Comment devient-on spinoziste ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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hokousai
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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 29 avr. 2016, 23:30

Pascale Gillot, dans un article publié dans « La théorie spinoziste des rapports corps/esprit »
L'intitulé de l'article est alléchant. Je ne l'ai pas lu cela dit.
Les extraits montrent plus ce que cela n'est pas que ce que cela est .
Ainsi
Ainsi le corps dans son acception spinoziste, en tant qu’individu, n’appartient pas à l’ordre tout entier « extérieur », objectif, d’une composition arithmétique de parties constituantes, partes extra partes. Réciproquement l’esprit, en tant qu’idée de cet individu corporel, en tant qu’il est lui-même une certaine organisation idéelle complexe, ne constitue pas ce « théâtre »

J'aimerais quelques propositions positives sur ce qu'il en est des rapports corps/esprit
......................

A supposé que Spinoza se distingue de Nagel (ou Feigl) l'évocation plus que succincte de ces deux là ne suffit ni à les comprendre :?: ni à poser Spinoza comme contradicteur.

wikipedia a écrit :Nagel insiste sur le caractère subjectif de l'expérience phénoménale et oppose deux modes d'accès différents à la conscience :
le point de vue objectif et impersonnel de la science qui se réfère à l'activité cérébrale ou au comportement
le point de vue subjectif qui est celui du sujet de l'expérience vécue.


C'est succinct mais clair.
et ce n'est pas du tout ce qu'en dit P Gillot.

Car un fine il est bien évident que pour Nagel le point de vue objectif et impersonnel de la science qui se réfère à l'activité cérébrale ou au comportement est redevable aussi du point de vue subjectif qui est celui du sujet de l'expérience vécue.
Son "qu "est que cela fait d être une chauve souris" est analogue à "qu' est que cela fait d être un scientifique qui observe" ?
Il faudrait que l' observation du scientifique ne soit pas une expérience vécue ? :?: :woh:

La critique de Gillot est ( dans ces extraits ) brouillonne et partisane.
.......................................

Gillot a écrit :« Or une telle définition de la pensée :?: et de l’activité proprement mentale paraît largement absente de la philosophie de Spinoza. Celui-ci, en effet, récusait la conception cartésienne du « principe » de la pensée comme chose pensante finie (comme moi-ego). Se trouvait par là contestée la caractérisation de l’activité mentale sur le modèle de l’aperception immédiate et du regard intérieur, dans l’ordre égologique, privilégié, d’une expérience privée.

Donc s' il n'y a pas d’activité proprement mentale chez Spinoza...il est évident, certes, qu 'alors on ne peut parler d'expérience privée...
mais le plus grave est qu'on ne peut plus pas parler d' expérience du tout.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 30 avr. 2016, 15:55

A hokousai

1) Vous semblez découvrir « La théorie spinoziste des rapports corps/esprit » (Hermann 2009).
Il s’agit d’un ouvrage collectif publié sous la direction de Chantal Jaquet, Pascal Sévérac et Ariel Suhamy qui contient des articles très intéressants.
J’ai déjà donné 5 fois cette référence sur le forum, y compris une fois dans un post que je vous ai adressé qui citait assez longuement Ariel Suhamy.

2) Vous ne paraissez pas très attentif à ce qu’écrit Pascale Gillot.
Après avoir cité Wikipédia à propos de Nagel, vous écrivez : « C'est succinct mais clair et ce n'est pas du tout ce qu'en dit P. Gillot. »
Or ce que vous rapportez de Wikipédia, c’est (je rectifie la citation d’après l’original car vous l’avez recopié de façon peu claire) :

« [Nagel] insiste sur le caractère subjectif de l'expérience phénoménale et oppose deux modes d'accès différents à la conscience :
1. le point de vue objectif et impersonnel de la science qui se réfère à l'activité cérébrale ou au comportement
2. le point de vue subjectif qui est celui du sujet de l'expérience vécue. »

Pascale Gillot écrit la même chose et je redonne la citation :

« C’est ainsi que, pour Feigl, qui accorde une importance paradigmatique aux « sensations brutes », le psychique est caractérisé par une connaissance directe, privée. Pour Nagel, l’expérience psychique ou « phénoménale », « l’effet que cela fait de » (par exemple éprouver telle sensation, en première personne), reste le trait distinctif du mental. […] La caractérisation de l’esprit est commandée ici par le partage théorique du subjectif et de l’objectif, de l’interne et de l’externe. Les deux modes de connaissance de la réalité psychophysique se trouvent ainsi respectivement définis, pour l’un, comme une connaissance en première personne (l’expérience privée), pour l’autre, dans l’ordre de l’objectivité physique, comme une connaissance indirecte, en troisième personne. »

A vouloir parler de « critique brouillonne et partisane », vous risquez de vous tirer une balle dans le pied !

