Comment devient-on spinoziste ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
aldo
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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar aldo » 24 avr. 2016, 03:48

hokousai a écrit :
aldo a écrit : .Maintenant la chose "perçue" (et donc envisagée comme extérieure) est bien la même que celle comprise a l'intérieur de soi
Est-ce la même ( une seule et même chose )?
Ou bien la même comme l' image dans un miroir est la même que ce qu' elle reflète ?

Ah, je ne vois pas comment ça pourrait ne pas être la même chose !
C'est nous qui passons sans cesse de l'intérieur à l'extérieur et vice-versa, du présent à la mémoire etc.

(faut encore relire ces quelques pages sur le virtuel et l'actuel)

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 24 avr. 2016, 11:14

La question de l’intériorité de l’esprit humain dans la philosophie de Spinoza est complexe.
Elle fait l’objet d’une analyse intéressante de Pascal Sévérac au paragraphe « Deus quatenus : un scandale ? » de son livre « Spinoza Union et Désunion » (pp. 97-104)
Cette analyse est reprise, souvent mot pour mot, dans la deuxième partie, intitulée « L’intériorité psychique repensée », d’un article qu’on peut lire en :

http://www.scuoladifilosofia.it/wp-cont ... everac.pdf

Je renvoie le lecteur que la question intéresse à cet article ainsi qu’au livre de P. Sévérac.
L’auteur conclut par ces mots :

« Ni pure intériorité, ni pur automatisme, l’esprit est un automate spirituel : il agit comme une véritable « machine à penser », comme une machine immatérielle ou inétendue qui se sent penser »

Voilà qui fait apparaître Spinoza comme un précurseur du transhumanisme !

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 24 avr. 2016, 11:18

Je reviens plus directement au sujet de ce fil.
On devient spinoziste parce que, d’abord, on y est venu et c’est parfois le cas de celui qui a entendu dire que l’Ethique était une éthique de la joie et que Spinoza était un philosophe de l’amour.
Ceci, on le comprendra de mieux en mieux en lisant et pratiquant l’Ethique car Spinoza propose, en effet, une véritable culture de la joie.
Il démontre que la sagesse de l’homme libre est une méditation de la vie (E IV 67) et j’aimerais insister sur ce point.
La méditation de la vie peut s’apparenter à la méditation de pleine conscience dont il a été question en :

viewtopic.php?f=17&t=1580

Rappelons que cette méditation utilise quatre moyens simples :
1) être attentif à sa respiration
2) être attentif à son corps
3) être attentif aux sons qui nous parviennent
4) être attentif aux pensées qui surviennent et qui nous sortent de l’exercice d’attention des points 1, 2 et 3.

Dans la méditation spinoziste, on ajoutera un cinquième moyen, celui-là primordial et on aura :
0) être attentif à la joie
1) être attentif à sa respiration
2) être attentif à son corps
3) être attentif aux sons qui nous parviennent
4) être attentif aux pensées qui surviennent et qui nous sortent de l’exercice d’attention des points 0, 1, 2 et 3.

Il s’agit en effet et avant tout, d’être attentif à la joie du monde (E V 35 dém.), d’éprouver la gratitude de vivre, d’être orienté vers ce qu’il y a de bon dans la vie (E V 10 sc.).
On pourrait parler ici d’une méditation « eucharistique », eukharistia signifiant, en grec, reconnaissance, action de grâces.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 24 avr. 2016, 11:56

aldo a écrit :Ah, je ne vois pas comment ça pourrait ne pas être la même chose !
C'est nous qui passons sans cesse de l'intérieur à l'extérieur et vice-versa, du présent à la mémoire etc.
Je crois avoir compris, tu globalises en un seul même événement du monde.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 24 avr. 2016, 12:18

à Vanleers

Je lirai l' article de Sévérac .

Cela dit "transhumanisme" est chez moi très mal connoté . :( :( :( :roll:
............................

Sévérac a écrit :« Ni pure intériorité, ni pur automatisme, l’esprit est un automate spirituel : il agit comme une véritable « machine à penser », comme une machine immatérielle ou inétendue qui se sent penser »
L' étendue est pour moi convertible en "la conscience de l'étendue" .
La "machine" :mouais:
qui se sent penser s' auto localise et c'est d'ailleurs ainsi qu'on parle d'intériorité /extériorité, concepts spatiaux .
D'un point de vue basique je ne vois pas que ce qui est localisé soit lui sans étendue.


