La ruse de la connaissance du troisième genre

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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La ruse de la connaissance du troisième genre

Messagepar Vanleers » 11 août 2015, 17:41

Alexandre Matheron explique en quoi consiste la connaissance du troisième genre, ou science intuitive. Il écrit (Le Christ et le salut des ignorants chez Spinoza p. 151 – Aubier 1971) :

« Celle-ci ne recèle aucun mystère : elle n’est rien d’autre que la connaissance des choses naturelles par leur cause immanente, c’est-à-dire par Dieu – ou, ce qui revient au même, la connaissance de Dieu, puisque connaître un effet par sa cause immanente revient tout simplement à enrichir notre connaissance de cette même cause (E V 24). »

Il écrit ensuite que cette connaissance est en même temps amour, c’est-à-dire joie :
« La connaissance du troisième genre, qui représente la forme d’intellection la plus parfaite, nous procure donc la plus haute de toutes les satisfactions (E V 27). Et, comme elle nous fait concevoir toutes choses et nous-mêmes par Dieu, la joie que nous en retirons s’accompagne en nous de l’idée de Dieu comme de sa cause (E V 32). Ainsi trouvons-nous dans l’amour de Dieu notre bonheur. » (p. 152)

Il ajoute enfin que :

« Ce bonheur nous sauve, car il est infiniment supérieur à tout ce que nous pourrions attendre de l’assouvissement de nos passions. » (ibid.)

On cherchera, sur ce fil, à évaluer l’intérêt pratique de la connaissance du troisième genre en la rapprochant d’un célèbre conseil que donne le mystique espagnol Saint Jean de la Croix, tel que le rapporte son confident, le religieux Elisée des Martyrs. Ne nous cachons pas qu’un tel rapprochement paraîtra discutable aux yeux de certains.

« Lorsque nous sentons le premier mouvement ou le premier assaut de quelque vice comme la luxure, la colère, l’impatience, l’esprit de vengeance à la suite d’une offense reçue, etc… nous ne résisterons pas par un acte de vertu contraire, mais dès que nous le sentirons, nous recourrons sans retard à un acte ou mouvement d’amour anagogique contre le vice, élevant notre cœur à l’union de Dieu. Car, grâce à l’élévation, l’âme se rend absente de là, se présente à son Dieu et s’unit à lui, laissant le vice ou la tentation et l’ennemi frustré de son projet, ne trouvant plus qui frapper ; car l’âme étant plus là où elle aime que là où elle anime, s’est divinement dérobée à la tentation. L’ennemi ne trouve plus qui frapper, il a perdu sa proie, car l’âme n’est plus là où la tentation (ou l’ennemi) voulait la frapper et la blesser. »

Nous essaierons dans le prochain post de transposer ce conseil à l’éthique spinoziste.

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Re: La ruse de la connaissance du troisième genre

Messagepar Vanleers » 11 août 2015, 17:44

« La luxure, la colère, l’impatience, l’esprit de vengeance à la suite d’une offense reçue », Spinoza n’appelle pas ça des vices mais des affects, plus précisément des passions et la partie V de l’Ethique montrera « ce que la raison même peut sur les affects, et ensuite ce qu’est la Liberté de l’Esprit ou béatitude » (E V Préf.)
Au scolie d’E V 10, Spinoza explique comment « vaincre la Haine par l’Amour ou Générosité, et non la compenser par une Haine réciproque ». On est encore ici dans le cadre de la connaissance du deuxième genre.
Jean de la Croix, quant à lui, conseille une méthode anagogique (anagogè : action de mener vers le haut) qui n’est pas un « agere contra » mais une quasi désertion : il s’agit de fuir le lieu du combat car il y a mieux à faire. Cela paraîtra peu glorieux mais Spinoza lui-même écrit :

« La vertu de l’homme libre se montre aussi grande à décliner les dangers qu’à en triompher. » (E IV 69)

Cette « fuite» sanjuaniste peut être comprise comme une façon de recadrer la situation en élevant le débat, qu’il soit intérieur ou avec des tiers. Or, c’est précisément ce qu’opère la connaissance du troisième genre qui nous porte à la connaissance de Dieu, connaissance qui est également amour intellectuel de Dieu.
Jean de la Croix (1542-1591) n’a pu lire Spinoza mais il pointe également la nécessité d’éloigner une émotion de l’âme de la pensée d’une cause extérieure (E V 2) : ce n’est pas tel individu qui, par exemple, est la cause de ma colère mais « l’ennemi », sans qu’il soit nécessaire de personnaliser ni même de préciser de quel ennemi il s’agit, et une façon de réprimer et maîtriser cette colère sera de s’y soustraire en s’élevant à Dieu par la connaissance du troisième genre.
Il s’agit, en quelque sorte, d’une ruse par laquelle la passion est combattue par le vide.

