Drame humain dans une perspective spinoziste

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Re: Drame humain dans une perspective spinoziste

Messagepar Vanleers » 17 févr. 2014, 12:17

Prolongeons la réflexion sur l’articulation entre connaissances du deuxième et du troisième genre.
Nous nous inspirerons de ce qu’écrit Pascal Sévérac (op. cit. pp. 198-200)

Dans le scolie d’E IV 36, Spinoza écrit :

« Si le souverain bien est commun à tous, cela naît non d’un accident, mais de la nature même de la raison, car cela se déduit de l’essence même de l’homme en tant qu’il se définit par la raison ; et parce que l’homme ne pourrait ni être ni être conçu s’il n’avait le pouvoir de jouir de ce souverain bien. Car il appartient (par la prop. 47, p. 2) à l’essence de l’esprit humain d’avoir une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu. »

Rappelons E II 47 :

« L’esprit humain a une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu. »

Comme l’écrit Sévérac :

« […] nous avons tout pour être « homme » ; nous possédons un minimum de rationalité, qui trouve son principe dans la connaissance adéquate de Dieu que chaque esprit enveloppe ; nous avons tous « le pouvoir de jouir » de cette connaissance de Dieu, qui fait notre souverain bien (la béatitude). Par ce fondement de la rationalité, par cette connaissance adéquate qui est notre souverain bien, par le pouvoir qu’elle nous confère d’en jouir, nous sommes « hommes » en principe. »

Toutefois :

« Cette connaissance ne nous fait donc homme qu’« en principe » : pour que nous soyons homme « en effet », encore nous faut-il l’approfondir, être pleinement occupés par elle, et en tirer toute la jouissance que la force d’une telle idée peut nous donner – qu’elle nous donnera nécessairement dès lors qu’elle s’affirmera pleinement en notre esprit. »

Sévérac écrit donc :

« L’enjeu fondamental de l’éthique spinoziste est donc cette connaissance de Dieu : sans elle on ne peut être homme, et on ne peut s’humaniser. Or l’Ethique établit des degrés dans cette connaissance de Dieu […] Mais la plupart sont préoccupés par tout autre chose que par la connaissance de cette union. Bien peu développent donc une claire conscience de cette union avec Dieu, et avec les autres hommes : bien peu s’en soucient théoriquement, bien peu en tirent pratiquement les conséquences. Et partant, rares sont ceux qui jouissent véritablement d’une telle connaissance – rare est la béatitude. »

Si nous possédons tous « un minimum de rationalité, qui trouve son principe dans la connaissance adéquate de Dieu que chaque esprit enveloppe », encore faut-il, pour connaître la béatitude, approfondir cette connaissance, c’est-à-dire accroître notre rationalité.

C’est-à-dire davantage agir, penser, éprouver des affects sous la conduite de la raison, autrement dit, la connaissance du deuxième genre (E II 40 sc. 2).

Ce qui montre le lien entre connaissances du deuxième et du troisième genre et, au passage, que ce qui est en question, c’est l’humanisation de l’homme, « L’homme à la recherche de son humanité » (pour reprendre le titre d’un livre, maintenant ancien, de Marcel Légaut).

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Re: Drame humain dans une perspective spinoziste

Messagepar recherche » 17 févr. 2014, 13:45

Vanleers a écrit :
recherche a écrit :Pourriez-vous s'il vous plaît donner un exemple vous parlant d'"insertion du fini dans l'infini" ?

3) A la troisième question, je réponds : « Vous ».

Pourriez-vous encore préciser ?

Sur quoi se fonde votre perception de ce que vous appelez "fini" et "infini" ?
Si ces deux dernières projections peuvent être étudiées précisément (au-delà de la connaissance immédiate que nous croyons en avoir, c'est-à-dire via une connaissance du 2nd genre), votre connaissance de l'"insertion du fini dans l'infini" n'en sera en toute logique que mieux fondée (sinon plus légitime). Non ?

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Re: Drame humain dans une perspective spinoziste

Messagepar Vanleers » 17 févr. 2014, 14:49

A recherche

1) Qu’appelez-vous « projection » ?

2) D’après ce que je comprends de Spinoza, c’est la connaissance de premier genre qui est immédiate (ou spontanée) et pas celle de deuxième genre.

3) Je dois faire un réel effort pour penser que les questions que vous posez sont essentielles pour vous. Pourriez-vous m’expliquer pourquoi elles le sont ?