3) Si l’on voulait résumer l’article de P. Gillot, je dirais que l’auteur montre que Feigl et Nagel s’opposent, certes, l'un et l'autre, au dualisme corps-esprit comme Spinoza mais s’éloignent de ce dernier en voulant justifier leurs positions par des notions qui n’ont qu’une faible importance ou pas d’importance du tout dans l’Ethique : la conscience, l’intériorité de l’esprit et la pensée en première personne.

a) J’ai déjà longuement parlé, sur le forum, de l’importance relativement faible de la conscience dans l'Ethique. Je renvoie, en particulier, à un message du 01/06/2013 qu’on peut lire en :

viewtopic.php?f=14&t=1278&start=10

b) Il a déjà été question sur le forum de la question de l’intériorité de l’esprit selon Spinoza. Voir :

http://www.spinozaetnous.org/ftopic-953 ... asc-0.html

En son temps, Pourquoipas avait signalé les cinq occurrences d’« intérieur » (interne) dans l’Ethique.

On note deux occurrences en E II 29 sc., deux en III 30 sc. et une dans l’explication d’E III déf. aff. 24.
Pourquoipas écrivait, mais il n’a pas donné suite :

« Je me propose de revenir d'ici quelques jours sur ces citations (l'intériorité dont il est question dans la partie II est-elle la même que celle dont il est question dans la partie III ?), qui, malgré les apparences, me semblent poser des problèmes assez difficiles. »

Je reviendrai sur cette question plus tard.

c) Il n’est pas question de pensée en première personne dans l’Ethique. Spinoza ne reprend pas le Cogito cartésien et se contente de poser l’axiome : « L’homme pense » (Homo cogitat)

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 30 avr. 2016, 23:12

Gillot a écrit :La caractérisation de l’esprit est commandée ici par le partage théorique du subjectif et de l’objectif, de l’interne et de l’externe.
Ce n' est pas ça l'esprit pour Nagel.
Ce que dit Gillot laisse à penser que pour Nagel il y a deux esprits. Or pour Nagel il n' y a pas de point de de vue de nulle part . II n'y a pas d' esprit objectif. Pascale Gillot induit une mécompréhension.

wikipedia a écrit :Pour Nagel, la subjectivité est le point de vue qu'un organisme vivant a sur le monde. Ce point de vue n'est pas nécessairement celui de l'expérience privée car il peut être partagé par les membres d'une même espèce animale. Une expérience est dite "subjective" lorsqu'elle ne peut être partagée que par un même type d'organisme, auquel est associé un certain univers mental (cf. « Subjective and Objective »). Cette position est qualifiée de « perspectivisme spécifique » car elle identifie la subjectivité à un point de vue sur le monde propre à un type d'organisme ou à une espèce animale donnée (la chauve souris par exemple).

Il est évident que le scientifique n'est pas d un type d'organisme différent des autres hommes .
..........................................
Gillot a écrit :« Or une telle définition de la pensée et de l’activité proprement mentale paraît largement absente de la philosophie de Spinoza. Celui-ci, en effet, récusait la conception cartésienne du « principe » de la pensée comme chose pensante finie (comme moi-ego).


Il faudrait montrer que Spinoza critique Nagel et non pas rappeler que Spinoza critique Descartes.
Dire que Une expérience est dite "subjective" lorsqu'elle ne peut être partagée que par un même type d'organisme, auquel est associé un certain univers mental
ne me parait pas opposé aux idées de Spinoza.
...........................................
Vanleers a écrit :a) J’ai déjà longuement parlé, sur le forum, de l’importance relativement faible de la conscience dans l'Ethique.

Chacun soupçonne que l' Ethique fut écrit dans un état de semi somnolence ...c'est du moins ce que vous voudriez laisser penser .
...........................................

1) Vous semblez découvrir « La théorie spinoziste des rapports corps/esprit » (Hermann 2009).