un exemple du genre de philosophie que ça implique

Paul Audi "où je suis" encre marine

Je suis tout entier où je suis.La signification " topologique " de cet énoncé que l'on doit à Rousseau est au coeur du présent ouvrage, dont le but est d'instruire sur de nouvelles bases le procès de la subjectivité humaine, en mettant en lumière les constituants de l'individualité du " moi " à partir de la seule considération du " lieu " dans lequel lui-même reconnaît se sentir exister. Quel est ce lieu ? Pour tout moi il existe un lieu tout juste ajusté à soi, un lieu que le moi n'a jamais le pouvoir de quitter, ni de dépasser, et dans lequel il n'y a pas non plus de place pour un autre que lui.Ce lieu où tout entier je suis, ce lieu occupé par moi-même, est la " position " dont je jouis ou dont je souffre à chaque fois sur le plan de ma vie subjective absolue. C'est dans ces conditions qu'analyser la topique du corps et de l'esprit, développer une topologie de la subjectivité, nous conduit forcément dans les parages de ce que certains philosophes nomment " disposition intérieure ", " tonalité de fond ", " sentiment de l'existence ", " volonté " ou " affectivité ", et que d'autres appellent avec peut-être encore plus de profondeur, le " Soi ", à l'instar de Nietzsche, dont il sera très largement question dans ce livre.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 24 avr. 2016, 15:26

A hokousai

Vous aviez déjà écrit, il y a quelque temps :

« Je pense que ma conscience (qui est une manière de penser) n'a pas de forme mais quelle est localisée. »

Je vous avais répondu que, dans le système de Spinoza, les manières de penser relèvent de l’attribut Pensée et non de l’attribut Etendue et qu’en conséquence seuls sont localisés les corps qui, eux, relèvent de l’attribut Etendue.
J’ajoutais que lorsque nous pensons, si notre corps est bien quelque part, nos pensées, elles, ne sont nulle part et que c’est même assez élémentaire chez Spinoza.

Je vois que vous persistez dans ce que je considère comme une erreur manifeste.
Comme je l’ai écrit récemment, de nombreux points de l’Ethique sont contre-intuitifs et heurtent ce que nous appelons notre bon sens.
On ne comprend Spinoza et on ne devient spinoziste qu’en acceptant de ne plus s’y fier aveuglément et d’accorder une confiance rationnelle aux démonstrations.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar aldo » 24 avr. 2016, 16:24

hokousai a écrit :
aldo a écrit :Ah, je ne vois pas comment ça pourrait ne pas être la même chose !
C'est nous qui passons sans cesse de l'intérieur à l'extérieur et vice-versa, du présent à la mémoire etc.
Je crois avoir compris, tu globalises en un seul même événement du monde.

Comprends pas. Peut-être...

Je dis qu'intérieurement, on ressent l'objet d'une pensée a la manière d'un évènement oui, de manière impliquée. Et que ce ressenti est confronté a une image, une idée qu'on s'en fait... et qu'on oscille perpétuellement de l'un a l'autre (et aussi que l'un répercute sur l'autre, le modifiant virtuellement à chaque fois au passage).
Mais qu'il s'agit de la même chose qu'on tente de cerner : une fois inscrite dans une représentation, une explication ; une autre ressentie dans l'immanence de l'intériorité.

Une "machine a penser" ne serait que logique et ne suffirait a rendre compte des processus intérieurs entre pensée et sensible, une telle machine ne ferait que représenter les choses, créer des images, des explications.

La pensée oscille donc entre événements (intérieurs à la conscience) et images (quasi extérieures à la conscience, et donc virtuelles). L'objet est intérieurement événement de l'immanence, et par cette qualité il ne peut que sortir de la machine à penser et avoir une chance d'exprimer sa nature de singularité.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar hokousai » 24 avr. 2016, 17:40

Vanleers a écrit :J’ajoutais que lorsque nous pensons, si notre corps est bien quelque part, nos pensées, elles, ne sont nulle part et que c’est même assez élémentaire chez Spinoza.


On est dans un dualisme appuyé et l'union est impossible.( mariage de la carpe et du lapin ).

La défintion 2:1 parle de choses dites finies en leur genre. On peut parler de bornage respectif des cogitations les une par les autres et des choses finies les unes par les autres.

Les attributs sont infinis et je ne vois pas qu'il soit question de borner l' étendue par la pensée.( mais cela a pu m'échapper). Je ne réifie pas les attributs ce que vous faites .

Je m'en tiens à la definition 4/1
Définition 4
J'entends par attribut ce que l'intellect conçoit dans la substance comme constituant son essence.


A lire textuellement on s' épargnerait bien des commentaires sur une définition qui n'a rien de contre intuitif car je conçois intuitivement la nature comme étendue et pensée. Reste à penser cette intuition.
Le dualisme ne la pense pas il en reste à l'intuition.

si notre corps est bien quelque part, nos pensées, elles, ne sont nulle part
Si l'enchaînement des chose étendues et l'enchainement des idées est le même, les idées ne sont pas nulle part elles sont là où il y a les choses actuelles.
Elles sont là, oui, et bien localisées .
Or je n 'admets pas qu'une chose (serait- elle une idée) localisée soit sans étendue.


( mais je pense que vous avez un conception très matérialiste de l'Etendue)
Enfin bref... ce n'est pas sur ce matérialisme là que je sera enclin à devenir spinoziste, si l'envi m' en prenait.

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar aldo » 29 avr. 2016, 01:52

hokousai a écrit :
Vanleers a écrit :J’ajoutais que lorsque nous pensons, si notre corps est bien quelque part, nos pensées, elles, ne sont nulle part et que c’est même assez élémentaire chez Spinoza.