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Re: La ruse de la connaissance du troisième genre

Messagepar Vanleers » 13 août 2015, 16:16

La « ruse » qui consiste à fuir un conflit par la connaissance du troisième genre est parfaitement rationnelle comme l’explique le corollaire d’E IV 69 :

« Chez l’homme libre, fuir à temps témoigne d’autant de Vaillance [animositas] que se battre : autrement dit, l’homme libre montre la même Vaillance ou présence d’esprit à choisir la fuite qu’à choisir le combat. »

Pierre Macherey commente :

« Le corollaire de la proposition 69 développe sur cette base l’idée suivante : l’homme libre, qui ne met pas un mauvais point d’honneur à relever de vains défis, emploie aussi bien son énergie, sans se soucier du qu’en-dira-t-on, à éluder le combat qu’à en sortir vainqueur. Cela ne veut pas dire qu’il a pour principe de se dérober peureusement dans tous les cas devant l’obstacle : il choisit la fuite lorsque cela convient, donc « au bon moment », ce que le conduit à faire la « présence d’esprit » qui constitue l’élément déterminant de sa force de caractère. » (Introduction… IV p. 400)

Il précise :

« […] L’homme libre voit venir les dangers […] Le bref scolie qui suit le corollaire de la proposition 69 explique ce qu’est le danger au point de vue de l’homme libre, qui cherche avant tout à s’en prémunir : c’est « tout ce qui peut être cause d’un mal quelconque, comme la tristesse, la haine, la discorde » ; c’est-à-dire que c’est ce qui peut entraîner pour conséquence un amoindrissement de sa puissance d’être et d’agir : dès lors on comprend qu’il emploie toute sa présence d’esprit à éviter de se laisser enfermer dans de telles situations qui l’affaiblissent. » (p. 401)

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Re: La ruse de la connaissance du troisième genre

Messagepar Vanleers » 13 août 2015, 17:21

Spinoza est particulièrement soucieux d’éviter les conflits inutiles. Sa devise est « Caute » et il ne se fait pas d’illusion sur les hommes :

« Car les hommes sont divers (rares en effet sont ceux qui vivent selon ce que la raison prescrit), et cependant la plupart sont envieux, et plus enclins à la vengeance qu’à la miséricorde. Et donc, supporter chacun d’eux avec son tempérament et se retenir d’imiter leurs affects, demande une singulière puissance d’âme ». (chapitre 13 de l’Appendice de la partie IV de l’Ethique)

On retrouve ce souci d’évitement en E IV 70 :

« L’homme libre qui vit parmi les ignorants s’emploie autant qu’il peut à décliner leurs bienfaits. »

Jean-Pierre Juillet en arrive même à émettre l’hypothèse d’une anxiété propre à Spinoza. Il écrit :

