La libération spinoziste

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Messagepar azanco » 21 oct. 2005, 22:16

Bonsoir Louisa et vous tous,

Effectivement, pour descendre dans le concret, une situation de colère qui m'arrive fréquemment est d'en vouloir à ma femme de ne pas s'acquitter de ses devoirs chez nous, ce qui me provoque souvent une explosion de sentiments négatifs et le début d'une situation de crise qui se répète périodiquement et constamment. Quelqu'un pourrait sourire de cela et répondre qu'il s'agit d'une simple petite dispute familiale, mais il n'en est rien, car dans mon cas c'est très grave, puisque cela a déjà forcément créé une situation destructrice et une atmosphère fortement négative, dont ma petite enfant risque de souffrir. Longtemps j'ai essayé de me forcer à ne plus répondre de cette manière à mes stress personnels mais sans résultat, J'en suis arrivé à recourir à de nombreux remèdes "religieux" qui n'ont abouti à rien du tout. Maintenant je cherche dans la philosophie de Spinoza une voie d'issue avant de recourir au dernier remède qui serait le remède médical (antidépressifs et autres). Ma femme et moi nous vivons un état constant d'angoisse et malgré mes efforts tout se représente chriniquement comme dans une pièce de théatre jouèe mille fois de suite. En relisant l'Ethique que j'aime j'y ai retrouvé des soulagements, dont les principes de vie que vous m'indiquiez, mais l'important est de les appliquer, ce qui est le plus difficile évidemment.

Bien à vous

Azanco

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Messagepar Louisa » 21 oct. 2005, 23:23

Re-bonsoir Azanco,

Azanco a écrit :En relisant l'Ethique que j'aime j'y ai retrouvé des soulagements, dont les principes de vie que vous m'indiquiez, mais l'important est de les appliquer, ce qui est le plus difficile évidemment.


Je ne sais pas si chez Spinoza, on peut dire que 'l'application' de ces principes est plus difficile que de les comprendre. J'aurais plutôt tendance à croire que chez lui, l'un ne va pas sans l'autre, c'est-à-dire, que ce n'est qu'en les 'appliquant' qu'on puisse les 'comprendre' vraiment.

Ne dit-il pas qu'on ne peut contrarier un Affect en lui opposant seulement une idée, et qu'il faut lui opposer un autre Affect? Et que donc toute 'moralisation' (qui essaie toujours d'imposer une idée à un Affect lié à une situation concrète) est totalement inutile et inefficace (et souvent ce qu'une religion propose, j'ai l'impression, c'est de l'ordre de la morale)?

Il ne s'agit donc pas d'appliquer les idées de Spinoza comme on applique des règles morales à des situations concrètes, car non seulement cela serait très difficile, mais encore, selon Spinoza, tout à fait inadéquat.

L'application de l'Ethique, telle que je la comprends, consiste plutôt à se laisser influencer/modifier, dans sa façon de percevoir, par les propositions spinozistes (c'est donc plus une question de sensibilité que de compréhension purement intellectuelle). On n'a pas compris 'vraiment' Spinoza si on n'a pas ressenti l'efficacité de sa pensée dans sa propre vie quotidienne, je crois. On sait juste raisonner en utilisant les propositions spinozistes, mais cela reste c'est tout à fait autre chose.

Il faudrait donc prendre une situation telle que vous la mentionnez (dispute familiale autour de ce qui a été convenu par rapport à la 'division du travail'), mais alors vraiment la décortiquer, dans tous ses détails qui semblent en principe sans importance voire ridicules : qui dit quoi exactement, que pensez-vous par rapport à ce qui est dit, que sentez vous exactement, etc.
Je ne crois pas que cela pour Spinoza, c'est 'descendre' dans le concret. Il me semble que c'est précisément ce qui le soucie le plus: comment construire, ici et maintenant, une communauté d'individus où chacun puisse augmenter maximalement son bonheur?

C'est pour ça que ce serait beaucoup plus facile de vous montrer en quoi consiste pour moi l'efficacité quotidienne de la pensée spinoziste, si vous nous construisiez ici un petit scenario (fictive ou non) d'une telle dispute, dans chaque mouvement de pensée et d'affect qui accompagne son déroulement habituel, pour autant que vous vous en souvenez. Car là il serait possible de spécifier un point de vue spinoziste en détail, et seulement cela pourrait à mon avis vous faire ressentir effectivement, en l'effectuant affectivement, un raisonnement spinoziste 'appliquée' à une situation de vie concrète.