Citez moi quelque chose de précis qui ne soit pas de la langue de bois habituelle.
La théorie spinoziste des rapports corps/esprit pour moi c'est l'arlésienne .
Modifié en dernier par hokousai le 01 mai 2016, 09:12, modifié 1 fois.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 01 mai 2016, 00:33

PS je cite Nagel
Nagel a écrit :Les sciences physiques peuvent décrire les organismes comme le nôtre en tant que parties de l’ordre objectif spatio-temporel – notre structure et notre comportement dans l’espace et le temps – mais elles ne peuvent pas décrire les expériences subjectives de tels organismes ou comment le monde leur apparaît de leur point de vue particulier.

Il ne s' agit pas là de dire ce qu'est l'esprit (comme le suggère Gillot) mais de dire qu'il y a deux approches possibles.
Il me semble que Spinoza n' aurait pas nié cela .
Evidemment, à son époque, la neuro physiologie était dans les limbes . Pas plus que de conscience Spinoza ne parle d' états neurologiques du cerveau.
Il dit simplement que "le corps nous ne savons pas ce qu'il peut"...
il ne dit jamais qu'il serait interdit de savoir.
Cela dit il en savait plus sur ses états de conscience que sur la neurophysiologie.
Maintenant nous en savons plus sur le neuronal.

Est-ce que ce savoir implique que nous ayons une théorie représentationiste ?( des peintures dans le cerveau).
L'autre approche (conscientielle) doit pouvoir interpréter la seconde (neuronale).

Privés de conscience nos commentateurs spinozistes en sont incapables .( j' attends )


Nagel a écrit : En revanche je suis attiré par une alternative naturaliste, bien que non matérialiste. Je subodore que l’esprit n’est pas un accident inexplicable ou un don divin et anomal mais un aspect de la nature que nous ne comprendrons pas tant que nous ne dépasserons pas les limites internes de l’orthodoxie scientifique contemporaine. J’ajouterai que même certains théistes trouveraient cela acceptable puisqu’ils pourraient maintenir que Dieu est en fin de compte responsable de cet ordre naturel étendu, comme ils croient qu’il l’est pour les lois de la physique.


http://www.francoisloth.com/leffet-que-cela-fait-detre-thomas-nagel-lessentiel-de-mind-and-cosmos/

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 01 mai 2016, 10:02

à Vanleers

je ne veux pas être discourtois envers Pascale GIllot ... après tout je n'ai qu'un court extrait sous la main.
P Gillot a écrit :Pour Nagel, l’expérience psychique ou « phénoménale », « l’effet que cela fait de » (par exemple éprouver telle sensation, en première personne), reste le trait distinctif du mental.( d 'accord) […]
La caractérisation de l’esprit est commandée ici par le partage théorique du subjectif et de l’objectif, de l’interne et de l’externe. Les deux modes de connaissance de la réalité psychophysique se trouvent ainsi respectivement définis, pour l’un, comme une connaissance en première personne (l’expérience privée), pour l’autre, dans l’ordre de l’objectivité physique, comme une connaissance indirecte, en troisième personne. » (op. cit. p. 122)


"Les deux modes de connaissance de la réalité psychophysique " D' accord
Mais il ne s 'agit pas là de ce qu'est l'esprit ou même la relation éventuelle ou de l' union...de l'esprit et du corps mais il s'agit d'épistémologie. Il ne s agit pas d'une caractérisation de l’esprit mais dune caractérisation de la "connaissance" de l'esprit.


Nagel néanmoins étudie bien la théories du double aspect et ce qu'en dit P Gillot est juste (mais succinct)

P Gillot a écrit :« Ces théories du double aspect n’abandonnent pas les principes d’une ontologie moniste, mais se construisent en réaction au réductionnisme prévalent dans la Philosophy of mind jusqu’aux années cinquante : qu’il s’agisse du béhaviorisme, qui refuse l’hypothèse de causes mentales internes et sous-jacentes au comportement, à l’ordre public du dire et du faire, ou bien du physicalisme, qui prétend expliquer et rendre compte des états mentaux dans le vocabulaire de la physique, voire des neurosciences »
donc d 'accord.