« […] face au danger, à la menace, Spinoza ne manque pas de faire valoir qu’il existe une alternative, à savoir : la fuite, la mise hors d’atteinte, ou l’affrontement, l’engagement, et que l’une et l’autre requièrent une égale force d’âme. Faut-il en conclure que, quand il s’agit des hommes et même dans la conduite ordinaire de la vie (loin de ces champs de bataille qui font peu de place à l’équivoque ou à l’ambiguïté), la sagesse va universellement dans le sens de l’évitement, de la réserve préventive, etc., mais, en outre, qu’une anxiété, propre à Spinoza, y pousse jusqu’à l’excès, jusqu’à faire écarter, a priori, tout autre choix ? Nous tenons cette conclusion pour très probable. On peut d’ailleurs expliquer cette anxiété par l’enchaînement d’une connaissance et d’un affect : pour avoir trop bien mis au jour les causes de la haine et de la tristesse au sein de la nature humaine, au point de faire de l’envie une propriété de celle-ci, Spinoza serait entré dans la conviction qu’il n’est de salut que dans la séparation d’avec ses « pareils », ses « semblables ». Selon nous, cette explication, rien moins que « psychologique », se soutient. Toutefois, il faut noter que si une anxiété propre à Spinoza – une anxiété en quelque sorte motivée et par l’expérience et par la théorie – l’a conduit à ne concevoir l’existence qu’à bien des égards sous l’aspect du retrait prudent, de la séparation d’avec des humains trop humains, et donc foncièrement dangereux, s’ajoute à cela une autre cause que l’explication que nous venons de proposer dissimule par le fait même de présupposer que Spinoza s’inclut lui-même parmi les « égaux », qu’il se tient pour « semblable » aux autres hommes. Or ce n’est, selon nous, aucunement certain : Spinoza connaît sa valeur, se considère comme un homme libre et comme sans véritables pareils quant à la force de l’esprit […], et donc, si l’on s’en remet à la leçon du second corollaire de la proposition 55 [de la partie III] (1), se considère à ces divers titres comme nécessairement séparé de l’humanité commune, quoi qu’il en ait. » (Des vues de Spinoza pp. 335-336 – PUPS 2001)

(1) « Nul n’envie la vertu d’un autre, sauf d’un égal. »

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Re: La ruse de la connaissance du troisième genre

Messagepar NaOh » 15 août 2015, 14:49

Vanleers a écrit :« Lorsque nous sentons le premier mouvement ou le premier assaut de quelque vice comme la luxure, la colère, l’impatience, l’esprit de vengeance à la suite d’une offense reçue, etc… nous ne résisterons pas par un acte de vertu contraire, mais dès que nous le sentirons, nous recourrons sans retard à un acte ou mouvement d’amour anagogique contre le vice, élevant notre cœur à l’union de Dieu. Car, grâce à l’élévation, l’âme se rend absente de là, se présente à son Dieu et s’unit à lui, laissant le vice ou la tentation et l’ennemi frustré de son projet, ne trouvant plus qui frapper ; car l’âme étant plus là où elle aime que là où elle anime, s’est divinement dérobée à la tentation. L’ennemi ne trouve plus qui frapper, il a perdu sa proie, car l’âme n’est plus là où la tentation (ou l’ennemi) voulait la frapper et la blesser. ».


Tout cela est bel et bon mais semble présupposer que nous sommes libres de nous "retirer" et de nous élever à l'idée de Dieu.

Or ce n'est pas ce qui arrive. Il faut au contraire que l'affect soit combattu par l'affect. Il faut, dis-je, que nous ayons déjà goûté à cette joie spéciale qui suit de la pratique de la vertu, pour pouvoir nous opposer efficacement aux assauts des passions mortifères. Nous devons, sur la base de cette expérience de la joie qui suit l'exercice de la vertu, nous forger des règles de conduites pour les cas de "gros temps", où nous subirons les assauts de l'ennemi. Tout cela suppose une longue pratique, la création d'une disposition en nous, sans quoi il nous sera impossible, le moment venu, d'écarter de nous l'idée de la cause de notre affect et de joindre celle-ci à l'idée de Dieu.

Bien à vous.

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Re: La ruse de la connaissance du troisième genre

Messagepar Vanleers » 15 août 2015, 15:28

A NaOh

Je suis d’accord avec votre remarque.
Notez que, dans le texte cité, il est dit que :

« […] nous recourrons sans retard à un acte ou mouvement d’amour anagogique contre le vice »

Il n’est pas dit que nous déciderons, par un choix libre et volontaire, de recourir sans retard…
C’est sans doute admis par Jean de la Croix mais, dans un cadre spinoziste, on se contentera de dire que c’est un moyen qui est très efficace pour gérer une situation de « gros temps ».
Ce moyen ne sera pas mis en œuvre à la suite d’une libre décision (pas de libre arbitre chez Spinoza) mais l’individu qui, comme vous l’écrivez, se sera exercé par une longue pratique (cf. E V 10 sc.) aura ce réflexe.