Si cet exercice (qui n'a rien à voir avec du 'personnel') ne vous tente pas trop, je peux toujours essayer de vous décrire en détail une situation concrète liée à ma propre vie, mais pour l'instant, j'ai vraiment l'impression que ce genre d'exemples est beaucoup moins 'clair' que si on prend une situation plus ou moins réelle de la vie de la personne qui se pose la question: comment vivre un Spinoza pratique?
Cordialement,
Louisa

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Messagepar sescho » 22 oct. 2005, 09:05

Bonjour,

(Je précise en passant que je suis aussi en accord avec l'angle pris par Louisa, mais que je ne vois pas de nécessité d'y intervenir, ce qui ne veut nullement dire que je m'en désintéresse.)

azanco a écrit :Effectivement, pour descendre dans le concret, une situation de colère qui m'arrive fréquemment est d'en vouloir à ma femme de ne pas s'acquitter de ses devoirs chez nous, ce qui me provoque souvent une explosion de sentiments négatifs et le début d'une situation de crise qui se répète périodiquement et constamment.

La répétition de la crise est très classique, qu'on l'appelle "compulsion de répétition" ou autrement : comme tout, la psyché imaginative tend à persévérer dans son être (et c'est aussi pourquoi il est très inefficace - et épuisant - de chercher à la prendre de front.)
Le mot qui m'intéresse ici c'est évidemment "ses devoirs". Peux-tu préciser non ce que sont ces "devoirs" mais en quoi ce sont des "devoirs" ? Qui ou quoi, selon toi, en a fait des "devoirs", sensés devoir s'imposer à tous ? Si l'on suit Spinoza, la Nature est cause des choses telles qu'elles sont présentement : comment est-il possible que cette même Nature, que l'on doit par-dessus tout supposer fixer des "devoirs" universels, peut-elle ainsi se contredire ?

Amicalement

Serge
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Re: La libération spinoziste

Messagepar sescho » 22 oct. 2005, 10:39

Je profite de l'occasion, l'ayant manqué à sa création, pour revenir sur le premier message de ce fil. Je ne sais si son auteur est encore actif parmi nous.

Silvertongue a écrit :... il semble que l'on doive admettre que tout dans la nature naturée est déterminé, et que, pour prendre un exemple canonique, il est nécessaire que demain une bataille navale ait lieu ou pas (même si du point de vue du mode fini qu'est l'homme, cette nécessité reste voilée et prend le nom de contingence). Bref, pour le dire très abruptement, la philosophie de Spinoza me semble être déterministe de part en part. Dans ce cadre quelle peut être la place de la libération à laquelle Spinoza nous engage. Je sais que Spinoza combat de façon assez indiscutable le stoïcisme, donc la liberté du sage ne saurait seulement consister en "changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde" (Descartes).

Si l'on excepte le détail qui est que je ne pense pas du tout que Spinoza s'oppose beaucoup au Stoïcisme, je suis totalement en accord avec ce que Silvertongue dit sur ce sujet fort, par ailleurs très clairement : Spinoza considère explicitement que tout est déterminé à se produire tel qu'il se produit (le fatum, le karma) et qu'il n'aurait pu en être autrement ; il ne faut d'ailleurs pas raisonner longtemps pour voir que c'est une conséquence logique de la nécessité.

Spinoza, Court Traité, traduit par P. Janet, a écrit :CT1Ch2 (15) … si Dieu sait tout dans son entendement infini, et si, en raison de sa perfection infinie, il ne peut plus rien savoir au delà, pourquoi ne pourrions-nous pas dire de même que tout ce qu'il a dans l'entendement, il l’a produit et fait, de telle sorte que cela existe ou existera formellement dans la nature ?

(16) Puisque donc nous savons que tout est égal dans l'entendement divin, et qu'il n'y a pas de motif pour qu'il ait créé une chose plutôt qu'une autre, ni même pour qu’il ait tout créé à la fois dans un seul moment du temps, ...


Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset (en bonne cohérence avec la traduction de B. Pautrat), a écrit :E1P26 : Toute chose, déterminée à telle ou telle action, y a nécessairement été déterminée par Dieu, et si Dieu ne détermine pas une chose à agir, elle ne peut s’y déterminer elle-même.

Démonstration : Ce qui détermine les êtres à telle ou telle action est nécessairement une chose positive (cela est évident de soi-même) ; en conséquence, Dieu, par la nécessité de sa nature, est la cause efficiente de l’existence et de l’essence de cette chose (en vertu des Propos. 25 et 16) ; ce qui suffit pour établir la première partie de notre proposition. Or, la seconde partie en est une suite très manifeste. Car, si une chose que Dieu ne détermine pas pouvait se déterminer elle-même, la démonstration qui vient d’être faite serait fausse, ce qui est absurde. C. Q. F. D.

E1P29 : Il n’y a rien de contingent dans la nature des êtres ; toutes choses au contraire sont déterminées par la nécessité de la nature divine à exister et à agir d’une manière donnée.