Là dessus que faut- il faire ? Il faut lire Nagel. Si on veux être exigeant qu 'on ne le soit pas à moitié.


https://books.google.fr/books?id=owp5NFFonPgC&pg=PA67&lpg=PA67&dq=Nagel+le+point+de+vue+de+nulle+part&source=bl&ots=YV4L4BE_04&sig=DrlSXvWVkmHvWjRvRtdQxtO8eh8&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjbrMSXqLjMAhXIthQKHYvsCDUQ6AEIQDAG#v=onepage&q=Nagel%20le%20point%20de%20vue%20de%20nulle%20part&f=false

Nagel propose une théorie qu'il va critiquer ... et tant qu 'on ne sait trop ce qu'il en reste de certitude à la fin de l' envoi. En tout cas pas à mes yeux de certitudes qui soient contraires à Spinoza.

Le meilleur dans cette histoire (si j' ose dire) est que Nagel cite élogieusement Spinoza . Premier paragraphe page 38
......................

Pourquoi Pascale GIllot choisit-elle Nagel ? Peut- être parce que justement Nagel est le plus conciliable avec Spinoza . Trop proche. :?:
Sauf que Nagel est supposé ne pas avoir abandonné ce que Spinoza est censé avoir lui abandonné l’esprit comme moi-chose pensante

Mais il faut lire ce que Nagel dit du MOI. Le texte de Nagel sous un visage aimable est d'une grande complexité c' est une des raisons pour laquelle j'ai réagi à la brièveté expéditive du propos de Pascale GIllot.

Nagel exprime peut être le fond de sa pensée ainsi
Nagel a écrit :Il y a alors une identité nécessaire entre le processus mental et le processus physique, mais elle n' appartient pas au genre qui convient à la réduction psychophysique traditionnelle, car elle passe par l intermédiaire d un terme plus fondamental, qui n 'est ni mental, ni physique et dont nous n'avons aucune conception. page 61
Modifié en dernier par hokousai le 28 juil. 2016, 23:05, modifié 1 fois.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 01 mai 2016, 12:18

Je reviens à la question de l’intériorité de l’esprit et de la connaissance en première personne.
On ne dira jamais assez que l’ouvrage majeur de Spinoza est une éthique, c’est-à-dire un art de vivre, et que l’Ethique cherche seulement à conduire le lecteur à vivre dans la joie (début de la partie II).
Le contraire de la joie étant la tristesse, comment, concrètement, réprimer et maîtriser cet affect ? Spinoza l’indique dans la Préface de la partie V en écrivant qu’il traitera « de la puissance de la raison, montrant ce que la raison même peut sur les affects ».
Plus loin, il écrit qu’il traitera « seulement de la puissance de l’Esprit autrement dit de la raison »
A mon sens, il faut entendre ici par « raison », l’activité rationnelle, qu’elle soit démonstrative (connaissance du deuxième genre) ou intuitive (connaissance du troisième genre).
On constate ensuite, en lisant la partie V, que Spinoza ne parle jamais, à propos de ces deux genres de connaissance qui doivent nous mener à la liberté, de connaissance intérieure à l’esprit ou de connaissance en première personne.
A mon avis, cela vient du fait que la libération n’est pas le fait de l’esprit seul mais de l’individu, que celui-ci soit considéré sous son aspect esprit ou sous son aspect corps car « L’esprit et le corps, c’est une seule et même chose qui se conçoit sous l’attribut tantôt de la Pensée, tantôt de l’Etendue » (E III 2 sc.).
Cela devrait être plus clair en nous interrogeant sur « Le corrélat corporel de l’activité rationnelle de l’esprit dans l’Ethique », titre d’un article de Julien Busse, publié également dans « La théorie spinoziste des rapports corps/esprit » (Hermann 2009). L’auteur montre que :

« […] si un corps a un esprit inapte à la rationalité, ce n’est pas parce que l’activité de cet esprit est inapte à s’affranchir de l’activité de son corps, mais parce que c’est un corps simple, qui, ayant de ce fait très peu de parties communes avec les autres corps, est condamné dans sa rencontre avec les autres corps, à être déterminé par ce qui, en eux, lui est étranger, et donc à pâtir. » (pp. 77-78)

Inversement :

« L’homme dont le corps rencontre les autres corps dans la jouissance, parce que sa puissance corporelle est suffisamment diversifiée pour être organisée selon des lois communes à beaucoup d’autres corps, cet homme possède, d’une manière égale et simultanée, un esprit « également apte à comprendre plusieurs choses à la fois ». » (p. 78)