Plus généralement, vous posez le problème : comment une éthique spinoziste est-elle possible alors que Spinoza nie le libre arbitre ?

Bien à vous

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Re: La ruse de la connaissance du troisième genre

Messagepar Vanleers » 15 août 2015, 17:17

L’hypothèse de Jean-Pierre Juillet, énoncée dans un post précédent, à savoir qu’« une anxiété propre à Spinoza – une anxiété en quelque sorte motivée et par l’expérience et par la théorie – l’a conduit à ne concevoir l’existence qu’à bien des égards sous l’aspect du retrait prudent, de la séparation d’avec des humains trop humains, et donc foncièrement dangereux » est excessive. Spinoza démontre, par exemple, que :

« L’homme que mène la raison est plus libre dans la cité, où il vit selon le décret commun, que dans la solitude, où il n’obéit qu’à lui-même » (E IV 73)

Si retrait il y a, ce n’est pas de la société des hommes mais des situations de danger, le danger étant défini dans le scolie d’E IV 69 comme « tout ce qui peut être cause d’un mal quelconque, comme la tristesse, la haine, la discorde ».

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Re: La ruse de la connaissance du troisième genre

Messagepar Vanleers » 18 août 2015, 13:59

Jean de la Croix indique deux manières de « résister aux vices et d’acquérir les vertus ».
La première consiste, lorsqu’on veut résister à un vice, à un péché, à une tentation, à produire des actes de vertu qui contredisent et détruisent ce vice, ce péché, cette tentation. C’est un bon moyen de résister mais il est ardu et imparfait.
Nous avons vu que le second moyen, plus facile, plus fructueux et plus parfait, consiste à fuir le lieu du combat en s’élevant à Dieu.
Revenons au premier moyen de Jean de la Croix.
Il a son équivalent, chez Spinoza, en E IV 7

« Un affect ne peut être réprimé ni supprimé si ce n’est par un affect contraire et plus fort que l’affect à réprimer »

Nous éprouverons un affect contraire et plus fort que l’affect à réprimer si nous nous y sommes entraînés :

« Donc, le mieux que nous pouvons faire aussi longtemps que nous n’avons pas la connaissance parfaite de nos affects, c’est de concevoir la droite règle de vie, autrement dit les principes de vie certains, de les graver dans notre mémoire, et de les appliquer sans cesse aux choses particulières qui se rencontrent couramment dans la vie, afin qu’ainsi notre imagination s’en trouve largement affectée et que nous les ayons toujours sous la main. » (E V 10 sc.)

Toutefois, si, au lieu de chercher à contrer un affect par un affect contraire, nous avons simplement l’idée que Dieu est la cause immanente des choses naturelles, notre esprit sera occupé par autre chose que le conflit affectif en cours et nous nous en désintéresserons. Le problème n’aura pas été résolu mais il aura disparu et c’est pour cela que l’on parlera de « ruse » de la connaissance du troisième genre.
Il s’agit de regarder ailleurs et il ne semble pas qu’un long entraînement soit nécessaire pour acquérir ce réflexe.

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Re: La ruse de la connaissance du troisième genre

Messagepar Vanleers » 18 août 2015, 14:52

La « ruse » de la connaissance du troisième genre dont il a été question ci-dessus, paraît trop simple, voire simpliste.
Il suffirait de se rappeler de tout voir en Dieu parce que tout est en Dieu, pour que, comme par enchantement, nous sortions des situations affectives dans lesquelles nous nous débattons.
Cette ruse trouve pourtant un écho dans la thérapie telle que la comprend et la met en œuvre François Roustang : voir le fil « Connaissance du troisième genre et hypnose » en :

viewtopic.php?f=17&t=1521&start=60

Pour introduire le chapitre 4 de « Il suffit d’un geste » – Odile Jacob 2003), il écrit :

« Interrogé sur le taux de réussite des thérapies utilisant l’hypnose, j’avais répondu que je l’ignorais parce que je ne recevais que des patients déjà guéris »

L’auteur s’interroge :

« Que se passe-t-il lorsque nous supposons que les personnes qui nous rendent visite ne sont pas des malades mais des bien portants et lorsque nous retournons comme un gant la formule bien connue du docteur Knock : tout malade est un bien portant qui s’ignore ? » (p. 99)

