Miam a écrit :Par ailleurs que Dieu n'apartienne pas à l'essence du mode ne contredit en rien que l'essence du mode n'est pas réellement différent (mais seulement modalement) de l'essence de Dieu.
Ce qui appartient à l'essence du mode "fini", ce sont les modes des manières d'exister de l'essence de Dieu : c'est à dire l'existence elle-même mais comme durée et non plus comme éternité. Non plus une existence infinie. Soit. Mais une existence "indéfinie", écrit Spinoza. Ce qui n'est pas une existence finie. Vous en conviendrez.
Ce qui appartient à l'essence d'une chose, ce sont toujours ses manières d'exister : ce qui appartient à l'essence d'un mode "fini", c'est la synthèse nécessaire d'autres modes existants qui permet son apparition dans l'existence. Alors fatalement Dieu ne peut appartenir à l'essence d'un mode.
je pense (à vérifier) que vous (et Henrique aussi, d'ailleurs) commettez ici exactement l'erreur dont parle Spinoza dans le scolie de l'E2P10:
Spinoza a écrit :Or dans le même temps la plupart d'entre eux disent qu'appartient à l'essence d'une chose ce sans quoi la chose ne peut être ni se concevoir;
rappelons que cela, c'est la définition traditionnelle de l'essence, que Spinoza reprend (E2 Déf. 2), mais pour y ajouter une deuxième condition (appartient à l'essence d'une chose ce qui sans la chose ne peut être ni se concevoir), ajout tout à fait originel et nouveau, propre au spinozisme.
C'est ce qui lui fait poursuivre:
Spinoza a écrit :et par suite ils croient, ou bien que la nature de Dieu appartient à l'essence des choses créées, ou bien que les choses créées peuvent sans Dieu être ou se concevoir, ou bien, ce qui est plus certain, ils ne sont pas assez d'accord avec eux-mêmes.
Comme il le dit juste après, la raison pour laquelle il a ajouté une deuxième condition à sa définition de ce qui constitue une essence:
Spinoza a écrit :c'est parce que les choses singulières ne peuvent sans Dieu ni être ni se concevoir, et pourtant Dieu n'appartient pas à leur essence (...)
Dieu n'appartient
pas à l'essence des choses finies. C'est pourquoi elles ont une autre essence que l'essence divine, qui elle est infinie.
Sinon, donc s'il n'y avait pas de distinction réelle entre l'essence de la substance (= des attributs) et l'essence des modes, on ne pourrait penser l'essence de la substance sans penser tel ou tel mode (louisa par exemple), ce qui est absurde, l'essence divine est antérieure à mon essence, et se conçoit parfaitement sans moi.
La liberté spinoziste ne consiste pas à s'imaginer "égale" (= sans distinction réelle) à Dieu, elle consiste à comprendre sa singularité unique et éternelle en Dieu.
C'est que pour enlever les essences singulières des modes finis du spinozisme, il faut en effet oublier que chez Spinoza il y a
deux façons d'être dit "actuel": l'existence dans le temps, auquel Miam et Henrique réfèrent,
et l'existence en Dieu, qui elle est éternelle. C'est ce qui le rend concevable d'avoir des modes finis et éternels. Il suffit de distinguer l'existence en Dieu de leur essence singulière de leur existence dans un temps et un lieu précis.
Bref pour moi ceux qui veulent abolir les modes finis et essences singulières distinguées réellement de l'essence divine (sur ce forum, et sous réserve de les avoir bien compris, Miam, Henrique et Sescho) ne tiennent pas compte de:
- E2 Déf. 2
- E2P10 plus scolie
- E2P11 plus scolie
- E5P29 plus scolie.
On enlève ainsi la deuxième condition, proprement spinoziste, de la définition de ce qui constitue l'essence d'une chose, on suppose que dire que le "fini" est un relatif (autre innovation spinoziste), cela signifie que l'essence de ce qui est dit fini doit être infini (alors que les relatifs ne portent pas sur une essence tout court), et on enlève l'existence éternelle de l'essence singulière en Dieu pour ne reconnaître que l'existence au sens "ordinaire" du terme (= existence dans un temps et un lieu précis).