C'est effectivement très dûr à "avaler", surtout si je le pose de la façon la plus crue : tout est écrit depuis toujours. Cela passe apparemment un peu mieux si je dis tout se fait en tout en tout instant suivant les lois éternelles et imprescriptibles de la Nature et le libre-arbitre n'existe donc en aucune façon.
La première remarque que je ferais est que le spinozisme est à un point très élevé une philosophie de l'éternel, c'est-à-dire de l'intemporel ; il y a donc toujours risque à la transposer dans le plan temporel sans avoir bien médité sur ce que cela signifie.
La seconde est que ceci ne peut finalement porter à conséquence de fait : si même "tout est écrit" pour le futur, nous n'en savons rien, comme le dit Silvertongue, et nous n'en sommes pas moins déterminés à agir en essayant d'imaginer ce qui peut augmenter notre puissance. Donc en déduire que "cela ne sert à rien d'agir" - l'inaction étant en fait une forme particulière d'action - est tout bonnement stupide (mais déterminé aussi : il était dit que je ferais un "mauvais" usage de l'idée de détermination, emporté que j'étais par mon attachement premier au libre-arbitre.) Ce qui reste, c'est la réalité de la souffrance psychique et de son opposé, la joie de vivre, et qu'il est dans les lois de la Nature de rechercher la seconde, qui porte pour autre nom le "vrai bien", être de Raison traduisant une loi de la Nature réelle.

Amicalement

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Messagepar azanco » 22 oct. 2005, 12:46

Oui, je suis d'accord avec l'analyse que Louisa posait : la démolition de toute prétention moralisante et l'invitation à opposer affect à affect et non pas idée à affect.

Je présente alors une situation typique de crise familiale: ma femme n'a pas fait son ménage hebdomadaire (du moins sa partie ca rla division des roles chez nous est effective et non pas imaginaire !!), je me mets en colère car il me semble que la maison est devenue une sorte de porcherie (effet de la connaissance imaginative?), la colère se déclenche contre elle et me pousse à une journée de ménage à la place de ma femme, non sans des heures de cris et de plaintes au sujet non seulement du ménage familial mais aussi de notre vie à deux, de notre situation économique du moment (association imaginative) et cela revient finalement à tout mettre en discussion. Enfer quotidien. Mais cela n'est qu'un simple schéma qu'il faudrait analyser avec plus de précision.

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Messagepar sescho » 22 oct. 2005, 13:51

Je pense qu'il serait bon de préciser maintenant ce qu'on entend par "opposer un affect à un affect" afin de sortir de la généralité.

Bien évidemment, le terme "imaginatif" ne veut pas dire "intégralement inventé" (ou "forgé"). Il s'y mêle généralement des faits "objectifs" ; mais croire que ces faits justifient par eux-mêmes la réaction est précisément l'erreur : l'imagination se loge nécessairement là où est l'erreur, et toute forme d'accusation (entendu : sauf au sens juridique), reproche, etc. relève intégralement de l'erreur, car elle implique la croyance au libre-arbitre.

Il est parfaitement compréhensible de ne pas ressentir comme favorable à sa propre position le non-respect de la parole donnée, ou de se faire agresser physiquement, ou toute autre forme de désagrément, comme de ne pas trouver favorable d'avoir des pierres dans son potager. Toutefois, si j'ai des pierres dans mon potager, il ne vient pas à l'idée de leur reprocher d'être là, non ? Soit je les enlève, soit je m'en accomode en optant pour des méthodes et des légumes qui s'y prêtent, soit encore j'y mets du gazon et j'achète mes légumes au marché.

Tout fait, en particulier humain, est un fait de Nature, et je vois mal - si l'on en a une conscience un tant soit peu consistante - qu'on reproche à la Nature d'être ce qu'elle est. Les "devoirs" qu'on s'est forgé n'y changent rien. Le fait est le fait et s'impose de soi ; il n'y a rien à ajouter. Ensuite, une fois évacuée cette pollution psychique, il reste que la Nature incite à opter pour l'action réalisable qui minimise le désagrément - toute chose prise en compte - et maximise le bonheur.

Amicalement

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Messagepar azanco » 22 oct. 2005, 17:06

Bonjour,

Pour ce qui en est de l'opposition d'un affect à l'autre, il suffit de regarder à E4P7, P8 et P14 ( cette denière au sujet de la connaissance vraie du bon et du mauvais). Or cette connaissance ne peut contrarier aucun sentiment qu'en tant qu'elle est considérée comme un sentiment.

Sur la connaissance par imagination, je suis d'accord avec vous sur le fait qu'elle représente tout de meme des faits réels (imaginer n'est point "se forger", mais justement elle le fait de façon inadéquate c'est-à-dire ne les rapportant pas à leurs causes véritables.

