L'Ethique est-elle facile à comprendre et à appliquer ?

Questions touchant à la mise en pratique de la doctrine éthique de Spinoza : comment résoudre tel problème concret ? comment "parvenir" à la connaissance de notre félicité ? Témoignages de ce qui a été apporté par cette philosophie et difficultés rencontrées.
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Vanleers
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Messagepar Vanleers » 27 oct. 2013, 10:03

Le message précédent se référait à l’initiateur du forum « Penser sur Internet ».

Ce dernier, après avoir cité Hegel et Kant, écrivait :

« [Paul Ricoeur, dans Soi-même comme un Autre] distingue trois formes d'identité personnelle : la mêmeté, l'ipséité et l'identité narrative. La mêmeté, c'est l'identité objective, le fait que ce soit aujourd'hui le même arbre qu'hier qui soit devant mon immeuble. L'ipséité, c'est l'identité subjective, le fait que je me sente être la même personne aussi loin que remontent mes souvenirs. Et l'identité narrative, c'est la synthèse des deux premières. C'est le fait que mon identité personnelle se construise et se renforce à travers les récits que je fais de moi-même à la première personne et qui combine à la fois la mêmeté et l'ipséité, puisque le récit que je fais de moi-même combine dans des proportions diverses des éléments objectifs (des faits qui me sont arrivés et qui sont empiriquement vérifiables) et des éléments subjectifs (des ressentis, des points de vue, des intentions hors d'atteinte de la vérification empirique). »


Or, avec Spinoza, la libération des affects passifs implique une prise de distance vis-à-vis de ces « récits que je fais de moi-même à la première personne », ces récits étant largement imaginaires.

Comme le précise E V 2, il s’agit de se « dés-inter-esser » de la situation dans laquelle je suis pris et, surtout, du rôle que j’imagine y jouer car ce rôle, je ne me le suis pas donné librement mais je suis plus ou moins contraint de le jouer.

Clément Rosset écrit que, la définition de la philosophie, c’est de « ne plus se raconter d’histoires » ! (En ce temps-là, Minuit 1992 p. 23)

La question n’est pas de construire et de renforcer une identité personnelle (la nature de l’être humain est modale et non substantielle) mais de persévérer dans son être, c’est-à-dire d’exercer sa puissance « à plein régime ».

La conscience de soi ne joue qu’un rôle mineur dans l’Ethique. Elle ne trouve une certaine importance que dans le scolie de la dernière proposition. Encore s’agit-il de la « conscience de soi, de Dieu et des choses », c’est-à-dire, en réalité, de la connaissance de l’insertion de toute chose finie en Dieu.

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Henrique
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Messagepar Henrique » 29 oct. 2013, 09:51

Vanleers a écrit :C’est ce que j’appellerai la bonne nouvelle (euaggélion !) de l’éthique de Spinoza.
Et je tiens que cette bonne nouvelle opère immédiatement sans qu’il soit indispensable, au préalable, de « défaire les images et les préjugés qui nous empêchent de connaître notre perfection et d'en jouir ».
Autrement dit, la béatitude n’est pas au bout d’un long travail d’émondage de nos idées fausses mais se déploie sans condition. Je dirai même que la béatitude opère elle-même cette réduction de nos images et préjugés.
N’est-ce pas ce que dit Spinoza dans la dernière proposition de l’Ethique ?


La bonne nouvelle du Christ, si difficile à comprendre pour ses contemporains et encore aujourd'hui, c'est que le royaume de Dieu est déjà accompli et qu'il est en nous (Luc 17,21). C'est pourquoi Jésus peut dire "je suis la voie, la vérité et la vie" (Jean 14, 6) : c'est dans la conscience même de soi que se trouve celle de Dieu. De même on peut dire en effet aussi que la bonne nouvelle de l'Ethique est que la béatitude n'est pas hors de nous comme un objectif à atteindre, mais déjà en nous, il suffit d'y faire attention, d'y être vigilant. En effet, nous sommes déjà unis à l'infini, au point que nous en sommes une expression, il suffit pour l'essentiel d'en prendre conscience.

