Dans « Le code de la conscience », Stanislas Dehaene décrit ce qui se passe dans le cerveau lorsqu’un individu déclare être conscient de quelque chose. Les neurosciences montrent ainsi toute la complexité des mécanismes du corps.
Dans l’Ethique, Spinoza écrit :
« […] pour déterminer en quoi l’Esprit humain diffère des autres, et en quoi il l’emporte sur les autres, il nous est nécessaire de connaître la nature de son objet, comme nous l’avons dit, c’est-à-dire du Corps humain. Mais cette nature, je ne peux l’expliquer ici, et cela n’est pas nécessaire pour ce que je veux démontrer. » (E II 13 sc.)
Spinoza n’a pas fondé son éthique sur une connaissance approfondie du corps humain et la « Petite physique » qui suit le scolie d’E II 13 est des plus sommaires.
Pour évaluer ce qu’apportent les découvertes des neurosciences sur la conscience à l’éthique de Spinoza, il faut d’abord se demander quelle est la place de la conscience dans l’Ethique.
Cette question fait l’objet d’un chapitre particulièrement précis et clair, intitulé « La positivité de la conscience » dans l’ouvrage de Chantal Jaquet Les expressions de la puissance d’agir chez Spinoza – Publications de la Sorbonne 2005.
On peut lire ce texte dans son intégralité en :
http://books.openedition.org/psorbonne/141?lang=frC. Jaquet montre que la conscience, telle que l’entend Spinoza, n’est pas distincte de la connaissance. Elle écrit :
« La conscience de soi, par conséquent, n’est rien d’autre que la connaissance de soi ou l’idée de soi. Or, comme l’esprit est l’idée du corps, se connaître soi-même ou avoir conscience de soi pour l’esprit, c’est avoir l’idée de l’idée du corps. » (p. 114)
C. Jaquet relie encore plus étroitement conscience et connaissance en écrivant :
« […] la nature de la conscience est fonction de la nature de l’affection du corps, selon qu’elle relève de la simple imagination, de la raison ou de la science intuitive. La qualité de la conscience épouse pour ainsi dire la hiérarchie des genres de connaissance et dépend de la richesse des affections du corps. Il est donc clair que la conscience n’est pas un phénomène premier, car elle est moins constitutive que constituée, vu qu’elle se fait jour à travers les idées des affections du corps. Spinoza rappelle en E III 30 dém. que « l’homme est conscient de soi à travers les affections qui le déterminent à agir ». Ces affections qui le déterminent à agir sont donc premières, et sans elles nulle conscience n’est possible. » (p. 116)
La conscience, selon Spinoza, n’est pas constitutive, intentionnelle et donatrice de sens, car elle n’est pas première mais constituée, comme le souligne C. Jaquet.
Celle-ci décrit les trois stades de la conscience, depuis la quasi inconscience liée à la connaissance du premier genre jusqu'à la conscience du sage, conscient de soi, de Dieu et des choses en passant par la conscience de l’homme vivant sous la conduite de la raison (pp. 122-124).
Ces trois étapes ont été citées en bas de la page 1 du fil qu’on peut lire en :
viewtopic.php?f=14&t=1539Quel peut être l’intérêt des découvertes des neurosciences sur la conscience quant à cet itinéraire éthique ?
Peut-être à mieux se défaire de la complaisance dans l’illusion du libre arbitre car, comme l’écrit C. Jaquet que je cite à nouveau :
« La condition première de l’homme en effet n’est pas l’inconscience totale. Spinoza part du principe que « les hommes naissent tous ignorants des causes des choses et qu’ils ont tous l’appétit de chercher ce qui leur est utile, chose dont ils ont conscience (E I App.). Or c’est de là précisément que vient le malheur. Si l’homme qui naît ignorant des causes des choses était totalement inconscient de lui-même, il n’échafauderait pas ce système anthropomorphique où il fait délirer la nature avec lui. Ainsi la forme première sous laquelle la conscience se manifeste au départ apparaît pire que l’inconscience. Loin d’être cette lanterne qui éclaire le moi, le monde et Dieu, la conscience est tout d’abord ce qui obscurcit l’esprit et l’enferme dans un carcan de préjugés qui finissent par former un système. Au lieu d’être pure transparence de l’esprit à lui-même, elle se présente comme une perception confuse, comme une source d’illusions. » (pp. 120-121)