Autrement dit, l’aptitude de l’esprit à la rationalité, est le corrélat de l’aptitude du corps à l’activité, un corps étant d’autant plus actif « qu’il est régi par un [plus] grand nombre de lois qui régissent également l’activité des autres corps. » (p. 77)
Ne disons pas que nous devons diversifier la puissance du corps afin que l'esprit soit plus apte à l’activité rationnelle mais que la diversification de la puissance du corps, c’est la même chose que l’activité rationnelle de l’esprit.
Ceci est particulièrement clair pour la connaissance du deuxième genre où l’esprit procède par notions communes, c’est-à-dire lorsque la puissance du corps est organisée selon des lois communes au corps et à d’autres corps.
Il est vrai que, dans l’Ethique, Spinoza privilégie la voie de l’esprit, ce qui pourrait inciter le lecteur à imaginer, à tort, qu’un « je » aurait un quelconque pouvoir sur le corps et que c’est lui, ce « je », qui pourrait réprimer et maîtriser les affects. Il est donc nécessaire, comme l’écrit Pierre Macherey dans une note de son commentaire d’E V 39, de réaffirmer la présence du corps :

« Il reste que cette égalité [du corps et de l’âme], qu’il faut sans cette réaffirmer, est aussi sans cesse remise en cause, ou tout au moins oubliée, d’où la nécessité de la réaffirmer : comme nous en avons déjà fait la remarque, la présence du corps est indiquée dans le texte de l’Ethique comme en pointillé, sur une sorte de ligne d’accompagnement, l’exécution de la mélodie principale restant réservée à l’âme. » (Introduction… V p. 182)

PS

A hokousai

Pascale Gillot, dans l’article cité, écrit :

« J’évoquerai successivement, dans certaines de leurs lignes directrices, la philosophie de Herbert Feigl et celle de Thomas Nagel qui présentent chacune une solution non physicaliste et non réductionniste, du problème du corps et de l’esprit. »

Son but était donc seulement d’esquisser ces philosophies et non de se livrer à une étude détaillée.

L’intérêt est ailleurs.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 01 mai 2016, 16:21

Vanleers a écrit :L’intérêt est ailleurs.


Pas le mien. Pour moi Nagel est très intéressant.

par ailleurs sur ce que vous dites .
On constate ensuite, en lisant la partie V, que Spinoza ne parle jamais, à propos de ces deux genres de connaissance qui doivent nous mener à la liberté, de connaissance intérieure à l’esprit ou de connaissance en première personne.
A mon avis, cela vient du fait que la libération n’est pas le fait de l’esprit seul mais de l’individu, que celui-ci soit considéré sous son aspect esprit ou sous son aspect corps car « L’esprit et le corps, c’est une seule et même chose qui se conçoit sous l’attribut tantôt de la Pensée, tantôt de l’Etendue » (E III 2 sc.).

Théoriquement c'est très bien tout çà. C'est la vulgate.

Pratiquement, Spinoza ne parle jamais dans l' Ethique du polissage des lentilles.
Puisqu'il n'en parle jamais on va en déduire que ce n'était pas important pour lui.
D 'où : puisqu' il ne parle jamais de connaissance en première personne, ce n'est pas important pour lui.

Parce qu'il n'en parle pas vous supposez que ce n' était pas important pour lui.

Moi je pense que c'était si évident qu'll n'a pas éprouvé le besoin d' en parler.
C 'est tout simplement une évidence qu'il n'a pas problématisée.

Pas plus qu'il ne problématise l' Etendue ou la perception sensorielle.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 01 mai 2016, 20:58

Il est intéressant de constater que les neurosciences, dans leur développement actuel, ne mettent pas en évidence, dans le corps d’un individu, en particulier dans son cerveau, un centre de commandement qui serait l’aspect corporel d’un « je » sur le plan de l’esprit.
Stanislas Dehaene, en introduction à un chapitre intitulé « Théoriser la conscience », écrit (Le code de la conscience – Odile Jacob 2014) :

« L’hypothèse de départ est simple : la conscience n’est rien d’autre que le partage global d’une information. Le cerveau humain possède des réseaux de connexions à longue distance, particulièrement au sein du cortex préfontal, dont le rôle est de sélectionner les informations les plus pertinentes et de les diffuser à l’ensemble du cerveau. La conscience est un dispositif évolué qui nous permet de maintenir l’information en ligne. Une fois qu’une information est devenue consciente, elle peut être redirigée vers n’importe quelle autre région du cerveau, en fonction de nos objectifs, et donc être nommée, évaluée, mémorisée ou incorporée à nos plans d’action. La simulation informatique de réseaux neuronaux montre que cette hypothèse rend bien compte des signatures neurophysiologiques observées dans nos expériences. Elle explique également pourquoi une si grande part de nos connaissances reste inaccessible à la conscience. » (p. 223)