Bien à vous

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Re: Drame humain dans une perspective spinoziste

Messagepar recherche » 17 févr. 2014, 15:01

Vanleers a écrit :A recherche

1) Qu’appelez-vous « projection » ?

Conception (que vous avez) de.

Vanleers a écrit :2) D’après ce que je comprends de Spinoza, c’est la connaissance de premier genre qui est immédiate (ou spontanée) et pas celle de deuxième genre.

On se rejoint là-dessus.

Vanleers a écrit :3) Je dois faire un réel effort pour penser que les questions que vous posez sont essentielles pour vous. Pourriez-vous m’expliquer pourquoi elles le sont ?

A en croire votre précédent point, il me semble aussi que nous ne nous comprenons pas aisément.
Il s'agit pour moi d'interroger (par un cas d'espèce précis) votre vision de la connaissance du 3ème genre.

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Re: Drame humain dans une perspective spinoziste

Messagepar Vanleers » 17 févr. 2014, 16:00

A recherche

a) Sur le point 2 : il y avait donc une erreur dans votre post précédent, n’est-ce pas ?

b) Sur le point 3
Vous me faites beaucoup d’honneur mais en quoi connaître quelle est ma vision personnelle de la connaissance du troisième genre serait-elle essentielle pour vous ?
D’autant plus qu’il s’agit ici d’atteindre à une certaine impersonnalité.

Vous êtes un être fini, c’est-à-dire borné par d’autres êtres finis.
La Substance est infinie car bornée par rien.
Vous êtes un mode de la Substance : vous êtes donc du fini inséré dans l’infini.

Ce n’est pas plus difficile à comprendre que cela.

De cela vous avez eu connaissance dès la lecture du de Deo (notamment par E I 6 cor. et E I 15) par une connaissance de deuxième genre.

Avec le de Libertate, vous en avez une connaissance de troisième genre qui affecte davantage votre esprit, conformément à ce qu’écrit Spinoza à la fin du scolie d’E V 36, mais qui ne vous apprend rien de plus que ce que vous saviez déjà.

De cette connaissance naît « la plus haute satisfaction d’Esprit qu’il puisse y avoir, c’est-à-dire la plus haute Joie » (E V 32 dém.)

Cette plus haute Joie, Spinoza l’appelle l’amour intellectuel de Dieu et la proposition E V 36 démontre que cet affect a une dimension impersonnelle (supra-personnelle).

En effet, Spinoza démontre que l’amour intellectuel de l’esprit envers Dieu est une partie de l’amour infini dont Dieu s’aime lui-même et il écrit, dans le scolie, que cet « amour constant et éternel envers Dieu » n’est autre que l’ « amour de Dieu envers les hommes »

Bien à vous

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Re: Drame humain dans une perspective spinoziste

Messagepar recherche » 17 févr. 2014, 16:07

Vanleers a écrit :A recherche

a) Sur le point 2 : il y avait donc une erreur dans votre post précédent, n’est-ce pas ?

Non, ce que j'ai écrit pour moi devait signifier : au-delà "c'est-à-dire" (pour cet au-delà) via... (etc.)

Vanleers a écrit :b) Sur le point 3
Vous me faites beaucoup d’honneur mais en quoi connaître quelle est ma vision personnelle de la connaissance du troisième genre serait-elle essentielle pour vous ?
D’autant plus qu’il s’agit ici d’atteindre à une certaine impersonnalité.

Il s'agit de l'interroger de sorte à comprendre comment celle-ci se démêle de difficultés que j'ai tenté d'exposer plus haut, mais sans succès (où vous vous êtes par exemple arrêté à l'expression idiomatique "il y a fort à parier").

Vanleers a écrit :Vous êtes un être fini, c’est-à-dire borné par d’autres êtres finis.
La Substance est infinie car bornée par rien.
Vous êtes un mode de la Substance : vous êtes donc du fini inséré dans l’infini.

Ce n’est pas plus difficile à comprendre que cela.

De cela vous avez eu connaissance dès la lecture du de Deo (notamment par E I 6 cor. et E I 15) par une connaissance de deuxième genre.

Avec le de Libertate, vous en avez une connaissance de troisième genre qui affecte davantage votre esprit, conformément à ce qu’écrit Spinoza à la fin du scolie d’E V 36, mais qui ne vous apprend rien de plus que ce que vous saviez déjà.

De cette connaissance naît « la plus haute satisfaction d’Esprit qu’il puisse y avoir, c’est-à-dire la plus haute Joie » (E V 32 dém.)

