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Ethique II, proposition 11

"en tant que"

 

Questions (merci à Bernard :-)

Spinoza emploie beaucoup cette expression "en tant que", qui a un sens retrictif, par exemple dans ce texte : E2, P. 11, corollaire : "D'où suit que l'Esprit humain est une partie de l'entendement infini de Dieu ; et, par suite, lorsque nous disons que l'Esprit humain perçoit ceci ou cela, nous disons seulement que Dieu, non en tant qu'il est infini, mais en tant qu'il s'explique par la nature de l'Esprit humain, autrement dit en tant qu'il constitue l'essence de l'esprit humain, posssède telle ou telle idée ; et lorsque nous disons que Dieu possède telle ou telle idée, non seulement en tant qu'il constitue la nature de l'Esprit humain, mais encore en tant qu'il qu'il possède en même temps que l'Esprit humain, l'idée d'une autre chose, nous disons alors que l'Esprit humain perçoit une chose en partie, autrement dit de façon inadéquate "

Ce texte paraît assez obscur. En particulier, en quel sens faut-il entendre "s'explique par la nature humaine" (explicatur, en latin) et si l'expression "en tant que..." n'est pas qu'un artifice de langage, un procédé logique, pour les besoins du discours et/ou de l'analyse, ou si elle signifie une séparation et une réduction au niveau modal entre l'esprit de Dieu infini, et l'esprit humain fini. En ce cas l'expression "en tant que..." marquerait toujours le passage de l'inifini au fini et vice versa ?

Propositions de réponse

Parce que l'esprit est un mode de la pensée, et que de l'attribut pensée découle l'entendement infini, l'esprit humain fait partie de l'entendement infini de Dieu, au lieu d'être un sujet indépendant et séparé. Cela signifie d'une part que lorsque nous percevons quelque chose, le véritable sujet de cette perception est Dieu mais d'autre part, comme l'esprit humain est partie de l'entendement infini, que ce percevoir est fini, partiel et non infini - sinon il serait total et éternel. L'entendement infini, en tant que tel, ne perçoit rien de particulier mais la totalité de ce qui est et doit être. Mais la perception partielle d'un objet, n'est telle que parce qu'elle fait partie de l'entendement infini, c'est donc toujours l'entendement infini qui perçoit lorsqu'il y a perception partielle, seulement, à "son" niveau, il perçoit en même temps la totalité des autres idées constituant son infinité.

Comme dit Deleuze, "Expliquer" chez Spinoza ne signifie pas une opération de l'entendement extérieure à la chose, mais une opération de la chose intérieure à l'entendement (l'idée en tant que réalité). L'explication est alors une auto-explication, un développement qu'on pourrait dire "naturel", un dynamisme : la chose s'explique. La substance - précisément parce qu'elle est cause de soi - s'explique dans ou par les attributs, les attributs expliquent la substance, idem pour la relation attributs/modes. Inversement on pourrait dire que la substance enveloppe l'existence des attributs et que ceux-ci s'enveloppent dans la substance - envelopper et développer étant deux aspects, deux façons de considérer un même mouvement, si l'on se place d'une compréhension adéquate du réel (il y a en revanche disjonction de l'expliquer et de l'impliquer dans le rapport des idées inadéquates, de notre puissance de comprendre et des choses extérieures).

Ici, l'expression "Dieu s'explique par la nature de l'esprit humain" ne signifie pas que Dieu soit en quoique ce soit postérieur à l'esprit humain : Dieu n'est pas expliqué, il s'explique au travers de l'esprit humain, puisque de la nécessité de la nature divine (puissance infinie d'exister) doivent suivre une infinité de réalités, dont l'esprit humain fait partie. D'ailleurs en Dieu, l'esprit humain, en tant que partie de l'entendement infini, n'est pas non plus postérieur à Dieu, il y est co-éternel, puisqu'il en fait partie intégrante. Aussi, en tant que mode, l'esprit est constitué par l'attribut pensée de Dieu, ce qui revient à dire que Dieu constitue l'essence de l'esprit humain. Pour cette raison, une des propriétés de l'esprit humain est que l'idée dont il est constitué, ainsi que les idées qui le constituent lui-même (modes de modes), n'ont pas pour cause les choses perçues, les objets de ces idées, mais Dieu en tant que pensée et entendement infini - parce que Dieu est cause de l'idée qu'il a de lui-même en tant que chose pensante et non en tant que chose étendue ou tout autre attribut (Cf. E2P5). Cette puissance du penser, indépendante de tout autre attribut, se retrouve au niveau modal, dans la puissance de l'esprit humain à penser son objet (le corps humain) sans dépendre de cet objet comme cause effective de cette pensée.

Donc quand un homme perçoit une idée, c'est une partie de l'entendement infini de Dieu qui rend possible ce percevoir, qui s'explique par cette perception, sachant que E1P16. L'expression "en tant que" dans ce contexte sert simplement à éviter une confusion, qui viendrait de l'expression "entendement infini", comme si en lui même, l'EI pouvait percevoir qqch de fini, afin donc d'insister sur le fait que c'est "une partie" de l'EI qui perçoit l'objet fini. L'EI n'ignore pas cet objet fini, mais il le perçoit comme partie indissociable du tout, comme en percevant la ligne nous percevons les points dont on peut dire qu'elle est constituée (sachant que c'est plutôt la ligne qui concrètement permet de constituer l'idée des points), sans que l'on puisse séparer ces points de la ligne, ce qui signifierait perdre la ligne en tant que telle.

A noter également que l'expression "en tant que" apparaît dans d'autres contextes que la relation de l'infini et du fini. Ex. E2P5, démonstration : "Dieu peut former l'idée de son essence et de tout ce qui en découle nécessairement, par cela seul que Dieu est chose pensante, et non pas parce que Dieu est l'objet de sa propre idée. Par conséquent, l'être formel des idées a pour cause Dieu, en tant qu'il est chose pensante." On peut dire que cette expression est un moyen d'analyse, càd de distinction des idées, afin d'éviter la confusion possible entre des idées qui se ressemblent, pour un esprit insuffisamment attentif, càd ici trop attaché aux mots et pas assez aux idées. Il n'y a donc, d'après moi, pas à supposer que par l'usage de cette expression, Spinoza signifie une quelconque séparation entre l'infini et le fini ; au contraire, le fini ne peut se comprendre que comme partie de l'infini, càd comme intérieur à l'infini et non extérieur comme s'il pouvait y avoir séparation.