Enfin, je veux préciser que quand je parle de "devoirs" je ne nie pas que la Nature ne soit pas soumise aux paramètres du jugement humain tels que bien et mal, mais je me rapporte indirectement à cette sphère de l'action et de l'existence humaine qui s'appelle la Moralité dont Spinoza parle clairement dans E4P38S1; sauf que, en moi, ce désir de bien faire n'est pas posé sous la conduite de la Raison (ce qui s'appelle justement la Moralité) mais sous le joug de l'imagination.
Amitiés
Azanco[/quote]

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Messagepar Faun » 22 oct. 2005, 22:35

Je tente de répondre à la question posée au début concernant la difficile articulation chez Spinoza de la liberté et de la necessité.
Il me semble indiquer que tous les corps et toutes les idées de la Nature sont liés les uns aux autres, et que la détermination consiste non pas dans l'action de Dieu qui aurait de toute éternité écrit ce qui devrait se passer pour chaque Mode pour toute l'éternité, mais dans l'action réciproque de chacun des Modes les uns sur les autres, action qui constitue elle même les modifications (ou transformations, pour parler comme les chinois de l'antiquité) qui affectent chaque Mode. Car l'essence de Dieu qui est successivement présentée par Spinoza comme puissance, existence, etc. est aussi absolue liberté, et donc il y aurait contradiction à poser que c'est Dieu, en tant qu'infini, qui déterminerait chaque partie de son tout, en tant que finie, à exister et à agir de manière "précise et déterminée". Mais c'est bien chaque partie finie qui détermine toutes les autres et est à son tour déterminée par toutes les autres à agir. La libération consiste donc, à mon avis du moins, à comprendre que Dieu est absolument libre, et que nous en somme une partie, et que donc nous jouissons tous de cet espace de liberté qui a pour limite notre propre esprit et notre propre corps. Ou bien je me trompe complètement, ce qui m'arrive souvent, et la vraie libération consiste simplement dans le fait, comme il a été dit plus haut, que la libération est impossible, est c'est en cela que devrait résider, paradoxalement, la plus haute félicité et la béatitude. La libération consisterait donc en ce que la liberation n'aurait pas à être recherchée.. Or Spinoza semble dire le contraire, à savoir que nous somme contraints par les causes extérieures à exister et agir de manière déterminée. Donc la liberté doit être recherchée, et c'est dans la connaissance seule qu'elle résiderait : la connaissance de la liberté absolue de Dieu, dont nous sommes une partie. Cela semble impliquer une augmentation de notre puissance d'agir, donc une augmentation de notre pouvoir réel, et semble rendre nécessaire l'état de démocratie absolue, c'est à dire un Etat dont tous les membres sont égaux entre eux. Autrement dit la liberté réelle de la pensée doit déboucher nécessairement sur une libération politique et un nouveau type d'organisation sociale, ce qui me semble être bien le but que recherchait Spinoza jusqu'à son dernier souffle.

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Messagepar Louisa » 23 oct. 2005, 03:09

Bonsoir à tous, bonsoir Azanco,

Sescho a écrit :Je pense qu'il serait bon de préciser maintenant ce qu'on entend par "opposer un affect à un affect" afin de sortir de la généralité.


je suis tout à fait d'accord avec ce que dit ici Sescho, et avec ce qu'il a précisé là-dessus dans la suite de son message. Mais je crois qu'il soit possible d'aborder la situation qu'Azanco vient de décrire de façon encore plus concrète, et pour l'instant, dans ma propre expérience, ce n'est que si on pousse 'l'application' encore plus loin que la pensée de Spinoza arrête d'être uniquement 'pensée', mais devient vraiment effective au niveau affectif.

Je crois que pour y arriver, il faut essayer de lire Spinoza et de le vivre comme un non philosophe le ferait. On peut se dire qu'une fois qu'on est dans la philo, cela n'est plus possible, mais à mon sens cela reste tout à fait envisageable. Cela demande juste un autre processus d'apprentissage que celui par lequel on entre en philo. On peut notamment l'apprendre en essayant d'expliquer Spinoza (ou mieux: ce qui nous touche le plus chez Spinoza) à un non philosophe, de préférence même à quelqu'un qui lit rarement quoi que ce soit (le célèbre exemple du plombier, polonais ou non ...). Parce qu'alors on est obligé d'utiliser des mots tout à fait courants et non techniques. Et expliquer dans ce cas l'impact concret de Spinoza ne fonctionne que si l'on 'l'applique' à une situation très concrète de l'interlocuteur. Et aussi longtemps qu'on ne rentre pas dans des détails de détails, il est très difficile d'éviter deux pièges (c'est-à-dire deux façons de réagir à une situation qu'on nous raconte ou qu'on vit soi-même qui ne sont pas spinozistes du tout): la moralisation et la psychologisation.

Avec les quelques éléments supplémentaires qu'Azanco vient de donner, j'essayerai de montrer ce que je veux dire, mais cela marche beaucoup mieux si on pourrait rentrer encore plus dans les détails.

Azanco a écrit :Je présente alors une situation typique de crise familiale: ma femme n'a pas fait son ménage hebdomadaire (du moins sa partie ca rla division des roles chez nous est effective et non pas imaginaire !!)


pour pouvoir faire quelque chose de 'spinoziste' avec ceci, il faudrait savoir 1) si cette division est vraiment claire pour tous les deux, et 2) si votre femme, tout comme vous-même, ont l'impression d'y avoir consenti sans aucune réserve. Vous vivez cette division comme un genre de 'compromis' entre les deux, ou l'un de vous deux trouve cette division parfaite tandis que l'autre essaie de vivre avec?