Aussi je suis tout à fait d'accord pour dire qu'il n'est pas nécessaire d'être passé par la compréhension détaillée de tout le réseau démonstratif de l'Ethique ni par la mise en pratique de tout ce qui s'y trouve pour connaître notre béatitude. Spinoza n'a jamais affirmé être le seul et le premier à avoir compris ce qu'était la perfection humaine. Sans doute que tous ceux qui sont profondément attirés par l'oeuvre de Spinoza le sont parce qu'ils ont déjà senti assez clairement leur propre éternité sans attendre Spinoza au départ. Nous ne sommes pas si nombreux sur cette approche, car beaucoup, à la suite de Deleuze, et son interprétation de la prop. 28 de la part. V, pensent qu'il faut que le second genre de connaissance soit accompli pour pouvoir passer au troisième. C'est oublier que ce troisième genre évoqué dans la prop. 47 de la part. 2 concerne explicitement tous les hommes et donc pas seulement ceux qui sont passés par l'Ethique.

Mais comme le dit aussi le scolie de cette proposition, les hommes se trompent au sujet de Dieu, non parce qu'ils en ignoreraient la vraie nature, mais parce qu'ils font un mauvais usage des mots et des images qui y sont liés. Ainsi, tous les hommes connaissent déjà la béatitude ou perfection de leur existence, leur unité avec l'unique substance infinie, mais ils passent à côté, ils se trompent en croyant que le désir est une malédiction alors que c'est une puissance. Ils aperçoivent parfois cette béatitude et cette éternité de façon fugace comme vous l'évoquez justement, mais aussitôt ils la confondent avec d'autres choses comme l'immortalité (E5P34S), confusions qui les amènent à ne pas percevoir ce qu'il y a de savoir dans cette intuition pour finir par en faire des croyances qui ne peuvent en fait que les éloigner de leur béatitude.

Ainsi la raison pour laquelle Spinoza semble avoir renoncé à achever son Traité de la réforme de l'entendement, c'est que l'Ethique en est l'achèvement : nous ne percevons pas durablement, c'est-à-dire clairement et distinctement notre unité avec la totalité infinie de la nature, parce que notre entendement est encombré d'images et de mots qui font obstacle à cette perception. Et l'Ethique est le moyen, non de connaître notre béatitude, mais de la reconnaître solidement et durablement, en détruisant un à un les préjugés et croyances qui y font obstacle.

Je vous rejoins encore plus complètement pour le reste de vos interventions, notamment ce que vous dites sur l'identité narrative. Il y a cependant un point où je ne peux vous suivre : ce n'est pas l'insulte qui est cause prochaine de ma colère en tant qu'affect, la preuve en est que la même insulte en fera rire d'autres, mais c'est l'idée de l'insulte associée chez certains individus à d'autres idées au sujet du respect de notre honneur notamment.

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Messagepar Vanleers » 29 oct. 2013, 15:27

A Henrique

Je pense que nous sommes d’accord sur l’essentiel.

1) Je m’interroge toutefois lorsque vous écrivez :

« Nous ne percevons pas durablement, c'est-à-dire clairement et distinctement notre unité avec la totalité infinie de la nature, parce que notre entendement est encombré d'images et de mots qui font obstacle à cette perception. »

Doit-on réellement parler de « désencombrement » si, avec le scolie d’E V 20, nous lisons :

« qu’agit le plus celui dont les idées adéquates constituent la plus grande part, en sorte que, tout en ayant en lui autant d’idées inadéquates que l’autre [celui qui pâtit le plus], on le reconnaît pourtant plus à celles-là, qu’on attribue à la vertu humaine, qu’à celles-ci, qui plaident en faveur de l’impuissance humaine. »

L’homme libre est peut-être tout aussi encombré que l’ignorant mais sa vertu est ailleurs.

