A qui comprend, un mot suffit

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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A qui comprend, un mot suffit

Messagepar Krishnamurti » 19 juin 2015, 20:03

Pour les choses que l’entendement peut atteindre d’une vue claire et distincte, et qui sont concevables par elles-mêmes, on a beau en parler obscurément, nous les entendons toujours sans beaucoup de peine, suivant le proverbe : À qui comprend, un mot suffit.
Traité théologico-politique, chapitre VII

Spinoza, c'est difficile à comprendre ?

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Vanleers
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Re: A qui comprend, un mot suffit

Messagepar Vanleers » 19 juin 2015, 21:08

A Krishnamurti

Je donne une citation plus complète du TTP ainsi que l’annotation de Spinoza à propos de « concept »
Cela me paraît indispensable si nous voulons réfléchir à la question que vous posez.

Bien à vous

« Voilà toutes les difficultés que je voulais rapporter de cette méthode d’interprétation de l’Ecriture par la connaissance historique qui nous est accessible. Je les crois si fortes que je n’hésite pas à affirmer que, pour plusieurs passages, nous ignorons ou conjecturons sans certitude le vrai sens de l’Ecriture. Mais en vérité, il faut en revanche le signaler encore une fois : toutes ces difficultés peuvent seulement nous empêcher de comprendre la pensée des prophètes qui porte sur des choses incompréhensibles et qui relèvent de l’imagination, non pas celle qui porte sur ce que l’entendement comprend et dont nous pouvons facilement former un concept clair (*) ; car les choses que leur nature rend faciles à percevoir ne peuvent jamais être exprimées si obscurément qu’elles ne soient comprises facilement, conformément au proverbe : « A bon entendeur, un mot suffit » » (TTP ch. VII § 17)

(*) Spinoza a ajouté l’annotation 8 (concept) :

« Par ce qu’on peut percevoir, j’entends non pas seulement ce qu’on démontre rigoureusement, mais aussi ce que, ordinairement, on accepte avec une certitude morale et qu’on entend sans surprise même si cela ne peut jamais être démontré. Tout un chacun perçoit les propositions d’Euclide avant qu’elles ne soient démontrées. C’est encore ainsi que les récits portant sur le futur comme sur le passé qui n’excèdent pas la créance humaine comme le droit, les institutions et les mœurs, je les appelle faciles à percevoir et clairs, même si on ne peut les démontrer mathématiquement. En revanche, les symboles et les récits qui paraissent excéder toute créance, je les nomme impossibles à percevoir. Cependant, nombre d’entre eux peuvent être étudiés selon notre méthode afin de saisir la pensée de l’auteur. »

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Re: A qui comprend, un mot suffit

Messagepar NaOh » 20 juin 2015, 12:59

Krishnamurti a écrit :
Pour les choses que l’entendement peut atteindre d’une vue claire et distincte, et qui sont concevables par elles-mêmes, on a beau en parler obscurément, nous les entendons toujours sans beaucoup de peine, suivant le proverbe : À qui comprend, un mot suffit.
Traité théologico-politique, chapitre VII

Spinoza, c'est difficile à comprendre ?



Je répondrais à votre question: oui et non. Spinoza est difficile à comprendre, bien sûr, parce que nous tentons d'imaginer (ie de rapporter à "l'expérience vague" que nous faisons du monde et des choses) les propositions de l'Ethique. Si nous nous contentons de concevoir ces propositions, alors elles sont très simples et faciles à comprendre. "N'imaginez jamais!" disait Henri Michaux et telle pourrait être la devise pour aborder la lecture de Spinoza. Reste que c'est plus facile à dire qu'à faire... Il y faut un certain sens et je dirais même plus, un certain goût pour les vérités abstraites.

Bien à vous.

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Re: A qui comprend, un mot suffit

Messagepar hokousai » 20 juin 2015, 15:00

Spinoza, c'est difficile à comprendre ?


Ce qui est difficile c'est d' acquérir la certitude qu'on l'a compris...du moins pour moi qui suis sceptique quant à l'accès à la pensée d'autrui.
A peine, parfois et seulement, peut -on être certain de savoir ce qu'on pense soi même.

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Re: A qui comprend, un mot suffit

Messagepar Vanleers » 20 juin 2015, 15:48

Je suis largement d’accord avec NaOh et j’argumenterai comme suit.