Il s’agit donc de supposer le problème résolu, et alors :

« « Je ne savais pas que c’était si simple », disent les patients qui retournent à leur quotidien. Je ne savais pas qu’il suffisait de mettre un terme aux questions vaines et insolubles, de ne plus me tenir en dehors du flux de la vie, mais d’y entrer, de perdre le souci de mon regard et du regard des autres sur moi pour que l’unité se fasse et que le grand nombre des choses et des êtres se rapprochent et se relient. » (pp. 125-126)

Tout ce paragraphe s’applique, point par point, à la connaissance du troisième genre : connaissance intuitive de l’insertion du fini dans l’infini.

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Re: La ruse de la connaissance du troisième genre

Messagepar Vanleers » 26 août 2015, 11:08

De la connaissance du troisième genre naît un affect très puissant :

« De ce troisième genre de connaissance naît la plus haute satisfaction de l’Esprit qui puisse être donnée » (E V 27)

C’est cet affect qui va contrer les affects auxquels nous sommes en proie (ce que Jean de la Croix appelle des vices), suivant le principe que :

« Un affect ne peut être réprimé ni supprimé si ce n’est par un affect contraire et plus fort que l’affect à réprimer » (E IV 7)

Notons qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un affect directement contraire aux passions éprouvées. Le scolie d’E V 10 parle de l’amour, directement contraire à la haine ou de la vaillance (animositas) directement contraire à la crainte (metus) mais à quoi s’oppose directement la mentis acquiescentia ?
Elle s’oppose à l’inquiétude que l’on pourrait appeler également, avec Henri Laux, la crainte/espoir :

« Il n’y a jamais la crainte ou l’espoir, au sens où la présence de l’un repousserait celle de l’autre jusqu’à l’exclure complètement. Il y a toujours l’espoir avec la crainte, si bien qu’on ne peut même pas parler au sens strict d’un affect d’espoir ou d’un affect de crainte, car ceux-ci sont déjà une composition ; la contradiction leur est déjà interne. Il n’y a qu’une crainte/espoir ou un espoir/crainte, en entendant dans cet ordre une présence plus forte de l’un des deux termes et donc une orientation du système qu’ils composent plutôt vers la joie ou plutôt vers la tristesse. » (Imagination et religion chez Spinoza pp. 135-136 – Vrin 1993)

L’auteur explique que l’espoir et la crainte composent ensemble un rapport brouillé à la réalité (p. 132) et écrit :

« Ainsi donc, Spinoza s’écarte d’une théorie des passions qui aurait simplement pour objectif de décrire des contenus. L’espoir et la crainte sont à interpréter comme l’incertitude du savoir devant l’avenir ou devant l’issue de n’importe quel processus : une incertitude expérimentée comme inconstance d’une joie et d’une tristesse. Ils désignent le corps à lui-même comme unité discontinue ; ils montrent le complexe indéfiniment variable de l’impotentia dans laquelle la cupiditas doit s’affirmer ; ils sont l’affect premier de la réduction du désir, et par là ce que le désir doit surmonter. » (p.133)

C’est à cet affect premier, qu’accompagne une fluctuatio animi accentuée, que s’oppose la mentis acquiescentia, autre nom de la béatitude et qu’on pourrait également appeler la tranquillité d’âme.

Dans la lettre 21 à Blyenbergh, Spinoza écrit :

« […] le fruit que j’ai retiré de mon pouvoir naturel de connaître, sans l’avoir jamais trouvé une seule fois en défaut, a fait de moi un homme heureux. J’en jouis, en effet, et tâche à traverser la vie non dans la tristesse et les pleurs, mais dans la tranquillité d’âme, la joie et la gaieté, et m’élève ainsi d’un degré. Je ne cesse d’ailleurs de reconnaître que toutes les choses arrivent par la puissance de l’Etre souverainement parfait et son immuable décret et c’est à cette connaissance que je dois ma satisfaction la plus haute et ma tranquillité d’âme. »

Dans l’esprit du scolie d’E V 10, il y aurait donc lieu de s’exercer à vivre dans la tranquillité d’âme et à y revenir le plus vite possible dès que les passions nous en écartent.


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