2) Vous écrivez :

« Il y a cependant un point où je ne peux vous suivre : ce n'est pas l'insulte qui est cause prochaine de ma colère en tant qu'affect, la preuve en est que la même insulte en fera rire d'autres, mais c'est l'idée de l'insulte associée chez certains individus à d'autres idées au sujet du respect de notre honneur notamment. »

Vous avez raison.
Un affect, considéré sous l’aspect de l’attribut Pensée est un mode de penser et sa cause ne peut être qu’un autre mode de penser.
La question à poser est de se demander comment l’idée de l’insulte en est venue à accompagner ma colère ?
Au lieu de se focaliser sur l’idée de cette cause extérieure, il y a lieu d’essayer de comprendre les mécanismes qui font joindre l'idée de cette supposée cause à ma colère.
Nous comprendrons alors sans doute, comme vous l’écrivez, que ces mécanismes s’expliquent autant et peut-être plus par notre propre nature que par celle de l’insulte.
De cette compréhension naîtra une joie qui éliminera ou, au moins, réduira la colère.
De plus, cette joie, nous pourrons la relier à la joie pure que constitue l’amour envers Dieu.

Bien à vous

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Messagepar Henrique » 29 oct. 2013, 20:48

Vanleers a écrit :1) Je m’interroge toutefois lorsque vous écrivez :

« Nous ne percevons pas durablement, c'est-à-dire clairement et distinctement notre unité avec la totalité infinie de la nature, parce que notre entendement est encombré d'images et de mots qui font obstacle à cette perception. »

Doit-on réellement parler de « désencombrement » si, avec le scolie d’E V 20, nous lisons :

« qu’agit le plus celui dont les idées adéquates constituent la plus grande part, en sorte que, tout en ayant en lui autant d’idées inadéquates que l’autre [celui qui pâtit le plus], on le reconnaît pourtant plus à celles-là, qu’on attribue à la vertu humaine, qu’à celles-ci, qui plaident en faveur de l’impuissance humaine. »

L’homme libre est peut-être tout aussi encombré que l’ignorant mais sa vertu est ailleurs.


Réponse en deux phrases : je parlais de la béatitude, vous me parlez de l'action, c'est-à-dire de la vertu qui peut ne s'appuyer que sur le second genre de connaissance. Je dis que la réforme de l'entendement nécessaire pour connaître notre unité avec la nature implique une purification de notre intellect mais pas nécessairement de tout notre mental.

En plus long : il faudrait peut-être tout un livre pour expliquer ce qui précède et que vous pourrez peut-être comprendre cependant immédiatement. Pour expliquer un peu cependant, on peut poser que l'entendement est la capacité même à percevoir des idées et à les relier qui appartient aux idées mêmes qui correspondent dans la Pensée à chaque corps. Le mental (mens) est l'idée du corps. Notre entendement est donc la puissance de percevoir des idées et de les relier qui découle de l'idée de notre corps et de ses limites. Ainsi, purifier l'entendement (l'amender, en enlever les "impuretés") c'est changer la façon de percevoir certaines choses mais pas forcément toutes. Mais cette purification ne consiste pas à enlever les mauvaises idées, mais à compléter les idées inadéquates pour qu'elles deviennent adéquates, auquel cas, elles sont mieux ordonnées, plus claires et donc plus simples (TRE §72).

Donc, je faisais référence au sens même du titre du De Intellectus Emendatione : il s'agit littéralement de l'émondage de l'intellect dont la condition naturelle est de connaître intuitivement des vérités simples puis discursivement des vérités de plus en plus complexes. Mais l'entendement d'un chacun n'y parvient pas le plus souvent, au point même d'en venir à douter des évidences les plus sûres, à cause de de l'impureté que représentent les idées confuses et mutilées de l'imagination, notamment avec le processus d'abstraction qu'on croit habituellement à tort pouvoir attribuer à la raison.