On est dans un dualisme appuyé et l'union est impossible.( mariage de la carpe et du lapin )

Vanleers s'est foulé l'index droit (qui lui sert a taper ses textes) lors d'une séance intensive de Biodanza. Il m'a chargé de répondre provisoirement afin que le lectorat ne s'impatiente pas...

Il y a deux possibilités :
-la carpe tient le rôle de l'esprit et le lapin du corps, ce qui répond enfin à l'interrogation spinozienne de ce que peut un corps, mais hélas est un poil insultant quant a l'esprit du spinozisme : ne dit-on pas "muet comme une carpe" ?
-le lapin tient le rôle d'esprit et la carpe de corps, ce qui sous-entend une dualité de l'esprit : à la moutarde ou au vin blanc ? (quant à la carpe, Severac n'en fait aucune mention).

Donc l'analogie entre dualisme et Spinoza est hors de propos : vous êtes hors-sujet mon vieux !

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Re: Comment devient-on spinoziste ?

Messagepar Vanleers » 29 avr. 2016, 12:09

Pascale Gillot, dans un article publié dans « La théorie spinoziste des rapports corps/esprit » (Hermann 2009), évoque la philosophie de Herbert Feigl et celle de Thomas Nagel, deux partisans de la théorie du double aspect. Elle écrit :

« Ces théories du double aspect n’abandonnent pas les principes d’une ontologie moniste, mais se construisent en réaction au réductionnisme prévalent dans la Philosophy of mind jusqu’aux années cinquante : qu’il s’agisse du béhaviorisme, qui refuse l’hypothèse de causes mentales internes et sous-jacentes au comportement, à l’ordre public du dire et du faire, ou bien du physicalisme, qui prétend expliquer et rendre compte des états mentaux dans le vocabulaire de la physique, voire des neurosciences »(La conception spinoziste de l’unité psychophysique p. 112)

P. Gillot montre que ces deux auteurs, tout en défendant une ontologie moniste, comme Spinoza, s’écartent néanmoins de ce dernier. Elle écrit d’abord :

« Les théoriciens contemporains du double aspect demeurent en effet en grande partie redevable du paradigme classique, d’obédience cartésienne, de la conscience et de la représentation, ou encore d’un « modèle représentationnel de l’esprit », articulé à celui d’une intériorité proprement mentale. C’est ainsi que, pour Feigl, qui accorde une importance paradigmatique aux « sensations brutes », le psychique est caractérisé par une connaissance directe, privée. Pour Nagel, l’expérience psychique ou « phénoménale », « l’effet que cela fait de » (par exemple éprouver telle sensation, en première personne), reste le trait distinctif du mental. […] La caractérisation de l’esprit est commandée ici par le partage théorique du subjectif et de l’objectif, de l’interne et de l’externe. Les deux modes de connaissance de la réalité psychophysique se trouvent ainsi respectivement définis, pour l’un, comme une connaissance en première personne (l’expérience privée), pour l’autre, dans l’ordre de l’objectivité physique, comme une connaissance indirecte, en troisième personne. » (op. cit. p. 122)

C’est ici que les deux auteurs s’éloignent de Spinoza et P. Gillot poursuit :

« Or une telle définition de la pensée et de l’activité proprement mentale paraît largement absente de la philosophie de Spinoza. Celui-ci, en effet, récusait la conception cartésienne du « principe » de la pensée comme chose pensante finie (comme moi-ego). Se trouvait par là contestée la caractérisation de l’activité mentale sur le modèle de l’aperception immédiate et du regard intérieur, dans l’ordre égologique, privilégié, d’une expérience privée. Et l’abandon de la définition de l’esprit comme moi-chose pensante s’accompagnait, rappelons-le, d’une critique explicite de l’indentification des états cogitatifs à des représentations dans l’esprit ; l’idée n’étant pas, pour Spinoza, « quelque chose de muet, comme une peinture sur un tableau » (E II 43 sc.), c’est-à-dire une image mentale, mais bien un concept de la Pensée (E II 48 sc.). » (op. cit pp. 122-123)

P. Gillot conclut :

« Ainsi le corps dans son acception spinoziste, en tant qu’individu, n’appartient pas à l’ordre tout entier « extérieur », objectif, d’une composition arithmétique de parties constituantes, partes extra partes. Réciproquement l’esprit, en tant qu’idée de cet individu corporel, en tant qu’il est lui-même une certaine organisation idéelle complexe, ne constitue pas ce « théâtre » ou cette scène intérieure, sur laquelle se succéderaient des représentations mentales considérées comme des répliques intrapsychiques des choses dont elles seraient les idées (en l’occurrence les images). Cette notion d’une intériorité psychique paraît difficilement concevable dans la philosophie de Spinoza, qui nous invite précisément à « éviter que la pensée ne tombe au rang des peintures » (E II 48 sc.). » (op. cit. p. 123)


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