Vanleers a écrit :A recherche
Vous écrivez :
« Un seul exemple me paraît suffisant pour réfuter l'idée selon laquelle une causalité du mental sur le physique ne pourrait intervenir : les larmes physiques que vous observerez suite à telle pensée mentale qui vous aura attristé. »
Dans le cadre de son système, Spinoza ne se fourvoie pas. J’en ai déjà longuement débattu avec Hokousai en citant à comparaître le chat de Sévérac.
Le texte clef pour comprendre, entre autres, que votre exemple ne réfute pas E III 2, c’est le corollaire d’E II 11. Vous noterez que dans le scolie qui le suit, Spinoza recommande « d’avancer à pas lents ».
A toutes fins utiles, je donne à nouveau une longue citation de Sévérac (Spinoza Union et Désunion pp. 87-88).
Bien à vous
« Une telle affirmation a bien évidemment quelque chose de contre-intuitif : n’est-ce pas parce que ce chat ronronne sur mes genoux que j’en ai l’idée, que je le perçois au moins par la vue et l’ouïe ? Quelles peuvent bien être ces autres idées qui produisent en mon esprit celle du chat qui ronronne, si ce n’est l’existence matérielle du chat lui-même ? Admettons, contre la doctrine spinoziste, que nous puissions rendre compte de la présence de l’idée du chat en mon esprit par l’existence corporelle, en dehors de mon esprit, de ce chat. Il faudra néanmoins convenir que ce chat est corporellement présent, car il est venu à moi ; et que je le perçois ronronner sur mes genoux, car je dispose des organes des sens pour faire une telle expérience. Mais tout cela, comment puis-je le savoir, si ce n’est à travers certaines idées, en l’occurrence celle de la venue du chat à moi et celle de la présence d’organes sensoriels en moi ? Seules certaines idées de « choses » peuvent expliquer en mon esprit la présence d’une idée de « quelque chose », de la même manière que ces « choses » expliquent la présence de « quelque chose » en dehors de moi : je ne puis en tout cas « sortir » d’une idée, afin d’en expliquer la genèse, que pour trouver d’autres idées. L’extériorité d’une idée singulière, c’est-à-dire d’une idée finie et ayant une certaine durée, est constituée par d’autres idées, elles-mêmes finies et ayant une durée déterminée. Ce qui existe à l’extérieur d’une idée, ce n’est pas un corps, c’est une autre idée : je ne peux m’expliquer l’idée de quelque chose que par les idées d’autres choses.
Ainsi, ce qui paraissait avoir un caractère contre-intuitif recouvre désormais une plus grande clarté : l’existence d’une idée n’est pas expliquée par l’existence de son objet ; on ne sort pas du champ des idées pour expliquer la formation d’une idée.
Mais alors tombons-nous dans une espèce d’immatérialisme, qui voudrait que toute réalité soit ou bien perçue, ou bien percevante ? Non, puisqu’en vertu de l’union substantielle des attributs, la réalité qui se donne selon la pensée se donne aussi selon d’autres attributs, notamment l’étendue. Il existe donc une relation entre modalités d’attributs différents : s’il ne peut y avoir de rapport de causalité entre les idées et les choses qui en sont les objets, il doit y avoir néanmoins un rapport d’identité entre l’enchaînement des idées et l’enchaînement de leurs objets. En effet, alors que le rapport de causalité est interdit par la distinction réelle des attributs divins, le rapport d’identité entre les logiques parcourant chaque attribut est rendu nécessaire par l’union des attributs en Dieu : l’ordre et la connexion des modalités sont nécessairement les mêmes en chaque attribut, puisque tous expriment l’unique nécessité de la productivité divine. »
S'il ne se fourvoie pas dans le cadre de son système, disons qu'il se fourvoie tout court.
Mais même dans le cadre de son système, il me semble qu'il se fourvoie :
- Spinoza parle d'étendue, il en accepte donc l'existence en dehors de la pensée (il aurait autrement je crois dû affirmer qu'un seul attribut nous est en fait connaissable, celui de la pensée, ce qu'il appelle "étendue" ne correspondant qu'à la pensée de l'étendue ; il se montre donc assez réaliste pour estimer que notre idée de l'étendue nous permet, dans une certaine mesure du moins, d'apprécier celui-ci per se).
- Vous acceptez avec Spinoza que cette larme existe en tant que partie de l'étendue, n'auriez-vous accès à son existence (ne l'inféreriez-vous) qu'en tant qu'idée de celle-ci.
- Vous devez donc reconnaître, sans Spinoza, qu'une idée a causé l'apparition sur votre joue de cette larme, et, par suite chez vous, l'idée de cette larme. Ou, si vous préférez, reconnaître qu'une certaine idée a causé l'idée d'une larme sur votre joue, dont vous inférez l'existence non plus seulement "dans votre pensée" mais "dans l'étendue".