Lemarinel a écrit :A Henrique,
Votre réponse à marcello sur la notion spinoziste de puissance est bonne et je la partage à une exception près: c'est lorsque par maladresse vous parlez de "s'efforcer de s'accorder avec les autres hommes" comme si Spinoza admettait la notion de volonté libre alors que pour lui comme vous savez, "la volonté et l'entendement sont une seule et même chose".
Quand Spinoza dit "Le bien que désire pour lui-même tout homme qui pratique la vertu, il le désirera également pour les autres hommes, et avec d'autant plus de force qu'il aura une plus grande connaissance de Dieu." (E4P37), il ne dit pas autre chose que ce que je dis : être libre, c'est s'efforcer de s'accorder avec les autres".
Il n'y a là aucune distinction entre l'entendement et la volonté. Celui qui sait qu'il manque d'air dans sa cuisine parce qu'un plat a brûlé et que la fumée occasionnée est mauvaise pour lui sera nécessairement conduit à vouloir ouvrir la fenêtre. L'idée qu'un air mêlé de trop de fumée est mauvaise pour le corps humain équivaut à la volonté de purifier cet air, car l'idée contient par elle-même une affirmation, sans qu'il faille une faculté extérieure pour l'affirmer. Et s'il lui vient l'idée de résister à la gêne occasionnée par cet excès de fumée en ne voulant pas ouvrir la fenêtre, pour se prouver qu'il est maître de son vouloir, c'est encore une idée, celle de sa liberté, causée par d'autres idées, qui sera sa volonté et le déterminera à penser qu'il ne faut pas mouvoir son corps.
Si l'individu éprouve une gêne sans se rendre compte que c'est le manque d'air qui en est la cause et/ou que son corps a besoin d'un air relativement frais, et qu'il demande "que faut-il faire pour que je me sente mieux ?" et qu'un spinoziste traînant par là lui dit "il faut que tu ouvres la fenêtre", ce dernier ne se contredit-il pas en s'adressant à la volonté de son ami et en lui disant un "il faut" ? Non. Il se contente simplement de lui donner une information revenant à dire "vouloir rester en bonne santé, c'est vouloir disposer d'un air assez frais", ce qui revient aussi à dire "la bonne santé du corps, cela passe par ne pas manquer d'air" : une idée égale une volition.
A partir de là, soit l'ami ignorant fait, au moyen de l'information qui lui a été donnée et de celles qu'il possédait déjà, un lien qu'il n'avait pas encore aperçu entre son corps et la présence d'air autour de lui, et il fera sienne la prescription de son spinoziste d'ami, et alors il voudra ouvrir la fenêtre, n'obéissant en cela qu'à lui-même. Ce ne sera plus le "il faut" du spinoziste, mais celui de la raison qui le conduira à agir de sorte qu'il sera libre (
E4P66S).
Soit, l'ignorant ne dispose pas des idées lui permettant de faire ce lien et il sera réduit à faire confiance au spinoziste si son imagination et sa mémoire le conduisent à penser que c'est une bonne chose, autrement dit à le vouloir, de sorte qu'il agira sans vraiment être la cause de ce qu'il pense, puisque l'imagination est connaissance tronquée de rapports entre les idées ; soit encore il ne fera pas confiance à ce que lui dit son ami, préférant continuer de rester dans son air vicié que d'agir sans avoir compris ce qui est vraiment bon pour lui. La différence qu'il y aura alors entre un spinoziste et un autre, c'est que ne cédant pas au préjugé du libre-arbitre, il n'en voudra pas à son ami de ne pas user de sa volonté pour "vouloir le bien", il saura qu'il ne peut pas faire autrement et ne s'irritera pas contre sa "mauvaise volonté".