Ensuite, qu'est-ce qu'une idée adéquate ? c'est la même chose qu'une idée inadéquate mais distinquée là où il y avait confusion et complétée là où il y avait mutilation. C'est pourquoi l'idée vraie ne détruit pas ce qu'il y a de positif dans une idée fausse (E4P1). Ainsi une idée adéquate qui fait par exemple que je vois de la colère là où je croyais pouvoir voir de la force de caractère se substitue entièrement à l'idée inadéquate mais ce que je percevais partiellement, je le perçois maintenant complètement. Et le propre d'une idée adéquate, c'est qu'elle ne mutile pas son objet : la vague, qui a certes son essence propre, n'est pas séparée de l'océan et du milieu marin en général auquel elle appartient. Tout ceci fait qu'avoir des idées adéquates conduit à en avoir moins que quand on doit penser séparément chaque vague de l'océan.

Alors, l'homme libre peut encore avoir des passions qui relèvent des idées inadéquates mais s'il peut en avoir autant qu'un homme qui n'est qu'ignorant en matière éthique, il se reconnaît au fait qu'il a en plus des idées adéquates qui lui permettent d'agir et non pas seulement de subir : tout en pouvant être fumeur, irritable et facilement amoureux, comme beaucoup de ses semblables ignorants, il sera également généreux par raison (parce qu'il comprend que ce qui est bon pour les autres est bon pour lui et inversement) et non par pitié et il pourra aussi faire preuve de prudence en prévoyant les risques et difficultés qui peuvent se présenter en allant étudier par exemple sans avoir besoin d'avoir peur. En effet, certaines passions ne peuvent coexister avec certaines vertus : la générosité rend la pitié inutile de même que la prudence rend la peur superflue. Mais d'autres passions peuvent coexister avec des vertus : l'irritabilité par exemple avec la générosité.

Ainsi un homme libre qui a autant d'idées inadéquates qu'un homme asservi à ses passions aura forcément au final beaucoup plus d'idées que ce dernier puisque pour être libre, il doit avoir plus d'idées adéquates que d'idées inadéquates. Mais la différence entre ses passions et ses vertus, sera que dans un cas, il y a désordre confus d'idées qui s'entrechoquent, dans l'autre ordre et cohérence entre les idées de sorte que l'unité et la cohésion en est perçu facilement.

2) Vous écrivez :

« Il y a cependant un point où je ne peux vous suivre : ce n'est pas l'insulte qui est cause prochaine de ma colère en tant qu'affect, la preuve en est que la même insulte en fera rire d'autres, mais c'est l'idée de l'insulte associée chez certains individus à d'autres idées au sujet du respect de notre honneur notamment. »

Vous avez raison.
Un affect, considéré sous l’aspect de l’attribut Pensée est un mode de penser et sa cause ne peut être qu’un autre mode de penser.
La question à poser est de se demander comment l’idée de l’insulte en est venue à accompagner ma colère ?
Au lieu de se focaliser sur l’idée de cette cause extérieure, il y a lieu d’essayer de comprendre les mécanismes qui font joindre l'idée de cette supposée cause à ma colère.
Nous comprendrons alors sans doute, comme vous l’écrivez, que ces mécanismes s’expliquent autant et peut-être plus par notre propre nature que par celle de l’insulte.
De cette compréhension naîtra une joie qui éliminera ou, au moins, réduira la colère.
De plus, cette joie, nous pourrons la relier à la joie pure que constitue l’amour envers Dieu.



Tout à fait, je vous rejoins aussi sur le fait qu'à un moment il n'est pas possible de remonter jusqu'au déluge pour chercher l'origine de toutes nos idées et qu'il faut surtout chercher comment expliquer notre fonctionnement mental présent.

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Messagepar Vanleers » 30 oct. 2013, 11:13

A Henrique

1) C’est le mot « encombré » qui m’avait fait réagir.

A vous lire, je comprends que pour percevoir « durablement, c'est-à-dire clairement et distinctement notre unité avec la totalité infinie de la nature », cela « implique une purification de notre intellect mais pas nécessairement de tout notre mental. »

Je n’ai pas d’objection à ce que vous écrivez mais une interrogation.