(on peut facilement avoir l'impression que ce genre de questions est 'personnel', et que cela concerne avant la psyché individuelle de 'Azanco', mais alors, à mon sens, on psychologise déjà. Cela n'a aucune importance de savoir qui est qui, dans cette situation, pour pouvoir la ré-effectuer de manière 'spinoziste')

Ce qui est important, si on essaie de répondre à ces questions, c'est de laisser constamment la possibilité ouverte que même si pour l'un, c'est tout à fait impensable que l'autre n'a pas bien compris cette division, cela reste pourtant tout à fait possible pour l'autre. On pourrait objecter: mais elle me l'a littéralement répété, et elle n'est pas con, donc évidemment, c'était tout à fait clair pour elle aussi.
Or, pour Spinoza, les mots ne sont que des mouvements corporels, et ce qu'on associe aux mots dit avant tout quelque chose sur l'histoire de tel ou tel Corps. Rien n'empêche donc, en théorie, qu'elle a verbalement donné l'impression d'avoir compris exactement la même chose que vous, mais que déjà, elle l'interprétait différemment. Si c'est le cas, c'est déjà une bonne chose à savoir.

Azanco a écrit : je me mets en colère car il me semble que la maison est devenue une sorte de porcherie (effet de la connaissance imaginative?)


je ne vois pas trop ce que vous voulez dire par 'effet de la connaissance imaginative'. En tout cas, ce que vous décrivez ici me semble assez compréhensible: vous aimez une maison où il y a un minimum d'ordre, et ce minimum d'ordre, dans la situation décrite, vous ne l'avez pas du tout. Vous vivez à ce moment-là donc dans une maison dont vous ne vous sentez pas 'chez vous', ou à l'aise, bref, vous ne vous y sentez pas bien. Vous avez l'impression qu'avoir une maison où ce miminum est pourtant respecté est tout à fait possible, donc vous êtes, effectivement/réellement, dans une situation où votre puissance d'agir et votre bonheur diminue. Evidemment, comme tout humain, vous allez nécessairement vous y opposer. Là, vous n'avez pas de choix du tout: vous êtes créé de telle façon que vous êtes entièrement déterminé à aspirer au bonheur, et donc au moins à rétablir la perte de puissance que vous venez de subir.

Jusqu'ici, il n'y a rien d'imaginaire ou d'irréel ou d'irrationnel, au contraire. (D'ailleurs, je crois que je ne suis pas trop d'accord avec ce qui vient d'être écrit ici par rapport à l'imaginaire. Je n'ai peut-être pas bien compris les messages précédents, mais à mon sens, l'imaginaire chez Spinoza n'a rien d'illusoire. La catégorie vrai/faux ne s'applique pas aux images en tant que telles. Ces images sont de toute façon réelles, et toute perception passe toujours par des images. Elles sont doublées d'idées qui, quant à elles, sont fausses et inadéquates, mais cela seulement parce qu'elles manquent d'autres perceptions pour rendre le tableau complet, et c'est tout. Les images (donc l'imaginaire) ne contiennent rien de faux en soi. Elles sont juste incomplètes, privées du reste de l'histoire.)

Donc: première chose importante: jusqu'ici, il n'y a rien de problématique ni d'irrationnel ou de pathologique. Que vous aimez vivre dans une maison plus ou moins propre, a à voir avec l'histoire de votre Corps, et est tout à fait votre 'droit naturel' (si vous aviez de toute façon déjà ce sentiment, alors cette première chose est assez superflue, mais comme vous ne l'aviez pas spécifié, cela reste une possibilité qu'il faut de toute façon envisager, il me semble).

Avant de continuer: ce serait très intéressant de savoir sur ce point le vécu de votre femme, indépendamment du conflit entre vous deux. Dans quel genre de maison est-ce qu'elle se sent vraiment bien? Qu'évoque pour elle le fait de vivre dans une maison 'non propre' (si elle serait d'accord d'appeler l'état actuel non propre)? Dans quelle mesure est-ce que cela augmente pour elle son bonheur? Et dans quelle mesure s'activer pour rendre la maison plus propre diminue sa puissance d'agir et son bonheur? Qu'est-ce que tout cela signifie pour elle, tenant compte du fait que toute signification, mieux toute 'évaluation affective' de ce genre de choses est le résultat du rencontre fortuit de son Corps avec son environnement tel qu'elle l'a vécu dans le passé, tout comme votre aversion de ce genre de maison (voire attitude) n'a rien de strictement 'personnelle' ou psychique chez vous non plus, mais est seulement le résultat des rencontres de votre propre Corps avec ce qui l'a déterminé au courant de son histoire vécue.
Donc: ni elle ni vous êtes 'responsable' pour le fait qu'une telle ou telle maison diminue plutôt que d'augmenter votre puissance d'agir et votre bonheur. Le hasard des choses (Dieu, si vous voulez, mais il s'agit d'un Dieu sans volonté ni finalité) a fait qu'une maison propre augmente votre bonheur et, éventuellement (il faudrait avoir son avis à elle pour en être sûr, donc si vous ne l'avez pas encore fait, ce serait déjà une première chose à discuter et à essayer de comprendre) qu'une maison en un certain désordre augmente le bonheur de votre femme.