E II 47 énonce :
« L’esprit humain a une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu »

Le scolie précise :

« Nous voyons par-là que l’essence infinie de Dieu et son éternité sont connues de tous »

Si l’essence infinie de Dieu est immédiatement connue de tous, donc facilement, chacun a donc ipso facto atteint le souverain bien que vise l’Ethique :

« Le souverain bien de l’Esprit est la connaissance de Dieu et la souveraine vertu de l’Esprit est de connaître Dieu » (E IV 28)

Toutefois, le scolie d’E II 47 énonce plus loin :

« Quant au fait que les hommes n’ont pas une connaissance de Dieu aussi claire que des notions communes, cela vient de ce qu’ils ne peuvent imaginer Dieu comme les corps, et qu’ils ont joint le nom de Dieu aux images des choses qu’ils ont l’habitude de voir ; ce que les hommes ne peuvent guère éviter parce qu’ils sont continuellement affectés par les corps extérieurs. » »

C’est donc bien l’imagination, c’est-à-dire la connaissance du premier genre qui est le principal obstacle à la connaissance de Dieu, c’est-à-dire à la compréhension de l’Ethique.
Est-il facile de s’affranchir (de s’abstraire pour reprendre le mot de NaOh) de sa propre imagination ?
Comme l’imagination est la « mère » des passions, cela revient à se demander s’il est facile de modérer ses affects. C’est tout le programme de la partie V de l’Ethique.
Ce sera plus ou moins facile selon les individus.

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Re: A qui comprend, un mot suffit

Messagepar Krishnamurti » 20 juin 2015, 22:51

Une autre chose qui me parait complexe c'est que quoi qu'il en soit de cette compréhension l'âme reste fluctuante. Elle l'est d'autant plus qu'encore aujourd'hui et toujours, l'ensemble des êtres humains continue d'obéir à des ressorts qui sont inauthentiques et qui n'ont rien à voir avec la raison ou la compréhension. Non pas à cause de l'imagination, mais par pur intérêt.
Dans ces conditions il est difficile de rester seul avec ce que l'on a compris. C'est donc plus un problème de permanence que de certitude.
A des degrés divers, nous avons souvent à faire face à une pression qui est de l'ordre du "lavage de cerveau".
Du coup il est bon de relire l'Ethique ou tout autre texte intelligent de temps en temps. ;)

Pour certains bien sûr la pression est telle qu'ils ne peuvent même pas accéder à la simplicité de l'Ethique. Préférant de toute façon se conformer aux valeurs dominantes (en gros la sécurité ou le pouvoir à cours terme plutôt que la compréhension).

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Re: A qui comprend, un mot suffit

Messagepar aldo » 21 juin 2015, 03:19

Krishnamurti a écrit :Spinoza, c'est difficile à comprendre ?

J'imagine que si c'était si simple à comprendre, les interprétations de sa philosophie ne varieraient pas autant et on n'en serait pas à disserter sans fin sur ce qu'il a voulu dire.
Maintenant, que la logique de son système soit claire (et peut-être jamais prise en faille), c'est un autre point.

Mais une logique ne fait pas une philosophie : réduire la philosophie à une logique, c'est ouvrir grand la porte à l'interprétation par l'imaginaire qu'il était justement question d'éviter : une philosophie se doit de toujours nous amener à nous référer aux expériences très concrètes qu'on est à même d'éprouver, sinon le risque est qu'il ne soit question que de langage, qu'on ne pense que les mots.

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Re: A qui comprend, un mot suffit

Messagepar Vanleers » 21 juin 2015, 10:45

A Krishnamurti

Dans le TRE, Spinoza écrit que ce qu’il vise, c’est « la connaissance de l’union que l’esprit a avec toute la Nature » (§ 13)
C’est le bien suprême mais il n’est pas nécessaire d’avoir entièrement compris Spinoza ni même de le lire pour l’atteindre. La philosophie de Spinoza n’est qu’une voie possible.
Sur un autre fil, j’avais soutenu que l’Ethique était facile à comprendre car elle peut se résumer à « Tout voir en Dieu car tout est en Dieu ».
Ce n’est pas tout à fait le « A bon entendeur, un mot suffit » mais « A bon entendeur, neuf mots suffisent »
L’Ethique est une drôle de machine volante avec laquelle nous prenons notre envol. La difficulté n’est pas de décoller mais de se maintenir en vol car nous restons toujours soumis à la pesanteur :