Quelle est la part de notre mental qui doit être purifiée pour que nous puissions « connaître notre unité avec la nature » ?
Quels sont « les images et les mots qui font obstacle à cette perception. » ?
Où le désencombrement est-il nécessaire puisque certaines « passions peuvent coexister avec des vertus ».

Y a-t-il d’ailleurs des réponses précises à ces questions ? Ne dépendent-elles pas des individus concernés ?

Je serais toutefois d’avis que, lorsqu’une purification de l’intellect minimale a été opérée, un seuil est franchi et il n’y a plus de retour en arrière. La perception de notre unité avec la Nature est devenue « définitivement » durable et ne sera plus remise en question.

2) Vous écrivez :

« il faut surtout chercher comment expliquer notre fonctionnement mental présent. »

J’ajouterai les précisions suivantes.

Rechercher à expliquer notre fonctionnement mental présent a déjà le grand mérite de ne pas nous laisser obnubiler par l’idée de la supposée cause de notre affect.
Cette analyse psychologique restera sans doute limitée, compte tenu de la faiblesse de notre entendement.
Mais peu importe, nous ne sommes plus fixés sur la cause supposée de la passion éprouvée et, surtout, cette analyse initie ce que j’appellerai le recadrage ontologique de la situation passionnelle que nous vivons.
Ce recadrage, Spinoza l’expose dans la première moitié de la partie V de l’Ethique jusqu’à la notion d’amor erga Deum qui sera reprise, dans la seconde moitié, sous la forme de l’amor intellectualis Dei.

Bien à vous

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Re: L'Ethique est-elle facile à comprendre et à appliquer ?

Messagepar Vanleers » 07 juin 2017, 14:39

Je reviens, plus de trois ans après, à ce fil dans lequel j’ai essayé de défendre la thèse selon laquelle on peut résumer l’Ethique par la maxime : « Tout voir en Dieu car tout est en Dieu »
A l’appui de cette thèse, je cite, à nouveau, ce passage très connu de Bergson :

« Je ne connais rien de plus instructif que le contraste entre la forme et le fond d’un livre comme l’Ethique : d’un côté ces choses énormes qui s’appellent la Substance, l’Attribut et le Mode, et le formidable attirail des théorèmes avec l’enchevêtrement des définitions, corollaires et scolies, et cette complication de machinerie et cette puissance d’écrasement qui font que le débutant en présence de l’Ethique, est frappé d’admiration et de terreur comme devant un cuirassé de type Dreadnought ; de l’autre, quelque chose de subtil, de très léger et de presque aérien, qui fuit quand on s’en approche, mais qu’on ne peut regarder, même de loin, sans devenir incapable de s’attacher à quoi que ce soit du reste, même à ce qui passe pour capital, même à la distinction entre la Substance et l’Attribut, même à la dualité de la Pensée et de l’Étendue. C’est derrière la lourde masse des concepts apparentés au cartésianisme et à l’aristotélisme, l’intuition qui fut celle de Spinoza, intuition qu’aucune formule, si simple soit-elle, ne sera assez simple pour exprimer. Disons, pour nous contenter d’une approximation, que c’est le sentiment d’une coïncidence entre l’acte par lequel notre esprit connaît parfaitement la vérité et l’opération par laquelle Dieu l’engendre, […] » (La Pensée et le mouvant)

Lorenzo Vinciguerra explicite cette dernière phrase (Spinoza p. 181 – Hachette 2001) :

« Ce que nous comprenons en et par Dieu, Dieu le comprend en nous et par nous »

Il ajoute :

« Tout se serait donc passé comme si la formidable forteresse conceptuelle de l’Ethique, aussi admirable que la plus belle des symphonies et aussi terrible que la plus sophistiquée des machines de guerre, n’avait eu d’autre but que de nous faire partager l’idée qui avait été à l’origine d’un si merveilleux déploiement d’effort. » (ibid.)

Vivre « à la Spinoza », c’est jouer sur le contraste entre la pesanteur de l’appareil dogmatique de l’Ethique et la légèreté de l’idée qui le récapitule à elle seule.


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