Très probablement, si vous essayez d'avoir ce genre de conversation avec elle (donc : conversation dans laquelle vous essayez de lui faire RESSENTIR quel effet une telle maison a sur vous, même si vous-même, vous ne savez pas trop expliquer POURQUOIi cela vous affecte tellement (il ne s'agit pas de justifier, il s'agit d'expliquer, c'est-à-dire d'expliciter et de faire ressentir), et conversation dans laquelle vous lui laissez la possibilité de vous faire ressentir, quasiment physiquement, comment pour elle une telle maison augmente son bonheur à elle), cela changerait déjà pas mal la situation affective en soi (et, encore une fois, c'est ce changement affectif qui est le but; changer juste la façon de penser ou de concevoir le conflit ne sert quasiment à rien; il faut trouver un moyen de le VIVRE autrement). C'est pour la simple raison que quand on essaie de comprendre (toujours dans le sens physique, donc ressentir) ce que sent l'autre par rapport à 'l'objet discuté' (dans ce cas-ci la propreté de la maison, même s'il faut d'abord quand même être sûr que pour elle aussi, c'est de ça qu'il s'agit, autrement dit c'est ça qui a pour elle une influence sur son bonheur), vous créez, de facto et ensemble, un espace non moralisant.

Déjà cela, le fait d'enlever, en ressentant le changement de puissance dans le Corps de l'autre d'une certaine manière dans son propre Corps, le poids de la moralité, peut diminuer, dans un premier temps, un tout petit peu la présence d'Affects négatifs. En principe, la montée de la colère sera déjà un peu 'contre-effectuée', et donc être moins puissante (toujours à condition d'essayer de vraiment RESSENTIR ce que l'autre sent par rapport à une maison propre ou non propre, ou par rapport à l'activité de nettoyer, ou par rapport à l'objet qui donne lieu au conflit).

Mais évidemment que cela ne suffit pas. Autrement dit: j'ai l'impression qu'une pensée ou un mode d'existence spinoziste permet d'aller plus loin, d'être beaucoup plus efficace encore. Essayons de le montrer avec la suite de l'histoire:

Azanco a écrit :la colère se déclenche contre elle et me pousse à une journée de ménage à la place de ma femme


en soi, cette réaction me semble tout à fait logique et cohérent avec la situation de début. Dans votre perception et vécu, vous aviez bel et bien établi un accord sur qui fait quoi comme tâche ménagère. Si, dans votre perception, elle n'a pas respecté cet accord, et si, en plus, le résultat est tel que votre bonheur diminue, alors dans un premier temps, la situation est très très clair: la Tristesse que vous sentez, a indubitablement une cause extérieure: le comportement (ou plutôt, l'absence de comportement adéquat) de votre femme. Vous ne pouvez donc que momentanément ressentir de la Haine par rapport à elle. La réaction la plus efficace et la plus logique (et la plus nécessaire) est alors d'essayer de détruire la Tristesse que vous ressentez. Si la cause est extérieure, le plus indiqué est d'essayer de détruire cette cause. Or, détruire quelque chose, c'est aller à l'encontre de son effort pour perséverer dans l'être, autrement dit, c'est faire du mal (mais du mal du point de vue de la chose, surtout, pas de votre point de vue en soi) à la chose. Dans ce cas-ci, cette 'chose' a beau être votre femme (qu'en principe vous aimez, je suppose), cela ne change en rien la mécanique nécessaire et déterminé des Affects. Donc : si vous le voulez ou non, forcément, vous êtes par Nature déterminé a ressentir immédiatement un Désir qui vous incite à faire du mal à ceux et celles que vous haïssez, en l'occurence, votre femme.
Et inversément: elle a beau éventuellement vous reprocher que c'est moralement très 'bas' d'essayer de lui faire du mal, cela n'a en pratique que très peu voire aucun effet (sauf à vous mettre encore plus en colère), car la morale n'a rien à faire dans cette histoire. Car vous n'avez pas du tout CHOISI de lui faire du mal, vous avez juste ressenti le besoin de le faire, et même si quelque part vous auriez aimé ne pas le faire, dans certains cas le besoin sera 'plus fort que vous', et vous le faites. D'ailleurs, elle est dans exactement le même cas: dès qu'elle a l'impression que c'est vous qui lui causez du mal, elle ressentira le même besoin de vous faire du mal.