« Il ne peut pas se faire que l’homme ne soit pas une partie de la Nature, et puisse ne pâtir d’autres changements que ceux qui peuvent se comprendre par sa seule nature et dont il est cause adéquate. » (E IV 4)

Il y faut donc « de l’art et de la vigilance » (E IV App. Ch. 13) ce qui ne nous empêchera pas de retomber plus ou moins lourdement de temps en temps.
Il faudra réparer, comprendre ce qui s’est passé et repartir : c’est là où « relire l'Ethique ou tout autre texte intelligent » sera utile.

Vous écrivez aussi :

« Pour certains bien sûr la pression est telle qu'ils ne peuvent même pas accéder à la simplicité de l'Ethique. Préférant de toute façon se conformer aux valeurs dominantes (en gros la sécurité ou le pouvoir à court terme plutôt que la compréhension). »

Je serais de l’avis de Spinoza lorsqu’il écrit dans la lettre 30 à Oldenburg :

« Maintenant je laisse chacun vivre selon sa complexion et je consens que ceux qui le veulent, meurent pour ce qu’ils croient être leur bien, pourvu qu’il me soit permis à moi de vivre pour la vérité. »

Bien à vous

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Re: A qui comprend, un mot suffit

Messagepar Vanleers » 28 juin 2015, 16:17

Bergson, dans un texte souvent cité, a, lui aussi, écrit qu’à un bon entendeur de l’Ethique, un mot suffit :

« Je ne connais rien de plus instructif que le contraste entre la forme et le fond d’un livre comme l’Ethique : d’un côté ces choses énormes qui s’appellent la Substance, l’Attribut et le Mode, et le formidable attirail des théorèmes avec l’enchevêtrement des définitions, corollaires et scolies, et cette complication de machinerie et cette puissance d’écrasement qui font que le débutant en présence de l’Ethique, est frappé d’admiration et de terreur comme devant un cuirassé de type Dreadnought ; de l’autre, quelque chose de subtil, de très léger et de presque aérien, qui fuit quand on s’en approche, mais qu’on ne peut regarder, même de loin, sans devenir incapable de s’attacher à quoi que ce soit du reste, même à ce qui passe pour capital, même à la distinction entre la Substance et l’Attribut, même à la dualité de la Pensée et de l’Étendue. C’est derrière la lourde masse des concepts apparentés au cartésianisme et à l’aristotélisme, l’intuition qui fut celle de Spinoza, intuition qu’aucune formule, si simple soit-elle, ne sera assez simple pour exprimer. Disons, pour nous contenter d’une approximation, que c’est le sentiment d’une coïncidence entre l’acte par lequel notre esprit connaît parfaitement la vérité et l’opération par laquelle Dieu l’engendre, […] » (La Pensée et le mouvant)

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Re: A qui comprend, un mot suffit

Messagepar Krishnamurti » 28 juin 2015, 17:42

Quand il y a une telle coïncidence... Peut-on vraiment supporter d'une âme égale les événements contraires. Finalement ne souffrons-nous pas d'autant plus que nous avons vu juste (dans certaines limites) ?

"Mais la puissance de l’homme est extrêmement limitée et infiniment surpassée par celle des causes extérieures ; nous n’avons pas un pouvoir absolu d’adapter à notre usage les choses extérieures. Nous supporterons, toutefois, d’une âme égale les événements contraires à ce qu’exige la considération de nôtre intérêt, si nous avons conscience de nous être acquittés de notre office, savons que notre puissance n’allait pas jusqu'à nous permettre de les éviter, et avons présente cette idée que nous sommes une partie de cette Nature entière, dont nous suivons l’ordre. Si nous connaissons cela clairement et distinctement, cette partie de nous qui se définit par la connaissance claire, c’est-à-dire la partie la meilleure de nous, trouvera là un plein contentement et s’efforcera de persévérer dans ce contentement. En tant en effet que nous sommes connaissants, nous ne pouvons rien appéter que ce qui est nécessaire ni, absolument, trouver de contentement que dans le vrai ; dans la mesure donc où nous connaissons cela droitement, l'effort de la meilleure partie de nous-même s'accorde avec l'ordre de la Nature entière."

SPINOZA, Ethique, chap. XVIII


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