Avec d’autres chercheurs, S. Dehaene soutient la théorie de l’espace de travail neuronal global qui « propose que ce que nous appelons « conscience » correspond à la diffusion globale de l’information » (p. 229)
Cette théorie élimine la notion d’un « chef d’orchestre » qui piloterait les processus au sein de cet espace de travail. S. Dehaene écrit :

« Le philosophe Daniel Dennett a souligné les dangers de l’allégorie du théâtre conscient, car elle peut nous entraîner à commettre une erreur majeure : le sophisme de l’homunculus. Si la conscience est un théâtre, qui en sont les spectateurs ? Faut-il imaginer de petits bonshommes (homunculi) aux commandes du cerveau ? Ont-ils, eux aussi de tout petits cerveaux, pourvus à leur tour d’un théâtre de poche ? Et, si oui, qui assiste à leur représentation ? Raisonnement par l’absurde ! La science de la conscience doit absolument résister à cette métaphore circulaire, digne seulement d’un dessin animé de Walt Disney. Aucun personnage ne tient les rênes de notre cerveau, n’en consulte les écrans ni n’en commande les gestes. Il n’existe aucun « moi » qui contemple le théâtre de la conscience : c’est le théâtre lui-même qui constitue le mécanisme du « moi ». » (p. 230)

A l’inverse, l’espace de travail se passe de tout homunculus :

« L’audience n’est pas constituée d’êtres humains dans toute leur complexité, mais d’un ensemble de processeurs inconscients qui reçoivent le message conscient et qui le prennent en compte, chacun selon ses compétences. Une intelligence collective émerge de l’échange global de messages sélectionnés pour leur pertinence. » (p. 231)

Certes, S. Dehaene est un physicaliste et écrit :

« Ce qu’il nous faut, c’est un cadre théorique qui englobe les deux phénomènes [neural et mental], une série de lois qui expliquent, pas à pas, comment les états d’activité du cerveau produisent des états mentaux. » (p. 226)

Mais ce qu’il met en évidence, ce sont uniquement des corrélations et non des causalités.
Selon Spinoza, il est impossible qu’il en soit autrement : il ne peut pas y avoir de relations causales entre des modes relevant d’attributs différents.
Cela ne réduit en rien l’intérêt des neurosciences pour le spinoziste car la connaissance de plus en plus fine des corrélations entre états du corps et états de l’esprit ne peut que nous faire mieux comprendre l’union de la machine corporelle et de l’automate spirituel.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 02 mai 2016, 00:11

Vanleers a écrit :Selon Spinoza, il est impossible qu’il en soit autrement : il ne peut pas y avoir de relations causales entre des modes relevant d’attributs différents.
Conclusion il serait absurde de chercher dans son cerveau, un centre de commandement qui serait l’aspect corporel d’un « je » sur le plan de l’esprit. Ce que d'ailleurs on ne trouve pas.
Mais je ne vois pas dans cette absurdité l' invalidation de l'idée d' un centre de commandement.

Cela dit Daniel Dennett est pour moi un homunculus philosophique.

Vanleers a écrit :Cela ne réduit en rien l’intérêt des neurosciences pour le spinoziste car la connaissance de plus en plus fine des corrélations entre états du corps et états de l’esprit ne peut que nous faire mieux comprendre l’union de la machine corporelle et de l’automate spirituel.

ah bon!
SI vous comprenez mieux ... expliquez- moi donc...parce que moi je ne comprends toujours pas mieux.

Je ne comprends même pas ce qu'est une relations causale. C' est dire de mon ignorance.

Cas désespéré.

aldo
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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar aldo » 02 mai 2016, 13:26

Pour moi Vanleers emploie la "raison" comme une mécanique (logique) de raisonnement, soi tel que je l'ai employé dans l'autre fil. Elle trouve(rait) les causes aux effets etc...
(enfin c'est juste mon impression bien sûr, ces échanges sont tellement "étirés"... je vous laisse poursuivre)


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