Donc: que vous commencez à sentir de la Haine et de la Colère, et elle également, n'a rien de 'pathologique' ou d'irrationnel ou de 'moralement' mauvais. Chaque homme, dans la même situation, réagirait de la même façon, car c'est comme ça que nous sommes faites, c'est ça la mécanique des Affects (selon Spinoza), et nous ne savons pas y échapper juste en le souhaitant. C'est ce qui s'appelle la 'servitude humaine'. Et bien sûr que personne n'a demandé d'être esclave.
Conclusion: que vous commencez à vous haïr et à vouloir faire du mal ou parfois même le faites, n'est pas du tout la faute de l'un ou de l'autre. Vous n'avez tout simplement pas le choix.

MAIS: vous pouvez essayer de comprendre ce qui se passe (rien de plus!!). C'est-à-dire, vous pouvez essayer, un peu plus tard (dans un premier temps, il n'est pas encore possible de le faire PENDANT que le conflit explose), de parler de ce qui se passe chez chacun quand vous sentez la colère monter. Evidemment, dans la plupart des cas, ça va trop vite. On ne sait tout simplement pas. Et on est tous les deux autant (!!) 'victimes' de ses Affects. Le but d'une éventuelle conversation 'après-coup' est donc d'essayer de 'ralentir' ce qu'on ressentait.
Une telle conversation n'est pas évidente. Il faut essayer, pendant que l'autre essaie d'expliciter ce qu'il ressentait vraiment (donc pendant qu'il/elle cherche, parfois difficilement, les mots adéquats pour exprimer ses sentiments), de séparer ce que l'autre dit de ce que cela déclenche inévitablement comme sentiments chez soi. Car en principe, on va d'abord d'office directement être remis, soi-même, dans la situation de conflit, en entendant l'autre, et donc sans le vouloir ressentir à nouveau plein de choses négatives par rapport à l'autre. On va donc vouloir l'interrompre, pour donner sa propre version 'des Faits'.
Or, à ce moment-là il faut essayer de faire un effort et de se dire qu'il y a toujours DEUX réalités en jeu, et que votre version suivra après (ou avant, comme vous le voulez). Car il faut d'abord que chacun a un minimum de temps pour arriver à mieux se comprendre soi-même en explicitant ce qui se passe via la parole adressée à l'autre. Le rôle de l'autre est donc limité à encourager le premier à trouver vraiment ces mots dont celui-ci a l'impression: oui, c'est ça, ce que j'ai ressenti. En écoutant, il faut tout le temps se dire à soi-même: ce qu'elle dit n'a rien à voir avec ce que MOI j'ai ressenti, mais cela n'enlève en rien la réalité ni la validité de mes Affects à moi. Et cela pour la simple raison que cette réalité ou validité de MES Affects n'a rien à voir avec elle, mais avec mon histoire à moi. Et inversément, évidemment. Il faut entre-temps essayer de vraiment ressentir comment elle se sent, dans la situation conflictueuse. Et puis vous inversez les rôles: elle vous écoute et essaie de vous encourager à trouver les mots qui expriment bien ce que cela vous fait, constater la maison à nouveau en désordre. Et elle essaie de le ressentir vraiment, dans son propre Corps (exercice qui ne réussira bien entendu jamais entièrement).

Le fait d'avoir pu expliciter pour soi-même ce qu'on ressente, donne déjà, d'office, un tout petit peu plus de prise sur ses Affects. Ensuite, le fait d'avoir ressenti un peu en quoi consistent les Affects de l'autre, va avoir comme effet que quand la prochaine fois le conflit y est à nouveau, ces Affects de l'autre seront, dans une certaine mesure, réellement présent dans VOTRE Corps, ensemble avec les vôtres. Et d'office, il sera moins facile, pour votre Corps, de ressentir votre femme comme vrai cause de votre mal, parce que cette cause sera liée à toute une histoire qui visiblement n'a rien à voir avec vous. La ressentant moins comme cause de votre mal, vous ressentirez déjà d'office, sans aucune médiation 'consciente' ou 'volontaire', un peu moins d'Haine et de Colère. Puis, en répétant ce genre de conversations, l'effet peut devenir cumulatif.

Azanco a écrit :non sans des heures de cris et de plaintes au sujet non seulement du ménage familial mais aussi de notre vie à deux, de notre situation économique du moment (association imaginative) et cela revient finalement à tout mettre en discussion. Enfer quotidien.


oui ça, à mon sens, Spinoza explique très bien. Une fois que la Colère est vraiment présente chez vous et chez votre femme, alors avec la meilleure volonté du monde vous n'y pouvez plus rien: la contamination des Affects a commencé son travail, et vous entraîne tous les deux là où vous ne voulez surtout pas aller, ni l'un, ni l'autre (même si on a toujours l'impression que l'autre veut bel y bien pousser le conflit plus loin encore). Après un certain temps, tous les détails de la relation seront ré-interprétés à la lumière des Affects négatifs, et tout ne peut que vous sembler vous opposer. Et tout cela, en plus, est toujours vrai, mais ce n'est qu'une partie infime de toute votre histoire, de tout ce qui s'est déjà passé entre vous et de toute l'amour qui continue à se produire entre vous deux. Sauf qu'au moment même du conflit, cette autre partie, vous ne la ressentez quasiment plus comme 'présente', et c'est la raison pour laquelle les idées que vous avez, pendant le conflit, sont très inadéquates. La majorité de la réalité entre vous deux n'y est plus présente, et donc ce sont des idées privées de beaucoup de réalité. Cela n'enlève rien à la réalité de ces idées, mais ces idées ne représentent qu'une toute petite partie de la réalité de qui vous êtes, de qui votre femme est, et de ce que vous avez déjà construit et voulez toujours construire comme vie en commun.

