l'exploration. Si je le suis toujours, après une bonne année, c'est parce que certains effets partiels de ma lecture m'ont bien convaincu de l'intérêt pratique potentiel de continuer à essayer de mieux comprendre. Mais déjà j'ai plutôt tendance à juger le postulat du déterminisme faux. En revanche, pour ce qui concerne l'idée d'un univers plein, j'ai plutôt tendance à la trouver assez sympa. Mais en tant que tel, ce n'est vraiment pas cela l'important. Il suffit de se dire: et SI je m'imagine que tout soit déterminé, et SI je commence à me poser la question des causes, ALORS quand je suis Triste, qu'en suit-il? Une augmentation de ma puissance ou non? Si oui, la philosophie de Spinoza, sur ce point, fonctionne bien tel qu'il le promet. Si non, alors ou bien je n'ai pas tout à fait tenu compte de ses définitions, ou je ne l'ai pas bien mis en pratique, ou cela ne marche peut-être tout simplement pas dans mon cas. Mais le niveau du jugement se situe là, il me semble: dans la vie pratique. Pas dans une éventuelle correspondance entre les postulats et la science actuelle, ou entre les postulats et ma croyance en eux.
Bien cordialement,
Louisa

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Messagepar hokousai » 27 déc. 2006, 00:57

chère Louisa

Il me semble que l ‘absence de savoir de l ‘avenir n’a pas de rapport avec la liberté . Or vous développez là dessus .
La liberté a , au contraire , rapport à ce que je décide et qui détermine l’ avenir ( mon acte décidé sera accompli ), je connais donc l' avenir de mon acte je l’anticipe .
Je suis libre ( il faut se tenir à ce vocable ) si j’ ai un pouvoir contre les déterminations extérieures . Si l acte que je décide d’ accomplir est effectué alors je peux dire que j avais une puissance donc que je suis libre ( à tout le moins sur cet acte et non toujours / partout et en soi )

Ce n’est donc pas l’expérience active de l’ignorance des causes qui est appelée « liberté » cette expérience est appelée ignorance .Dans l’ignorance je ne peux décider de rien , je ne suis pas libre .

.......................................................

""""""""""cause adéquate celle dont l'effet peut se percevoir clairement et distinctement'. Il y ajoute quelque chose de crucial: le 'par elle'"""""""""
.
Je conçois clairement et distinctement que mon inattention est la cause de l effet (l’accident du chien ) . Proposez moi des causes plus claires et plus distinctes et qui expliquent « par elles » que j’ai lâché le chien toutes ces causes seront moins proches de l’acte du lâcher le chien que j ai fait .
Cet acte n’est d’ailleurs pas à mes yeux un acte libre , je n’ai rien décidé consciemment mais ce n’est pas mon voisin ou le temps qu’il faisait ou je ne sais quoi de mon environnement qui a lâché la laisse du chien .

""""""""""" Car qu'est-ce qui vous a causé de lâcher le chien à cet instant-là, et pas deux secondes plus tard?…………. """""""""

Donc vous de me poser toute une série de questions où justement bien je serais ignorant et dans l’incapacité totale de répondre, la belle affaire pour mes affects ....excusez moi .

J’ai une explication claire et distincte et vous m’en demandez d’obscures .On s’enfonce dans le maquis impénétrable de la multiplicité des causes et puis de fatigue on en conclut au fatum : « fiat voluntas tua « disent les religieux .

Ce qui m’ ennuie dans votre interprétation de Spinoza est que la joie ( absence de la tristesse si on veut ) ressort d’un déni de la responsabilité propre. Finalement ce n’est jamais ma faute c’est la faute des circonstances . Moi je veux bien ne pas être triste mais pas au prix de faire retomber ailleurs la responsabilité de mes actes . Parce que voyez- vous , dans ce cas , je ne suis plus ni triste ni joyeux , je ne suis plus personne .

( vous m’obligez à être un peu long ….désolé )

hokousai

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Messagepar hokousai » 27 déc. 2006, 01:13

à Henrique

J'apprécie votre réponse .
Je ne dis pas que je n'apprécie pas celles de Louisa .
Disons que c‘est elle qui sur ces questions et en ce moment titille mon penchant (bien connu ou hélas trop connu ) pour ce "cum grano salis" qui concourent à l’animation des débats .

hksai


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