Cette plus haute Joie, Spinoza l’appelle l’amour intellectuel de Dieu et la proposition E V 36 démontre que cet affect a une dimension impersonnelle (supra-personnelle).

En effet, Spinoza démontre que l’amour intellectuel de l’esprit envers Dieu est une partie de l’amour infini dont Dieu s’aime lui-même et il écrit, dans le scolie, que cet « amour constant et éternel envers Dieu » n’est autre que l’ « amour de Dieu envers les hommes »

Bien à vous

Confirmez-vous que cette "Libertate" n'émerge que depuis ce dont on a "eu connaissance dès la lecture du de Deo (notamment par E I 6 cor. et E I 15) par une connaissance de deuxième genre" ?
Concevez-vous dès lors une "Libertate" mieux fondée (sinon légitime) à mesure que cette assise est solide (significative, convaincante...) /solidifiée ?
Si oui, je voudrais tenter de comprendre ceci : viewtopic.php?f=11&t=1333&start=50#p20226

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Re: Drame humain dans une perspective spinoziste

Messagepar Vanleers » 17 févr. 2014, 16:49

A recherche

1) Sur le premier point, d’accord : je n’avais pas fait suffisamment attention au « via ».

2) Sur le reste

Je vous ai déjà beaucoup écrit sur l’articulation entre les connaissances de deuxième et troisième genre et je vous prie de bien vouloir vous y référer (notamment le message du début de la page 8 du présent fil, posté ce matin).

Bien à vous

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Re: Drame humain dans une perspective spinoziste

Messagepar Vanleers » 17 févr. 2014, 17:46

A recherche

J’ajoute en post-scriptum que le dialogue serait plus facile si vous pouviez faire part de la difficulté pratique, éthique, existentielle que vous cherchez à résoudre en posant des questions sur le lien entre connaissances du deuxième et du troisième genre.
L’Ethique n’est pas un livre de sciences et son but, Spinoza le rappelle au début de la partie II, est de « nous conduire comme par la main à la connaissance de l’esprit humain et de sa suprême béatitude. »

Bien à vous

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Re: Drame humain dans une perspective spinoziste

Messagepar hokousai » 17 févr. 2014, 19:18

à Vanleers

Sévérac a écrit :« L’enjeu fondamental de l’éthique spinoziste est donc cette connaissance de Dieu : sans elle on ne peut être homme, et on ne peut s’humaniser. Or l’Ethique établit des degrés dans cette connaissance de Dieu


Certes, mais alors les parties 1 et 5 suffisent.

Dans la 2 l"esprit et le corps sont unis.

Et je dirais que les parties 3 et 4 montrent plus la désunion que l' union, ce qui est paradoxal. Les parties 3 et 4 affirment le conatus contre les forces extérieures.
Dans les 3 et 4 l "individu et son extérieur ne sont pas unis . Ils ne le sont qu' idéalement et à titre de possibilité (futur de la raison). Les parties 3 et 4 nous montrent un enfer avec lequel il faut faire au mieux.

La partie 5 rétablit l' union.

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Re: Drame humain dans une perspective spinoziste

Messagepar recherche » 17 févr. 2014, 19:20

Vanleers a écrit :2) Sur le reste

Je vous ai déjà beaucoup écrit sur l’articulation entre les connaissances de deuxième et troisième genre et je vous prie de bien vouloir vous y référer (notamment le message du début de la page 8 du présent fil, posté ce matin).

Entre ce que vous écriviez le 14/02/2014 :

Vanleers a écrit :
recherche a écrit :Il me semble pourtant pouvoir déduire de cette proposition qu'à mesure que croît l'assise de notre connaissance du 2nd genre, croît ce désir d'étendre l'étendue de notre connaissance du 3ème genre et, par suite, la possibilité de l'étendre de fait.

Pouvez-vous expliquer comment vous déduisez de la proposition E V 28 votre conclusion : « la possibilité de l'étendre de fait » ?

Je ne vois rien de cela, ni dans la proposition, ni dans sa démonstration.

et ce que vous avez écrit aujourd'hui :

Vanleers a écrit :Si nous possédons tous « un minimum de rationalité, qui trouve son principe dans la connaissance adéquate de Dieu que chaque esprit enveloppe », encore faut-il, pour connaître la béatitude, approfondir cette connaissance, c’est-à-dire accroître notre rationalité.

C’est-à-dire davantage agir, penser, éprouver des affects sous la conduite de la raison, autrement dit, la connaissance du deuxième genre (E II 40 sc. 2).

il me semble y avoir une contradiction manifeste.

L'observez-vous ?


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