Azanco a écrit : Mais cela n'est qu'un simple schéma qu'il faudrait analyser avec plus de précision.


Oui, en effet. Je me suis risquée ici quand même dans un déploiement qui, pour moi, est spinoziste, mais cela sur base de très peu de données. Il est donc assez probable que de grandes parties de ce que je viens d'écrire sont tout à fait impertinentes pour vous. Si vous avez l'impression que cela vous intéresse, je ne peux que vous demander de spécifier beaucoup plus. Si par contre vous avez l'impression que tout cela ne vous dit rien du tout, il n'y a évidemment aucun problème. Je ne peux qu'essayer de vous montrer à quoi me sert la lecture de Spinoza dans ma propre vie quotidienne à moi, et voilà.

Bien à vous,
Louisa

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Messagepar sescho » 23 oct. 2005, 11:02

azanco a écrit :Pour ce qui en est de l'opposition d'un affect à l'autre, il suffit de regarder à E4P7, P8 et P14 ...

Ce que je voulais dire, c'est qu'il convient de tirer assez rapidement des enseignements concrets de cette loi générale, pour ne pas ressasser des phrases creuses (je parle de nous, pas de Spinoza.) A partir du moment où Spinoza dit que la connaissance vraie (du deuxième genre) du Bien et du Mal ne peut avoir d'effet que si on la considère comme une passion (elle peut donc être considérée comme une passion), je ne vois pas bien ce qu'on peut en tirer de plus per se. Sur le second sujet, en décomposant un peu plus, on peut dire que l'imagination consiste ici à forger une cause.

azanco a écrit :Enfin, je veux préciser que quand je parle de "devoirs" je ne nie pas que la Nature ne soit pas soumise aux paramètres du jugement humain tels que bien et mal, mais je me rapporte indirectement à cette sphère de l'action et de l'existence humaine qui s'appelle la Moralité dont Spinoza parle clairement dans E4P38S1; sauf que, en moi, ce désir de bien faire n'est pas posé sous la conduite de la Raison (ce qui s'appelle justement la Moralité) mais sous le joug de l'imagination.

Ce que je ne vous ai pas encore dit, c'est que je me sens proche de vous. Je me suis fait l'avocat d'une certaine vision (que je suis certain d'être la bonne sur le plan de la connaissance du deuxième genre) mais je connais très bien ce dont vous parlez ; j'ai juste a priori un peu plus de bouteille dans la correction... J'ai moi-même une impulsion à bien faire forte (trop, souvent, sans doute) et je considère certaines attitudes comme des devoirs (de plus en plus à titre personnel, cependant.) En outre, je suis sidéré de la faiblesse de la moralité de certains (qui peuvent, par exemple, vous faire encaisser une faute qui est la leur, en vous enfonçant de surcroît ; quel enfer cela doit être d'être comme cela.) La vraie Moralité est fondée dans la Nature et nullement le fruit de je ne sais quelle convention arbitraire ; ces "devoirs" sont donc réels mais dans le sens où lorsque l'on est vraiment "Moral", ces "devoirs" s'imposent comme la liberté la plus grande.

L'erreur vient d'une inversion dans l'ordre des choses (je me répète, mais la chose est simple, incontournable et suprêmement efficace), savoir de placer l'idéal, fut-il fondé comme loi de la Nature, devant le fait : le fait vient d'abord comme expression incontestable de la puissance de la Nature : la Nature s'exprime et s'impose en tant que puissance absolue dans ce fait. C'est l'immense qualité d'acceptation (pas de résignation) que de vivre cette vérité ; aucun affect négatif ne peut l'accompagner. L'idéal ne vient qu'en second, comme une représentation de la vie la meilleure, qui est potentiellement - mais seulement potentiellement - accessible à tous. L'idéal, lorsqu'il est effectivement vécu, est aussi le bonheur le plus grand. Personne ne choisit de son plein gré le malheur au bonheur ; personne, donc, n'est écarté des "devoirs" au sens noble, serein, opposé à l'intégrisme, ... par choix libre. Le libre-arbitre n'existe pas...

Amicalement

Serge
Modifié en dernier par sescho le 23 oct. 2005, 21:06, modifié 2 fois.
Connais-toi toi-même.


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